Science

Fouets et Collerettes : les renversants Choanoflagellés

Diaphanoeca grandis

Chronique préparée pour la Méthode Scientifique du 25/10/2019

Bien qu’il existe de nombreuses lignées d’organismes multicellulaires, comme les plantes, les champignons ou encore certaines algues, le titre de « cousin le plus proche des animaux » revient à une lignée d’être vivants unicellulaires : les choanoflagellés. Et c’est une photo d’un joli groupe de choanoflagellés, signée Thibaut Brunet, qui a fait la couverture du journal Science, ce 18 octobre.

Couverture Science 18 Oct 2019
En effet, un article dans cette parution traite de ces mystérieux organismes mais avant de parler de cette étude, un brin de contextualisation semble nécessaire.

Les choanoflagellés constituent un groupe de microscopiques organismes aquatiques unicellulaires qui peuvent vivre indépendamment...

Chonoflagellé unique
ou en groupe, en formant des colonies.

Colonie de choanoflagellés
Ils doivent leurs noms à deux structures qui les caractérisent à commencer par une sorte de collerette (en grec choanos signifie collerette ou entonnoir) et un flagelle, une sorte de fouet cellulaire qui sert souvent à la locomotion (c’est le fameux flagelle des spermatozoïdes qui constituent leurs queues et leurs permettent de se déplacer). D’ailleurs un bon moyen de se représenter l’apparence d’un choanoflagellé, c’est tout simplement de visualiser un spermatozoïde portant une collerette de la renaissance dirigée vers le flagelle. Chez les choanoflagellés, les flagelles servent cependant surtout à créer des flux d’eau pour capturer leurs proies dans leur collerette, sachant qu’ils sont surtout friands de petites bactéries.

Pourquoi sont-ils intéressants ? Malgré la simplicité de leur apparence, les choanoflagellés sont devenus des stars dans les laboratoires évolutifs car, du fait de leur cousinage avec les animaux, ils peuvent permettre de révéler l’histoire évolutive de notre lignée. C'est la même idée que les études sur les chimpanzés pour mieux comprendre les caractéristiques des humains.

Alors qu’elle effectuait un inventaire de la biodiversité sur l’île caribéenne de Curaçao, une équipe de recherche de l’université Californienne de Berkeley a découvert une colonie de choanoflagellés dont ils n’arrivaient pas à identifier l’espèce.

L'équipe de Nicole King à la recherche de Choanoflagellés sur l'île de Curaçao
L’équipe de biologistes, dirigée par Nicole King, est à vrai dire spécialisée dans l’étude des choanoflagellés, et était en quête de telles découvertes de nouveaux spécimens. Après une minutieuse identification et une batterie de tests moléculaires, il s’est avéré qu’il s’agissait bel et bien d’une nouvelle espèce qui s’organise en colonies d’individus. Collectivement, ils forment spontanément des cuvettes de près de 100 individus répartis uniformément en une couche unique de cellules. Les flagelles de chaque individu battent alors vers le centre de la cuvette.

Mais ce qui a frappé l’équipe de Nicole King, c’est que spontanément, les colonies de cette nouvelle espèce pouvaient brusquement se retourner comme des chaussettes et donc présenter leurs flagelles vers l’extérieur de la cuvette pendant quelques minutes, avant que la colonie rétablisse sa forme d’origine.

Inversion de colonie de Choanoeca flexa, T. Brunet et al/Science 2019

Personnellement, ça m’a immédiatement fait penser à ces jouets qui ont fait fureur dans les cours de récré des écoles de ma génération : les puces sauteuses, des sortes d’hémisphères en caoutchouc mou, qu’on retournait et qui sautait au moment où le jouet reprenait sa forme initiale.




Mais l’équipe de Berkeley a fait fi de cette ressemblance évidente et a préféré donner le nom de Choanoeca flexa à cette nouvelle espèce, en référence à l’apparente flexibilité de ces colonies.

