Le Mercredi on Converge

[Le Mercredi, on converge] Reinventer la roue

Si il y a bien une chose dont on est fier, nous les humains, c’est notre invention circulaire qui nous a notamment permis de prouver à la planète que nous méritons bien de la dominer (preuve à l’appui):

Homo sapiens exerçant sa domination avec l'invention de la roue

 

Et oui, la roue, c’est l’un des meilleurs moyen de voyager vite et loin. Comment se fait-il alors que l’on ne retrouve pas de roues dans la nature? Avec tant de centaines de millions d’années à son actif, pourquoi l’évolution n’a-t-elle pas offert ce joyau de locomotion aux millions d’espèces animales sélectionnées notamment pour leur capacité à tracer pour choper leurs proies et/ou décamper (sur les chapeaux de roues) pour éviter de finir en knacki balls? Où sont donc les coccinelles à roulettes (enfin les vraies quoi)?
Certains évolutionnistes, comme feu Stephen Jay Gould, ont avancé l’hypothèse que l’acquisition d’une telle structure est impossible: une roue véritable tourne librement autour d’un axe fixe et indépendant. Pour que cette structure précise puisse se développer, l’organisme devrait en quelque sorte s’en séparer. Du coup, comment apporter à la structure nutriments et influx nerveux si elle est séparée du corps?
C’est une hypothèse intéressante et qui a le mérite de ne pas avoir été infirmée par aucune espèce vivante ni fossile.
Mais si les animaux ne peuvent pas acquérir de membres en forme de roue, rien ne les empêche de se transformer entièrement en pneu vivant!
C’est ce que réalise notre petit ami ci-dessous, Cicindela dorsalis media, (une Tiger Beetle en anglais) ou pour faire plus simple la Cicindèle des plages du Nord-Est (mouaif… qu’on va appeler Cicindèle tout compte fait…).

Cicindela dorsalis media
A vrai dire, ce n’est pas la cicindèle adulte qui peut rouler des mécaniques, mais sa larve (qui ressemble globalement à la photo qui suit):

Tetracha floridana, Ted C. MacRae
En effet, la cicindèle adulte est parfaitement capable de décamper à toute vitesse sur ses 6 pattes. Sa larve quant à elle, avec son fantastique abdomen, aura bien du mal à semer ses prédateurs en trainant sa bedaine à l’aide de ses ridicules petites pattes. Du coup, sa stratégie numéro un, c’est de s’enterrer dans le sable des plages qu’elle habite, pour s’y mettre à l’abri. Si on la taquine un peu, elle va tout d’abord essayer d’intimider l’adversaire en exhibant ses fantastiques mâchoires:

Megacephala megacephala, Ted C. MacRae
Imaginons cependant que notre larve est justement en train de trimbaler son boule sur la plage, et qu’un vilain veut la picorer (bouh, vilain!). C’est le moment de sortir les plans de secours: Technique 1 : faire le mort… mouaif! Technique 2: vomir à la tronche du prédateur… pas mal, mais si c’est un oiseau, vu la taille du piaf, le ptit vomi fera pas grand chose pour dissuader le volatile.
Reste la solution de l’agence tout risque, le plan de la dernière chance! Faire la roue, beetle style, et se faire porter par le vent pour filer bien loin!

Wow, c’est bien rapide tout ça! Un petit peu de slow motion ne nous fera pas de mal:

Vous remarquerez que pour démarrer le moteur, la larve réalise une série de soubresauts de haute voltige. Et bien figurez vous que les scientifiques qui ont pour la première fois observé l’étrange locomotion de l’animal ont eu la bonne idée d’ajouter un schéma de la séquence de démarrage dans leur publication, pour notre plus grand plaisir:

