Espèces actuelles:
Perché en haut d’un arbre, suspendu la tête à l’envers à l’aide de ses longs bras griffus et affichant un éternel sourire benêt, le paresseux est l’un des candidats les mieux placés dans la course au trophée du plus grand n’importe quoi de la sélection naturelle (au coude à coude avec l’ornithorynque) et prouve encore une fois que l’évolution ne tend pas à la perfection. Cette étrange bestiole originaire du continent américain et appartenant au groupe des Xénarthres (qui comprend également les fourmiliers, les tatous, et était anciennement regroupé avec les pangolins et l’oryctérope dans le groupe des édentés) présente en effet plusieurs caractéristiques qui en font un animal exceptionnel.
Commençons par son épaisse fourrure gris-brun. Chez la plupart des mammifères les poils poussent « vers les extrémités » c'est-à-dire grosso-modo du dos vers le bout des pattes, ce qui permet de se protéger des intempéries en laissant ruisseler la pluie sur le sol (les militaires savent d’ailleurs qu’une coupe en brosse bien dégagée derrière les oreilles est parfaitement inefficace dans ces cas là). Chez le paresseux, la fonction de la fourrure est identique (protection contre le vent, la pluie et limitation de la déperdition thermique) seulement puisque l’animal passe le plus clair de son temps la tête en bas, sa pilosité s’est adaptée et pousse du bout des pattes vers le corps. Autre particularité, si l’humidité ambiante et l’usure du poil le permettent, la fourrure du paresseux peut accueillir des cyanobactéries (bactéries photosynthétiques) qui profitent de l’immobilité et du manque d’hygiène de leur hôte pour glaner quelques rayons de soleil à travers les feuillages. Echange de bons procédés, cette symbiose donne à la robe du paresseux une couleur verdâtre qui l’aide à se cacher des prédateurs.
(Image : Flyfisherman)
En revanche, elle ne le protège pas des parasites, une étude aurait en effet montré que la fourrure d’un seul individu peut servir de refuge simultanément à plus d’une centaine de papillons, un millier de coléoptères et une quantité colossale d’acarien, un gros squat d’arthropodes.
Extrait d’un reportage BBC wildlife
Seconde particularité, les paresseux se démarquent des autres mammifères par un métabolisme très lent (activité deux fois inférieure à celle attendue pour un animal de leur taille) et une température corporelle faible (de 23 à 32°C), conséquences d’une adaptation à la vie arboricole et à un régime alimentaire constitué majoritairement de feuilles à faible valeur énergétique. A l’instar des ruminants, l’estomac du paresseux est très large et multi-compartimenté. Chez un individu bien nourri, la masse de son contenu représente les 2/3 de celle de l’animal lui même (pour un paresseux moyen de 6kg ça fait quand même 4kg de feuilles dans le ventre, soit 10kg à porter pour la pauvre branche). Sa digestion est par ailleurs très (très) lente (1 mois voir plus, mais quand on voit la quantité de nourriture ingérée c’est compréhensible). Dernière anecdote alimentaire, les paresseux ne possèdent que 18 dents assez rudimentaires (ne présentant ni émail ni véritables racines).
On continue la liste avec un peu d’anatomie comparée. L’une des choses qui attirent le plus le regard chez le paresseux (après sa tronche de Gaston Lagaffe sous Xanax) ce sont ses longues griffes qui permettent de classer les 6 espèces actuelles en 2 groupes : les Megalonychidae « didactyles » car ne possédant que deux doigts aux pattes antérieures, et les Bradypodidae « tridactyles ». On notera également que tous les paresseux possèdent 3 doigts aux pattes postérieures. Détail amusant, un système de blocage des articulations permet aux paresseux de se maintenir accrochés aux branches sans fournir le moindre effort musculaire (sans doute analogue à celui qui permet aux chevaux de dormir debout par exemple). Il parait même qu’une fois mort, certains ne tombent pas tout de suite de leur arbre, ce qui a le don d’énerver les braconniers, et c’est bien fait pour leurs sales gueules de lopettes paramilitaires.
Mais ce n’est pas tout. Chez les vertébrés en général, le nombre de vertèbres cervicales est assez variable (14 chez la poule, 24 chez le cygne…) mais est rigoureusement fixé à 7 chez les mammifères, ainsi, une baleine, une souris et une girafe en possèdent autant l’une que l’autre et ce malgré d’évidentes différences anatomiques. Seules exceptions : les lamantins et les paresseux didactyles qui n’en possèdent 6 et leurs cousins tridactyles qui en possèdent 9. Ces derniers sont en conséquence capables de tourner leur tête à 270° et donc de regarder derrière eux ou au pied de leur arbre sans bouger le corps (toujours dans le souci d’en branler le moins possible).
Les ancêtres disparus:
Comme vous avez pu vous en rendre compte, les paresseux actuels sont des bestioles originales, sympathiques et suffisamment peu dangereuses pour que l’on puisse s’en moquer sans retenue. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les temps reculés du Pléistocène (-1.8 millions d’années / –11 000 ans), il existait plusieurs espèces de paresseux terrestres (par opposition aux arboricoles actuels) aux dimensions parfois colossales. Le plus connu d’entre eux (et aussi le plus massif) est Megatherium americanum, un monstre de 6m de long pour une masse estimée à 5 tonnes (on rigole moins tout de suite). Pour un bestiau de cette taille, hors de question de vivre perché en haut des arbres, Megatherium se déplaçait donc sur la terre ferme, les pattes avant repliées vers l’intérieur en s’appuyant sur le haut de ses griffes comme les fourmiliers actuels. Quand à sa nourriture, les hypothèses les plus vraisemblables suggèrent un régime végétarien (mais ce n’est pas non plus une certitude absolue, la mythologie Amazonienne fait par exemple mention du Mapinguari, une créature à l’apparence d’un très grand paresseux à la fourrure rouge vivant dans la forêt et se nourrissant indifféremment de feuilles ou de viande) et une technique assez particulière pour dénicher son repas. En effet, Megatherium aurait pu se servir de sa lourde queue pour se redresser sur ses pattes arrières face à un arbre relativement fin, suite à quoi il se saisirait du tronc avec ses griffes pour le tordre jusqu’à atteindre le feuillage. On ne sait pas grand chose d’autre sur cette espèce, si ce n’est qu’elle a disparu il y a environ 11 000 ans, à la fin du Pléistocène (la faute aux glaciations ou à Homo sapiens… pas de certitude mais connaissant le penchant exterminateur de ce dernier il n’y a pas non plus masses de doute).
