Science

L'Arbre généalogique des Mammifères

Dans plusieurs articles de SSAFT, je vous ai parlé de phylogénies, les sortes d'arbres généalogiques qui dressent les relations de parenté entre les espèces (sous forme d'arbres qu'on appelle donc des arbres phylogénétiques). C'est essentiellement à l'aide de ces arbres que l'on peut caractériser l'émergence de caractères inédits, des innovations évolutives, et que l'on peut éventuellement caractériser mon phénomène évolutif préféré, les convergences!
Un des exemples d'arbre phylogénétique susceptible d'intéresser un bon nombre de personnes est celui des mammifères. D'une part, c'est un groupe duquel les humains font partie, et comme une bonne moyenne des humains sont totalement anthropocentriques (pour ne pas dire complètement nombrilistes), il s'agit d'une justification suffisante pour une partie des lecteurs. Mais d'autre part, c'est un arbre relativement facile à dresser par rapport à d'autres groupes d'espèces. En effet, les mammifères sont des animaux assez volumineux (un minimum de 35mm pour 2g pour la musaraigne Suncu etruscus ou encore la chauve-souris Craseonycteris thonglongyaimesurant 11mm et enfin la taille maximum très célèbre remportée par la baleine bleue Balaenoptera musculus avec ses 33m et ses 130 tonnes) [Au fait, je cache souvent des images en lien comme dans la parenthèse précédente alors n'oubliez pas de cliquer dessus!]. Mais le plus grand avantage pour ce travail, c'est que ce groupe important ne comporte que 4554 espèces vivantes actuelles (en comparaison, il y a cinq fois plus d'espèces de poissons que de mammifères, 50 fois plus d'espèces d'insectes répertoriés et il y a à peu près autant d'espèces de mammifères que d'espèces de libellules...). En soit, ça devrait déjà un peu calmé les ardeurs des anthropocentristes, et si ça ne suffit pas on peut citer le fait que parmi les animaux, 95% des espèces actuelles sont des invertébrés (ce qui ne donne absolument pas une idée du nombre d'organismes, où là, les mammifères représentent une petite goutte dans un océan d'insectes, mollusques et autres annélides...) Après cette petite baffe à l'égo de certains, nous pouvons commencer à célébrer la diversité des mammifères. Sachant que nous n'avons pas la possibilité d'interroger chaque petit organisme pour lui demander qui était son papa, sa maman, ses frères, ses sœurs et ses cousines germaines, les systématiciens (les chercheurs qui se spécialisent dans la réalisation d'arbres phylogénétiques) doivent réaliser un travail d'enquête minutieux pour retracer cet arbre. Cela part d'un principe assez simple: les relations de parentés signifient le plus souvent des similitudes de caractères. C'est ce qui nous permet de nous exclamer, en regardant un frère et une sœur, qu'ils ont bien un pt'it air de famille. Les systématiciens vont donc étudier des caractères morphologiques et les comparer entre les espèces pour dresser des listes de caractères similaires entre différentes espèces. Mais bien sûr, comme vous avez certainement eu l'occasion de vous en apercevoir en parcourant ce blog, les apparences morphologiques sont parfois très trompeuses.
Comment faire alors? Et bien depuis l'avènement des techniques de biologie moléculaire, de nouveaux caractères sont disponibles et ce sont des séquences génétiques qui sont moins sujettes à la convergence évolutive et essentielles pour comparer des espèces qui n'ont pas beaucoup de caractères morphologiques. On réalise alors tout un tas de procédures sur ordinateur pour estimer non seulement les relations de parentés les plus probables, mais aussi les temps de divergences c'est à dire les intervalles de temps entre chaque point où, à partir d'un ancêtre commun, deux espèces ont émergé puis commencé à diverger, à accumuler des différences entre elles.
On en vient donc à ce travail incroyable réalisé en 2007 par plusieurs équipes à travers le globe, et qui ont utilisé 66 séquences génétiques et 30 caractères morphologiques de 4510 espèces de mammifères (soit 99% des espèces de mammifères actuels : c'est ce qu'on appelle être rigoureux et exhaustif) pour réaliser l'arbre phylogénétique des mammifères le plus complet jamais tracé:


(cliquez sur l'image pour obtenir un fichier pdf complet de l'arbre)

La configuration de l'arbre peut vous surprendre, mais c'est la plus pratique lorsque l'on veut représenter plusieurs milliers d'espèces. Je vous invite à parcourir le fichier, de voir les relations entre les différentes espèces. Je ferai certainement beaucoup de liens vers cet article, pour parler des relations entre mammifères. En plus, je vais réaliser une présentation de chacun des groupes avec bien entendu les espèces les plus funky ou les plus strange. Pour finir, une petite explication du travail réalisé grâce à la vidéo ci-dessous. Pas de panique pour les anglophobes, j'ai traduit ce qui se dit juste en dessous.




