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Strange and Funky Australia : Royal Spoonbill
(Suite de mes Aventures Merveilleuses en Australie)
Après nos deux premières journées à arpenter le Parc National de Litchfield pour y découvrir Termitières géantes et Renard Volants lubriques, nous allions devoir emprunter les routes australiennes pour rejoindre notre première destination réellement sauvage: le parc national de Kakadu!
En effet, nous quittions une zone plutôt exemptes de crocodiles pour rejoindre un parc dont même les terrains de campings sont visités par les bestiaux à grandes dents… On a même piqué notre tente à quelques mètres d’un panneau invitant à la plus grande prudence face aux vilains sauropsidés:
La dite tente, montée en moins de 10 minutes! Merci à WonderfulWife™
Le dit panneau, à moins de 10 mètres!
Bref, vous l’aurez compris, Kakadu est un petit paradis pour les naturalistes! D’ailleurs, malgré la journée passée à conduire (enfin dans mon cas et celui de ma femme, à ne rien foutre à l’arrière… Merci Marion et Akodostef, nos amis chauffeurs!), on n’a pas pu résister à l’envie d’explorer un bout du parc au soleil couchant, au risque de devoir planter notre tente dans l’obscurité. Du coup, petit crochet vers le Billabong AnBangBang (à prononcer Arn-barng-barng parce que sinon c’est trop fastoche). Alors vous vous demandez peut-être, tel que je le fis, ce que diable est un Billabong. Si vous êtes comme moi, voici peut-être ce que seront vos hypothèses: une sorte de bilboquet, un genre de pipe pour fumer des drogues, une onomatopée décrivant une chute comique ou encore une version australienne de partouze. Mes amis, vous n’y êtes pas: un Billabong c’est ça:
Une étendue d’eau qui, la saison sèche venue, ne s’assèche pas. Généralement il s’agit d’un méandre d’une rivière qui elle, est bien asséchée, billa signifiant « rivière » et bong signifiant « mort » en Wiradjuri, un des groupes d’aborigènes d’Australie.
Un Billabong est donc le point d’eau où la majorité de la faune locale se désaltère lors de la saison sèche et c’est donc une aubaine pour ceux qui veulent contempler des myriades d’oiseaux voleter, s’abreuver, picorer, pêcher, chasser, nager, s’ébrouer, batifoler ou encore jacasser. Bref un régal pour les yeux… et pour l’objectif! Je partage donc avec vous mes clichés préférés réalisés autour de ce Billabong:
Guêpier arc-en-ciel (Merops ornatus)
Martin-chasseur forestier (Todiramphus macleayii)
Dendrocygnes d'Eyton (Dendrocygna eytoni) et Ibis blanc d'Australie (Threskiornis moluccus)
Pélicans à lunettes (Pelecanus conspicillatus)
Aigrette d'Australasie (Ardea alba modesta)
Cormoran varié (Phalacrocorax varius)
Rhyothemis graphiptera
Pélicans à lunettes (Pelecanus conspicillatus)
Jabiru d'Asie (Ephippiorhynchus asiaticus)
Cacatoès corella (Cacatua sanguinea)
Ibis blanc d'Australie (Threskiornis moluccus)
Et puis enfin, il y a cette dernière photo, où, discrètement à l’écart d’une rangée de Dendrocygnes d'Eyton, presque pour s’excuser de son apparence, une Spatule royale (Platalea regia) fait mine de s’éclipser, sur la pointe de ses pieds palmés.
