Me voici de retour de Californie. Comme promis, j'entame une série d'articles pour partager avec vous les différentes conférences auxquelles j'ai assisté. En fait, il y en a de différentes sortes: les keynote talks, les small talks, les plenary talks et les award talks. Chaque catégorie aura son billet de blog du coup (le mec qui aime pas son temps libre…).
On commence doucement aujourd'hui avec le résumé de deux présentations 'Keynote Talks', ses présentations au format long (45 minutes) où de prestigieux scientifiques sont invités à parler de leur (énorme) contribution dans le domaine.
Le premier intervenant était Sean B. Carroll, une de mes idoles. Il a énormément contribué à ma manière d'envisager mon domaine de prédilection, l'evo-devo, en mettant notamment en exergue l'importance de la régulation des gènes pour l'évolution de caractères morphologiques. Je vous recommande ainsi chaudement la lecture de l'un de ses livres, "Endless Forms Most Beautiful", qui est un rare exemple de bonne vulgarisation qui ne rechigne pas à présenter des concepts ardus:
Qui plus est, Sean B. Carroll est aussi l'instigateur de nombreux projets de documentaires vidéos et est un des très rares scientifiques à avoir sa page sur IMDb. Parmi ces documentaires, le très sensationnaliste, mais bien foutu "What Darwin Never Knew" (improbablement traduit en français par 'Aux origines de l'humanité" … l'anthropomorphisme francophone dans toute sa splendeur…):
Sean B. Carroll est même devenu producteur d'une série de documentaires financés par le HHMIet diffusés gratuitement sur le site BioInteractive. Un scientifique qui attache une importance capitale à la vulgarisation, vous comprenez peut être pourquoi j'idolâtre cet homme.
Sa présentation pour PanAm EvoDevo, intitulée Gene Co-option and the Evolution of Novelties (co-option génétique et évolution d'innovations) reprenait une partie de ses découvertes phares dans le domaine de l'évolution des séquences régulatrices à l'origine d'innovations morphologiques. Son principal sujet d'étude sont les motifs pigmentaires des ailes d'insectes, et notamment les mouches du vinaigre du genre Drosophila. L'image ci-dessous qui a fait la couverture de Nature, illustre des motifs pigmentaires sur l'aile gauche, et sur l'aile droite, les travaux de biologie moléculaire révélant les gènes responsables de ces motifs:
Voici la photo originelle de cette mouche, Drosophila guttifera:
Par comparaison, les ailes de D. guttifera sont franchement plus trendy que les sobres motifs présents sur les ailes de l'espèce de mouche du vinaigre classique, D. melanogaster.
A vrai dire, on trouve des motifs assez différents en fonction des espèces de drosophiles étudiés, comme le montre la figure ci-dessous:
Une des prouesses du travail de l'équipe de Sean Carroll a été de révéler quelles sont les séquences d'ADN qui codent pour le déploiement de gènes pigmentaires dans l'aile de D. guttifera. Ces séquences d'ADN, qu'on appelle séquences régulatrices, sont souvent des séquences qu'on ne trouve pas dans les régions de l'ADN qui codent des protéines, mais au contraire dans des séquences qui les flanquent plus ou moins loin, et qui vont être les cibles de divers facteurs capables de moduler la production de protéines d'un gène. Généralement, ces facteurs sont des facteurs de transcription car, en se fixant sur ces séquences régulatrices, ils régulent la transcription (le passage de certaines séquences d'ADN en ARN) de gènes (en activant ou réprimant la transcription). Pour le cas des petites tâches apparaissant sur l'aile de D. guttifera, 2 séquences régulatrices ont été mises à jour expliquant d'une part les tâches bien sombre, et d'autre part les taches plus grisées (révélées en vert et rouge respectivement dans la figure ci-dessous):
Ce qui a été encore plus fort, c'est de révéler quel facteur de transcription était capable de reconnaitre ces séquences cibles, et de comprendre l'évolution de son association avec la pigmentation des veines. Pour vous la faire courte, il s'avère que le facteur de transcription concerné, wingless, n'était pas ancestralement associé avec la pigmentation chez les drosophiles (il est déployé par exemple dans l'aile de D. melanogaster sans que sa présence entraine l'accumulation de pigments - wingless étant un facteur avec tout plein de rôles dans le développement). Ce qu'à montré l'équipe, c'est qu'au cours de l'évolution de la lignée à laquelle appartient D. guttifera, wingless a été co-opté pour accumuler des pigments là où il était présent dans les ailes. Puis chez D. guttifera, c'est la présence de wingless dans les ailes qui s'est diversifié, entrainant l'accumulation de pigments selon des motifs complètements nouveaux: de la co-option et de l'innovation donc!
