Strange Animals

Sélection sexuelle par le Cannibalisme chez l'araignée

 

Introduction (sélection sexuelle et conflit)

 

Au sein de la sélection naturelle qui englobe tous les mécanismes de sélection ayant lieu dans la nature (prédation, concurrence pour les ressources etc...), il en existe un particulier, la sélection sexuelle, qui consiste en une “lutte pour la reproduction”. Elle se manifeste par une compétition des individus de même sexe (généralement les mâles) au sein d’une même espèce pour s’attirer les faveurs de l’autre sexe et ainsi s’octroyer le plus grand succès reproductif. Ce mécanisme s'inclut à merveille dans la théorie de la sélection naturelle, en expliquant certaines étrangetés de la nature, en particulier l’émergence de traits handicapants pour la survie de leurs porteurs mais avantageux pour la séduction ou pour lutter contre la concurrence. L’exemple le plus typique est celui des majestueuses plumes du Paon, très utiles pour faire la cour aux femelles mais extrêmement désavantageuses pour le vol et pour fuir les prédateurs. On peut également penser aux Morses mâles qui s’affrontent à l’aide de leurs longues défenses. Aujourd’hui je vous propose de suivre un exemple extrême de sélection sexuelle à travers deux espèces d’araignées: La Veuve noire à dos rouge (Latrodectus hasselti) et la Pisaure admirable (Pisaura mirabilis). Tout d'abord, il faut savoir que de nombreuses espèces d’araignées pratiquent le cannibalisme sexuel, c’est à dire que la femelle dévore son partenaire pendant ou après l’acte de copulation. Du point de vue de cette dernière, il s’agit d’un avantage sélectif car le repas constitue une source de nutriments et d’énergie qui lui seront nécessaires pour produire et pondre des œufs. La femelle emmagasine donc des ressources de façon préventive et diminue ce que l’on appelle le “coût de la reproduction”. Pour le mâle en revanche c’est une véritable lutte pour la procréation, la femelle devient un prédateur potentiel et il risque de mourir lors de chaque accouplement, parfois même avant d’avoir remplit son devoir de géniteur (auquel cas le succès reproductif est nul). Nous sommes en présence d’un conflit évolutif typique, pour lequel il existe au moins deux solutions.

 

 

Suicide reproductif, la méthode du kamikaze

 

De même que leurs lointaines cousines les mantes religieuses, les veuves noires sont connues du grand public pour leur fâcheuse tendance à boulotter la plupart des mâles qui oseraient s’aventurer à les courtiser, l’expression est d’ailleurs fréquemment utilisée dans notre langue pour désigner une femme ayant assassiné son mari.

 

Veuve noire à dos rouge, Latrodectus hasselti

(Image: Sandsurf)

 

Pour les mâles de l’espèce Latrodectus hasselti, l’accouplement est une véritable torture physique qui se solde presque invariablement par la mort. En effet, pour accéder à la spermathèque de la femelle (une poche destinée, comme son nom l’indique, à recueillir les spermatozoïdes), le petit monsieur veuve noire doit s’accrocher tête-bèche sous le ventre de son énorme dulcinée et laisser son abdomen bien en évidence, à portée de croc. Toute la cruauté de la manœuvre réside dans le fait que madame résiste rarement au joli gueuleton qui s’offre à elle et dévore sans scrupule les entrailles du mâle tandis que celui-ci dépose sa semence à l’aide de ses pédipalpes (une paire d’appendices spécifiques aux arachnides). Une fois l’union consommée, elle abandonnera son partenaire mutilé à son triste sort, celui-ci succombant généralement dans les 24 heures. Pire encore, la femelle possède en réalité deux spermathèques indépendantes, destinées à recevoir les spermatozoïdes issus de deux accouplements différents. Lors de la fécondation des œufs, seule l’une des deux poches est mise à contribution; ainsi, même en se sacrifiant de la sorte, le mâle Latrodectus n’a que 50% de chances d’être le père d’une future portée de bébé araignées (mourir pour avoir le droit de tirer à pile ou face, c’est un peu frustrant n’est-ce pas?). Seule alternative pour s’assurer la paternité: s’accoupler deux fois avec une même femelle. Problème évident de la technique: les morts ne se reproduisent pas. L’évolution et la sélection sexuelle ont apporté une forme de solution à ce problème, mais la parade reste très douloureuse. Préalablement à l’accouplement, il peut apparaître une constriction dans l’abdomen des mâles: celle-ci permet de maintenir un maximum d’organes vitaux vers la partie proximale de l’abdomen (plus proche du reste du corps) et limiter ainsi les dégâts provoqués par l’appétit de madame.

