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En suivant le compte Facebook de SSAFT, on peut très vite se rendre compte de deux choses: Premièrement, que je suis fan absolu de la chaine de Léo Grasset, DirtyBiology. Deuxièment, que je parle beaucoup de bites. Bon, vous pouviez déjà vous douter de cette fascination que je partage avec Vran et qui nous a permis de peupler ce blog de pas moins de 6 articles phare sur la question (1, 2, 3, 4, 5 et 6, le compte est bon).
Du coup, comme la vie est bien faite, lorsque Léo et moi avons pensé à une collaboration, le sujet de notre premier projet commun s'est imposé instantanément comme une bifle par surprise: nous allions parler organe intromittent (non parce qu'il va pas falloir croire qu'on est vulgaire non plus!).
3 mois d'aller-retours et plus de 2000 messages plus tard (!) voici le résultat de notre collaboration (10% mon aide et 190% Léo et son crew):
Et donc pour accompagner cette vidéo épique, je vous propose d'approfondir le sujet bien comme il faut (si vous êtes un mâle, ne visualisez pas cette métaphore), en détaillant les différentes facettes qui y sont abordées.
Léo commence sa vidéo en posant la question suivante: "Pourquoi les hommes ont-ils un phallus, pourquoi certaines espèces n’en ont pas, et à quoi sert VRAIMENT un organe génital masculin?". Et pour répondre à cette question, il nous propose d'explorer l'histoire des verges, en commençant par le plus vieil organe copulatoire masculin jamais trouvé, celui d'un crustacé ostracode datant d'il y a 425 millions d'années (une époque qu'on nomme le Silurien). Pour un tel évènement, on s'attendrait à ce que le spécimen soit imposant, mais il faut savoir que les ostracodes sont minuscules… Sur les 13000 espèces d'ostracodes actuelles, seules quelques-unes dépassent le centimètre (avec 3cm max pour Gigantocypris), le reste gravitant plutôt autour du millimètre.
Leur corps est protégé par une épaisse carapace à 2 valves, ce qui explique qu'on en retrouve beaucoup dans le registre fossile, avec les plus vieux spécimens datant d'il y a 500 millions d'années. Curieusement, leur plan d'organisation et leur morphologie n'ont, à vue d'œil, pas beaucoup changé en 500 millions d'années et on peut facilement s'imaginer que cette faune microscopique s'agitait dans ces eaux ancestrales de la même manière que pour les spécimens filmés dans les vidéos suivantes.
Et les ostracodes sont donc des crustacés bien membrés, généralement avec une paire d'appareils copulatoires qui s'emboitent parfaitement dans les deux orifices génitaux de la femelle. Cependant, chez la plupart des ostracodes fossilisés, ce n'est que la carapace qu'on récupère. Difficile du coup d'estimer s'il s'agit d'une grosse cylindrée sous la carrosserie… Heureusement pour l'histoire de la bite, certains ostracodes ont eu la bonne idée de patauger dans une région correspondant à l'actuelle Angleterre occidentale, non loin d'un volcan qui, en entrant en éruption, a couvert les eaux environnantes d'une épaisse couche de cendre. Dans cette reconstitution miniature de Pompéi, les victimes se sont retrouvées ensevelies sous la cendre et figées dans leur dernière action (qui, dans le cas qui nous intéresse, consistait à laisser flotter ses parties à l'extérieur… Un ostracode exhibitionniste, en somme!). Cet ensevelissement permet en plus de préserver les tissus qui se trouvent sous la carapace de l'ostracode! Une aubaine pour les paléontologues qui cherchent avidement ces agglomérats de cendres. Ceux-ci sont souvent trouvés dans des couches sédimentaires où ils forment des nodules, des sortes de boules patatoïdes à l'aspect différent de la couche de sédiment qui les recouvre. On en trouve souvent par exemple dans les séries sédimentaires des Lagerstätte de Wenlock, en Herefordshire (qu'on appelle caillasse, quand on est aussi fin géologue que moi). Quand des paléontologues trouvent ces nodules, ils les brisent et découvrent parfois un fossile qui prend cette apparence là:
Les parties noires, vous l'aurez deviné, correspondent aux structures externes ET internes du spécimen. Malins, nos paléontologues vont alors raboter la surface pour révéler, couches par couches (qui mesurent 20 µm d'épaisseur soit 20 millionième de mètre), l'apparence du fossile piégé dans le nodule. Chaque couche est photographiée et ces images vont permettre une reconstitution tridimensionnelle du fossile :