Locomotion en roue chez la larve de C. dorsalis media

Ainsi l’on s’aperçoit que la larve de cicindèle réagit très mal à un poke de quelqu’un qu’elle ne connait pas sur Facebook: d’abord, elle réalise une magnifique souplesse arrière digne d’un maître Yogi jusqu’à ce que ses deux extrémités se touchent, puis elle se redresse d’un coup pour réaliser une série de saltos-avant jusqu’à retoucher le sol et, avec un peu de chance, avoir assez d’élan pour rouler sur le sable à toute berzingue, aidée notamment dans sa course par le vent. Car une fois lancée, et dans les bonnes conditions, elle peut rouler à plus de 10 kilomètres à l’heure! (Je vous rappelle qu’on parle d’une larve de coléoptère là…). La cicindèle est également la seule a pouvoir, grâce au vent, rouler pour remonter les pentes (le vent des plages, en journée, souffle du large vers la côte).
Mais vous vous demandez peut-être le genèse de cette découverte? Laissons les intéressés nous expliquer cela:


Transcription:
Mon nom est Alan Harvey. Je suis un Maître de Conférences à l’Université Georgia Southern. Nous avons découvert qu’une espèce de cicindèle qui est plutôt commune dans cette partie du pays est capable, lors de son état larvaire, de sauter dans les airs à plusieurs centimètres de haut en réalisant plusieurs sauts périlleux et ensuite former une roue qui fuse à la surface de la plage à très grande vitesse et sur une longue distance.
Il s’agit d’une des formes de locomotion la plus bizarre ayant jamais été observée dans le règne animal.
Sarah Zukoff, qui était mon élève doctorante à ce moment là, était partie en week-end avec des amis sur l’île de Cumberland pour se reposer, et elle est revenue très enthousiasmée par les choses qu’elle avait vues là bas: les chevaux sauvages sur la plage, les tatous très dociles, les larves de cicindèles qui roulent sur la plage, les limules… Quand elle m’a dit ça, je l’ai arrêtée et lui ai dit: “attends, attends! Reviens à ces cicindèles.” Elle ne savait pas à ce moment, surtout que ce n’était pas son sujet, que c’était étrange que des animaux puissent rouler sur la plage.
On ne sait pas exactement pourquoi elles font ça, même si on suspecte qu’il s’agit d’un mécanisme pour échapper aux prédateurs qui sont spécialisés pour chasser les cicindèles.
C’est une des chose que j’ai toujours apprécié à Georgia Southern: c’est un endroit où la recherche est encouragée, surtout la recherche avec les étudiants en premières années.
Découvrir quelque chose de la sorte, c’est véritablement l’un des moments de recherches les plus gratifiants que j’ai jamais vécu.

Moi, ce qui m’a étonné quand j’ai su qu’un animal était capable de se transformer en roue, c’est qu’on ne retrouve pas ce comportement plus souvent dans la nature. Mais en fait, ce mode de locomotion qui permet de traverser de larges distances rapidement a tout de même de nombreuses limitations: les roues perdent déjà énormément de leur efficacité lorsqu’elles quittent les surfaces planes et lisses pour des paysages caillouteux et accidentés. Elles sont également très inefficaces pour surmonter des obstacles. Enfin, de toutes les formes de locomotions qui existent, la roue offre le minimum de maniabilité (demandez aux gamins que vous avez cruellement mis en selle pour la première fois sur un vélo…). Du coup, vu qu’il est quand même bien rare de trouver des environnements ressemblant à des routes bien lisses dans la nature, on peut comprendre que ce genre d’adaptation requiert un nombre de contraintes assez conséquent pour avoir la chance d’émerger.
Mais, Convergence Evolutive du Mercredi oblige, je vous ai tout de même dégoté un certain nombre d’animaux ayant acquis, de manière indépendante, la même fièvre du volant! Voici par exemple une vidéo nous montrant deux nouvelles roues: une roue salamandre et une roue chenille…


Transcription:
La roue est souvent proclamée comme étant l’une de nos plus grandes inventions. Mais ces créatures nous le prouvent, nous étions simplement en train de la réinventer…
Rouler est la voie la plus rapide pour dévaler une pente, comme l’a découvert cette salamandre. Elle est capable de fléchir son corps comme un pneu de caoutchouc pour ne pas ressentir les bosses.
La chenille du Pyrale du houblon est banale. Mais son talent à se transformer en roue est une nouvelle découverte. Elle roule et laisse ses traces de chenille… à l’intérieur (blague naze que je traduis quand même… genre chenilles de bulldozer… chenilles de papillon… Bon je sais, c’est l’hôpital qui se moque de la charité…). Ces salamandres et ces chenilles sont nées pour faire du Rock and Roll (sérieux?). Ce comportement est inné.

