Freaky Friday Parasite

[Freaky Friday Parasite] L'attaque des moules parasites!

Dans le genre titre de film de série Z, on avait déjà tapé fort avec L'attaque du poisson blob... Comment résister à la surenchère lorsque je suis tombé sur la description des moules parasites! Et comme sous-titre, je verrai bien:

Vous ne regarderez plus jamais les moules de la même façon...

Une petite introduction sur ces mollusques s'impose: les moules désignent en fait plusieurs familles cousines appartenant au gigantesque groupe des bivalves chez qui on retrouve notamment les huitres et les coquilles Saint-Jacques (j'ai faim, c'est difficile de continuer à écrire!). Première information qui est susceptible de vous surprendre, une de ces familles est exclusivement composée de bivalves d'eau douce (dulçaquicoles donc, pour ceux qui ont déjà appris ce mot à cette occasion). Il s'agit de la famille des unionoïdes.

Exemple d'une moule perlière
Ces moules, qui sont le plus souvent perlières, ont pullulé dans les rivières et les lacs de presque tous les continents même si aujourd'hui elles sont menacées par d'autres moules invasives comme la moule zébrée (ça ne s'invente pas...) ou par la pollution. C'est vraiment bien dommage parce que ces moules, je n'ai pas peur de le dire, sont fascinantes! Pour être plus précis, c'est leur cycle de vie qui en fait des organismes vraiment hors du commun. En effet, les moules sont d'ordinaire bien fixées sur leur support et la prolifération de moule à un endroit donné génère une compétition farouche pour se nourrir. Un moyen de pallier à ce problème est la dissémination, et chez les unionoïdes les mécanismes de dispersion ont atteint des niveaux de complexité sans pareil. Mais ne brûlons pas les étapes. Le cycle de vie commence avec la libération de gamètes: les moules d'eau douce ont une reproduction sexuée avec des individus mâles et femelles bien distincts. Le fait que mâles et femelles puissent être fixés à des endroits différents a entraîné l'émergence de mécanismes incroyables pour assurer la reproduction. Les mâles, après avoir perçu la présence de femelles qui ont sécrété une hormone lorsqu'elles sont fertiles, vont éjecter leurs spermatozoïdes dans l'eau, mais pas n'importe comment: sous forme de boules de sperme (spermatozeugmata) à la surface desquelles les spermatozoïdes sont en fait collés les uns aux autres et battent frénétiquement de leurs flagelles pour faire avancer l'édifice. Voici une petite vidéo des spermatozeugmata de l'espèce Anodonta suborbiculata


Les moules femelles vont ensuite filtrer l'eau (c'est ce qu'elles font tout le temps pour se nourrir) et récolter les spermatozoïdes qui vont fertiliser les œufs. Une fois fécondés, ces œufs viennent mûrir dans des branchies modifiées de la femelle appelées les branchies marsupiales. Les embryons se transforment peu à peu en larves appelées glochidia (et ce sont ces larves qui vont parasiter quelques poissons trop gourmands...). Avouez que quand vous pensez à des moules, vous avez rarement en tête ce genre d'horreur:

 
Larves de type glochidium au microscope optique



Larve de type glochidium au microscope électronique à balayage


Schéma de larve de type glochidium

Le rôle de cette morphologie fortement spécialisée est très simple: à la première opportunité, les larves, une fois écloses, vont chercher à se refermer sur un support nutritif. Et quoi de plus idéal alors que les branchies de poissons! Elles vont, d'une part, offrir aux larves du sang gorgé de nutriments, et d'autre part, permettre un essaimage des juvéniles et permettre alors de les éloigner de leurs parents.



Chaque glochidium va être enkysté à la surface des branchies. La plupart des espèces d'unionoïdes sont spécifiques à une espèce de poisson (l'enkystement ne se fait pas dans d'autres espèces) et ont donc établi une relation très étroite de parasitage avec leur hôte. C'est en cela que le cycle de vie des unionoïdes est unique:

Il reste cependant un problème à résoudre pour que le parasitage puisse avoir lieu: les glochidia ne savent pas nager et les moules d'eau douce ont donc dû bénéficier d'innovations évolutives pour établir des stratégies afin d'asperger les poissons de leurs larves. C'est maintenant qu'on rentre dans de la véritable science-fiction! C'est un véritable festival d'ingéniosité que nous offrent les unionoïdes, un peu comme l'armada végétale que nous a décrit Vran.
Il y a tout d'abord le piège à poisson: la moule femelle se referme sur la gueule d’un poisson trop curieux. La bouche du poisson est alors en contact direct avec les branchies marsupiales de la femelle qui relarguent des bataillons de glochidia. Le poisson est contraint d’avaler ces larves qui passent de la bouche du poisson vers les branchies sur lesquelles elles viennent se fixer. Au bout d’un moment, la femelle lâche prise et le poisson, un peu sonné, s’enfuit, les branchies garnies de larves de moules.

