A son habitude, qu’il nous parle des escapades aériennes des insectes ou, comme ici, d’un curieux phénomène sur l’inaptitude des humains à marcher droit lorsqu’ils ont les yeux bandés, Robert Krulwich a le don de rendre tout sujet passionnant. Si en plus l’artiste Benjamin Arthur complète la narration avec une sublime animation, on nous offre alors un beau cadeau pour clore ce weekend:
A Mystery: Why Can't We Walk Straight? | NPR from NPR on Vimeo.
Transcription:
De nombreuses personnes se sont intéressé à ce sujet depuis longtemps. Si vous remontez dans le temps, il y a un exemple frappant d’une expérience menée dans les années 20. Un jeune scientifique appelé Asa Schaeffer demande à un ami
- Peux-tu te bander les yeux: je vais t’emmener au bord d’un champ et ce que je veux que tu fasses, c’est de marcher tout droit à travers ce champ. Essaie de marcher le plus droit possible.
Donc, l’homme commence à marcher et voici une carte de ce qui s’est passé ensuite:
L’homme s’est mis a marché et vous remarquerez que son parcours commence à s’incliner très légèrement vers la droite. On va accélérer un petit peu. Remarquez que maintenant l’homme aux yeux bandés commence à tourner de manière conséquente ce qui va l’amener vers la route dont il vient, et ensuite à travers la route et ensuite il fera un nouveau tour et encore un et un nouveau tour et il fait des boucles de plus en plus petites jusqu’à ce qu’enfin, il butte sur une souche d’arbre… et s’arrête.
Et pendant tout ce temps, il pensait marcher parfaitement droit! Etrange? Et bien il y a de nombreuses études comme celle-ci!
En 1928, voici l’histoire de 3 personnes qui quittent une grange, un jour de grand brouillard, et ce qu’ils veulent faire c’est se rendre dans un endroit qui se trouve à 800 mètres de là. Voici ce qui s’est passé, vu sur une carte. La grange se trouve ici, la destination est ici. Maintenant regardez: ils partent, ils pensent marcher droit mais en fait ce qu’ils font c’est tourner, tourner et tourner pour finir, bizarrement, exactement là d’où ils viennent: à la grange.
Ce type d’expérience a été menée dans plein de conditions différentes.
Voici une étude de 1928 où on bande les yeux d’un homme qui plonge ensuite dans un lac et doit nager selon une ligne droite vers la rive opposée. Et voici comment il a nagé…
Il y a, apparemment, une inaptitude tenace chez les humains, à pouvoir rester sur une ligne droite lorsqu’ils ont les yeux bandés… Ou, quand il n’y a pas de point de repère: pas de soleil, pas de lune, pas de montagne à l’horizon pour les guider.
Dans cette dernière affaire, on demande à un homme aux yeux bandés de monter dans une voiture et de conduire tout droit dans un champ (totalement plat comme ça le conducteur n’est pas en danger). Tout ce qu’il doit faire c’est de rester sur une ligne droite. Voici la carte de ce qui s’est passé ensuite…
Depuis 80 ans, des scientifiques ont essayé d’expliquer cette tendance à tourner tout en pensant aller tout droit. Certains on avancé l’hypothèse qu’il s’agit d’une forme de biais de latéralité, du fait d’être gaucher ou droitier, ou bien peut-être qu’il s’agit d’un phénomène du à nos deux hémisphères cérébraux, où l’un des hémisphère est légèrement plus dominant que l’autre et cette dominance s’affirme quand on lui laisse le temps. Peut-être qu’il s’agit d’une simple asymétrie, certaines personnes étant plus fortes sur un côté de leur corps, dotées de bras de tailles différentes ou des jambes de tailles différentes. Malgré tous leurs efforts (et pourtant nous continuons à mener de telles expériences), personne pour l’instant n’est arrivé à trouver une raison satisfaisante expliquant pourquoi nous ne pouvons pas marcher droit!
Voici maintenant la description et les méthodes employées pour les expériences les plus récentes, menées par le chercheur Jan Souman, du Max Planck Institute: les sujets testés sont cagoulés et placés dans différents environnements comme le désert du Sahara, la forêt ou encore une plage…
Puis on leur demande de marcher droit sur plusieurs centaines de mètres. TOUS se mettent à tourner. 100% des sujets! L’un des résultats les plus robustes dans les études comportementales humaines…
Et même quand les sujets ne sont pas cagoulés, il suffit qu’ils soient dans un environnement inconnu et que par exemple le ciel soit couvert pour qu’ils se mettent à faire des cercles:
Comparez les chemins parcourus par temps nuageux (bleus – RF, PS et KS) et celui parcouru par temps ensoleillé (jaune - SM). Impressionnant, n’est-il pas?
