Le plus souvent, pour trouver un sujet original, étrange et funky, on se tourne vers des organismes un peu exotiques, des habitants des grandes profondeurs marines, une flore tropicale carnivore ou des espèces animales vraiment uniques. Logiquement, c’est assez facile de trouver quelque chose d’inhabituel chez une bestiole qu’on a pas l’habitude de voir, et en plus ça donne souvent de jolies photos. Cependant, l’émerveillement peut tout aussi bien surgir du quotidien, et comme me l’a récemment fait remarquer un ami, même les animaux qui sont pour nous les plus familiers peuvent nous étonner. Démonstration. Ceux qui ont déjà passé un peu de temps à la campagne sont surement déjà au courant, mais par exemple, saviez vous qu’un poulet ça peut faire ça:
Soyons clairs dès le début, ceci n’est pas du tout spécifique au poulet, le phénomène est même assez facilement observable dans la démarche du pigeon ou dans le vol du colibri lorsqu’il “butine” une fleur entre autres. A peu près tous les oiseaux peuvent maintenir leur tête à une position à quasiment fixe dans l’espace tandis que leur corps se déplace, tout n’est qu’une question de réflexe et de stabilisation du regard. En effet, comme l’explique brièvement la vidéo, il existe des “boucles” d’information (feedback loops en shakespearien) entre les organes sensoriels et le cerveau. Dans notre exemple, l’information provient d’au moins deux sources: d’une part les yeux qui regardent un point fixe (en l’occurrence la caméra) et renseignent sur la position de la tête par rapport à ce qui est regardé, d’autre par le système vestibulaire de l’oreille interne, qui renseigne sur son orientation dans l’espace.
Différents stades du développement de l’oreille interne de poulet
(Image : JV. Brigande et al)
Voici donc ce qui se passe : Lorsque le Gugusse en T-shirt blanc déplace le corps du poulet, la tête (puisqu’en toute logique, elle y est rattachée) est tentée de suivre le mouvement. Cependant, à peine le déplacement est-il entamé que les informations (visuelles et vestibulaires) parviennent au cerveau qui analyse tout ça et décide qu’il vaut mieux garder la tête bien cadrée au milieu du champ de la caméra (dans sa vie, chacun à le droit à 15 minutes de gloire, ce serait bête de les passer la tête à l’envers). Ainsi, il va ordonner aux muscles (du cou notamment) d’effectuer des “mouvements compensatoires” qui, comme leur nom l’indique, vont compenser le déplacement du corps pour que la tête reste fixe dans l’espace. Il s’agit d’une “feedback loop” car les yeux et l’oreille interne permettent de vérifier que le mouvement compensatoire a bien eu lieu, et continuent d’envoyer des informations pour corriger en direct la position si le mouvement du corps se poursuit. Etonnant non?
Eh bien non, pas tant que ça. En réalité, nous, pauvres primates, sommes également capables de stabiliser notre regard, et cela par deux moyens: Le réflexe optocinétique (partant d’informations visuelles) et le réflexe vestibulo-occulaire (partant d’informations vestibulaires). Qu’est-ce que cela? Vous pouvez faire l’expérience vous même. Mettez vous face à un miroir et regardez vous droit dans les yeux, puis, tournez la tête d’un côté, de l’autre, en bas et en haut (vous pouvez également faire des cercles ou tout autre mouvement ridicule, du moment que votre regard reste fixé sur vos pupilles). Surprise, vos yeux restent face au miroir, votre regard ne dévie pas alors que votre tête elle a énormément bougé (plus difficile à voir mais assez drôle, ça marche aussi quand on hoche la tête, essayez de prendre un point de repère sur votre iris). Si vous avez peur de vous faire un torticolis, vous pouvez toujours essayer sur quelqu’un d’autre ou regarder cette vidéo. Ce réflexe est bien pratique pour lire (car votre tête tremble forcément un petit peu, même au repos) ou pour regarder quelque chose lorsque vous marchez. Chez le poulet c’est pareil, sauf que lui, il stabilise sa tête entière plutôt que juste ses yeux, ça lui évite de se secouer le cerveau.
1 De Sirtin - 06/11/2009, 10:46
C'est pour ça aussi que le corps reste fixe quand les poules picorent du pain dur sur un mur ?

2 De Xochipilli - 17/11/2009, 17:51
Comment ça on serait moins doués que les poulets?! Je m'insurge au nom de tous les primates! Nous aussi on stabilise notre tête quand le corps bouge! Il suffit de rouler à vélo sur des pavés pour se convaincre que son crâne n'est pas beaucoup secoué quand on court. Comme les poulets, on a l'étonnante capacité de maintenir notre tête sur une trajectoire presque parfaitement rectiligne quand on se déplace, malgré les mouvements de notre corps.
3 De Vran - 18/11/2009, 08:48
@Xochipilli : Je ne disconviens pas que nous autres, aussi poilus et mous du bulbe que nous puissions être, sommes capables de stabiliser notre tête lorsque nous nous déplaçons. Néanmoins, et à moins que je ne sois particulièrement rigide des cervicales, j'ai beaucoup de mal à garder la tête fixe quand je fais du vélo sur des pavés (la preuve en est qu'il m'est très difficile de lire ou de parler dans ces cas là). J'ai du mal à croire au maintient d'une trajectoire rectiligne du crâne au pas de course (à mon avis ça ferai plutôt une belle sinusoïdale, un peu atténuée par rapport au mouvement du bassin par exemple, mais tout de même non rectiligne). Donc certes, nous stabilisons notre tête, mais en compétition contre des poulets nous sommes complètement à la ramasse (il n'y a qu'à essayer de reproduire les mêmes mouvements que dans la vidéo), et cela pour au moins une raison évidente: notre ridicule petit cou de bouledogue ne nous permet pas l'amplitude de mouvement suffisante pour compenser les mouvements de notre corps. Alors oui, au moins pour ça, nous sommes moins doués que les poulets, c'est la vie.
4 De xochipilli - 20/11/2009, 22:46
Certes, on ne garde pas exactement la tête fixe quand on court, mais je viens de finir le dernier bouquin ("la simplexité") d'Alain Berthoz où il explique que comme tous les mammifères et les oiseaux, nous stabilisons notre tête quand nous marchons de manière à l'utiliser comme une véritable centrale inertielle (voir par exemple <a href="http://www.springerlink.com/content...">cette étude</a>). C'est selon lui cette "centrale inertielle stabilisée en rotation" qui coordonne nos mouvements lorsque nous nous déplaçons et qui explique l'agilité des écureuils ou la dextérité des acrobates de la glisse...