Superbe squelette de Megatherium americanum exposé au Museum National d’Histoire Naturelle à Paris (gratuit pour les –26 ans étudiants ou non, les profs, les chômeurs… vous attendez quoi?).
Il existait également d’autres espèces de paresseux terrestres, de dimensions plus modestes (mais dépassant toujours largement les arboricoles actuels). Parmis celles-ci on trouve le genre Thalassocnus, un groupe de paresseux semi-aquatiques ou marins, dont la morphologie suggère qu’ils se nourrissaient d’algues et étaient capables de plonger et/ou de se maintenir sous l’eau (en s’accrochant au fond avec leurs griffes) pour aller les pêcher.
Squelette de Thalassocnus nature, lui aussi exposé au MNHN.
Même espèce, vision de l’esprit, en situation (image: Bill Parsons)
Références:
Les paresseux et Megatherium sur Wikipedia
Les paresseux sur Dinosoria
1 De Sirtin - 28/08/2009, 19:48
Raaaah, l'enculé ! (oups...). Il m'a devancé sur ce thème *snif, snif*.
Va falloir cogiter et trouver un autre angle.
Sinon, pas d'erreur décelé, rassuré le Taupo ?
Héhé.
2 De microsof - 06/11/2009, 09:34
Super site, en effet, les données sont intéressantes et plus variées que sur bon nombres d'autres sites dédiés aux paresseux.
Le ton donné possède juste ce qu'il faut d'impertinence pour faire sourire et les illustrations sont superbes.
Petite remarque d'une prof de bio, le corps ne s'est pas adaptés à la vie arboricole ( poils, digestion ...) mais cela a permis d'être plus performant là qu'ailleurs, d'où sont habitat. La fonction ne créé par l'organe, sinon à force, les militaires coupés en brosse auront les cheveux qui poussent dans l'autre sens pour mieux résister à la pluie !
3 De Vran - 06/11/2009, 11:22
@microsof : Petite précision d'un thésard en évolution et développement: La fonction ne crée pas l'organe, nous sommes parfaitement d'accord. J'ajouterai juste que dans ce cas précis, la fourrure "inversée" serait très désavantageuse pour un organisme non arboricole (plus précisément un organisme qui ne se tiendrait pas la tête à l'envers). J'imagine donc que la (les) mutation(s) à l'origine du changement d'orientation du poil, même si elle(s) est(sont) éventuellement survenue(s) chez les ancêtres des paresseux avant que ceux ci ne deviennent arboricoles, n'a(ont) pu être sélectionnée(s) et se répandre dans la population qu'à partir du moment où ils ont adopté ce mode de vie et cette posture originale. En ce sens, on pourrait dire que la fourrure s'est adaptée au mode de vie. Mais il est vrai que le terme "adaptation" est mal employé, c'est un malheureux abus de langage dont je m'excuse. Merci de l'avoir souligné.
4 De taupo - 28/11/2009, 18:34
Tiens tiens, en passant hier dans le magnifique Muséum d'Histoire Naturelle de NY, sur qui je suis tombé?
Sympa, non?
Et si le muséum d'histoire naturelle de Paris est gratuit pour les moins de 26 ans, le AMNH (American Museum of Natural History) propose des suggested donations pour tout le monde (1 dollar par personne en ce qui nous concerne...)
5 De Jybo - 03/02/2010, 22:40
Au train ou vont les choses avec un bestiau pareil, il ne serait pas etonnant que dans quelques centaines de millions d'annees (il s'en fout, il est pas pressé) cet hurluberlu integre les cyanobactéries dans son organisme pour en faire des chloroplastes ,ce qui lui economiserait encore de la nourriture. L'endosymbiose , apres tout , c'est un truc de faignant...
6 De croque forme - 14/08/2010, 13:16
par contre cet animal a-t'il des prédateurs? parce que bon a force de rien faire l'espèce aurait du être éteinte depuis longtemps...
7 De Taupo - 16/08/2010, 00:32
@croque forme : En fait, les seuls prédateurs qui s'attaquent aux paresseux, sont les jaguars, les aigles... et l'homme. Mais parmi tous les mammifères qui peuplent ces jungles, ce sont à vrai dire les paresseux qui prospèrent le mieux. Leur technique de défense est le camouflage. Vu qu'ils ne bougent que très peu, et qu'ils sont le plus souvent peuplés de végétaux et insectes qui grouillent sur eux comme sur une vulgaire branche... les prédateurs les ignorent le plus souvent. Il n'y a que sur le sol qu'ils sont le plus vulnérable.
La paresse est donc une stratégie évolutive quo semble tout aussi valable que l'hyperactivité!
8 De Nicobola - 15/02/2012, 21:46
Oh, j'ai justement un très bon ami à moi qui fait une thèse sur Thalassocnus ! Je vais lui faire suivre ton article, il aura probablement des remarques intéressantes à faire !