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[Freaky Friday Parasite] La revanche de la chenille parasitée
Quand on parle de parasitisme, et surtout quand on évoque les insectes parasitoïdes, on s'attend bien souvent à retrouver la victime mutilée, dévorée voire zombifiée par les parasites. Alors quand une de ces victimes cherche à se défendre contre cette invasion, il est de mon devoir de féliciter l'exploit et d'en écrire un article. Présentons d'abord les protagonistes:
Voici tout d'abord Grammia incorrupta, la victime, sous sa forme adulte. Mais il s'agit de sa larve, une belle chenille, qui nous intéresse pour cette histoire:
On s'imagine bien qu'une si belle et grasse chenille ne peut pas passer inaperçu aux yeux des mamans parasitoïdes qui volent à proximité. Pas étonnant donc que Grammia incorrupta soit la cible d'une dizaine d'espèces de mouches et guêpes parasitoïdes, et plus particulièrement trois espèces qui sont particulièrement brutales avec la chenille, et dont le parasitisme est particulièrement mortel. Ces espèces sont les mouches Tachinidés Carcelia reclinata et Exorista mella
Et la guêpe Braconide Cotesia phobetri
Les présentations étant terminées, nous pouvons passer au mécanisme de défense de Grammia incorrupta. Alors à votre avis, de quoi peut-il s'agir? Une technique élaborée d'art martial? L'utilisation de nano-armes sophistiquées? Une politique sécuritaire exacerbée (... euh je m'égare là...)? Que nenni! La chenille ne se défend même pas du mécanisme de ponte... Pour se défendre, elle prend des médicaments! Non non, ce n'est pas une blague... Après la ponte, des chercheurs ont découverts que que certaines chenilles se mettaient à se nourrir préférentiellement de plantes riches en alcaloïdes pyrrolizidine (AP) aux vertus nutritives quasi nulles. Le fait que les plantes riches en AP soient peu nutritives est crucial pour évaluer l'hypothèse que cette préférence correspond réellement à un comportement d'auto-médication car il rentre dans trois critères pour valider cette hypothèse:
1) La prise de la substance (ici les AP) doit permettre d'augmenter la survie de l'animal infecté.
2) La prise de la substance ne doit pas favoriser la survie, voire la défavoriser chez un animal non infecté.
3) L'infection doit être l'évènement inducteur de la prise de la substance.
C'est exactement ces trois critères qui ont été étudiés chez Grammia incorrupta. Tout d'abord, l'étude parue dans PLOSone montre clairement que les AP ingérés par des chenilles infectés intervenaient dans une augmentation légère de la survie (60% des chenilles infectées meurent après la ponte si elles n'ingèrent pas d'AP, et environ 43% meurent si elles en ingèrent, soit une augmentation de la survie de 17%). C'est un léger avantage, mais statistiquement très significatif. Les auteurs de cet article ont ensuite évalué la survie de ces chenilles lorsqu'elles sont non-infectées en fonction du régime avec ou sans AP. Là encore, les observations des chercheurs rentrent dans le cadre de l'hypothèse d'auto-médication: Les AP diminuent de 16% la survie des chenilles non infectées. Aucun intérêt donc d'en ingérer en temps normal. La dernière partie fut plus problématique car les observations suggèrent plusieurs tactiques de défense en fonction du nombre d'œufs pondus dans la chenille. Les chenilles ne possédant qu'un seul œuf ne montrait pas de préférence accrue pour le régime riche en AP. Dès que les chenilles présentaient plusieurs œufs, elles se mettaient à doubler leur consommation d'AP. Les auteurs estiment que la stratégie d'auto-médication étant très coûteuse pour la croissance de la chenille, cette défense n'est enclenchée que lorsque la chenille n'a très peu de chance de survivre en comptant sur son propre système immunitaire. Bien que les chenilles en temps normal consomment parfois des plantes riches en AP, seule la présence de plusieurs œufs peut changer drastiquement cette consommation.
C'est le premier exemple d'un invertébré capable d'une véritable auto-médication. Bien entendu, le mécanisme doit être assez simple et probablement impliquer des molécules du système immunitaire, mais c'est encore une fois une baffe dans l'égo de nombreux scientifiques qui s'étaient uniquement penché sur les comportements d'auto-médication chez des espèces "plus complexes" comme les chimpanzés ou les vaches. Encore une fois, l'évolution peut mettre en place des mécanismes très complexes et jugés "intelligents" chez des organismes à la morphologie de complexité modeste. Réfléchissez-y la prochaine fois que vous prendrez un doliprane...
Liens:
Article Not exactly rocket science
Référence:
Singer, M., Mace, K., & Bernays, E. (2009). Self-Medication as Adaptive Plasticity: Increased Ingestion of Plant Toxins by Parasitized Caterpillars PLoS ONE, 4 (3) (pdf).
Par taupo, vendredi 27 mars 2009. Lien permanent
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