Et oh stupeur, en plus d'y trouver les appendices nageurs et une paire d'yeux à facettes, qu'est ce qui surgit entre les deux valves: un bon gros phallus ("Large and stout - grand et solide" pour reprendre l'expression des auteurs de cette reconstitution). Une observation ayant valu au spécimen le sobriquet de Colymbosathon ecplecticos qui, en grec, signifie l'impressionnant nageur au gros pénis (petite vérification… ah oui, tous les auteurs de cette découverte sont des hommes, pas de surprise…). Et quand on compare le modèle du fossile avec une image en microscopie électronique à balayage d'une espèce actuelle proche parente, on s'aperçoit que c'est à peu peu près le même deal sous le slip:
Hourrah donc pour la plus vieille gaule! Un titre qui, jusqu'à la découverte de cet ostracode, était détenu par un faucheux (ou opilion pour les arachnophobes pointilleux qui veulent pinailler) vieux de 400 millions d'années. Les opilions sont les cousins des araignées mais on peut les distinguer facilement car leur corps n'a pas de constriction comme chez les araignées chez qui on reconnait bien un abdomen. Pour faire bref et efficace, un opilion, ça ressemble à ça:
Anecdote etymologico-inutile (mais à replacer en dîner mondain): on les nomme faucheux car ils apparaissent au temps des moissons et possèdent des pattes comme des faux, et opilion vient du latin opilio, qui signifie berger, car ils semblent perchés sur des échasses. Mais n'oubliez pas de ponctuer cette remarque d'un 'et ils sont super bien membrés'! Car même il y a 400 millions d'années, les opilions possédaient déjà leur célèbre organe copulatoire dont la taille avoisine souvent les 2/3 de la taille de l'animal… Matez l'organe de Eophalangium sheari par exemple (noté 'p' dans la figure ci-dessous. 'p' comme… faut vraiment que je vous fasse un dessin?):
Remarquez cependant que le pénis de cet opilion se trouve DANS son corps, juste derrière l'orifice noté 'go', alias le gonopore. En effet, au moment de la copulation, le pénis de l'opilion jaillit du gonopore pour aller impressionner (puis féconder) la femelle. Or donc le spécimen photographié précédemment ne bandait pas… le trac sûrement…
Bon allez, ouste les faucheux…
Et place aux placodermes! C'est quoi? Et bien comme Léo l'indique dans la vidéo, il s'agit juste des poissons fossiles les plus badass du monde:
On avait déjà évoqué les placodermes sur SSAFT, notamment pour parler de leur mâchoires, sujet important puisqu'ils font partie du groupe des vertébrés possédant une mâchoire supérieure et inférieure: les gnathostomes. Non seulement les placodermes possédaient des mâchoires à te broyer en purée, mais ils étaient aussi recouverts d'une cuirasse articulée les faisant ressembler à de véritables tanks sous-marins. Heureusement qu'ils ont tous disparu à la fin du Dévonien (il y a 360 millions d'années) car certains dépassaient les 8 mètres de long:
Remarquez, "Les dents cuirassées de la mer" aurait fait un malheur au box office… Mais si on s'intéresse ici aux placodermes, ce n'est pas pour louer leur armure, ou leur dentition, mais pour étudier leurs membres virils. La question n'est pas triviale car bon nombre de poissons actuels ne sont pas membrés et trouver une trique chez un placoderme reviendrait à illuminer les scenarii évolutifs concernant les organes copulatoires des vertébrés. Depuis 2008, on se doute bien que les placodermes employaient une méthode de copulation interne parce qu'on a trouvé une maman placoderme, Materpiscis, avec des embryons internes (nécessitant du coup des ovules qui se trouvent à l'intérieur de la femelle et fécondés par le mâle après pénétration):
Certains paléontologues ont même découvert et décrit des chibres de placodermes tels que chez Rhamhpodopsis ou chez Coccosteus ci-dessous:
Un de ces paléontologues, John Long (le bien nommé) n'a pas les idées courtes et s'est récemment distingué en découvrant le plus vieux spécimen (385 millions d'années) de placoderme membré (et de fait, de tous les vertébrés): Microbrachius dicki (the also well named if you know what I mean…):
Bon, niveau mensuration, on ne peut pas espérer beaucoup de cette espèce de placodermes, qui mesure moins de 3 centimètres de long… Et niveau tronche, on a tout de même l'impression que Microbrachius ressemble au premier brouillon mal dessiné par l'évolution pour réaliser un poisson. Mais vous voyez ces deux parties en bas, en forme de "L"? Et bien ce sont très probablement les plus vieilles verges de vertébrés jamais découvertes! Première surprise, y'en a deux. Ensuite si on les discerne si bien sur un fossile, c'est qu'il s'agit de verges osseuses rigides (souvenez-vous, placodermes = badass). Enfin, elles sont latérales. Bravo champion, tu cumules des points pour ta renommée!
