Le Mercredi on Converge

[Le mercredi on converge... pour de vrai]: Les plantes carnivores partie 2/2

 

La semaine dernière, pour ma première participation à SSAFT, je vous introduisais à ce passionnant sujet d'étude que sont les plantes carnivores (j'en vois déjà qui rigolent... j'aurai aussi bien pu dire que "je déflorais le sujet" mais ça n'aurait pas amélioré les choses). Vous avez ainsi découvert quelques jolies espèces et compris pourquoi celles-ci avaient développé un régime carné. Aujourd'hui on passe aux choses sérieuses, je vais vous exposer en détail le "comment" du régime carnivore chez les plantes que ce soit d'un point de vue mécanistique (différents mécanismes et stratégies utilisés) ou évolutif (comment en sont-elles arrivées là). Vous êtes prêts? alors attention les yeux, le stagiaire fait son come-back!

 

 

Maintenant que vous savez pourquoi les plantes mangent des animaux, vous vous demandez logiquement : Comment ? Ben ouais, une plante c’est trop nul, ça bouge pas, on peut pas jouer avec, ça rattrape pas la baballe et ça remue même pas la queue quand je vais l’arroser en rentrant du boulot alors c’est pas demain la veille qu’elle va se traîner toute seule dans la rue se chercher un kebab. Alors oui, carnivore certes, mais pas chasseuse. Heureusement pour elle, si ce n’est pas la plante qui va à l’animal, c’est l’animal qui viendra à la plante : Les plantes carnivores élaborent des stratégies et des pièges parfois étonnement complexes pour attirer, séquestrer et digérer (et non pas dévorer) leurs proies. On notera qu’une fois la digestion terminée, les nutriments (parce que c’est quand même pour ça qu’elles font tout ce bazar) sont absorbés directement par les feuilles, ça vous paraissait peut-être évident mais à moi pas. Voici un petit tour des pièges avec de jolies images pour ébahir encore vos petits yeux :

 

 

 

Piège actif à mâchoires: Le baiser mortel de Dionée.


piège actif à mâchoires schéma anatomique

 

 

 

C’est très amusant de stimuler les pièges d’une Dionée et de les voir se refermer en une fraction de seconde. Vous l’avez tous fait au moins une fois dans votre vie en vous promenant dans une jardinerie, tout sale gosse que vous étiez. Sachez alors que ce piège à mâchoire est d’une complexité inouïe, voyez plutôt : les mâchoires du piège sont en réalité des feuilles modifiées arborant des « dents » à leurs extrémités (attention, le piège ne constitue qu’une partie de la feuille). A la base de ces dents, des cellules nectarifères vont produire des odeurs destinées à attirer les insectes vers la face intérieure du piège. Cette dernière comporte en général deux lots de 3 poils sensitifs qui une fois touchés deux fois (pour éviter la fermeture du piège si une goutte d’eau de pluie tombe dessus par exemple), vont induire l’incurvation de la surface du piège et sa fermeture quasi instantanée. Et c’est fini ? Absolument pas, ce n’est même que le début d’un long processus. Tout d’abord, la plante doit vérifier que ce qu’elle a capturé est comestible. Si ! Si ! (Évidement à force de se faire avoir par des gamins les plantes ont évolué et mis en place un système de vérification… faut pas prendre les plantes pour des légumes). Le piège va rester à demi-fermé et commencer la digestion. Si la proie capturée est un insecte ou un animal quelconque (vous pouvez même tenter l’expérience avec du blanc d’œuf ça marche), ce début de digestion produira des composés azotés qui induiront chimiquement la fermeture hermétique du piège et la fin de la digestion (le petit schéma au dessus à droite montre les 3 positions du piège. A :ouvert, B :première fermeture, C fermeture hermétique). Si les différentes phases de capture et de digestion ont été bien décrites, il reste un gros travail à fournir pour élucider les mécanismes moléculaires qui les gouvernent (enfin il y a des pistes quand même mais ce serait vraiment très long à expliquer).

 


Capture de mouche par Dionaea Muscipula

 

Piège semi actif collant, les tentacules végétaux:

 

 

Deuxième type de piège, chez les plantes de type Drosera. Ces plantes sont d’assez proches parentes des Dionées mais utilisent une toute autre stratégie pour capturer leurs proies. Plus question de mâchoires dentées, ici c’est la glue qui fait tout le travail. En effet, les droseras portent à la surface de leurs feuilles, des centaines de minuscules tentacules, des poils portant à leur extrémité un chapeau composé de cellules sécrétrices de mucilage (substance très visqueuse) ou d’enzymes (pour le début de la digestion).


