Strange Animals

Le Feu Animal

coléoptère bombardier

Transcription de la chronique pour la 515ème émission de Podcast Science, dont la thématique était sur le feu, et qui a été enregistrée en public lors du festival PodParis.


Un mot sur ce fantastique festival avant :
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Sur Podcast Science, j’aime souvent vous parler d’animaux, mais pour cette émission spéciale avec une thématique sur le feu, je me suis senti un peu soufflé… Comme si j’avais perdu le feu sacré…
En effet, mon premier réflexe a été de me dire “si je veux faire une chronique animalière avec du feu, il faut que je trouve des bestioles qui produisent du feu ?' Si vous êtes comme moi, vous avez tout d’abord pensé aux dragons, non ? Désolé de vous et de me décevoir - ils restent cantonnés aux contes et légendes. Par contre, qui a pensé direct à l’espèce humaine ? Ben oui, l’espèce humaine est une espèce animale, et elle produit du feu… Voilà, fin de chronique, merci, au revoir…

Attendez une seconde ! Avant l’extinction des feux, on va s’arrêter sur un point crucial : certes, l’humain a dompté le feu, mais de quelle espèce humaine parle-t-on exactement ? Aujourd’hui la seule survivante, c’est la notre, Homo sapiens. Mais était-ce la seule à avoir réalisé un baptême du feu ? Et surtout, était-ce la première ?

Pour répondre à ces questions, plusieurs pistes de recherches scientifiques peuvent être empruntées. On peut commencer par chercher des traces fossiles de foyers et c’est ce qui par exemple a été réalisé dans la grotte de Wonderwerk, dans la province du Cap-du-Nord, en Afrique du Sud. Une équipe de scientifiques y a analysé des restes de plantes et d’os calciné en étudiant la morphologie microscopique de ces restes carbonisés ou en exploitant des techniques de pointes avec des noms à coucher dehors, comme la microspectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (mFTIR). Verdict : il s’agit de traces de combustions répétées qui auraient commencé il y a 1 million d’années, alors que la grotte était occupée par des membres d’une espèce humaine précédant la notre. En guise de perspective, notre espèce humaine est, au mieux, vieille de 300 000 ans ! On trouve dans cette grotte des outils en pierre dont le style est très reconnaissable et qu’on appelle l’industrie lithique de l'Acheuléen (comprendre “technique pour construire des outils en cailloux vieille de 1,7 millions d’années et restée en vogue jusqu'à il y a 200 000 ans”). Des espèces humaines qui pratiquent l’Acheuléen, il y en a 4 : Homo ergaster, Homo erectus, Homo rhodesiensis et Homo heidelbergensis. À Wonderwerk, on pense que c’était plutôt Homo erectus qui y vivait, mais d’autres foyers situés cette fois-ci en Israël, dans les grottes de Ya’aqov et d’Evron aurait pu être exploités par des Homo heidelbergensis.


Donc il y avait très probablement plusieurs espèces humaines qui exploitaient le feu, bien avant que la notre se chauffent les miches la nuit tombée. Mais peut-on dire pour autant que ces vieilles espèces fabriquaient du feu ?

Pour cela, on pourrait poser la question directement aux fossiles d’Homo erectus et Homo heidelbergensis, mais pas certain qu’ils vendent la mèche. Ou on pourrait se mettre en quête des outils qui permettent de fabriquer du feu. Et si vous vous mettez à chercher des briquets ou allumettes préhistoriques, laissez-moi vous dire que votre excavation risque de faire long feu… En effet, la plupart des archéologues et ethnologues spécialistes du sujet (des archéopyrotechnologues quand on veut, en societé, briller de mille feux) s’accordent à dire qu’il y a grosso-merdo deux manières principales de faire un feu : la friction et la percussion. La friction consiste à frotter deux bouts de bois jusqu’à ce que ça s’enflamme. Et la percussion, c’est frapper des matières minérales l’une contre l’autre pour créer des étincelles. Les archéologues ont peu d’espoir de trouver des kits allume-feu en bois, mais par contre beaucoup plus de chances de trouver des proto-briquets en cailloux ! Et les plus vieux jamais trouvés remontent à 50 000 ans avant notre ère et sont l’oeuvre… d’Homo neandertalensis !