Capture d’un fouille-roche zébré par la moule Epioblasma triquetra

Quand on filme la capture en accéléré on s’aperçoit que la moule pompe activement ses larves dans la bouche de ce fouille-roche zébré…


Ce qui rend ce phénomène encore plus fascinant, c’est que la force de la capture est dosée pour sélectionner l’hôte parfait pour les glochidia d’Epiobasma triquetra: une espèce de poisson au crâne plus fragile sera tuée sur le coup, et une espèce plus robuste se détachera plus facilement.Une autre espèce de moule, Epioblasma torulosa, utilise le même principe, mais elle utilise un accessoire qui rend le processus encore plus perverse: des coussins qui étouffent la proie. Le poisson va commencer à suffoquer puis, lorsqu’il sera relâché, il devra reprendre son “souffle” et c’est à ce moment que la moule l’aspergera tranquillement de ses bébés…

Vous commencez à comprendre en quoi ces moules sont incroyables? Vous inquiétez pas sinon, elles ont encore pleines de ressources pour vous épater!

Comment rester stoïques par exemple lorsque certaines d’entre elles présentent une extension de leur manteau (l’épiderme qui sécrète la coquille) qui ressemble à des proies comme des poissons ou des écrevisses! Incroyable je vous dis…

Une partie du manteau de Lampsilis reeveiana ressemble à un poisson

 

Quand les lèvres du manteau s’écartent, on aperçoit les branchies marsupiales garnies de glochidia

Le manteau de Villosa iris ressemble à une écrevisse

 

 

Le principe est simple: le poisson-hôte se jette sur ce leurre et Perdu! il croque dans un sac de glochidia qui envahissent ses branchies…

 

Lampsilis perovalis est allé encore plus loin dans la technique du leurre. Cette fois-ci, l’ensemble du manteau externe (qui a toujours l’apparence d’un poisson) se détache partiellement du reste de la mère, uniquement relié à elle par un très long filament gélatineux. Résultat: le leurre est agité par le courant et ressemble à un poisson en train de nager.

Comme d’'habitude pour un leurre: plus on s’approche, moins on est berné…

D’autres espèces de moules d’eau douce sécrètent une gangue autour des glochidia pour former des sacs qu’on appelle des ovisacs. La femelle les expulsent lorsque les glochidia à l’intérieur sont matures, mais pour que celles-ci se fixent sur les branchies de poissons, il faut que ces victimes dévorent les ovisacs. Ce qui peut rendre ces ovisacs plus appétissants, c’est quand ils sont par exemple composés partiellement d’œufs non fécondés riches en nutriments. C’est le côté le plus sympa de ce genre de leurre que produit Fusconaia: une sorte de cadeau empoisonné.

ovisacs appétissants de Fusconaia

Les œufs non fécondés sont opaques et ceux qui sont fécondés sont légèrement translucides en périphérie et très sombres au centre.

La couleur de l’ovisac varie selon les individus

Encore une fois, à partir d’un processus simple (même si là on est déjà dans le très très subtile) l’évolution peut mener à des summums de complexité. Ainsi, les ovisacs de Ptychobranchus occidentalis et Ptychobranchus subtentum ressemblent respectivement à des poissons et à des … pupes de mouches noires (Simuliidae). Ces ovisacs sont accompagné d’une sorte de fil gélatineux qui, à l’instar de l‘exemple précédent de Lampsilis perovalis, permet à l’édifice de se coller à un substrat et agiter l’extrémité de l’ovisac dans le courant de la rivière.

Ceci n’est pas un poisson mais bien un ovisac

Quand l’ovisac se rupture, les glochidia sortent prêtes à l’attaque!

Les poissons hôtes semblent assez friands de ce à quoi ressemble ces ovisacs

En effet, les poissons, d’ordinaires très méfiants, n’y voient que du feu. Pourtant, d’après la vidéo qui suit, ces leurres ne semblent pas du tout à leurs goûts.

Chez Ptychobranchus subtentum, l’ovisac ressemble à la pupe d’une mouche noire:

 Voici l’ovisac de Ptychobranchus subtentum

Et voici diverses photos et schémas de véritables pupes de mouches noires

Pour celle-ci, je vous laisse juger: pupe ou ovisac?

Allez, une dernière technique incroyable pour finir. Certaines de ces moules utilisent un mécanisme encore différent, celui du filet. Strophitus undulatus pond des œufs qui s’agglutinent les uns aux autre pour former des sortes de fils. Lorsque ceux ci sont relâchés, ils s’entrecroisent pour former une réseau. Chaque œuf va alors éclore et les glochidia vont rester accrochées à la surface des œufs. L’ensemble prend l’apparence d’un réseau de fils barbelés. Qui s’y forte s’y pique: un poisson qui passe malencontreusement par là se verra recouvert de glochidia.



Si avec tout ça vous n’êtes pas convaincu que la chanson “A la pêche aux moules-moules-moules” devrait plutôt donner “Quand les moules pêchent-pêchent-pêchent”…

Liens:
Barnhart, M. C. 2008. Unio Gallery: http://unionid.missouristate.edu

Référence:
Freshwater Mussels of the Maumee River Drainage: introduction to Mussels and Species profile. (pdf1 - pdf2)

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