Science

Paléopathologie: Le cas Henri IV

L'authentification récente de la tête du "bon roy" Henri IV par un collège pluridisciplinaire de spécialistes (le jeune et télégénique Philippe Charlier en tête), ainsi que le petit remous médiatique qu'elle a généré nous donnent l'occasion de parler d’une discipline scientifique encore peu représentée : la Paléopathologie. Combinaison des trois racines grecques “Palaios” (ancien), “Pathos” (souffrance) et “Logos” (discours), le terme “Paléopathologie” désigne l'étude médicale des vestiges humains, c’est à dire l’examen de cadavres anciens à l’aide des outils et des connaissances de la science et de la médecine moderne (comme le fait la médecine légale sur des corps “frais”). Qu’elle analyse des ossements, des momies, des restes de crémation ou encore des artefacts religieux, cette discipline peut nous apprendre beaucoup sur les causes de décès de nos lointains ancêtres, mais également sur leur alimentation, leur mode de vie et même les maladies dont ils étaient victimes. En cela, elle est à rapprocher de la l’Archéologie et de la Paléoanthropologie. Dans d’autres cas, les Paléopathologistes se font détectives et utilisent leurs talents pour résoudre des énigmes historiques, ou proposer une explication rationnelle à certains mythes profondément ancrés dans notre culture. La liste des enquêtes ainsi réalisées est si longue et les affaires toutes si intéressantes qu’elles mériteraient une série complète de billets, mais, actualité oblige, nous allons nous concentrer sur le chef de feu notre monarque Henri le Quatrième (si d’autres sujets vous intéressent néanmoins, n’hésitez pas à réclamer un post consacré).

Pérégrinations d’une tête couronnée

Bien que cela ne soit pas une thématique habituelle du blog et pour comprendre le caractère exceptionnel du sujet, il est nécessaire de faire un petit point sur l’histoire de ce roi, et plus particulièrement celle de son cadavre (les allergiques aux dates pourront toujours passer directement au paragraphe suivant). Né Henri de Bourbon le 13 décembre 1553 à Pau, Henri IV fut couronné en 1594 à Chartres, et régna sur la France jusqu’au 14 mai 1610, date de son assassinat par le fanatique catholique François Ravaillac. Suivant la tradition, sa dépouille fut inhumée comme celle de ses royaux aïeuls à la Basilique St Denis, et ce dans sa quasi intégralité. En effet le monarque avait émis le souhait qu’à sa mort, son cœur soit confié à l’église du collège des Jésuites de la Flèche, qu’il avait lui même fondé. En ce qui concerne sa tête, elle se devait de rester bien attachée au reste de la dépouille, à l’abris sous un lourd gisant de marbre. Mais c’était sans compter sur les révolutionnaires qui, en 1793, entreprirent (par décret) de détruire et de piller les tombeaux de la basilique à la fois pour fêter la prise des Tuileries l’année précédente et récupérer le plomb des cercueils pour la confection de munitions. C’est lors de cet évènement, fortement symbolique et d’une grande violence, que “disparût” selon les historiens la tête d’Henri IV, le corps ayant quant à lui été jeté avec ses voisins dans une fosse commune. Dès lors, plus aucune nouvelle de la relique, jusqu’en1919, où un certain Joseph-Émile Bourdais achète aux enchères pour une poignée de francs quelques bibelots, parmi lesquels des crânes et têtes momifiées anonymes qu’il exposera dans son atelier à Dinard. Intrigué par la lecture de revues artistiques et de livres d’histoire, le brocanteur sera bientôt convaincu de l’authenticité de son acquisition et tentera en vain de prouver ses dires. A sa mort en 1947, le précieux objet disparait de nouveau (la tête fût en réalité rachetée en 1955 aux héritiers de Bourdais par un mystérieux inconnu) et ne refera surface que cette année, suite aux efforts conjoints des journalistes Pierre Belet et Stéphane Gabet, parrainés par  l’historien Jean-Pierre Babelon et Son Altesse Royale le prince Louis-Alphonse de Bourbon, héritier “légitime” du trône de France.

Une authenticité “sûre à 99.999999…%*”

*d’après un commentaire de Philippe Charlier lui même.

C’est donc après cette rocambolesque série de disparitions et réapparitions, que le chef supposé d’Henri IV atterrit enfin entre les mains d’une multitude d’experts (médecins-légistes, archéologues, radiologues, toxicologues, généticiens et paléogénéticiens, biologistes moléculaires, palynologues, anthropologues et même parfumeurs!) déterminés à mettre un point final à cette histoire. Voici ce qu’ils ont observé:

Datation et aspect général:

La tête momifiée se présentait dans un état de préservation qualifié d’excellent, les parties molles et internes étant elles aussi bien conservées. Une datation au carbone 14 a été réalisée sur une pièce de chair prélevée dans la partie interne du cou et a permis l’estimation de son âge dans une fourchette de 360 à 560 ans (soit une période comprise entre 1450 et 1650, et englobant donc toute la durée de vie d’Henri IV). Il est à noter que le crâne n’a pas été ouvert lors de l’embaumement, ce qui pourrait correspondre à une technique dite “à l’italienne”, dont Henri IV avait fait expressément la demande.