L’hypothèse que notre espèce serait unique dans son contrôle pyrotechnique, ne survit pas à l’épreuve du feu… Et des biologistes de l’évolution, quitte à rajouter de l’huile sur le feu,  pourraient faire remarquer qu’on aurait dû sans douter !
En effet, en plus des myriades de traces qu’ont laissé les foyers sur les parois des grottes et les objets manipulés par les diverses espèces humaines ayant domestiqué le feu, celui-ci a aussi laissé sa marque dans notre patrimoine génétique et, par extension, dans notre anatomie. Car de tout ce que peut apporter la domestication du feu (chaleur, protection, lumière, etc.), à votre avis quel est l’aspect dont les experts s’accordent à dire qu’il a eu le plus d’impact sur notre évolution ? La réponse, qui m’a surpris moi-même (je n’y aurais certainement pas mis ma main au feu), c’est… la bouffe ! Cuire les aliments semble avoir eu un effet du feu de dieu sur notre évolution.

Dans un essai publié dans le magazine numérique Aeon, le chercheur Ivo Jacobs explique que la cuisson est un moyen de prédigérer les aliments, d'augmenter l'absorption de calories et d'éliminer les agents pathogènes dangereux. Les féculents se décomposent et se ramollissent à la cuisson, ce qui les rend plus sucrés et plus faciles à mâcher et à digérer. Et la perception de ce bénéfice, il semble inné chez la plupart des primates : les grands singes par exemple, préfèrent les carottes, les pommes de terre et la viande cuites à leurs homologues crus. En revanche, les personnes qui suivent un régime crudivore sont souvent sous-alimentées et en sous-poids, même lorsqu'elles consomment des aliments riches en énergie ou ultratransformés. Nos ancêtres n'avaient pas accès à de tels produits de luxes et auraient donc été encore moins en bonne santé s'ils avaient suivi un régime purement cru.
Conséquence : avec la domestication du feu, le régime cuit aurait été très rapidement adopté ! Et ça aurait été l'étincelle qui a mis le feu aux poudres des changements évolutifs.
Notre espèce a par exemple des variants de gènes offrant une résistance accrue aux toxines contenues dans la fumée, et que n’auraient pas d’autres espèces de primates. On a aussi une dentition très différente des grands singes à régime cru, changement de dentition qu’on voit déjà se manifester chez Homo erectus. Et évidemment, qui dit plus de calories dit un cerveau qui peut péter le feu ! Pas étonnant donc que la masse cérébrale des différentes espèces du genre Homo ait augmenté depuis le million d’années où on a commencé à faire des méchouis et des pot-au-feu.

Mais je sens poindre le moment où les auditrices et auditeurs de cette chronique vont m’accuser d’avoir fait feu de tout bois en prétendant avoir concocté une chronique animalière liée au feu. Homo par ci, Homo par là, faut pas croire qu’on n’y voit que du feu ! Elles sont où les bestioles qui crament tout ?

En guise de cessez-le-feu, je vous propose de reparler d’Ivo Jacobs que j’avais cité plus tôt. Ce que je ne vous avais pas dévoilé à son propos, c’est qu’il est le spécialiste d’une discipline particulière appelée la Pyrocognition : la discipline cherchant à comprendre les facteurs comportementaux et cognitifs à l'origine de l'utilisation du feu par les espèces humaines. Et pour cela il s’intéresse à diverses espèces animales qui exploitent le feu à leur avantage. De nombreuses espèces de primates comme des macaques ou des chimpanzés, semblent par exemple attirées par des zones brûlées qui présentent une meilleure qualité et accessibilité d’aliments cuits.


Plusieurs espèces de grands mammifères préfèrent aussi les zones récemment brûlées car ils ont moins besoin de surveiller l’arrivée de leurs prédateurs. Mais les exemples les plus flamboyants d’espèces animales exploitant le feu sont à trouver… chez les oiseaux ! 

Des études assez récentes auraient ainsi documenté l’attraction de certains oiseaux de proies vers des zones incendiées. Ces terrains de chasses privilégiés où les rongeurs et autres proies sont particulièrement menacées, certains oiseaux les recherchent activement, voire les propagent ! En effet, plusieurs rapaces comme le milan noir (Milvus migrans), le milan siffleur (Haliastur sphenurus) et le faucon brun (Falco berigora) aurait été observé avec, entre leurs serres, des morceaux de bois ou des touffes d'herbe incandescents ! Ces observations recoupent également les mythes locaux connus des aborigènes qui n’hésitent pas à surnommer ces volatiles pyromanes des faucons de feu ! Reste à savoir si ces observations et ces mythes sont réconciliables…



Mais pour trouver d’autres exemples d’espèces animales qui jouent avec le feu, n’aurions nous pas intérêt à nous tourner vers les contes et légendes pour y chercher d’éventuels cas réels d’animaux cracheurs de feu ?