Les trois hypothèses avancées dans la vidéo précédente (latéralité, région cérébrale et taille des membres) ont été testées par l’équipe de Jan Souman… et infirmées! Pour l’instant, il semble qu’il n’y ait pas de réponses simples à cette question et qu’il s’agisse d’un phénomène multifactoriel…
C’est ça aussi, la science: une observation étrange, une question simple, et des décennies de recherche à se gratter la tête!
Edit 2020 :
Je rajoute deux liens ici, tout d'abord vers une version audio de ce billet adapté par Jeanne Durussel pour Podcast Science lors de leur 123ème émission. Puis vers le blog de Benjamin Arthur qui révèle notamment certains secrets de tournage de cette animation qui l'a mené à rotoscoper son frère et un ami:
Référence:
J.L. Souman, I. Frissen, M.N. Sreenivasa, M.O. Ernst, Walking Straight into Circles, Curr Biol, Vol 19, 18, 2009, 1538-1542
Lien:
Article sur le blog de Robert Krulwich
Robert Krulwich sur Radiolab
Benjamin Arthur
1 De luxsword - 02/10/2011, 11:44
Fascinant.
Y a peut-être moyen d'utiliser ces résultats pour les recherches de personnes paumées en forêt ou autre ? (Un peu comme on part du principe que les enfants perdus sur la plage vont partir dos au soleil.)
2 De Taupo - 02/10/2011, 11:47
@luxsword : Ouaip, c'est une des direction de recherche de l'équipe ayant écrit l'article. Ils ajoutent qu'à une époque où l'on sait si bien naviguer à l'aide d'outils technologiques, il est paradoxal qu'on n'en sache si peu sur notre inaptitude innée à naviguer dans un environnement sans repères...
3 De Greg CB - 02/10/2011, 13:09
Sympa, la vidéo accompagne très bien le style de Radiolab.
J'ai une idée pour expliquer notre sens de l'orientation pitoyable : et si c'était pour nous permettre de rentrer chez nous ? Ca donnerait une excuse à mes balades en forêts plutôt erratiques... Ce qui est curieux, c'est le rayon de courbure qui est de plus en plus petit - plus on avance, plus on "penche". Tu veux pas faire l'experience en plein Manhattan ?
4 De Taupo - 02/10/2011, 13:36
@Greg CB : Sachant que je suis revenu à Paris (et un peu triste d'avoir quitté NY), non...
5 De basille - 02/10/2011, 16:02
basille's status on Sunday, 02-Oct-11 15:02:08 UTC
[Video] Pourquoi ne marchons-nous pas droit ? (perdu en forêt ? Ne surtout pas bouger...) http://identi.ca/url/53955187...
6 De Akodostef - 04/10/2011, 07:30
Quoi !? On n'a même pas l'explication à la fin ??! Mais c'est scandaleux !!
Très intéressant, cet article... mais maintenant, j'aimerais comprendre !
7 De Astrodoudou - 04/10/2011, 11:50
Un médecin sur un forum me dit que l'explication est connue depuis longtemps, meme les infimières le savent. Je le cite :
"Les animaux ont un noyau rouge sur afferenté et développé, ce qui leur permet une capacité mémorielle de l'orientation archi supérieure, capacité qu'on a perdu probablement à cause de la sédentarisation. Notre noyau rouge est miniscule par rapport au leur.
En plus comme le système vestibulaire, qui oriente dans l'espace est adaptatif et imprécis chez nous autres humanoïdes, qui plus est sans aucune relation directe avec un neo cortex mémoriel, et ben on se paume en forêt comme des bler, incapables de garder une ligne de sensation vestibulaire correcte."
Donc, sachant cela, où est le mystère ?
8 De Loni - 04/10/2011, 14:05
Ça me rappelle le passage de Tintin au pays de l'Or Noir, où les Dupondt, en jeep dans le Sahara, n'arrêtent pas de tourner et de retourner sur leurs pas, croyant rejoindre une route de plus en plus fréquentée.