 

 a: abdomen normal, b: constriciton

(Image: Andrade et al)

 

Cette méthode ne sauve pas le mâle, il finira toujours par succomber à ses blessures. En revanche, elle augmente suffisamment sa durée de vie pour qu’il revienne à la charge dans un second accouplement, et remplisse l’autre spermathèque, garantissant la transmission de son propre matériel génétique à la descendance, et pas de celui d’un concurrent (quelqu’un a dit “gène égoïste”?).

 

 

Cadeau et Comédie, la stratégie du petit malin

 

Même problème, autre solution. Dans une situation de conflit, on a souvent le choix entre la méthode du bourrin (voir paragraphe ci-dessus, Rambo continue la mission même avec le ventre ouvert), et celle du malin qui préfère faire chauffer sa matière grise plutôt que ses biceps, et sacrifier quelques minutes à réfléchir plutôt que de foncer dans le tas. Les mâles de la seconde espèce que je vous présente aujourd’hui, la Pisaure Admirable ont choisi la deuxième solution, et vous allez voir, le résultat est bien meilleurs que chez la veuve noire.


 

Pisaure admirable (Pisaura mirabilis), femelle à gauche, mâle à droite

(Images: Eric Walravens)

 

Pour séduire une femelle, le mâle Pisaure doit se montrer galant et offrir un cadeau à la belle. Par “cadeau”, il faut bien évidement entendre “nourriture” et le présent se compose le plus souvent de proies enveloppées dans un cocon de soie (la présentation compte aussi, un bel emballage fait partie du cadeau). Lors de la rencontre avec sa partenaire, le mâle dresse ses pattes antérieures et brandit devant lui son offrande, fermement maintenue dans ses chélicères (appendices buccaux). Les spécialistes du domaine pensent que le cadeau pourrait également faire office de bouclier pour cacher et protéger le mâle.

 

Mâle Pisaure (à gauche) présentant son cadeau (boule noire au centre) à une femelle (à droite). (Image: Trine Bilde)

vidéo ici

 

C’est lorsque la femelle accepte la rencontre que les choses deviennent dangereuses. En effet, il arrive qu’elle considère le mâle (attaché au cadeau) comme un adversaire, et décide de le tuer pour récupérer tranquillement le paquet et prendre un supplément sur son menu. La stratégie du prétendant est alors la suivante: Il s’accroche aussi fort que possible au cadeau, résiste à la femelle quelques instants (le temps qu’elle s’agrippe à son tour) puis, lorsque celle-ci devient trop agressive hop, il s’effondre en mimant la mort (mais garde consciencieusement ses chélicères plantées dans le paquet). Ce mécanisme, très répandu dans la nature est la thanatose (du grec Thanatos, également appelé mort apparente), est utilisé par des proies chassées afin de détourner l’attention de leur prédateur (la plupart des prédateurs attaquent les créatures en mouvement et délaissent les cadavres qu’ils ne viennent pas eux-même de tuer). Le mâle Pisaure choisit donc de feindre la mort quelques instants, le temps que la femelle l’oublie un peu. Il reste accroché au cadeau, se laisse trainer avec lui si la prédatrice potentielle décide de l’emporter avec elle, puis, lorsqu’elle commence à déguster l’intérieur du cocon, il revient miraculeusement à la vie et se glisse sous l’abdomen de cette dernière pour faire ses petites affaires. Une fois le devoir conjugal rempli, il ne lui reste plus qu'à prendre rapidement la fuite avant que madame n’ait de nouveau un petit creux.

 

Le mâle “ressuscité” dépose son sperme dans la spermathèque de la femelle (Image: Trine Bilde)

vidéo ici

 

Conclusion

 

Comme nous venons de le voir, l'évolution et la sélection peuvent conduire à des conflits, ici les deux sexes d’une même espèce en viennent à s’affronter, bien qu’ayant besoin l’un de l’autre pour se perpétuer (c’est peut-être ça le vrai amour vache). De même, ces deux exemples montrent que l’évolution n’est  ni linéaire, ni unidirectionnelle, au sens où il peut émerger des solutions multiples à un problème unique. Que cela serve également de leçon d’humilité à tous les mâles sapiens qui se plaignent du mauvais caractère de leur copine/compagnes/conjointe.

 

 

références:
  • Novel male trait prolongs survival in suicidal mating. Maydianne C.B Andrade, Lei Gu and Jeffrey A Stoltz. Royal Society Biology letters. 2005 1, 276-279. PDF
  • Death feigning in the face of sexual cannibalism. Trine Bilde, Cristina Tuni, Rehab Elsayed, Stano Pekár and Søren Toft. Royal Society Biology Letters.2006 2, 23-25. PDF

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