Coprologie

How Animals Actually Eat Their Food

Billet diffusé dans le cadre de la soirée Radio-Dessinée “Une expérience presque parfaite”, à Lyon le 15 juin 2013 et publié simultanément sur Podcast Science
 

Si vous êtes connecté à l’internet mondial, vous aurez eu du mal à louper cette fameuse vidéo virale, How Animals Eat Their Food (Comment les animaux mangent leur nourriture), où un mec démontre ses incroyables talents d’imitateurs et mime comment lézards, baleines, kangourous et rhinocéros dévorent… des feuilles de salade:

Ma préférée reste le moment où il imite la baleine et s’échoue lamentablement sur son assiette. Perso, j’aurai bien pu participer parce que j’imite vachement bien la tortue qui broute.
M’enfin bon, trêve de simagrées, la question est posée : comment diable les animaux mangent-ils leurs aliments? Et pour explorer cette question, pourquoi pas nous imaginer au restaurant avec nos amis les bêtes. Première chose à faire, la réservation, et voilà que le maitre d’hôtel vous pose une première colle: combien de couverts? Ah flute, est-ce que ça sert à grand chose des couverts pour des animaux? Et bien pour certains, oui!
Prenez les chimpanzés par exemple: Lors de son dossier sur la culture dans le monde animal, Xilrian nous énumérait les prouesses dont nos cousins primates sont capables, illustrées notamment par l’utilisation de couverts par certaines populations de chimpanzés. Alors certes, il ne s’agit pas de l’argenterie de votre tante Hortense, mais à quoi bon s’embarrasser d’une fourchette quand un brin d’herbe suffit à se servir de belles et dodues fourmis vivantes ou de vivaces termites.

Les couverts à termites des chimpanzés
Chimpanzé dégustant des termites


Ne faisons-nous pas de même à l’aide de nos cure-dents plantés dans nos saucisses cocktails aux mondaines soirées organisées par la sus-nommée tantine? Et si l’on vient à servir du miel, sachez que les chimpanzés ne se serviront pas nécessairement de leurs doigts pour s’en sustenter. Chez certaines familles gabonaises de chimpanzés, on sait se tenir et faire usage d’un arsenal de couverts en bois pour venir à bout d’un nid d’abeille afin d’en récolter tout le miel. A l’instar de cuiller à potage, fourchette à entremet et autre couteau à poisson, le service à miel de ces chimpanzés compte un bâton à concasser, un levier à élargir, divers perforateurs et enfin une tige en forme de pinceau servant à collecter le visqueux délice.
 

Plan de table 'normal'
Plan de table pour récolter du miel des chimpanzés gabonais
Ne croyez pas que les autres animaux sont en reste! Les couverts sont aussi de mise pour certains oiseaux tels les corvidés de nouvelle Calédonie (Corvus moneduloides) qui pêchent à l’hameçon des larves de coléoptères (Agrianome fairmairei).

chasse au ver de bancoule par un corbeau de nouvelle calédonie
ver de bancoule, Agrianome fairmairei


Et pour les ustensiles un peu plus élaborés, genre un casse noix, on peut repasser? Marauds, les bestiaux ne vous ont pas attendus! Les chimpanzés utilisent des enclumes en pierre et des marteaux ou haches en bois pour fracturer les fruits géants des Trécules qui font la taille d’une balle de volley et pesant plus de 8 kilos.

Treculia africana
Treculia africana


Et une enclume, même les poissons comme le Labre (Choerodon anchorago) en utilisent:


Et au japon, les corvidés y sont si malins, qu’ils utilisent les roues de nos voitures pour casser leurs noix!


Rappelons-nous seulement qu’exiger des couverts de nos amis les bêtes serait assez peu fondé sachant qu’entre humains, nous ne nous accordons déjà pas sur ceux à utiliser, entre baguettes, couteau-fourchette, cuiller ou la main…
Bon, couverts ou pas, il va falloir savoir maintenant les préférences alimentaires de votre bestial convive. Quel est donc son régime alimentaire? Est-il herbivore, carnivore, omnivore? Prudence est de mise car les apparences sont souvent trompeuses! Prenez un ruminant par exemple. Qui pourrait un instant croire que les daims puissent grignoter autre chose qu’herbes, bourgeons et rameaux? Et pourtant, nombreux sont les daims, daines et faons qui complètent leur alimentation, pauvre en calcium, en broutant un frêle poussin ou les oisillons d’un puffin. Ah ça, c’est pas chez Disney, qu’on vous montrera les babines ensanglantées de Bambi!


A l’inverse, ne jugez pas trop hâtivement l’allure vorace de votre amie velue à huit pattes. Si les araignées sont majoritairement prédatrices et carnivore, ce n’est pas le cas de l’araignée sauteuse Bagheera kiplingi, qui est essentiellement végétarienne en se nourrissant 90% du temps des boursoufflures de l’extrémité des feuilles d’arbustes d’acacia qu’elle dérobe à des fourmis qui en font la culture.