Tentacule de Drosera en action et chapeau en microscopie optique

 

Tentacules de Drosera en action et chapeau vu au microscope optique

 

Ces tentacules donnent aux droseras une apparence de feuille couverte de rosée ou de nectar. Ainsi les insectes affamés et assoiffés passant à proximité (vous croyez que c’est facile vous de battre des ailes à une vitesse pareille ?) se précipitent sur cette manne divine et finissent leurs jours lamentablement englués comme un goéland mazouté dans la Rade de Brest. Il est à noter que contrairement aux autres plantes carnivores, celles-ci ne produisent pas de substance nectarifère (odorantes) en revanche, l’odeur dégagée par la décomposition des proies déjà capturées pourrait attirer les prochaines. A partir du moment où la victime a trempé les pattes dans la colle, la feuille concernée se replie lentement autour de celle-ci, permettant ainsi à d’autres tentacules de s’y accrocher pour augmenter sa prise et améliorer la digestion (en s’enroulant autour de l’insecte, la feuille le ramène vers sa nervure central où se trouve les glandes digestives). Encore une fois les mécanismes qui sous tendent ces phénomènes sont méconnus (la courbure des tentacules impliquerait le déclenchement de potentiels d’actions via des récepteurs situés dans les chapeaux et donc le recrutement d’un « système nerveux végétal ». Quand à la courbure de la feuille elle-même, elle serait stimulée par l'auxine, une « hormone » végétale).

 


La Drosera, sa vie, son oeuvre... (les phases de capture sont en accéléré bien évidemment)

Les plantes de type Pinguicula utilisent également des pièges semi actifs, à la différence que leurs feuilles toutes rondes ne se replient pas autant et que le mucilage est sécrété directement sur la surface de la feuille par des glandes (pas de tentacules donc).

 

Piège passif, les urnes sans retour :

 

 

Ce type de pièges est assez répandu, il concerne les plantes appartenant aux espèces Cephalotus, Nepenthes, Sarracenia et Darlingtonia. Le principe est très simple, par analogie avec les fosses à pieux du moyen âge, les fosses d’acide de D&D et la fosse septique dans le jardin de mémé (je m’égare), les plantes carnivores ont modifié leurs feuille de façon extrêmement complexe pour créer ces fosses (ou plutôt urnes) à enzymes digestives. Chaque type de plante apporte sa spécificité mais le principe général reste le même : Attirer la proie à l’intérieur de l’urne, l’empêcher de sortir, la noyer et enfin la digérer. Nous procèderons donc par étape. Pour l’attraction, la plante utilise deux outils : d’une part les urnes elles mêmes qui de par leurs couleurs et leur magnifique capuchon (l’extrémité de la feuille ferme les urnes en croissance et s’ouvre à maturité, il sert alors à protéger l’urne de la pluie) sont un stimulus visuel pour les insectes (qui on le sait, se posent sur les choses jolies et colorées comme les fleufleurs ou le débardeur jaune fluo de ta copine au printemps) et d’autre part les glandes nectarifères situées en marge du capuchon et produisant comme chez la Dionée des parfums enivrants pour nos amis arthropodes.


Urnes de Cephalotus et zones nectarifères de Sarracenia

 

Urnes de Cephalotus et zones nectarifères de Sarracenia

 

Deuxième étape : empêcher la bestiole de se faire la malle. Car évidement quand on est une mouche et qu’on tombe dans une cuve d’enzymes digestives alors qu’on espérait se remplir la panse de nectar, on n’a pas envie de rester visiter. Alors pour empêcher leur proies de s’échapper, les plantes à urnes on développé deux type de stratégies : la glissade ou l’empalement (chacun son truc, on est peace ou on ne l’est pas). Les Nepenthes et les Cephalotus ont opté pour la solution « pacifique » (guillemets parce qu’au final l’idée c’est quand même de digérer sa victime vivante ne l’oublions pas). Les parois internes de l’urne sont enduites d’une substance très glissante qui empêche toute remontée, de plus le bord de l’urne est rabattu vers l’intérieur pour rendre la sortie encore plus difficile. Pour les Sarracenia et les Darlingtonia en revanche, pas question de glissade, des poils orientés vers le bas tapissent l’intérieur de l’urne pour embrocher les pauvres fugitifs.


Nepenthes à zone glissante et poils de Sarracenia portant des cadavres d'insectes

 

Nepenthes à zone glissante et poils de Sarracenia portant des cadavres d'insectes

 

Mention spéciale à la Darlingtonia qui possède de « fausses fenêtres » dans la partie supérieure de l’urne pour que la proie voie la lumière en hauteur et se trompe de chemin en voulant sortir puis tombe d’épuisement et se noie.


