Cave Art Rocks

[Cave Art Rocks] L'Art de Trinquer


Il vous est peut-être déjà arrivé de contempler attentivement la tête de votre pire ennemi et de vous surprendre à penser que son crâne apporterait certainement un peu d’originalité à votre vaisselle IKEA… (ou c’est peut-être juste moi…) Qu’à cela ne tienne, vous n’êtes pas seul car ce genre d’idées traversait la tête de nos ancêtres Cro-Magnons avant que leurs outils de silex traversent celles de leurs victimes.
Mais n’est pas sculpteur de coupe en crâne qui veut! Il faut du talent, de la méticulosité et de l’ingéniosité pour parvenir à façonner de la vaisselle d’os à sortir pour les grandes occasions!

Quelle partie du crâne choisir par exemple? Et bien si vous choisissez la face, vous aurez comme une surprise

Olgaf
La méthode, perfectionnée à travers les âges, est la suivante: Scalpez votre ennemi (ou votre ami le plus pénible si vous n’avez que ça), puis, à l’aide d’un outil de silex, retirez les yeux, les oreilles, la mâchoire inférieure et le reste des bouts qui dépassent. Ne gardez au final que le haut du crâne. Grattez bien la surface du crâne pour ne pas laisser de la peau et des cheveux: ça laisserait un gout âcre au sang de votre ennemi… Incisez violemment au niveau de nez puis sciez horizontalement en passant par les joues jusqu’à l’inion, la partie proéminente de l’arrière du crâne. Au final, gardez seulement la voûte crânienne. Vous pouvez maintenant poncer les bords et marteler sa surface pour lui donner une forme plus agréable à tenir en main. Et voilà le travail:


Crâne, Natural History Museum, London
A ce moment de mon récit, vous vous demandez peut-être comment il est possible de connaitre autant de détails sur la fabrication d’artéfacts manufacturés par l’homme de Cro-Magnon. Et bien c’est grâce au travail non moins méticuleux d’une équipe de chercheurs britanniques qui a découvert et ausculté, à l’aide de technologies de pointe, 41 parties de crânes dont voici les 3 plus conservés: 

3 crâne-coupes
Ces spécimens ont été découverts dans les fantastiques gorges de
Cheddar (fantastique à bien des égards… à commencer par son nom), et plus particulièrement dans la grotte de Gough. Cette grotte est devenue célèbre lorsqu’en 1903, en furent extirpés les restes d’un homme préhistorique datant de -7150 ans et qui fut appelé… Cheddar Man!!!

Cheddar Man, Shauna K.
Euh… A vrai dire, voici une reconstitution plus fidèle de Cheddar Man:

Cheddar Man


Ces restes constituent le squelette le plus complet jamais découvert en Grande Bretagne et de l’ADN mitochondrial, tiré d’une de ses molaires et séquencé par l’équipe du docteur Bryan Sykes, a été comparé avec la population locale et a permis de retrouver des lignées restées sur place pendant plus de 9000 ans!
Du coup, les chercheurs britanniques ne sont pas prêts d’arrêter les recherches dans cette grotte!
C’est ce qui a poussé plusieurs équipes, la dernière en date menée par Chris Stringer du Muséum d’Histoire Naturelle de Londres, à rechercher d’autres artéfacts et restes humains dans la grotte. Et c’est ainsi qu’ils sont tombés sur ces curieuses crânes-coupes dont 3 en excellentes conditions. L’équipe de Chris Stringer a déterminé que ces coupes appartiennent à la culture du Magdalénien, une culture portée par les populations humaines de l'Europe occidentale qui y résidaient depuis il y a 18.000 ans jusqu’à il y a  9.000 ans. Pour comprendre comment cette culture a pu se répandre de l’Allemagne jusque dans les grottes du Cheddar, il faut savoir que l’Europe ressemblait à ça à l’époque:

Europe au Magdalénien

 

En terme de squelettes et d’artéfacts, la France était plutôt bien fournie, avec notamment de nombreux squelettes dans Le Placard (fallait bien compenser les calembours sur les grottes du Cheddar…) où l’on y a découvert des crânes-coupes dont la datation est ardue mais qui remonteraient à entre 12.000 et 15.000 ans. Les trois coupes découvertes à Cheddar ont été datées avec une méthode ultra-précise et qui permet d’estimer leur âge à 14.700 ans: potentiellement les plus anciennes découvertes à ce jour!
D’autres techniques d’analyse de surface de ces restes humains ont été utilisées pour reconstruire des modèles tri-dimensionnels ultra-précis et reconstituer les marques, coups et altérations subis.

modèle 3D de marques d'incision sur la partie pariétale d'un crâne, Bello et al.


