Strange Animals

Histoires d'animaux à dormir debout

Songe d'une Nuit de Podcast, Affiche par Puyo
(Retranscription de la chronique réalisée pour “Songe d’une Nuit de Podcast”, l’émission radio-dessinée de Podcast Science, n°349, enregistrée au Planétarium du Palais de la Découverte et dont le thème était la nuit)


Aussi surprenant que cela puisse paraitre pour un hyperproductif comme moi, j’adore dormir. Certes, je ne ressens peut être pas le besoin de dormir comme tout un chacun (4 à 5 h de sommeil me suffisent généralement), mais j’aime pioncer, et j’avoue que les rares fois où je réfléchis à l’origine de ce plaisir, je me retrouve face à un paradoxe : en quoi ne rien faire est-il attrayant ? Et ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est que dormir semble être une inactivité assez irrépressible et répandue dans le règne animal. Enfilez donc vos pyjamas car une enquête évolutive s’impose!

Commençons par les suspects. Parmi les animaux adeptes du roupillon, on peut noter les humains, les chats, les chiens, les chats, les chevaux, les chats, les oiseaux … mais n’oublions surtout pas les chats.

Histoires d'animaux à dormir debout

Ah je sais pas vous, mais moi ça me donne déjà envie de bailler cette chronique! Dans le planétarium, c’est un peu dangereux et j’espère qu’on va pas entendre trop de ronflements...
Tiens en parlant de ronflements, je ne résiste pas à l’envie de vous partager cet enregistrement d’un colibri (les lecteurs de SSAFT reconnaitront cette vidéo apparue dans l’article Colibris, Umami et Sucreries).
 


C’est mignon comme ronflement hein? Sauf que, pour le coup, c’est pas vraiment un ronflement et ça va nous servir de mise en garde contre les méfaits de l’anthropomorphisme, cette tendance à attribuer aux animaux des réactions typiquement humaines. Ce qu’on entendait ici, c’est le son d’un colibri qui sortait de sa torpeur, une sorte d’état quotidien proche de l’hibernation et qui permet au colibri de faire chuter drastiquement sa température interne (de 40 à 18°C), mais aussi faire chuter les battements de son cœur et sa consommation d'oxygène.


Donc ce n’était pas le bruit d’un colibri qui dort, mais celui qu’il fait quand il se réveille. En plus il se réveille d’un état qui n’est pas complètement analogue au sommeil. Ainsi faut-il se méfier de la surinterprétation quand nous essayons de déterminer si un animal pionce ou non. N'associons pas NOS attitudes propre au sommeil à leur sommeil

Ainsi, après des heures d’attentives observations, des zoologues ont déterminé que les girafes peuvent se contenter de ne somnoler que 30 minutes par jour en s’installant sur leurs pattes repliées et en utilisant leur popotin comme coussin.

Girafes qui dorment
Niveau position chelou, c’est pas mal, mais notons aussi la participation des chevaux qui peuvent dormir debout…

Cheval fait dodo
des morses qui peuvent dormir en flottant…

morses qui dorment en flottant
…et des chauve-souris qui dorment la tête en bas.

23SQ
Certains animaux, comme les dauphins ou les martinets, ne peuvent pas s’offrir de sommeil complet, au risque de se noyer ou de piquer littéralement du nez, et pratiquent ainsi l’hémi-sommeil, ne reposant qu’un seul de leurs hémisphères cérébraux à la fois.

Oiseau en hémi-sommeilDauphin en Hémi-sommeil
Le sommeil unihémisphérique fait que dauphins et oiseaux concernés, ferment un seul oeil pendant leur ronflette où ils continuent à nager et voler.

Mais comment détermine-t-on que ces animaux dorment? Et bien en étudiant l'activité du cerveau, pardi! On pourrait penser qu’être nerveux est déconseillé pour dormir, mais, sachant qu’au sens littéral du terme, être “nerveux” signifie être “composé de cellules nerveuses”, et bien il semble que posséder des neurones est un prérequis pour tomber dans les bras de morphée. En effet, c’est en étudiant l’activité du cerveau de ces animaux que l’on peut récolter des indices assez clairs concernant leur état d’éveil ou de sommeil. La chose se complique quand on commence à s’intéresser à des animaux comme des cafards, des mouches ou des abeilles. Un spécialiste des insectes aura beau vous assurer que voir un insecte immobile, les antennes tombantes et les pattes repliées vous permet d’identifier un état de sommeil, vous allez probablement réclamer plus de preuves.