Coupe longitudinale de Darlingtonia, les zones claires à droite laissent passer la lumière

 

Coupe longitudinale de Darlingtonia, les zones claires à droite laissent passer la lumière

 

Troisième et dernière étape : la dégustation. Sur ce point pas grand-chose à dire. Le liquide contenu au fond des urnes est bourré d’enzymes digestives qui vont dissoudre vivants les malheureux animaux enfermés à l’intérieur. La présence du capuchon évite à l’urne de se remplir d’eau de pluie qui viendrait alors diluer les enzymes et gêner la digestion.

 

 

Piège à succion, « clic », « slurp », « miam » :

 

 

Dernier type de pièges que j’exposerai dans cette déjà très imposante revue sur les plantes carnivores : les pièges à succion, propriété exclusive des Utricularia aquatiques ou semi-aquatiques. Celui-ci se compose d’étonnantes petites outres (ou utricules) disposées sous la surface de l’eau et pourvues de longs filaments laissant croire à des algues (enfin longs, façon de parler, une outre ne mesurant qu’un millimètre et demi environ). Lorsqu’une frêle créature aquatique (type micro-crevette d’eau douce) effleure lesdits filaments : l’utricule s’ouvre « clic », la proie et l’eau qui l’entoure sont aspirées en 1/500e de seconde « slurp » et la bête est digérée « miam ». Comment une plante peut-elle aspirer de l’eau ? Rien de plus simple, elle fait le vide dans ses utricules, ainsi dès que ceux-ci sont ouverts : « zou ! » aspirée la bestiole!


Utricule isolé et mécanisme d'aspiration

 

Utricule isolé et mécanisme d'aspiration

 

Ci-après, une utricule qui a visé un peu trop gros pour elle :

 

 


Une grosse Utricularia essaye d'attraper un têtard de Crapaud Buffle

 

 

Un peu d'évolution pour finir?

 

 

Un peu de patience chers lecteurs, nous arrivons bientôt au bout du calvaire. Afin de clore en beauté nous allons aborder le seul sujet véritablement digne d’intérêt, le must de la biologie, que dis-je, la quintessence du tout l’univers scientifique : L’Évolution. Car s’il est une chose dont on n’oublie jamais de parler sur ce blog, c’est bien d’évolution. Si vous vous souvenez du début de mon sujet (oui je sais ça date), je stimulais habilement votre intérêt en promettant non pas une mais deux convergences évolutives dans le même sujet, ou plutôt une convergence à deux niveaux. Le premier niveau, le plus intuitif est bien évidement le fait que des plantes adoptent un régime carnivore, jusque là spécialité des animaux (je ne sais pas si on peut affirmer que certains microorganismes soient carnivores du fait qu’ils mangent des cadavres ou autres… j’en sais rien, bref en tout cas les plantes et la viande d’habitude c’était pas le grand kiff). Mais le second niveau de convergence, et c’est là que ça devient grandiose, tient au fait que la carnivorie (je vous jure ça se dit) est apparue non pas une fois, ni deux mais près d’une dizaine de fois au cours de l’évolution des plantes ! Et ça, ça vous en bouche un coin !

 

 

Le premier à avoir parlé simultanément de plantes carnivores et d’évolution dans ses travaux était (logiquement ai-je envie de dire) Charles Darwin qui leur consacra tout un livre en s’attardant pas mal sur la Dionée (le coup du blanc d’œuf dans le piège c’est lui). Bien qu’ayant posé les fondements les plus essentiels de la théorie de l’évolution ( chaque jour appuyée par de nouvelles données solides et indéniables, Harun si tu me lis… spéciale dédicace dans ta gueule !), ce brave Charles avait émis « naïvement » ou plutôt « intuitivement » l’hypothèse que toutes les espèces de plantes carnivores actuelles descendaient d’un seul et même ancêtre commun (et formeraient donc ce que l’on nomme un groupe monophylétique). En se basant notamment sur leur régime carné et sur leur morphologie (en comparaison de celle des plantes non carnivores) cette assomption semblait tout à fait logique jusqu’à il y a peu. En effet, Taupo en a déjà fait mention, l’avènement de la phylogénie moléculaire a complètement bouleversé bien des idées établies en matière de parenté entre les espèces. Plusieurs études, basées sur les comparaisons de séquence de nombreux gènes ont permit de construire un arbre phylogénétique des plantes carnivores complètement inédit. Alors que l’on s’attendait à voir se détacher un groupe du type « carnivorea » en marge des autres taxons végétaux, la surprise fut de taille lorsqu’on découvrit que des lignées jusque là parfaitement établies de plantes « gentilles » comportaient en leur sein des monstres mangeurs de chair (les plantes carnivores forment donc un groupe polyphylétique, oh sainte horreur des évolutionnistes). Parmi ces lignées on trouve : les Poales, les Caryophyllales, les Oxalidales, les Ericales et les Lamiales. Je ne suis pas un as des familles de végétaux alors voici une petite image pour tout vous expliquer sans trop blabla.


