Strange Animals

Les mâchoires cachées de la murène

"Au fond des océans, personne ne vous entendra crier…" Tel aurait pu être le titre de ce billet, en référence au grand classique de la science-fiction : Alien, Le huitième passager. Vous vous souvenez forcément du détail qui a fait le succès du film, cette seconde paire de mâchoires qui jaillissait de la bouche du prédateur extraterrestre vedette, accompagnée d’un cri caractéristique, et qui terrifiait des rangs entiers de spectateurs aux pupilles hyper-dilatées. Eh bien, chers lecteurs, sachez que pareille monstruosité trouve presque son équivalent sur notre bonne vieille Terre, ou plus précisément, au fond de nos bonnes vieilles Mers. Sans plus attendre, plongeons à la découverte des mâchoires cachées de la murène.

(Murène tachetée. Image : George Grall)

D’emblée, avec son allure serpentine et son regard fixe, la créature n’a pas l’air très engageante, on ne s’étonnera donc qu’à moitié de ses éventuels points communs avec un monstre de cinéma. Cependant, avant de diaboliser la pauvre bête, il faut savoir que tous les Téléostéens (ou poissons osseux, soit environ 90% de ce qu'on nomme communément les "poissons"), dont fait partie la murène, possèdent une seconde paire de mâchoires dites “pharyngales” qui les aident à avaler leur nourriture. En effet, chez l’immense majorité des représentants de ce groupe, la capture de proies se fait par aspiration. Le poisson crée une dépression en ouvrant sa bouche, ce qui provoque une aspiration d’eau et de la proie qui est alors dirigée vers le pharynx, où l’attend cette fameuse paire de mâchoires pharyngales, dont la fonction consiste simplement à aider à la déglutition et  au transit vers les parties digestives. Démonstration:

Datinoide tigré dévorant un poisson rouge (Images: Peter Wainwright)

“Mais quelle est donc la particularité de la murène?” demanderez vous, encore sous le choc de cette terrifiante détente buccale. Eh bien justement, la murène est incapable d’aspirer ses proies, ou tout du moins, elle se débrouille très mal dans ce domaine. En compensation, sa seconde paire de mâchoire et la musculature qui lui est associée sont particulièrement bien développées (en particulier, les muscles sont très allongés par rapport à ceux des autres poissons osseux). Si bien que ces dernières peuvent remonter du pharynx et atteindre la cavité buccale (à la manière du célèbre Alien si vous suivez depuis le début).

Radiographies de la tête d’une murène, Muraena retifera, montrant les deux positions les plus extrêmes de ses mâchoires pharyngales (flèches).
(Images: Mehta et Wainwright)

Pour se nourrir, la murène se saisit donc de sa proie à l’aide de ses mâchoires buccales (a sur la figure suivante) et la retient ainsi jusqu’à ce que ses mâchoires pahryngales remontent jusqu’à la bouche (b) et agrippent l’agrippent à leur tour (c). 

Détails du squelette et de la musculature impliquée dans les mouvements de la seconde paire de mâchoires.
(Images : Mehta et Wainwright)

S’en suit alors un impressionnant mouvement de toute la partie antérieure du corps de la bête pour avaler sa victime. Simultanément ont lieu une rétraction des mâchoires pharyngales et une avancée de toute la tête de la murène qui referme ses mâchoires buccales pour sceller le piège. A partir de là, la forme même des dents, recourbées vers l’intérieur, comme celles d’un serpent par exemple, empêche toute tentative de remontée. Plus aucune chance de sortie, et c’est la fin pour le petit poisson, calamar ou autre créature innocente happée par le monstre des abysses. Bon appétit.
 

Rita S. Mehta expliquant comment se nourrissent les murènes
(Images : UCDavis, University of California)

Référence:

Raptorial jaws in the throat help moray eels swallow large prey, Rita S. Metha and Peter C. Wainwright. Nature, 449, sept 2006.

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