Il faut dire que la spatule royale n’a pas le look facile avec ce bec en forme de paire de cuillères à salade. Et ses manières de table ne la mettent pas non plus à son avantage: la spatule possède en effet un bec multifonction qui en plus de faire office de couvert, sert également à détecter ses proies, essentiellement des poissons et des crustacés, puisqu’il est garni de papilles gustatives ou sensibles aux vibrations. Inutile pour elle de mettre la tête sous l’eau pour savoir où se trouve sa nourriture puisqu’elle la sent avec la pointe de son bec. Toujours est-il que pour manger, la spatule réalise des mouvements frénétiques avec son bec dans la vase avant d’avaler d’une traite les proies qu’elle réussit à assommer avec:
Bon, pour être honnête, il s’avère qu’on ne l’a pas vue dans son plus bel appareil puisque la spatule arbore, lors de la saison des amours, une splendide crête de plumes sur la nuque:
C’est pas mal, mais ça reste sérieusement weird… Il faut dire que les spatules appartiennent à une famille d’oiseaux sur laquelle il semble que l’évolution ait eu la main lourde sur son potentiel WTF. Rien que les différentes espèces de spatules (6 au total) recèlent déjà leur lot de surprise, car si on s’habitue assez rapidement au look vaisselle de la Spatule Royale, on peut se permettre d’avoir un sursaut et un mouvement de recul en découvrant la version Hello Kitty de la Spatule, j’ai nommé la Spatule rosée Platalea ajaja:
En terme de parenté, les Spatules sont rangées dans le groupe des Threskiornithidés (et non dans la buanderie comme je l’eus jusqu’à présent cru) dans lequel on retrouve un autre oiseau aperçu dans le Billabong d’AnBangBang: l’Ibis (l’oiseau, pas l’hôtel). A vrai dire, on devrait parler des espèces d’Ibis puisqu’il y en a 28 parmi lesquelles on retrouve l’Ibis Blanc d’Australie représenté plus haut, mais aussi des Ibis encore plus originaux comme l’Ibis Blanc (Eudocimus albus):
L'Ibis chauve (Geronticus eremita):
L'Ibis nippon (Nipponia nippon):
ou encore un Ibis version Punk Destroy, l'Ibis rouge (Eudocimus ruber):
Pour finir cette photo de famille invraisemblable, sachez que les Threskiornithidés font partie d’une vaste famille, les Pelecaniformes, dans laquelle on retrouve bien entendu les Pélicans comme ceux à lunettes sus-mentionnés, mais aussi les Aigrettes, les hérons et toute une ribambelle d’oiseaux plus Strange les uns que les autres tels les Ombrettes et les Bec-en-sabots:
En terme de famille dépareillée, il faut avouer qu’il y a compèt’ pour le coup! Et pourtant, un air de famille, on peut tout de même en trouver un parmi tous ces zozios, et peut-être particulièrement entre les Ibis et les Spatules. D’ailleurs si vous comparez deux photos d’Ibis et de Spatule sans le bec, vous aurez bien plus de mal à les identifier!
Comme je vous l’ai laissé entendre, les Ibis et les Spatules ont été traditionnellement classés en deux groupes distincts, les Threskiornithinés pour les Ibis et les Plataleinés pour les Spatules, formant ensemble la famille des Threskiornithidés. Ces deux sous-familles ont été notamment conçues en prenant la forme du bec comme critère de classification. Mais le problème avec ce genre de caractéristiques morphologiques c’est qu’il s’agit d’un très mauvais indicateur de parenté… Un coup la forme du bec se retrouve dans plusieurs groupes sans liens de parenté directs car il s’agit de convergence évolutive! Dans d’autres cas une forme de bec correspond à une forme ancestrale conservée chez un groupe d’oiseaux actuels mais altérée dans un autre…
Du coup, nombreux sont les ornithologues qui ont suspecté que cette classification des Threskiornithidés ne tenait pas debout. Heureusement pour nous, les chercheurs peuvent de nos jours compléter leurs études morphologiques avec de nombreux outils moléculaires en comparant des séquences d’ADN provenant des oiseaux dont il faut établir les liens de parenté!