Phylogénie des plantes carnivores au sein des angiospermes

 

Arbre phylogénétique des grandes classes d’angiospermes. Les groupes contenant des plantes carnivores sont entourés en vert et le nom des types de plantes mentionnés dans cet article indiqués à droite de leur phylum d’appartenance. Modifié depuis « classification phylogénétique du vivant, Lecointre et Le Guyader, Belin 2001 »

 

Je n’ai inclus sur ce schéma que les plantes dont il est fait mention dans mes textes. Mais la réalité est bien plus complexe et les espèces énormément plus nombreuses (vous avez d’ailleurs pu remarquer que je n’ai même pas parlé des plantes carnivores monocotylédones, c’est dire si une infime partie du travail est faite). En revanche si vous vous attardez sur les types de pièges vous remarquerez que les plantes carnivores ne sont pas forcément regroupées par forme. C’est là que se trouve la véritable convergence évolutive : des plantes de parenté très éloignées on développé de façon complètement indépendante des pièges de morphologie et de fonctionnement parfois extrêmement similaires (Nepenthes vs Sarracenia ou Darlingtonia, Drosera vs Pinguicula), probablement en raison de contraintes sélectives semblables. Selon Albert, Williams et Chase (1992, ça date un peu mais pas plus que toi) les pièges de type « papier tue mouche » auraient émergé indépendamment 5 fois au cours de l’évolution, contre « seulement » 3 fois pour les pièges de type urne. A l’inverse on peut également remarquer que des plantes phylogénétiquement proches ont développé des pièges de fonctionnement très différent (Nepenthes vs Drosera vs Dionea) mais cela est moins étonnant d’un point de vue biologique (mais on applaudit quand même, allez).

 

 

Encore quelques lignes avant de vous libérer définitivement (jusqu’au prochain sujet) : Vous qui êtes de grands vertébrés omnivores, vous pensiez être à l’abris de ces plantes terrifiantes, vous pensiez que seules les insectes et autres petites bestioles pouvaient se sentir menacés de par leur taille… QUE NENI ! les plantes carnivores sont CARNIVORES et pas INSECTIVORES, ce qui signifie qu’elles peuvent manger aussi bien des insectes que n’importe quel autre chaire animale comme vous pourrez le voir ci-dessous :

 


Dionée vs Grenouille

 


Nepenthes vs mus musculus

 

 


La même plusieurs jours plus tard (parce qu'il l'a laissé crever dedans cet enc... à moins que ce soit un fake mais il ne faut sous-estimer ni la stupidité, ni la cruauté des gens)

 

 

(note: certaines de ces vidéos sont de nouveau l'œuvre de collectionneurs dont le développement de la main verte est inversement proportionnel à celui de la matière grise. Désireux de donner bon manger à leur planplante chérie, ils sont prêts à jeter d'innocentes créatures dans leurs pièges pour le simple plaisir de les voir mourir dans d'abominables souffrances. Soyez sympa avec les animaux, ne refaites jamais ça chez vous. Mais gardez tout de même en tête que ça arrive aussi dans la nature.)

 

 

Conclusion:

 

Les plantes se développent, elles évoluent pour peut-être un jour prendre le pas sur l’humanité en faisant de nous, pauvres primates, des proies. Ne vous laissez pas faire, montrez aux plantes qui est le patron : Mangez des légumes !

 

 

 

Liens:

 

 

 

infocarnivores (tout ce qu'il faut savoir pour cultiver des plantes carnivores)

Les Plantes Carnivores, page web de l'Université Pierre & Marie Curie, Paris VI (pour un peu plus de science et un peu d'infos sur les mécanismes des pièges)

Et pour manger des légumes c'est par là.

 

Références:

 

Albert, Williams and Chase, Carnivorous Plants : Phylogeny and structural evolution, 1992.

AM Ellison, NJ Gotelli, Evolutionary ecology of carnivorous plants, 2001.

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