Anatomie comparée des espèces imaginaires

Dans son “Anatomie comparée des espèces imaginaires, de Chewbacca à Totoro” le paléontologue Jean-Sébastien Steyer s'intéresse au dragon et se demande quelles adaptations permettraient à un animal de véritablement cracher du feu. Je le cite :

“Possède-t-il une poche interne remplie d'hélium ou autre gaz combustible plus léger que l'air — ce qui augmenterait par la même occasion sa capacité de voler ? Dans ce cas, il faut aussi l'imaginer doté d'un système d'allumage, comme des dents en silex par exemple. [..] Le méthane (CH4) semble en fait plus plausible car il est plus abondamment sécrété [...] dans nos intestins. [..] Le méthane pose d'ailleurs des problèmes écologiques à cause notamment des élevages intensifs de ruminants dans le monde (16 % des émissions à l'échelle globale) : une seule vache peut en effet émettre jusqu'à 500 litres de méthane par jour, alors imaginez un dragon ! Mais, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce gaz s'échappe beaucoup plus par éructation (dans 95 % des cas) que par flatulence (5 % des cas) : les anciens avaient raison d'imaginer les dragons cracher du feu par la bouche ! “

Mais désolé, pas d’exemples de ruminants dotés de dents de silex qui rotent des flammes… Qu’à cela ne tienne, plutôt que de chercher l’origine des flammes depuis la gueule de l’animal, on la cherchait via un autre orifice ? En d’autres termes, est-ce que des bestioles qui ont le feu au cul, ça existe ?

Bonacon

À en croire les textes de Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, un tel animal extraordinaire, un bovin qui plus est, vivait en Péonie, un royaume antique situé au nord de la Macédoine. Selon un article du monde sur le sujet, il aurait été surnommé bonachus, bonnacon, bonacon, bonaconn, bonase, bonasus ou encore Onachum. Je ne peux m’empêcher de citer les descriptions successives (et hilarantes) du Bonacon tout d’abord sous la plume de Pline l’Ancien : 

« On parle d’une bête de Péonie nommée Bonase, à crinière de cheval et du reste ressemblant à un taureau ; ses cornes sont si contournées qu’elles ne peuvent lui servir pour combattre, aussi a-t-il recours à la fuite et en fuyant il lance à la distance de trois jugères une fiente dont le contact brûle comme une sorte de feu ceux qui le poursuivent. »

L’auteur de l’article du monde a calculé l’équivalent actuel de trois jugères : approximativement 7 500 mètres carrés : on imagine bien qu’un tel pet mette un territoire à feu et à sang !

Aristote décrit le bonacon ainsi :

« II y a des animaux qui ont tout à la fois le pied fourchu, une crinière, et deux cornes, qui sont recourbées l’une vers l’autre. C’est le cas du bonase (…). Il est à peu près gros comme un taureau, et il est plus massif que le bœuf, parce qu’il n’est pas allongé. Sa peau bien déployée pourrait donner place à sept personnes. D’ailleurs, il ressemble beaucoup à un bœuf, si ce n’est qu’il a, comme le cheval, une crinière, qui va jusqu’aux épaules. Son cuir est résistant contre les coups. Sa chair est d’un goût agréable ; et aussi lui fait-on la chasse. Quand il est blessé, il se met à fuir sans discontinuer jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus. Il se défend en lançant des ruades, et en projetant ses excréments jusqu’à la distance de quatre brasses [soit environ 7,30 mètres]… Ses excréments brûlent à ce point que les poils des chiens atteints tombent desséchés. »


Alors est-ce que le bonacon a véritablement existé ? Là je me sens pris entre deux feux avec d’un côté le camp des cryptozoologistes persuadés qu’ils peuvent rajouter cette bestiole à la longue liste des comprenant Yéti, monstre du Loch Ness et Chuppacabra, ou le camp des scientifiques rabat-joie qui font mourir à petit feu nos rêves de monstres mythologiques...

