Que d’histoires laissées en suspens en 2011! J’ai du pain sur la planche pour clore toutes ces rubriques qui ont foisonné. Mais n’ayez crainte, j’ai le cœur à l’ouvrage et je n’aime pas l’inachevé (même si laisser des articles en chantier comme celui des siphonophores ou encore le potager pour les n00bs ne contribue pas à me rendre très crédible…).
Donc autant terminer les chantiers les plus urgents et finir de vous raconter la visite de Boulet dans mon laboratoire (première partie du récit ici).
Après avoir montré à nos invités une présentation de nos travaux, une vidéo sympatoche sur des vers néréides, notre élevage de Platynereis dumerilii et diverses manips sous loupe binoculaire, Vran, Semik et moi avions pensé qu’il serait intéressant que nos invités découvrent également une autre partie du travail d’enseignant chercheur: la partie enseignement. Or, nous avons la chance, à l’Institut Jacques Monod, de jouxter le service d’enseignement de biologie animale de l’université Paris VII, ce qui facilite les contacts et les petits privilèges comme l’accès aux collections de spécimens et préparations dédiées à l’enseignement.
Après le déménagement de l’université Paris VII hors des locaux de Jussieu et dans le nouveau campus des grands moulins, une partie des collections de spécimens qui était exposée s’est retrouvée enfermée dans des salles exigües dans l’attente d’un reclassement rigoureux avant d’être de nouveau présentée dans des vitrines à l’intention des étudiants (qui généralement passent à côté sans s’esbaudir…).
Avant de se glisser dans les tréfonds du département d’enseignement de biologie animale, nous faisons découvrir les vitrines qui sont déjà mises en place. Parmi elles, une de mes préférées montre deux aquariums juxtaposés avec deux populations d’Astyanax mexicanus, une espèce de poisson chez qui deux populations sont probablement en train de se scinder en deux espèces: un phénomène appelé spéciation. En effet, une population est retrouvée en surface et arbore les caractéristiques classiques de la poiscaille: yeux ahuris, écailles pigmentées aux reflets argentés, etc. tandis que l’autre se retrouve dans des grottes sous-marines et à l’abri de la lumière depuis 1 million d’années. Le contraste morphologique est saisissant:
Zou, n’a plus d’yeux, ni de pigments. Et pourtant, en captivité, ces deux populations sont tout à fait capables de se reproduire entre-elles et leur progéniture, fertile, retrouve la vue et de jolies écailles pigmentées! Plus incroyable encore, si on croise deux populations d’Astyanax cavernicoles aveugles, provenant de deux grottes différentes, il est possible que parmi les alevins certains d’entre eux retrouvent de belles mirettes fonctionnelles! Ca vous intéresse, vous avez mordu à l’hameçon? Et bien sachez que je dédierai un article complet sur le sujet… bientôt… (je finis un article en 2 parties… pour en promettre un nouveau… qui a dit Masochiste?)
Mais bon, deux petits aquariums dans un couloir sont loin d’impressionner nos invités. Direction donc le fatras de squelette promis!
Le moins qu’on puisse dire c’est que pour notre comité d’accueil, l’ambiance, c’est bien mort…
Au début tout le monde est un peu hésitant, se faufilant dans un silence religieux entre les étagères. Puis je dis les mots magiques: ‘Au fait, si vous faites bien attention, vous pouvez tout à fait tripoter les spécimens!’. Il faut dire qu’il est difficile de résister à la tentation ! Surtout quand les boites sont fermées!
Et puis il y a quelques pièces dans la collection qui sont tellement étranges que les questions fusent: et ce poisson là, il a des dents qui ressemblent à des dents humaines, c’est un montage?
Oh non! Et les plongeurs ont appris à s’en méfier! Il s’agit d’un Baliste et la plupart sont territoriaux au point de défendre leurs œufs contre des prédateurs bien plus gros qu’eux (comme un plongeur). Si le spécimen de notre collection ne vous convainc pas de faire attention, l’image suivante sera peut-être plus dissuasive:
Et ça nage très vite!
Dans un autre registre, certains spécimens peuvent laisser dubitatif le plus aguerri des naturalistes. Par exemple, à votre avis, quelle sorte de spécimen tiens-je fièrement dans le cliché ci-dessous?