Bagheera kiplingi


Remarquez, dans un monde où les plantes ou les éponges peuvent être carnivores, on ne s’étonnera plus de rien…


Sur ces entremets… euh, entre-faits, vous parvenez enfin à vous rendre au restaurant et êtes accueillis par les délicieux fumets émanant des cuisines. Mais si vous trouvez ces fumets irrésistibles, est-ce que ce serait la même réaction chez toutes les espèces? Pas sûr… A en croire les exhalaisons émises par certaines fleurs qui tentent d’attirer vers elles des pollinisateurs, nous pourrions être facilement déroutés par les préférences olfactives de nos invités. Prenez les fleurs titanesque de Rafflesia ou Amorphophallus titanum (ou l’Arum titan qui porte bien son nom vu qu’il peut mesurer plus de 2,7 mètres pour 78 kilos!):

Rafflesia arnoldii
Amorphophallus titanum
l’une est le portrait craché des fleurs de Mario Bros™ tandis que pour la forme d’Amorphophallus… et bien, comment dire… cette fleur porte vraiment très bien son nom… Et toutes deux exhalent le même parfum exquis de charogne et de viande en putréfaction (une odeur si forte qu’on peut la sentir à plus de 800 mètres de la fleur…). Quoi de mieux en effet pour attirer leurs pollinisateurs spécifiques, les mouches à myases

Chrysomya megacephala
Ce n’est pas mieux pour Hydnora africana, cette plante qui ressemble à s’y méprendre à un vagin denté et dont le parfum est parfaitement indissociable de celui de nos excréments les plus odorants.

Hydnora africana
Une transition toute trouvée pour enfin discuter de ce que l’on pourrait proposer comme menu, en bon amphitryon que nous sommes. Et bien n’hésitez plus, pour beaucoup d’animaux, il faudra servir de la merde!
Que ce soit le bousier qui boulote les bovines fientes…

bousier
… ou le paresseux à deux doigts qu’on retrouve souvent dévorant les selles dans nos latrines

Paresseux à deux doigts Choloepus didactylus émergeant des latrines
Que ce soit les rongeurs et les lapins qui dégustent avidement leurs propres excréments (enfin des cécotropes, des crottes riches en nutriments car leur digestion n’est pas optimale)…

rabbitpoo

 

… ou enfin les jeunes éléphants, pandas, koalas et hippopotames qui ne rechignent pas à cueillir et mâchouiller les fèces de leur mère (probablement par nécessité d’acquérir une flore bactérienne adéquate à leur régime herbivore).

Force est de constater que la coprophagie, l’art de manger la crotte, c’est tout ce qu’il y a de plus naturel dans le monde animal! Et de la crotte au vomi, il n’y a qu’un reflux gastrique…
Dans le domaine de la régurgitation, certains, comme les étoiles de mer, sont passés maitres et dévaginent l’intégralité de leur estomac pour digérer leurs aliments:
 

Les requins en sont capables aussi, mais ce n’est souvent que pour déloger des parasites ou du contenu indésirable.

D’autres comme certaines araignées et certaines mouches, régurgitent sur leurs aliments pour mieux les digérer. Les mouches calliphora, elles, régurgitent leurs aliments en une bulle suspendue à leur trompe afin de que l’eau s’en évapore.


Et puis il y a le vomi tendre, celui qu’on partage en famille…
Chez les oiseaux, il y a les parents au grand cœur qui régurgitent leurs repas en généreuses becquetées à chacun de leurs oisillons. Et tant mieux s’il s’agit d’un poisson entier encore frétillant…
 Manchot d'Adélie
Certains oiseaux, comme les pigeons, ont même des glandes spéciales dans le cou afin de sécréter un vomi lactescent, le lait de jabot, à distribuer à sa nichée affamée.

Lait de Jabot
Que voulez vous, tous les animaux n’ont pas la chance de naitre avec des mamelles…
Certains vomis gagnent en goût à mesure qu’on se les échange. Chez les insectes hyménoptères (fourmis, guêpes, abeilles), on possède deux estomacs: un pour soi et un pour le voisin qu’on appelle jabot social.

Trophallaxie chez Formica obscuripes, Alex WildVous trouvez ça immonde? Pourtant il y a de bonnes chance que vous dégustiez avec appétit du régurgitat d’hyménoptères!

Miel
Le miel que vous tartinez sur vos biscottes matinales, ce n’est rien d’autre que du vomi d’abeilles macéré dans un nombre incalculable de jabots, dégueulé de mandibules en mandibules jusqu’à atteindre cette parfaite texture, cette onctuosité inégalable.