Transcription traduite de la vidéo:
Narration: Il y a quelque chose de similaire, de familier à propos des mammifères, ce groupe de créatures poilues qui produisent du lait pour nourrir leurs petits. Ils sont sans doute les vertébrés les plus fructueux en terme de conquêtes de la terre, de la mer et du ciel, ainsi que tous les habitats de l'équateur jusqu’aux pôles.
Dr Paul Willis: Et, bien sûr, nous parlons de nos parents les plus proches. Mais à quel point sommes-nous étroitement liées aux autres mammifères? A quoi ressemble notre arbre généalogique? Et combien de temps s’est écoulé depuis que nous avons partagé un ancêtre commun avec un rat ou une chauve-souris ou un chimpanzé?
Narration: Ce sont des questions qui ont pesé lourdement sur l'esprit du systématicien des mammifères, Robin Beck.
Robin Beck: Les gens ont essayé d’établir les relations de parenté entre les différents organismes pendant plus de 100 ans, mais ce n'est que récemment que nous avons eu les données et la technologie pour produire de très grands arbres évolutifs pour de grands groupes comme les mammifères.
Narration: la plupart des branches de l'arbre a déjà été établie par d'autres chercheurs. Et, après une décennie de travaux complexes, voici ce qu’ils ont obtenu. Un arbre qui pousse à partir du centre vers les bords qui représentent notre époque actuelle.
Paul: Commençons depuis le début. Cela représente un point dans le passé il y a 166 millions d'années, lorsque tous les mammifères vivant étaient représentées par un même ancêtre commun. Le premier groupe d’animaux à diverger sont les monotremes, les mammifères pondant des oeufs, et qui comprend l'ornithorynque et les echidnés. La seconde divergence apparait il y a 147 millions d'années et c'est entre les marsupiaux et les mammifères placentaires, qui représentent la plus grande diversité des mammifères actuels.
Robin: Eh bien, les fossiles montre que, pour les 150 premiers millions d'années de leur existence, les mammifères étaient petits et nocturnes et se cachaient des dinosaures. Mais ce que notre recherche nous montre c'est que c’est au cours de cette période que les principaux types de mammifères ont fait leur apparition.
Paul: Les animaux placentaires forment un groupe très divers et ils comprennent nos parents les plus proches. C’est ici que nous nous trouvons, Homo sapiens, c'est nous. Maintenant, rappelez-vous qu’alors que je me dirige vers le centre de cet arbre, je suis véritablement en train de reculer dans le temps. Revenons ici, il y a 7 millions d'années, c'est là que nous nous sommes séparés du groupe qui allait donner les chimpanzés. Et de retour ici, il y a 19 millions d'années, nous retrouvons le groupe qui donna tous les grands singes. Si on remonte encore plus loin il y a 87 millions d'années, on retrouve tous les primates. Et à côté des primates, nous avons les lapins, puis ici ce sont tous les rongeurs, plus d'un tiers de toutes les espèces de mammifères actuels. Par ici, nous avons les mammifères à sabots, les carnivores, et à l'arrière, ce sont les chauves-souris.
Narration: Nous avons maintenant une idée claire de la façon dont tous les mammifères sont liés les uns aux autres, mais l'arbre ainsi produit nous réserve quelques surprises.
Paul: Un des résultats surprenants de l'évolution des mammifères concerne cette ligne pointillée. Elle marque le point dans le temps, il y a 65 millions d'années quand les dinosaures ont disparu. Les vues conventionnelles arguaient que dans un monde dépourvu de dinosaures, les mammifères, pourraient rapidement évoluer pour prendre leur place. Mais ce que l'arbre des mammifères a révélé c’est un écart de 10 millions d'années entre le moment où les dinosaures ont disparu et le moment où les mammifères modernes ont commencé à décoller.
Robin: Bien que cet écart de 10 millions d'années est très surprenant ce qui est important de garder à l'esprit c’est que nous n’effectuons des recherches que sur les mammifères actuels. Il y a eu beaucoup d'autres groupes de mammifères qui dans cet intervalle de temps ont évolué alors que les dinosaures se sont éteints, mais ils ont disparu avant notre époque.
Paul: Maintenant, je voudrais souligner que certains systématiciens, les scientifiques qui travaillent sur la façon dont les organismes sont liés entre eux, ont des problèmes avec la façon dont cet arbre a été mis en place. Ainsi, vous pouvez vous attendre à voir des changements de cet arbre dans un avenir pas trop lointain.
Narration: Mais il s'agit d'un merveilleux travail et il vaut la peine de le regarder en détail. Ainsi, nous avons mis ce graphique sur le site de Catalyst où vous pourrez vous connecter et rencontrer les membres de notre famille, à votre loisir.

Référence:
Bininda-Emonds, O. R., M. Cardillo, et al. (2007). "The delayed rise of present-day mammals." Nature 446(7135): 507-12 (PDF).

Liens:
Article sur Catalyst
Article Cool Infographics

Ajouter un commentaire

URL de rétrolien : http://ssaft.com/Blog/dotclear/?trackback/133

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.


2270-4027