Ces structures reproductrices, on les nomme claspers (yep un peu comme lui) et on en trouve aussi chez les poissons cartilagineux (requins, raies et chimères), même si chez eux le clasper (ou ptérygopode) est cartilagineux (obviously, j'ai un peu envie de dire).
Si on les assimile volontiers à des pénis, il faut quand même préciser qu'il ne s'agit que d'une modification de la marge interne de leurs nageoires pelviennes qui prennent l'apparence d'une gouttière, ou une tige cannelée, permettant ainsi de pénétrer la femelle et d'acheminer le sperme, par écoulement, dans son cloaque (qui est, je cite léo, "l'embouchure conjointe des voies génitales, de l'urine et des excréments"). Les rituels amoureux des requins sont généralement assez violents car certains mâles choppent littéralement les femelles en mordant leurs nageoires pectorales avant de les pénétrer. Ce n'est pas de tout repos pour le mâle non plus puisqu'il s'asphyxie progressivement pendant l'acte copulatoire. Les claspers sont aussi souvent associés à des ergots qui permet au mâle de s'ancrer fermement dans la femelle pendant l'accouplement. Allez, je vous sens chaud, une vidéo pour illustrer tout ça:
Chez notre placoderme Microbrachius dicki, la situation serait cependant différente. Déjà, les claspers sont osseux, totalement rigides, et en plus latéraux. John Long suppose donc que nos mini-placodermes auraient copulés sur le côté (n'essayez pas chez vous…):
Qui plus est, l'observation d'un spécimen femelle laisse à penser que ses parties génitales étaient rugueuses et râpeuses et permettait de verrouiller le clasper du mâle pour le transfert de sperme (ouch). Du coup, cet acte copulatoire ressemble un peu aux danses carrées des cowboys et je vous propose donc de synchroniser la vidéo précédente avec cette bande-son pour illustrer, dans toute sa gloire, l'ambiance du plus vieil acte copulatoire de vertébrés jamais découvert:
Mais l'aspect le plus étrange de cette découverte, c'est que si ces anciens placodermes copulaient avec des claspers osseux, on a de bonnes raisons de penser que la branche des gnathostomes qui a survécu et dont nous sommes les descendants semble avoir perdu ces claspers et la possibilité de réaliser un acte copulatoire… Pour les réinventer un peu plus tard et indépendamment dans différentes branches de notre famille:
Avant cette découverte, on pensait que la fécondation externe réalisée par la grande majorité des poissons osseux consistait en un caractère ancestral mais il semble maintenant fort probable qu'il s'agisse en réalité d'une perte d'une innovation évolutive! Vous pouvez donc plaindre les poissons osseux: ils ont perdu leur bite et l'acte copulatoire!
Allez, une petite vidéo récapitulative où John Long nous explique l'importance de sa découverte:
En fermant ce volet paléontologique, on touche du doigt (bande de pervers) le sujet épineux de la complexe histoire évolutive des bites, sujet que je développerai dans un prochain article.
Je viens donc de couvrir les deux premières minutes de la vidéo de Dirtybiology, plus que 10! En attendant, faites vous du binge viewing des autres excellentes vidéos de Léo!
Références:
Siveter, D. J., M. D. Sutton, D. E. Briggs and D. J. Siveter (2003). "An ostracode crustacean with soft parts from the Lower Silurian." Science 302(5651): 1749-1751.
Stokstad, E. (2003). "Invertebrate paleontology. Gutsy fossil sets record for staying the course." Science 302(5651): 1645.
Dunlop, J. A., L. I. Anderson, H. Kerp and H. Hass (2003). "Palaeontology: preserved organs of Devonian harvestmen." Nature 425(6961): 916.
Trinajstic, K., C. Boisvert, J. Long, A. Maksimenko and Z. Johanson (2014). "Pelvic and reproductive structures in placoderms (stem gnathostomes)." Biol Rev Camb Philos Soc.
Long, J. A., E. Mark-Kurik, Z. Johanson, M. S. Lee, G. C. Young, Z. Min, P. E. Ahlberg, M. Newman, R. Jones, J. D. Blaauwen, B. Choo and K. Trinajstic (2014). "Copulation in antiarch placoderms and the origin of gnathostome internal fertilization." Nature.
Liens:
Article New Scientist
Article The Other 95%
Article Evolutionary Novelties
Article University of Aberdeen
Article Nature News
Article GuruMeditation
Article Io9
Article NewScientist
Article Science Etonnante
Article Laelaps
Article National Geographic News
Par taupo, mardi 30 décembre 2014. Lien permanent
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