Et encore tous les miels ne se ressemblent pas! Si la plupart prennent leur origine dans le nectar sucré qu’offrent les fleurs en échange d’une pollinisation bien faite, certains miel, comme le miel de sapin, prennent leur source dans la sève des majestueux épineux. Mais comment diable les abeilles récupèrent-elles la sève de sapin? Ce n’est pas avec leur pièces buccales adaptées à la léchouille qu’elles vont réussir cet exploit. Ce qu’il faut, c’est un rostre de puceron pour pénétrer l’écorce et récolter la sève élaborée des conifères. Ca tombe bien, il en pullule sur leur écorce. Seulement voilà, la sève des sapins est si sucrée que  nos fragiles pucerons risquent un choc osmotique. Pour maintenir la balance, les pucerons excrètent du miellat (toujours riche en sucre et en acides aminés) par leur postérieur. Hummmm, le bon caca sucré que voilà! Pas étonnant que les abeilles se ruent dessus pour ajouter une touche de saveur à leur miel de sapin qui n’est, en somme, que le produit final d’excréments de pucerons régurgités par des abeilles…
 Miel de sapin
Le miellat, tout le monde en est friand et j’avais déjà évoqué sur SSAFT les diverses relations trophobiotiques (le partage de nourriture entre espèces) entre le fulgore porte lanterne, des fourmis et des escargots (en résumé, c’est la baston pour savoir qui peut lécher le postérieur du fulgore…)

Interaction trophobiotique entre gastropode et Enchophora sanguinea, P. Naskrecki & K. NishidaInteraction trophobiotique entre gastropode et Enchophora sanguinea, P. Naskrecki & K. Nishida
Vous voilà maintenant repus et las, vous commencez à jouer avec notre nourriture. Alors attention, n’essayez pas de rentrer en compétition avec un orque qui joue avec sa nourriture de manière assez spectaculaire, pouvant balancer des phoques 20 mètres au dessus de l’eau pour jouer à la baballe.


Il est maintenant temps de payer la note mais… Tous ces restes là, c’est un peu du gâchis… Il vous faudrait un doggy bag! Rien de plus simple pour une araignée qui va vous empaqueter tout ça manière cellophane…


Sinon vous avez toujours la possibilité de faire comme les tamias (les animaux qui ont inspiré tic et tac) dont les joues peuvent se distendre au point d’y insérer un volume de graines plus important que celui de leur tête.


En conclusion, les animaux, nous compris, sommes sérieusement dégueulasses lorsqu’il s’agit de se nourrir. Alors si le dicton dit vrai et que l’on est ce que l’on mange, ça n’augure rien de bon les amis… A moins que l’on ne fasse comme les somptueuses limaces de mers nudibranches comme Glaucus atlanticus qui, dévorant les dangereuses physalies, ces siphonophores bardées de cellules urticantes, sont capables non seulement de résister à leur terrible venin, mais aussi de l’incorporer et de le concentrer dans des sacs spéciaux à la surface de sa peau pour devenir à son tour venimeux.

Glaucus atlanticus

Et puis si vous êtes végétarien, peut être que le cas d’Elysia chlorotica vous fera mourir d’envie : il s’agit d’une autre limace de mer qui, broutant les algues, est capable de leur voler leurs chloroplastes, ces fameux sacs de chlorophylle, et devenir à son tour photosynthétique, pouvant ainsi se priver de grignoter et ne se nourrissant que des doux et chauds rayons du soleil.

Elysia chlorotica
Liens:
Articles Not Exactly Rocket Science
Chimps use Swiss army toolkit to rob beehives
Congolese chimps modify fishing-sticks to make them even more effective tools
Bagheera kiplingi – the mostly vegetarian spider

Article Discovery
Article Neurophilosophy
Article BBC Earth News
Article Ego Sum Daniel
Article National Geographic
Articles io9
A flower that smells like poop and resembles vagina dentata
The most disgusting flower in the world is about to bloom
Parasitic plants actually steal the genes of their hosts

Articles Tetrapod Zoology
May two-toed sloths climb into your latrine and eat your faeces and urine, because that’s the sort of thing they do
Lal the chicken-eating cow

Références:

Boesch C, Boesch H: Tool use and tool making in wild chimpanzees. Folia Primatol (Basel) 1990, 54(1-2):86-99.
Gruber T, Muller MN, Strimling P, Wrangham R, Zuberbuhler K: Wild chimpanzees rely on cultural knowledge to solve an experimental honey acquisition task. Curr Biol 2009, 19(21):1806-1810.
Boesch C, Head J, Robbins MM: Complex tool sets for honey extraction among chimpanzees in Loango National Park, Gabon. J Hum Evol 2009, 56(6):560-569.
Rutz C, Bluff LA, Reed N, Troscianko J, Newton J, Inger R, Kacelnik A, Bearhop S: The ecological significance of tool use in New Caledonian crows. Science 2010, 329(5998):1523-1526.
Rutz C, St Clair JJ: The evolutionary origins and ecological context of tool use in New Caledonian crows. Behav Processes 2012, 89(2):153-165.
Koops K, McGrew WC, Matsuzawa T: Do chimpanzees (Pan troglodytes) use cleavers and anvils to fracture Treculia africana fruits? Preliminary data on a new form of percussive technology. Primates 2010, 51(2):175-178.
Meehan CJ, Olson EJ, Reudink MW, Kyser TK, Curry RL: Herbivory in a spider through exploitation of an ant-plant mutualism. Curr Biol 2009, 19(19):R892-893.
Heymann, E. W., Flores Amasifuén, C., Shahuano Tello, N., Tirado Herrera, E. T. & Stojan-Dolar, M. 2010. Disgusting appetite: Two-toed sloths feeding in human latrines. Mammalian Biology

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