Ce retournement de colonies de choanoflagellés a cependant bien plus d’intérêt que de fournir l’inspiration pour un nom d’une nouvelle espèce. Cette découverte pourrait permettre de comprendre comment nous, animaux, cousins de ces espèces, avons évolué pour réaliser des mouvements cellulaires coordonnés. Ces mouvements sont un phénomène essentiel car : lorsque vos cœurs battent, lorsque vous fléchissez vos muscles lorsque vous froncez vos sourcils, vous sollicitez le mouvement coordonné de tissus de milliers de cellules. Nous avons tous commencé notre vie en exploitant ce phénomène car l’embryogenèse et plus particulièrement la morphogenèse nécessite de pouvoir organiser des hordes de cellules en tissus, organes et structures minutieusement agencés les unes par rapport aux autres.

Ce que propose donc cette équipe de recherche californienne, c’est de trouver les pistes de l’histoire évolutive des mouvements tissulaires des animaux en étudiant minutieusement les mécanismes en vigueur chez ces colonies de choanoflagellés. Tout d’abord, il s’est avéré que cette inversion de forme des colonies a lieu en réponse à une absence de lumière, que celle-ci est perçue grâce à une famille de protéines sensibles à la lumière appelées les rhodopsines et que celles-ci fonctionnent uniquement si les individus de la colonie ingèrent suffisamment de carotène. L’équipe de chercheurs a pu même confirmer le rôle de ces protéines en observant des retournements de colonies après l’utilisation de molécules pharmacologiques comme… de la caféine.

Schéma d'inversion de colonie de Choanoeca flexa, T. Brunet et al/Science 2019
L’équipe de Nicole King a ensuite découvert l’intérêt des deux conformations des colonies de Choanoeca flexa : la forme en coupe avec les flagelles internes est peu mobile, mais particulièrement efficace pour collecter des proies à manger, alors que la topologie inversée, tous flagelles dehors, permet de rendre la colonie très mobile, mais peu efficace pour se nourrir.

Deux conformations de colonies de Choanoeca flexa
Cette dernière conformation étant déclenchée par l’absence de lumière, on comprend rapidement que les colonies vont donc nager systématiquement lorsqu’elles sont plongées dans l’obscurité (probablement due à l’ombre d’un prédateur) et reprendre leur forme relâchée, une fois revenue sous une source lumineuse.

Film accéléré de l'inversion des colonies de Choanoeca flexa

Ce qui reste le plus surprenant dans l’étude de ces colonies, c’est ce qui a accompagné la caractérisation des mécanismes moléculaires qui gouvernent la déformation de chaque cellule. Il semble en effet que les cellules de Choanoeca flexa emploient les mêmes types de protéines que les animaux exploitent pour contracter leurs tissus. La découverte de tels mécanismes chez nos cousins les plus proches suggère donc que cette capacité existait avant l’apparition des animaux.

Ce que je trouve fascinant c’est surtout à quel point cette étude dépend de la curiosité de l’équipe de Nicole King qui, avec bien d'autres, s’attache à caractériser la biodiversité de notre planète, même si elle est microscopique et cachée dans des petites flaques sur des îles caribéennes… Qui sait dans quel recoin de la biodiversité se cache une prochaine découverte renversante qui retournera nos idées préconçues sur l’histoire évolutive de notre propre lignée.

Liens :

Acrobatic choanoflagellates could help explain how multicellularity evolved. Science News.

Newly discovered microbes band together, 'flip out'. HHMI.
Merci à Pikup pour le lien vers la vidéo de la puce géante

Références :
Brunet, T., Larson, B. T., Linden, T. A., Vermeij, M. J. A., McDonald, K., & King, N. (2019). Light-regulated collective contractility in a multicellular choanoflagellate. Science, 366(6463), 326334. https://doi.org/10.1126/science.aay2346
King, N. (2005). Choanoflagellates. Current Biology, 15(4), R113R114. https://doi.org/10.1016/j.cub.2005.02.004
Tomancak, P. (2019). Evolutionary history of tissue bending. Science, 366(6463), 300301. https://doi.org/10.1126/science.aaz1289

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