Les antennes tombantes d'un insecte qui dort
C’est face à ce genre de défi que des chercheurs ont proposé de donner des caractéristiques essentielles au sommeil. Aussi, aujourd’hui, on s’accorde à définir 3 éléments clés de cet état physiologique:

  • L’activité physique et physiologique pendant cet état est restreint

  • La vitesse de réponse à un stimuli externe est altérée quand l’animal est plongé dans cet état

  • Si on prive l’animal de cet état, il fonctionne moins bien et aura besoin de passer plus de temps dans cet état pour compenser le manque, preuve que cet état est nécessaire au bon fonctionnement de l’animal

Ces propriétés du sommeil ont l’avantage d’être évaluables à travers des protocoles expérimentaux, même si les mettre en place pour des humains doit être bien plus facile que pour des abeilles par exemple.

Et pourtant, une équipe de valeureux chercheurs d’une université Texane a passé plusieurs années à déterminer les effets de l’insomnie chez des abeilles domestiques. Un des défis de leurs travaux a été justement de concevoir un appareil permettant de maintenir des abeilles éveillées. Pour mener à bien ce projet, toutes les abeilles d’une ruche sont étiquetées à l’aide de petits disques, soit en acier, soit en cuivre. Ensuite des aimants vibrants sont placés face à la ruche. Cette machine porte le nom adéquat d’Insominator!

InsominatorInsominator
Seules les abeilles équipées d’un disque d’acier seront donc régulièrement secouées pendant leur sommeil, et leur compétences de communications sont ensuite évaluées. Car oui, les abeilles communiquent entre elles, notamment pour s’indiquer de bons coins à butiner, et elles le font à l’aide de danses assez rythmées où leurs mouvements de popotins et l’angle qu’elles choisissent sur la piste de danse indiquent la position du pollen à récolter aux abeilles qui suivent le pas. Après un traitement vigoureux à l’Insominator, les effets sont particulièrement intéressants: non seulement les abeilles groggy qui dansent, le font mal et indiquent une direction plus qu’approximative, mais les abeilles groggy qui suivent la danse comprennent moins bien la destination communiquée.

Danse d'une abeille groggy de sommeil
En somme (ha ha ha), si vous privez une abeille de sommeil, celle-ci communique moins bien (pour transmettre ou recevoir le message) et aura besoin d’un certain temps pour s’en remettre. Troublantes ressemblances avec les humains et on pense même que les neurones des abeilles sont sensibles à l’action de certaines substances qui ont un effet chez nous, substances comme la caféine et les somnifères.

Parmi ces substances, il y en a une qui joue un rôle prépondérant dans la régulation du sommeil : la mélatonine, une hormone qui est produite toutes les nuits, dans chacun de nos cerveaux. Si vous lisez ceci dans l’obscurité, vous êtes peut être même en train d’en produire maintenant puisque sa synthèse est tributaire de l’absence de lumière perçue par nos organismes. Comprenez : on en fabrique plus quand il fait noir.

Mélatonine
C’est pour cela que plutôt que de parler d’hormone du sommeil, la plupart des experts sur le sujet préfèrent considérer la mélatonine comme l’hormone des ténèbres. Particulièrement pratique lorsque votre corps essaye de synchroniser son horloge interne avec les périodes de jour et de nuit de son environnement. C’est notamment la balance de mélatonine dans notre cerveau qui est à rééquilibrer lorsque nous faisons l’expérience du jet-lag après un voyage aux antipodes. Si le sujet vous intéresse, je vous recommande l’écoute de l’épisode 154 de Podcast Science, mystérieusement intitulé Nycthémère (mais c’est pas du tout grossier en fait).

Si on connaît bien le rôle et les modalités de synthèse de la mélatonine chez les humains, les mammifères, voire chez tous les vertébrés, son fonctionnement est plus difficile à comprendre chez le reste des animaux : les insectes, les vers… les gluants quoi. Récemment, une équipe du laboratoire européen de biologie moléculaire, l’EMBL, à Heidelberg, à élucidé le rôle de la mélatonine chez la larve d’un ver marin (Platynereis dumerilii pour les assidus lecteurs de SSAFT), qui fait partie de l’incroyable biomasse du zooplancton océanique.

Larve de 48h de Platynereis dumerilii
Grâce à eux, on sait maintenant que le cerveau de cette petite larve sécrète de la mélatonine via des neurones sensibles à la lumière. Ces neurones sont en effet inhibés lorsqu’ils sont illuminés et arrêtent leur production de mélatonine. Or, chez cette larve, la mélatonine diminue l’efficacité de la nage, ce qui a pour effet de la ralentir et la faire couler dans l’eau.

