Le Mercredi on Converge

[Le Mercredi, on converge...] Et la lumière fut... et re-fut

Aujourd'hui je vais vous parler d'une convergence évolutive assez particulière puisqu'il s'agit d'une convergence symbiotique. Mais plantons tout d'abord le décor:

Imaginez-vous plonger à bord d'un sous-marin dans la mer ou dans l'océan: bien à l'abri dans votre cockpit, vous descendez progressivement les paliers. A partir d'un moment vous constaterez que deux mondes totalement différents sont superposés l'un sur l'autre. Placé à cette limite vous constaterez que la lumière du soleil ne peut être observée qu'en levant la tête vers la surface. En dessous de vous, s'étend un monde de ténèbres, la zone aphotique. Dans ce monde, seule la vie peut générer de la lumière: on parle de bioluminescence. Cette lumière représente alors une ressource rare, un moyen de communication, de séduction, de défense, voire un outil redoutable de prédation. Les organismes qui sont capables de générer de la lumière sont très divers: on y trouve des bactéries, des sortes de petites algues, et pratiquement tous les groupes d'animaux ont au moins un membre capable de cet exploit. En voici un petit panel pour le plaisir des yeux:

colonies de Vibrio fischeri
Bactéries bioluminescentes
l'algue unicellulaire Lingulodinium polyedrum
une marée rouge due à une explosion démographique de Lingulodinium polyedrum
La méduse Aequorea victoria
Le ver de terre Diplocardia sécrète une substance bioluminescente quand il est dérangé
un poisson Cyclothone

Vous vous imaginez bien que, puisque le sujet de la bioluminescence pointe le bout de son nez dans la catégorie Le Mercredi on converge, c'est que cette propriété a du faire son apparition plusieurs fois au cours de l'évolution. Et bien figurez vous qu'en étudiant de près les modalités de bioluminescence entre de nombreux organismes qui en sont capable, des chercheurs ont estimé que ce processus serait apparu pas moins de 30 fois au cours de l'évolution (1). Mais comme je vous l'ai annoncé, le sujet d'aujourd'hui parle de convergence de symbiose. De quoi s'agit-il au juste? Pour le comprendre il faut tout d'abord présenter les protagonistes de cette histoire. Commençons par le plus petit d'entre eux: il s'agit d'une bactérie, Vibrio fischeri, dont les cousins sont malheureusement célèbres pour nous causer des afflictions tel que le choléra, la gangrène, des otites, des entérites et j'en passe et des pires... A côté de ceux-ci, Vibrio fischeri est un petit ange lumineux, dans le sens littéral du terme puisque cette bactérie est donc capable de convertir de l'énergie chimique en émission lumineuse. Comme vous avez déjà pu le constater en parcourant les lieux, les scientifiques sont rarement les derniers pour jouer en faisant semblant de travailler (comme ici ou par exemple...). Vous imaginez bien que si on les laisse avec une bactérie bioluminescente, il va nécessairement y avoir pétage de plomb. Ça n'a pas raté...

 

Vibrio fischeri: la bactérie amusante!

Pour se rendre compte de l'aspect de la bactérie voici deux images en microscopie optique et électronique:

Vibrio fischeri
Vibrio fischeri en microscopie électronique

Cette bactérie vit donc dans les océans et les mers où elle pullule et flotte à la recherche de nutriments. Son activité de bioluminescence est particulièrement accrue lorsque la bactérie sent qu'elle est entourée par un nombre important de bactéries de la même espèce: il s'agit d'un phénomène de perception du Quorum qui permet à des populations de bactéries de réguler l'expression génétique de chaque individu, et ce afin de produire un effet massif.
Vibrio fischeri attise bien des envies autour d'elle dans la zone aphotique. Un tel s'en servirait bien pour y voir plus clair et trouver ses proies. Un autre aimerait bien se dissimuler lorsque la lumière de la lune est assez forte pour révéler son passage par une ombre projetée sur le fond marin: quoi de mieux alors que d'émettre une lumière d'intensité similaire à celle de la lune pour ne plus se laisser trahir par son ombre. Ces deux exemples sont retrouvés dans la nature et on réussit à établir une relation symbiotique avec la bactérie: il s'agit du poisson pomme-de-pin Monocentris japonica et de l'adorable petite seiche Euprymna scolopes. Voici deux vidéos nous les présentant:

Monocentris japonica

Le poisson Monocentris japonica



Euprymna scolopes


Le comportement d'Euprymna scolopes (c'est normal si j'ai envie de lui faire un bisous?)