Durant sa présentation, Sean Carroll a parlé de ce concept d'innovation en affirmant que ses travaux montrent comment de l'innovation peut émerger au cours de l'évolution, sans nécessairement passer par la duplication de gènes (un modèle classique expliquant l'émergence d'innovation: une fois dupliqués, l'une des copies peut plus facilement acquérir de nouvelles fonctions sans foutre le souk durant le développement et la vie d'un organisme). Les gènes étudiés par Sean Carroll semblent plutôt accumuler des petits 'hobbies', des activités en dehors de leur boulot principal, qui peut prendre soudainement de l'importance dans un contexte particulier.
Cette histoire principale durant la présentation de ces travaux s'est conclu par de nouvelles perspectives… clairement là où on l'attendait pas. En effet, après avoir passé la très grande majorité de sa carrière à disséquer les séquences régulatrices responsables de la pigmentation des ailes de mouches et de papillons, Sean Carroll a annoncé qu'il allait maintenant se concentrer sur l'évolution des poisons de serpents à sonnettes!
Connaissant le bonhomme, il y a fort à parier que ces études révèleront de fantastiques découvertes sur les mécanismes de l'évolution.
La seconde intervenante, Neelima Sinha, est spécialiste dans un domaine bien trop peu présenté quand on parle d'evo-devo: l'evo-devo des plantes! En effet, le développement concerne tous les organismes multicellulaires puisqu'il décrit leur passage de fusion de gamètes jusqu'à la formation d'un organisme adulte capable de se reproduire. On peut donc faire de l'evo-devo chez les animaux, les plantes, mais aussi chez la plupart des champignons, des algues, etc!
Parmi les plantes, Neelima Sinha s'est surtout intéressée aux tomates et plus particulièrement aux formes de leurs feuilles. En effet, il existe plusieurs espèces de tomates et chacune ont des formes de feuilles assez différentes, surtout chez les tomates de Galapagos:
Les recherches menées dans son équipe s'attachent à expliquer quels sont les réseaux génétiques responsables de l'augmentation de la complexité.
A l'inverse de Sean Carroll qui va s'intéresser au déploiement d'un gène pour expliquer l'émergence d'un caractère, la démarche de Neelima Sinha est beaucoup globale puisqu'elle va comparer le déploiement de tous les gènes impliqués dans la formation des feuilles chez différentes espèces (on parle d'études transcriptomiques car tous les gènes transcrits - c'est à dire activés - sont analysés en même temps). Ici, les changements à l'origine d'une innovation évolutive sont perçus globalement (on est finalement pas capable de dire quel est le gène responsable de tel ou tel aspect de la forme des feuilles). L'avantage c'est qu'on se rend compte des changements globaux qui s'opèrent quand les feuilles ont différentes formes.
Son travail permet aussi d'étudier des phénomènes assez intrigants, comme par exemple les changements transcriptomiques chez une plante qui change de forme de feuille en fonction de son environnement! Ouaip, ça existe! C'est le cas par exemple de Rorippa aquatica, une plante dont les feuilles changent de formes selon que la plante soit immergée ou non:
Neelima Sinha a donc révélé la multitude de facteurs qui peuvent entrainer des variations de morphologies des feuilles entre espèces mais aussi chez la même espèce et s'attachera donc à révéler pour chacun, leurs différences transcriptomiques globales après une caractérisation précise de ces différences morphologiques.
Pourquoi tant se casser la tête avec les feuilles? Et bien c'est loin d'être trivial car la feuille, pour de nombreux botaniste, constitue l'unité du plan d'organisation des plantes. Pétales, Sépales, Tiges, Ecailles, Etamines, Pistils… Tout semble n'être que feuille modifiée. Pour clore sa présentation, Neelima Sinha a naturellement cité Johann von Goethe qui a écrit dans son Voyage en Italie:
J'avais eu la révélation que, dans cet organe de la plante que nous avons d'ordinaire l'habitude d'appeler feuille, se trouvait caché le véritable Protée capable de se dissimuler et de se manifester dans toutes les configurations. La plante n'est toujours que feuille, à tous les stades de son développement, unie au germe future de si indissociable manière que l'on ne peut pas penser l'une sans l'autre.
Pour compiler ces deux keynote, je vous propose un petit Storify des familles: un système de micro-blogging qui permet de compiler tweets, images, références d'articles, liens etc. et qui vous permettra de vous rendre compte de ce qui s'est dit pendant ces conférences. Loin d'être idéal, c'est un format tout de même bien plus intéressant qu'un aride résumé de conférence:
1 De Anonymous blog - 13/08/2015, 14:08
PanAm #EvoDevo15 – Keynote talks | C@f&ea...
(…)
2 De Simon - 27/08/2015, 16:00
Article funky bien sûr.