Tête momifiée, présumée d’Henri IV
(source: Charlier et al, 2010 BMJ)

Pas de preuve ADN:

C’est sans doute le gros bémol de cette étude, aucune preuve ADN n’a pu être fournie, ou plutôt, il n’a pas été possible de récupérer suffisamment de matériel non contaminé à partir de la momie. Une lacune qui empêche malheureusement toute comparaison avec le corps identifié comme celui d’Henri IV, ou avec des descendants de la dynastie des Bourbons. En effet, la tête a changé de nombreuses fois de propriétaire et a ainsi été manipulée par de nombreuses personnes qui ont pu y déposer leur propre matériel génétique, rendant l’analyse très difficile. Mais qu’à cela ne tienne, même sans la sacro-sainte preuve génétique, il subsiste sur un cadavre (et sur celui là particulièrement) de nombreux éléments utiles à l’identification.

Caractères particuliers:

La tête expertisée comporte plusieurs éléments caractéristiques que l’on retrouve aisément dans les descriptions du monarque. Ainsi on peut observer une lésion sombre d’environ 1cm de long au dessus de la narine droite, endroit où Henri IV arborait lui même un naevus (grain de beauté). D’autre part, un trou de 4,5mm de diamètre est visible à l’oreille droite et correspond à la cicatrice laissée par le port prolongé d’une boucle d’oreille, une coquetterie masculine dont on sait qu’elle était à la mode à la cour des Valois et adoptée par le roi lui même comme en attestent ses portraits. De plus, la mâchoire est marquée d’une lésion osseuse cicatrisée (donc très antérieure à la mort du sujet), à l’endroit même où Henri IV a reçu un coup de poignard infligé par Jean Châtel lors d’une tentative de meurtre en 1594. Autant d’indices difficilement falsifiables (à moins d’avoir eu recours à un sosie du roi et de lui avoir volontairement infligé toutes ses blessures à l’identique) qui suggèrent l’authenticité du chef royal.


Haut: Moulage de la tête et portrait du roi Henri IV montrant un naevus au dessus de la narine droite et une boucle d’oreille. Bas : Photographies de la tête momifiée montrant une lésion sombre au dessus de la narine droite (A), le lobe d’oreille droit percé (B) et une cicatrice osseuse sur la mâchoire (C).
(Source : Charlier et al, 2010, BMJ)

D’autres caractères plus communs viennent compléter le tableau. Ainsi la momie présente des cheveux et poils roux et blancs, ainsi que les signes d’une perte considérable de dentition survenue avant la mort (détail important car nombre de cadavres ont vu leurs dents arrachées pour la fabrication de prothèses), éléments cohérents avec les témoignages historiques et descriptions de l’apparence d’Henri IV à la fin de sa vie.

Modélisation 3D et portrait robot:

De source historique, on sait que des moulages ont été pratiqués par trois fois sur la tête du défunt Henri IV (des dépôts gris retrouvés sur certaines parties du crâne expertisé suggèrent également de telles pratiques). Ceux-ci ont été utilisés pour la réalisation de bustes fidèles du roi qui, naturellement plus réalistes que des portraits, ont permis une comparaison directe avec la tête momifiée. Cette dernière a ainsi été reconstruite en trois dimensions par tomographie aux rayons X et le modèle en relief obtenu a été superposé à des photographies des bustes mentionnés ci dessus. Voyez vous même le résultat.


Superposition du masque mortuaire d'Henri IV avec le modèle 3D du crâne expertisé (A) et de son buste avec une coupe sagittale en rayons X (B).
(Source : Charlier et al, 2010, BMJ)

Une reconstruction faciale obtenue à partir du modèle 3D du crâne (dans l’ordre d’idée de ce qu’on voit régulièrement dans les séries policières, quand un crâne se retrouve couvert de pâte à modeler) a également permis de dresser un portrait robot du momifié (bien évidement la moustache a été rajoutée à posteriori).


Portrait robot réalisé à partir d’une reconstruction 3D du crâne de la momie.
(Source : Charlier et al, 2010, BMJ)

Conclusion: Roi ou pas roi?

Selon Philippe Charlier qui, je le rappelle, a dirigé cette étude, les preuves sont formelles. Plusieurs éléments positifs suggèrent que la tête momifiée appartenait bien à Henri IV, et aucun élément négatif ne vient contredire cette expertise. Pour la royale descendance de sa majesté, cela ne fait pas de doute non plus, cette tête est bien celle d’arrière-arrière-…-grand-papy et doit retourner dans son caveau à St Denis en grande pompes. Jusqu’à maintenant je n’ai pas trouvé trace d’une quelconque contestation de ce résultat, mais sait-on jamais… Quant à vous, vous avez désormais tous les éléments pour vous faire une idée (à discuter pourquoi pas dans les commentaires). Pour ma part il me reste une question, celle du tatouage visible sur le cou de la momie (voir fig. 1) dont l’encre a été analysée mais sans que plus ample conclusion soit tirée. Finalement je formulerai un regret de ne pouvoir jamais observer par moi même la-dite tête car, comme l’a demandé Louis-Alphonse, celle-ci devrait être de nouveau inhumée. J’aurai bien vu un musée comme le Louvre inaugurer une chouette vitrine exposant des reliques de rois de France avec des panneaux retraçant leur disparition, passage de main en main et utilisations diverses (notamment les cœurs de Louis XIII et XIV qui ont servi de pigment pour constituer de la peinture etc…). Ce serait l’occasion de côtoyer l’histoire de France de visu, après tout, pourquoi exposer une momie égyptienne et pas celle d’un roi occidental?

Références:
  • Multidisciplinary medical identification of a French king’s head (Henri IV). Charlier et al, 2010. British Medical Journal. accessible gratuitement.
  • Sites web Ouest-France, Libération, Le Monde.
  • Philippe Charlier. Médecin des morts, récits de paléopathologie. Fayard 2006.

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