Chez Monocentris japonica, les bactéries colonisent deux organes spécialement aménagés pour elles et qui se trouvent situées sur la mâchoire inférieure, et qui permet au poisson d'éclairer brièvement les alentours ou bien d'attirer vers sa gueule béante des crevettes imprudentes.
Lorsque la larve d'Euprymna scolopes nait, ses organes dits photophores sont dépourvus de bactéries. Par contre, ils sont optimisés pour recevoir Vibrio Fischeri, notamment avec des bras ciliés qui brassent l'eau vers des pores débouchant dans les futurs organes lumineux (qui sont des structures constitués de deux lobes dans lequel est empaqueté des tubes sécrétant un mucus idéal pour la croissance de la bactérie). Une fois une population de bactérie installée, les pores se referment, et de leur côté les bactéries perdent leur caractère de motilité et commencent à émettre de la lumière. L'organe lumineux possède un tissu réfléchissant de couleur argentée, un mécanisme pour obturer la lumière (le sac contenant l'encre noire de la seiche), une lentille transparente qui recouvre l'organe et un filtre jaune qui change la couleur de la lumière émise. Cela permet à Euprymna scolopesde contrôler la quantité de lumière qu'il émet.
Les chercheurs ont commencé à s'intéresser à la comparaison de la symbiose de Vibrio Fischerichez ce poisson et cette seiche lorsqu'ils ont remarqué que la souche bactérienne (la population en d'autres termes) qui colonisait le poisson était incapable de coloniser les organes lumineux de la seiche. Il n'y a pas vraiment de quoi être surpris puisqu'à vrai dire, la seiche et le poisson sont des organismes réellement très différents et on pourrait imaginer que de très nombreux gènes sont impliqués spécifiquement à la colonisation de tel ou tel animal, non? Et bien non! Mark Mandel et son équipe ont démontré que la seule différence entre la souche spécifique de la seiche et celle du poisson est contenue dans un seul gène. Mais il ne s'agit pas de n'importe quel gène, mais un gène régulateur d'autres gènes, c'est à dire un gène capable de réguler l'activité d'une myriade d'autre gènes. Mark Mandel pense que ce gène a permis à la bactérie de changer d'hôte pour passer du poisson à la seiche. Ces arguments sont les suivants:
Le gène concerné, rscS, est présent dans la souche de Vibrio fischeri spécifique à la seiche et peut être absent dans certaines souches trouvées chez le poisson. Une souche sans ce gène ne peut pas coloniser la seiche et une souche spécifique au poisson à laquelle on ajoute ce gène est soudain capable de coloniser la seiche.
Il semble que rscS contrôle l'activité de gènes prééxistants dans toutes les souches et qui servent notamment à former des biofilms, c'est à dire une communauté de bactérie qui forme une sorte de tissu organisé. Chez la seiche, les organes lumineux sont idéaux pour réaliser des biofilms et sont par contre bien moins adéquats pour contenir des souches de bactéries motiles.
Enfin, les auteurs ont isolé une souche chez le poisson qui possède ce gène et qui serait donc capable théoriquement de coloniser les deux organismes (et cette capacité a été effectivement observée en laboratoire).

Cette étude, en plus de nous donner l'occasion d'aller presque jusqu'au bout d'un mécanisme de convergence évolutive, permet également de nous interroger sur la manière dont les bactéries peuvent élargir leur spectre spécifique d'infection: ici nous avons l'exemple d'une bactérie symbiotique qui change d'hôte grâce à un seul nouveau gène. Existe t-il des mécanismes similaires qui font passer des bactéries inoffensives pour l'homme en pathogène dévastateur? Dans ce cas, contrer l'action d'un seul gène peut se montrer bien plus facile que d'aborder un mécanisme complexe de pathogénicité. Les nouvelles thérapies ne constitueraient plus à tuer les bactéries mais plutôt à jouer à va voir là-bas si j'y suis...

Liens:
Not Exactly Rocket Science
Mémoire Bibliographique sur la bioluminescence

Reference:
(1)Hastings,J.W. Biological diversity, chemical mechanisms, and the evolutionary origins of bioluminescent systems. J. Mol. Evol. 19,309 (1983)
Mark J. Mandel, Michael S. Wollenberg, Eric V. Stabb, Karen L. Visick, Edward G. Ruby (2009). A single regulatory gene is sufficient to alter bacterial host range Nature DOI: 10.1038/nature07660
Nature’s Bright Idea. Shreeram Akilesh. 2000. (pdf)

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