Ces techniques ont permis de déterminer les procédures décrites plus haut, mais également de distinguer le traitement des crânes-coupes du reste des ossements retrouvés qui portaient quant à eux des traces… de boucherie! En effet, de nombreuses marques sur les ossements humains sont similaires à ceux trouvés sur des os d’animaux ce qui suggère que les habitants de la grotte de Gough ont survécu aux rudes hivers… en dégustant leurs ennemis, ou leurs prochains.
Du coup, après avoir dévoré mémé, autant faire de sa tête un joli vase, c’est la moindre des choses je trouve…

Tout aussi atroce que cette pratique puisse paraitre, il ne faut pas croire qu’elle se soit éteinte rapidement à travers le monde.
Si les preuves archéologiques sont difficiles à trouver, on peut se tourner vers nos écrits. Ainsi, Hérodote, près de 500 ans av. J.C., décrivait les pratiques des Scythes qui (je cite) :

 

(Les Scythes) n'emploient pas à l'usage que je vais dire toutes sortes de têtes indifféremment, mais celles de leurs plus grands ennemis. Ils scient le crâne au-dessous des sourcils, et le nettoient. Les pauvres se contentent de le revêtir par dehors d'un morceau de cuir de bœuf, sans apprêt : les riches non seulement le couvrent d'un morceau de peau de bœuf, mais ils le dorent aussi en dedans, et s'en servent, tant les pauvres que les riches, comme d'une coupe à boire. Ils font la même chose des têtes de leurs proches, si, après avoir eu quelque querelle ensemble, ils ont remporté sur eux la victoire en présence du roi. S'il vient chez eux quelque étranger dont ils fassent cas, ils lui présentent ces têtes, lui content comment ceux à qui elles appartenaient les ont attaqués, quoiqu'ils fussent leurs parents, et comment ils les ont vaincus. Ils en tirent vanité, et appellent cela des actions de valeur.

(Histoire, Livre IV, Melpomène)


Des traditions similaires émaillent les écrits historiques à travers le monde, que ce soit ceux de la Chine narrée par Sima Qian aux deuxième et premier siècle avant J.C., ou encore ceux des Vikings décrits par Magnus Olafsson dans le Krakumal.

En Inde, ces coupes portent même un nom, Kapala, et sont richement décorées et sculptées pour les utiliser lors de rituels Tantriques:


Kapala Tibétain

Kapala Tibétain
Et de nos jours ces coupes semblent encore être utilisées lors des rituels exécutés par les membres de la secte des Aghoris:

Sadhu Aghori buvant dans un crâne humain 
Charmant, n’est-ce pas? (Et non, ce n’est pas une scène tirée du Making-Of d’Indiana Jones et le Temple Maudit…).

Si des occidentaux bien pensants pensent que nos civilisations ont su s’extirper définitivement de telles pratiques barbares, il suffit d’observer le comportement des soldats (et de la presse) américains lors de la seconde guerre mondiale pour se détromper:

Arizona war worker writes her Navy boyfriend a thank-you note for the Jap skull he sent her
Publiée dans LIFE magazine le 22 mai 1944, cette photo est accompagnée du titre suivant: Arizona war worker writes her Navy boyfriend a thank-you note for the Jap skull he sent her, soit en français: une ouvrière de guerre d’Arizona écrit une lettre de remerciement pour le crâne de Jap’ que son petit-ami de la Navy lui a envoyé (LIFE magazine rappelle cependant que cette pratique était condamnée par l’armée américaine).

Lieutenant (junior grade) e. v. mcpherson, of columbus, ohio with a japanese skull which serves as a mascot aboard the united states navy motor torpedo boat 341
Et une dernière image pour conclure où l’on voit le lieutenant McPherson jouer avec la mascotte de son navire…

Comme quoi, cette pratique a de beaux restes…

Liens:
Article Not Exactly Rocket Science
Article Science Mag

Références:
Bello SM, Parfitt SA, Stringer CB: Earliest directly-dated human skull-cups. PLoS ONE 2011, 6(2):e17026.

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