Bon, malgré la nullité des commentaires et de la mise en scène, cette vidéo est quand même assez incroyable. Elle nous permet de découvrir la roue caoutchouteuse que réalise la salamandre Hydromantes platycephalus:

Hydromantes platycephalus

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas le seul exploit qu’elle est capable de réaliser:

Et on y découvre aussi la jolie roue de la chenille du pyrale du houblon (Pleuroptya ruralis):

Larve de Pleuroptya ruralis

Qui donnera ce joli papillon…

Pleuroptya ruralis

… si elle ne se fait pas becqueter d’abord, bien entendu. Du coup, face à la menace, la chenille se transforme elle aussi en roue, mais en utilisant une méthode bien plus douce que la cicindèle (la grosse fainéante…):

Locomotion de la chenille de Pleuroptya

C’est vrai qu’on trouve quand même une nette tendance à l’invention de la roue chez les arthropodes. En témoigne ces deux vidéos de roues arachnides!


Transcription:
Les déserts de sable de Namibie abritent un remarquable acrobate miniature. L’araignée appelée Dame Blanche réalise des performances capable de rivaliser avec n’importe quel gymnaste. C’est un plan d’évasion censé contrecarrer les plans de son prédateur principal, une guêpe parasitaire.
Même à l’intérieur de son terrier, elle n’est pas à l’abri de sa tenace poursuivante. Lorsque sa forteresse de sable est envahie, elle roule au loin en réalisant 44 tours par seconde soit l’équivalent d’une roue de voiture roulant à 300 km/h.

Carparachne aureoflava

C’était donc la première araignée, Carparachne aureoflava, alias la dame blanche qui réalise sa roue version genoux rentrés. Et maintenant voici la version pattes en extension, réalisée par Araneus rota, une araignée du Sahara.

Araneus rota


Transcription:
Euh ah ben non en fait. L’allemand n’est pas mon fort… J’ai compris des trucs du genre: Marcher, c’est fatiguant… Rouler c’est plus rapide! Incroyable! Patati patata… Keine bewegung! Feuer! etc… quoi.

Et puis dans la catégorie mention passable, notons la participation honorable de la petite grenouille Oreophrynella nigra qui dévale les pentes, certes, mais pas vraiment en forme de roue…


Transcription:
Une autre grenouille sur cette montagne a développé une autre stratégie (la première est décrite ici). Elle vit à un kilomètre au-dessus de la forêt, sur ce plateau coupé du monde du dessous. Il s’agit d’une grenouille caillou. Elle aussi, mesure à peine 2,5 cm de long. Ces roches semblent être un paradis pour une grenouille. C’est encore plus humide que la forêt du dessous et il n’y a pas de serpents. Mais il y a tout de même un prédateur ici. Une tarentule mangeuse de grenouille. Elle tend des embuscades à ses proies. A l’instar de la grenouille des cascades, la grenouille caillou ne peut pas sauter correctement. Mais elle a une autre manière de se défendre. Elle tend ses muscles, devient rigide, et se transforme en boule de caoutchouc. Elle est si petite, et pèse si peu, que les rebonds ne la font absolument pas souffrir. Des adaptations de cette sorte sont les raisons pour lesquelles les amphibiens et les reptiles sont encore aussi prolifiques.

Et voilà, vous savez maintenant comment quelques animaux font la roue. Vous en voulez encore? Un article sur les animaux qui se roulent en boule?
Ça roule!

Lien:
Article Not Exactly Rocket Science
Article Lab News
Article Beetle in the Bush

Référence:
Harvey, A., & Zukoff, S. (2011). Wind-Powered Wheel Locomotion, Initiated by Leaping Somersaults, in Larvae of the Southeastern Beach Tiger Beetle (Cicindela dorsalis media) PLoS ONE, 6 (3)
Brackenbury J (1997) Caterpillar kinematics. Nature 390: 453.
García-París, M. & Deban, S. M. 1995. A novel antipredator mechanism in salamanders: rolling escape in Hydromantes platycephalus. Journal of Herpetology 29, 149-151.

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