Est-ce un ver aux écailles pointues, le pénis épineux d’un gros félin ou un concombre de mer sur la défensive? Vous n’y êtes pas car il s’agit en fait de l’œsophage retourné d’une tortue franche, Chelonia mydas. En effet, plusieurs espèces de tortues marines possèdent des œsophages arborant ces structures épineuses appelées papilles œsophagiennes. Se nourrissant essentiellement de méduses, ces papilles cartilagineuses les protègent des piqures et retiennent les méduses dans leur gueule tandis qu’elles recrachent l’eau de mer pour éviter d’ingurgiter trop de sel. Si elles sont déjà bien strange chez Chelonia mydas, ces papilles œsophagiennes deviennent carrément effrayantes chez Dermochelys coriacea, la tortue luth:
Direction ensuite vers une seconde pièce enfermant la deuxième partie de notre collection de spécimens conservés dans le formol. L’occasion de faire découvrir à nos invités d’autres espèces d’annélides polychètes que Platynereis dumerilii. Celle-ci par exemple s’appelle Aphrodita aculeata:
Plus connue sous le nom de souris des mers, ce qui se comprend quand on les observe d’en haut:
Mais pourquoi le nom latin d’Aphrodita alors? Et bien il semble que certains zoologistes aient vu, en retournant l’animal, une ressemblance avec un attribut typiquement féminin… Je vous laisse juger:
Et sur ces entrefaites, après un rapide passage dans notre plate-forme d’imagerie malheureusement peu documenté, près de 3 heures s’étaient écoulées et il était temps de remplir nos panses.
’Eh mais il est où le Tyrannosaure promis dans le premier article?’ s’émouvra à raison le fan de SSAFT observateur! Réponse: il steak-haché entre deux caisses de spécimens:
Merci à Marion Sabourdy d’avoir accepté l’invitation et photographié l’évènement, et à tous nos autres invités, Marie, Delphine, Benoit Crouzet et bien sûr Boulet. Enfin merci à mes deux acolytes, Vran et Semik, et le service d’enseignement de Biologie Animale de Paris VII (en particulier Isabelle) pour avoir assuré l’organisation de cette visite!
1 De croqueforme - 10/01/2012, 19:11
pour la premiere photo avec les squelettes on dirait à s'y méprendre un squelette de centaure!
ahhh deux legendes qui se rencontrent: le choc des titans; et ça lui a plu tout ça?
2 De Taupo - 10/01/2012, 19:22
@croqueforme : Tu veux dire la rencontre entre Boulet et le centaure? Et ben Boulet avait l'air pas mal impressionné oui!
3 De Aeterna - 11/01/2012, 00:15
Je profite de cet article pour te dire merci pour ton blog :)
Et pour posez une question, le "squelette" de centaure, je pense bien voir en premier plan un squelette d'un truc style Kangourou (vu la queue, les jambes et les petits bras), après un cheval, vu la taille (mais bon ... là pour le coup c'est moins évident, en tout cas pas une vache :D ) ... Sauf que je viens de voir que la mâchoire avait des crocs ... c'est un prédateur géant de quand les mammifères ils étaient grand alors? (quand il y avait des tatous géants, des sanglier de 2 mètre au garrot et autre animaux si plein de subtilité).
Quand à celui tout au fond .... avec une colonne vertébrale présentant une cassure comme ça, je ne vois pas trop ...
On pourrait avoir la solution? :)
Merci d'avance.
4 De Taupo - 11/01/2012, 12:13
@Aeterna : Hello Aeterna et merci. Il faudra que je refouille cette pièce pour te confirmer les espèces mais je peux déjà te dire qu'il ne s'agit pas d'un cheval. C'est un effet d'optique et les squelettes sont assez moyens en taille.
A bientôt
5 De Vran - 13/01/2012, 14:47
@Aeterna : @Taupo : En fait c'était un guépard au milieu et un walabi devant. Pour celui du fond je ne me souviens plus, mais globalement ils étaient loin de faire la taille d'un cheval (on a pas autant d'espace dans nos couloir de cours).
6 De Abie - 23/01/2012, 14:40
Mmm, dis-moi, tu as des sources pour la ressemblance anatomique de l'Aphrodita ? A blanc comme ça, j'aurais plutôt imaginé une référence à la ceinture d'Aphrodite.
7 De Taupo - 23/01/2012, 18:41
@Abie : Salut Abie,
Une seule référence, sur Wikipédia en anglais. http://en.wikipedia.org/wiki/Sea_mo... J'ai pas plus creusé que ça (au moment où j'ai écris l'article) et là ça fait une heure que je cherche l'origine sans succès. Si quelqu'un a un moyen de découvrir le fond de l'affaire, qu'il se manifeste!