Résumé graphique de l'étude Melatonin Signaling Controls Circadian Swimming Behavior in Marine Zooplankton
Résultat chaque jour la larve remonte péniblement vers la surface de l’eau, ce qui lui prend toute la journée et lui fait gagner la surface uniquement au crépuscule. Dans la pénombre, peu de temps après, elle se met à retomber profondément vers les abysses. Emerger du sommeil, retomber dedans, : certes, on y voit un parallèle lexical à notre manière de nous activer le jour et sombrer la nuit, mais à quoi peut bien servir ces va et vient dans la flotte? Et bien de jour, entre les prédateurs qui abondent et les rayons UVs mortels du soleil, la surface de l’océan est un milieu très dangereux pour les fragiles organismes planctoniques. Mieux vaut rejoindre la surface au crépuscule et retomber lentement la nuit. C’est une stratégie qui est adoptée par tant d’organismes dans les mers, que cela crée de véritables migrations verticales quotidiennes qui déplacent une quantité inconcevable de biomasse et rythme la vie dans les océans. Sachant que la vie animale est sans nul doute apparue dans les mers, et que plus de 700 millions d’années d’évolution nous séparent de cette petite larve planctonique, la découverte d’un rôle ancestral probablement pacificateur de la mélatonine semble révéler ses origines ténébreuses et aquatiques, de quoi nous faire réfléchir la prochaine fois que l’on voudra plonger dans le sommeil.

Mais aussi éloignées évolutivement qu’ils soient, la larve d’un ver marin et un humain partagent un organe qui semble crucial pour s’offrir une ronflette: le cerveau. Cela amène immédiatement à se demander si cet organe est nécessaire au sommeil et des chercheurs se sont donc mis à la recherche de roupillons d’animaux sans cervelles. Pourquoi pas commencer en étudiant par exemple l’activité d’une méduse, qui n’a ni tête ni système nerveux central.

Cassiopea tressautant
Une équipe de Caltech a choisi une méduse assez loufoque, Cassiopea (Claire nous en parlait justement lors du compte rendu de sa visite de l’aquarium de La Rochelle), qui a l’habitude saugrenue de ne pas beaucoup nager et de plutôt passer son temps déposée sur le sol marin, la cloche orientée vers le bas et les tentacules vers le ciel. Non seulement ses tentacules garnis de symbiotes chlorophylliens sont ainsi correctement orientés vers la lumière, mais elle tressaute aussi régulièrement pour amener des proies vers ses tentacules et sa bouche. A l’instar des études sur le dodo des abeilles, les chercheurs de Caltech ont révélé que l’activité de cette méduse suit un rythme quotidien (la méduse tressaute moins la nuit), mais aussi qu’il est possible de filer des insomnies à des méduses (en les perturbant à l’aide d’un violent jet d’eau toutes les 20 minutes) et qu’elles fonctionnent alors moins bien le lendemain, ayant ensuite besoin de plus de repos pour compenser cette perturbation.

Ca en fait beaucoup des animaux qui ronflent, et nombreux sont les scientifiques qui semblent convaincus qu’il s’agit d’une caractéristique ancestrale des animaux. Et alors quoi, le sommeil pourrait concerner finalement tout le monde vivant? Et bien figurez-vous qu’il s’agit là de la question que nous, Podcast Science, vous posons, public, car le fameux cuizz du mois est le suivant : “Les plantes dorment la nuit : info ou intox”. En attendant vos propositions que vous pouvez nous soumettre via notre site, podcastscience.fm, je vous invite à prendre le temps de la réflexion pour nous répondre, au moins une nuit, qui je l’espère, vous portera conseil.

Bonne Nuit Les Petits

Liens:
Article National Geographic
Article Mother Board
Article AskAScientist
Article New Scientist
Article Nautil.Us
Article Université du Texas
Article New York Times (Carl Zimmer)
Article Science News
Article Seeker
Article Scientific American
Article HHMI
Article ScienceMag
Article Nature News
Article Discover Magazine

Références:

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Ly, S., Pack, A. I., & Naidoo, N. (2018). The neurobiological basis of sleep: Insights from Drosophila. Neurosci Biobehav Rev, 87, 67-86. doi: 10.1016/j.neubiorev.2018.01.015
Helfrich-Forster, C. (2018). Sleep in Insects. Annu Rev Entomol, 63, 69-86. doi: 10.1146/annurev-ento-020117-043201
Blum, I. D., Bell, B., & Wu, M. N. (2018). Time for Bed: Genetic Mechanisms Mediating the Circadian Regulation of Sleep. Trends Genet, 34(5), 379-388. doi: 10.1016/j.tig.2018.01.001
Tosches, M. A., Bucher, D., Vopalensky, P., & Arendt, D. (2014). Melatonin signaling controls circadian swimming behavior in marine zooplankton. Cell, 159(1), 46-57. doi: 10.1016/j.cell.2014.07.042
Nath, R. D., Bedbrook, C. N., Abrams, M. J., Basinger, T., Bois, J. S., Prober, D. A., . . . Goentoro, L. (2017). The Jellyfish Cassiopea Exhibits a Sleep-like State. Curr Biol, 27(19), 2984-2990 e2983. doi: 10.1016/j.cub.2017.08.014
Siegel, J. M. (2008). Do all animals sleep? Trends Neurosci, 31(4), 208-213. doi: 10.1016/j.tins.2008.02.001

Bonus, les dessins réalisés par Phiip, Valentine, Lucie, Mel et Adrien:

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