C’est précisément ce qu’a effectué une équipe de chercheurs Brésiliens en analysant les échantillons d’ADN prélevés sur 15 espèces différentes de Threskiornithidés. Leurs résultats suggèrent que les Threskiornithidés sont bel et bien séparés en deux groupes distincts mais ne font pas la distinction entre Ibis et Spatules, mais entre oiseaux endémiques du Nouveau Monde, et ceux éparpillés à travers l’ensemble du monde (Nouveau ET Ancien Monde). Certes c’est un peu moins clair, mais cela reflète mieux leurs relations de parenté! Dans le groupe ‘Nouveau Monde’ on retrouve les Ibis blancs, rouge, à face noire et à face nue qui sont, comme le nom de leur groupe le suggère, tous présents sur le continent Américain. En utilisant les données moléculaires, ces chercheurs peuvent non seulement établir les liens de parenté entre ces différentes espèces d’oiseaux, mais ils peuvent aussi estimer le temps qui séparent deux groupes d’espèces avec leur dernier ancêtre commun, c’est à dire l’ancêtre le plus récent qu’ils en en commun. Ces estimations sont réalisées en prenant en compte le temps que peut mettre ces séquences d’ADN pour accumuler des modifications, pour diverger entre elles.
En ce qui concerne nos piafs, l’estimation du temps de divergence entre le groupe ‘Nouveau Monde’ et le groupe ‘Eparpillé’ avoisine les 38-41 millions d’années. Or, il s’agit grosso modo du moment où le supercontinent Gondwana finissait de se briser, l’Amérique du Sud se séparant définitivement de la partie Occidentale de l’Antarctique. Le scénario sous-jacent de l’évolution de groupe des Threskiornithidés est donc le suivant: au moment de la brisure finale du Gondwana, un groupe d’espèces locales dans l’actuelle Amérique du Sud a donné le groupe d’Ibis ‘Nouveau Monde’. Le reste des espèces a continué de coloniser les diverses parties de l’Ancien monde. Durant ce temps, une partie de ces espèces ont également colonisé tardivement les Amériques (parce que bon, c’est pas la brisure des continents qui peut retenir très longtemps les oiseaux de coloniser un territoire…).
Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est de savoir quelles sont les relations de parentés entre Ibis et Spatules! Et bien cette étude suggère que les Ibis et les Spatules ne sont pas des espèces cousines, mais que les Spatules font partie d’un groupe d’Ibis, au sein du groupe ‘Eparpillé’. La nuance est cruciale! Cela ne signifie pas que les deux groupes, Ibis et Spatules, ont évolué chacun dans leur coin, accumulant des modifications de leur bec pour d’une part donner un groupe d’oiseaux à bec courbé pour les Ibis et de l’autre un groupe d’oiseaux au bec en spatule… Non, non, non: ce que ces résultats suggèrent, c’est que les spatules sont au final des Ibis au bec redressé et aplati! Au final, la forme du bec des Ibis serait donc un caractère à l’état ancestral au sein des Threskiornithidés. Former un groupe en utilisant cet aspect du bec revient à former un groupe qu’on nomme, entre phylogénéticiens, un groupe paraphylétique, un groupe dans lequel on ne retrouve qu’une partie non complète des descendants d’un ancêtre. C’est une erreur qui hante les systématiciens, et c’est ce qui se passe quand on groupe par exemple dans une famille les singes avec queue et dans une autre, distincte, les singes sans queue. En considérant qu’il s’agit de deux groupes frères, on fait une grave erreur car en fait l’un des groupes (les primates, sans queue), est emboité dans l’autre (le groupe des singes avec queue). Les primates sont en fait des singes à queue qui, au cours de l’évolution, l’ont perdue.
Et bien c’est pareil pour les spatules: il s’agirait bien d’un groupe d’Ibis qui, au cours de l’évolution, ont donné une lignée dont le bec s’est redressé et dont l’extrémité permet de jouer des castagnettes!
Olè!
Liens:
Article Birds in Backyards
Article NZ Birds
Article 10,000 Birds
Références:
Yeung CK, Tsai PW, Chesser RT, Lin RC, Yao CT, Tian XH, Li SH: Testing founder effect speciation: divergence population genetics of the spoonbills Platalea regia and Pl. minor (Threskiornithidae, Aves). Mol Biol Evol 2011, 28(1):473-482.
Ramirez JL, Miyaki CY, Del Lama SN: Molecular phylogeny of Threskiornithidae (Aves: Pelecaniformes) based on nuclear and mitochondrial DNA. Genet Mol Res 2013, 12(3):2740-2750.
Par taupo, mardi 8 octobre 2013. Lien permanent
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