À moins que certains zoologistes viennent finalement à notre rescousse ! Ceux-ci pourraient par exemple nous rappeler qu’il existe pas mal d’espèces d’insectes qui peuvent projeter des substances corrosives et qui brûlent ! Il y a l’acide formique projeté par les fourmis, ou mieux encore, un liquide corrosif en ébullition projeté par l’extrémité de l’abdomen de coléoptères surnommés les bombardiers. Ces derniers balancent un cocktail chimique digne d’un feu d'artifice mais qui est maintenu stable dans le corps parce que les deux réactifs sont stockés dans des glandes séparées, ou à l’aide d’un inhibiteur chimique. Chez l’espèce Metrius contractus, ces deux réactifs sont le peroxyde d'hydrogène (de l’eau oxygénée) et l'autre de l'hydroquinone. Si on mélange les deux produits chimiques au laboratoire, on obtient ce qu’on appelle une réaction très exothermique. On pense ainsi que la température du jet émis par le coléoptère peut atteindre 100°C. Comme nous l’apprend Max Barclay, conservateur au musée d’histoire naturelle de Londres, “Le coléoptère ne mélange les deux produits chimiques qu'au moment précis où il doit se défendre, et le mélange est presque instantanément éjecté avec force par l'extrémité de l'abdomen. La chambre de réaction résistante située à l'extrémité arrière du coléoptère protège le reste des organes internes de l'insecte contre les dommages”.
 


Comme quoi, la nature dépasse toujours la fiction, et cette maxime vous pouvez la graver en lettres de feu !

Liens :

Pyrocognition

How animal uses of fire help to illuminate human pyrocognition | Aeon Essays
058 - Animal pyrocognition - a path to undestand our beginnings with fire with Ivo Jacobs

 

Firehawks
Allumez le feu ! | Bionum
Ornithologist seeks to prove theory NT desert hunting birds spread fire to flush out prey - ABC News
Australian raptors start fires to flush out prey

Bonacon
Le bonacon, un animal qui pète le feu

Scarabée qui pète
Exploding animal - Wikipedia
Coléoptère bombardier — Wikipédia
Bombardier beetle - Wikipedia 
Bombardier beetles and their caustic chemical cannon | Natural History Museum

Références :

Aristote, Histoire des animaux (Livre II, chapitre II/17 et Livre IX, chapitre XXII/1)
Berna, F., Goldberg, P., Horwitz, L. K., Brink, J., Holt, S., Bamford, M., & Chazan, M. (2012). Microstratigraphic evidence of in situ fire in the acheulean strata of wonderwerk cave, northern cape province, south africa. Proceedings of the National Academy of Sciences, 109(20). https://doi.org/10.1073/pnas.1117620109
Bonta M., Gosford R., Eussen D., Ferguson N., Loveless E., & Witwer M. (2017). Intentional fire-spreading by “firehawk” raptors in northern australia. Journal of Ethnobiology, 37(4), 700. https://doi.org/10.2993/0278-0771-37.4.700
Cormier, Z. (2012). Termites explode to defend their colony. Nature, nature.2012.11074. https://doi.org/10.1038/nature.2012.11074
Jones, T. H., Clark, D. A., Edwards, A. A., Davidson, D. W., Spande, T. F., & Snelling, R. R. (2004). The chemistry of exploding ants, Camponotus spp. (Cylindricus complex). Journal of Chemical Ecology, 30(8), 1479‑1492. https://doi.org/10.1023/b:joec.0000042063.01424.28
Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre VIII/16, traduction Emile Littré
Šobotník, J., Bourguignon, T., Hanus, R., Demianová, Z., Pytelková, J., Mareš, M., Foltynová, P., Preisler, J., Cvačka, J., Krasulová, J., & Roisin, Y. (2012). Explosive backpacks in old termite workers. Science, 337(6093), 436‑436. https://doi.org/10.1126/science.1219129
Sorensen, A. C., Claud, E., & Soressi, M. (2018). Neandertal fire-making technology inferred from microwear analysis. Scientific Reports, 8(1), 10065. https://doi.org/10.1038/s41598-018-28342-9
Stepka, Z., Azuri, I., Horwitz, L. K., Chazan, M., & Natalio, F. (2022). Hidden signatures of early fire at Evron Quarry (1.0 to 0.8 Mya). Proceedings of the National Academy of Sciences, 119(25), e2123439119. https://doi.org/10.1073/pnas.2123439119
Steyer, S., & Rafaelian, A. (2019). Anatomie comparée des espèces imaginaires : De Chewbacca à Totoro. le Cavalier bleu éditions.
Zohar, I., Alperson-Afil, N., Goren-Inbar, N., Prévost, M., Tütken, T., Sisma-Ventura, G., Hershkovitz, I., & Najorka, J. (2022). Evidence for the cooking of fish 780,000 years ago at Gesher Benot Ya’aqov, Israel. Nature Ecology & Evolution, 6(12), 2016‑2028. https://doi.org/10.1038/s41559-022-01910-z

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