9 De Akodostef - 04/10/2011, 22:42
@Astrodoudou : j'adore le "même les infirmières le savent"! Les lectrices infirmières apprécieront ^_^
10 De luxsword - 05/10/2011, 00:17
@ Doudou
Le mystère c'est pas qu'on soit des gros glandus question orientation, c'est plutôt qu'on tourne comme ça et avec une courbe de plus en plus forte, je trouve.
11 De Astrodoudou - 05/10/2011, 09:51
@lux : si on est des bler niveau mémorisation de l'orientation, il me semble logique que plus le temps où on a les yeux bandés s'écoule, plus on perd le peu de repères qu'on avait et plus on tourne en rond.
12 De Taupo - 05/10/2011, 10:40
@Astrodoudou : @luxsword : @Akodostef : Bon, moi perso, je ne félicite pas ton ami médecin pour ses talents pédagogiques et son pédantisme vis à vis des infirmières et du reste du monde.
Répondre: "on se paume en forêt car nous sommes incapables de garder une ligne de sensation vestibulaire correcte" c'est quand même fort. C'est comme dire "les tiges ionisées à fréquence positive négative sont inactives" pour dire que les plombs ont sauté (qui trouvera la référence de cette citation!).
bref, la véritable question, comme le pointe luxsword, c'est pourquoi cette tendance à tourner et pas pourquoi on se paume! La corrélation perte de repères et tourner n'est pas du tout évidente, surtout quand elle semble universelle...
13 De Alan - 05/10/2011, 21:55
Trop fort, la citation :) "les tiges ionisées à fréquence positive négative sont inactives". Prims! Un indice: complètement glucose :)
14 De Astrodoudou - 05/10/2011, 22:46
@Taupo et Lux : ah oui je suis bete, ce que vous vouliez dire, c'est qu'en cas de perte de repere et d'équilibre, on aurait pu s'attendre à une marche aléatoire (un peu comme la marche de l'ivrogne) et non à des cercles?
15 De Taupo - 05/10/2011, 23:05
@Astrodoudou : Oui, exactement!
16 De Taupo - 05/10/2011, 23:05
@Alan : Et oui Alan, j'ai complètement pillé tes citations de ton wall Facebook...
17 De Nicolas - 07/10/2011, 18:07
Est ce qu'on tourne toujours dans le meme sens? Les exemples de la video, sauf le dernier, semblent le suggérer (mais peut etre est-ce une facilité de réprésentation?). C'est vraiment étrange que le phénomène s'amplifie de cette manière. Encore du bon boulot de Radiolab, en tout cas!!!
18 De boudino(>all) - 08/10/2011, 18:44
@Toutlemonde
C'est dans une grande mansuétude que je m'adresse à vous, chers zouaves netodidactes, moi le grand neurologue hautement supérieur...
L'arbitre gentillet n'ayant pas été pertinent dans le report de mes frasques, alors qu'il sait très bien que je trolle les 3/4 du temps et que j'enrobe les masturbations intellectuelles de convenance d'une épaisse couche hara kirienne...
(mode salon parisien on)
Bon. Le système vestibulaire étant sous afférenté (je parle utricule et sacule, pas canaux, donc pas équilibre), il ne détecte pas les accelerations normales des courbes relativement petite. D'ailleurs à la marche, c'est plus la sensation des articulations (proprio, très précise) qui indique les courbes, au niveau du cortex pariétal. Le problème c'est que dans un terrain même relativement accidenté la proprioception est prise par l'adaptation du membre inférieur au terrain (ce à quoi elle est dévolue).
N'existant pas de système correcteur néo cortical dans les centres supérieurs (sans le support visuel), comme il en existe par exemple pour le cervelet dans la coordination et l'ajustement des mouvements, et n'ayant pas de noyaux rouge (qui offre un retour correcteur instinctif grace à un centre informatif en lien avec les articulations et le vestibule (noyau rouge qui a diminué chez les singes)), nous tournons en rond en nous bloquant sur la sensation fausse de marcher droit alors qu'on tourne. Le fait que les rayons de courbures varient relativement peu est du à notre mémoire vive kinesthésique (c'est à dire que la perception du mouvement est mémorisée et en repeat).
Pour faire court, physiologiquement on se paume en forêt à cause du grand déséquilibre d'afférence entre orientation vestibulaire et kinesthésie.
Donc à mon avis l'intérêt de ce phénomène est surtout anthropologique ou phylogénétique.
"mode salon parisien +++"
Bisous
19 De maieul - 05/10/2012, 23:42
ne peut-on imaginer une solution d'ordre purement mecanique ? un tendance a pouser sur une jambe plutot que sur une autre ?