Animation

Robert Krulwich : les autoroutes du ciel pour arthropodes


Robert Krulwich est un envoyé spécial pour la radio NPR (National Public Radio) que j’ai découvert dans l’excellentissime Podcast Radiolab (si vous comprenez l’anglais, souscrivez impérativement à ce Podcast, c’est juste de la bombe!). Plus je l’écoute, plus je me rends compte qu’il représente pour moi l’idéal de la vulgarisation scientifique. Inutile d’être expert, inutile d’être le plus précis, pas la peine d’être vendeur… Ce qu’il faut avant tout savoir faire, c’est raconter une histoire. Et une histoire, cela peut commencer juste en levant les yeux au ciel, lors d’une belle journée ensoleillée:

Transcription:

Quand vous regardez en l’air, lors d’un jour ensoleillé, qu’est-ce que vous voyez? Et bien des nuages et parfois des oiseaux, bien sûr du ciel, beaucoup de ciel bleu. Mais ce que vous ne pouvez pas voir, parce que vus du sol, ils sont complètement invisibles, c’est que vous êtes en fait sous des énormes nuages d’animaux qui sont juste au dessus de vous, à ce moment précis. En commençant par ceux qu’on a tous vus, les papillons, qui volètent dans le jardin et qui atterrissent sur un asclépias. Parfois des papillons peuvent être pris dans un courant d’air et transportés à 250, 500, 1000 mètres voire plus. Puis ils battent leurs ailes pour se mettre dans la direction où ils veulent aller. Et alors vous vous apercevez qu’avec le papillon on trouve des mouches ordinaires, qui elles aussi se font porter par la brise pour atteindre 1250, 1500 mètres d’altitude et au-dessus-d’elles, vous trouverez des pucerons, des guêpes et des moucherons et, de manière très surprenante, des coléoptères, des coléoptères qui volent! Avec notamment celle-ci que vous connaissez bien, la coccinelle. Les coccinelles en été peuvent se trouver à 1500, 1800 mètres et avec elles on peut trouver les Bombyx Disparate, les mâles Bombyx qui volent à 3000 mètres et qui sont à la recherche de femelles, et encore plus haut, à la hauteur des montagnes c’est à dire 3600, 4000, 4250 mètres d’altitude, il y a des araignées qui ont tissé des fins fils de soie qui les portent comme des ballons. Mais encore plus haut, la plus haute altitude enregistrée pour un insecte vivant a été atteinte par un termite à 5800 mètre, c’est à dire un termite qui se trouve presque à la hauteur de Mt Mckinley [la plus haute montagne américaine qui se trouve en Alaska].
La vraie surprise, c’est de se rendre compte de combien d’insectes il y a à ces altitudes. Une équipe de scientifiques en Angleterre qui a utilisé des radars a calculé que si vous additionnez le nombre d’insectes qui passent au-dessus de vous dans une colonne d’air d’1 km² de base durant un mois typique de printemps ou d’été, le nombre d’insectes trouvés est 3 milliards. Et oui, 3 milliards d’insectes, sur différentes autoroutes superposées au-dessus de votre tête, chaque mois de juin, chaque mois de juillet, chaque mois d’août. Et pourquoi quittent-ils leur maison? Et bien pour les même raisons que vous: ils sont à la recherche de nouveaux espaces, de nouveaux endroits où manger, de nouveaux partenaires avec qui se reproduire. Tous ne vont pas réussir nous dit l’entomologiste May Berenbaum:
En effet, la plupart ne vont pas avoir un sort joyeux.
Ils vont finir dans l’eau en nourriture aux poissons. Mais les insectes, tout comme nous, doivent tenter leur chance pour tenter de vivre et prospérer.
Ils prennent le pari qu’ils vont trouver un endroit bien meilleur que celui qu’ils viennent de quitter.
Et assez souvent, ils ont de la chance et finissent juste à l’endroit qui leur convient.

Pour les plus curieux d’entre vous, voici quelques informations supplémentaires: l’étude britannique utilisant des radars pour mesurer le nombre d’insectes dans une colonne d’air a été réalisée par le Dr Jason Chapman. Ce chercheur pense cependant que le nombre qu’il a calculé, 3 milliards d’insectes pendant un mois, peut varier selon la région visitée et pourrait éventuellement atteindre 6 milliards près de l’équateur!

Quant à l’altitude maximale enregistrée pour des insectes, cette information provient de très nombreuses missions aériennes, déjà commencées en 1926 avec l’aide du célèbre aviateur Charles Lindbergh qui utilisait des lames de verres collantes pour collecter des échantillons à haute altitude. Il a continué ces contributions notamment en 1933 lors de son vol au dessus de l’Atlantique.

Comment a-ton réussi à déterminer quel était le champion incontesté du vol en haute altitude? Et bien en 1961, un chercheur nommé J.L. Gressitt adaptait des pièges à insectes aux ailes d’un avion super-constellation qui a volé sur une région de 186 km à 5800 mètres d’altitude. Le seul insecte capturé fut ce termite, bien vivant, le champion…  

Mais peut-être que l’information qui vous a le plus étonné dans ce petit film d’animation, c’est celle nous décrivant le moyen de transport original de certaines espèces d’araignées qui utilisent un fil de soie comme une sorte de ballon ou cerf-volant pour ‘filer’ dans le vent… C’est en réalité un phénomène qui est connu des scientifiques depuis de nombreuses années, et peut-être même des marins avant eux qui pouvaient être surpris de voir atterrir dans leur bateau, à des milliers de km des côtes, ces araignées voltigeuses.

Et pour mieux comprendre le phénomène, rien de tel qu’un adorable court métrage réalisé en stop motion par Frank Percy Smith et datant de 1909:

Transcription:

Pour faire la démonstration du vol des araignées, nous avons construit un modèle mécanique qui lance un fil de soie dans le vent. Le fil est étendu jusqu’à la longueur suffisante pour permettre de supporter le poids de l’araignée.
L’araignée amorce sa descente en raccourcissant le fil de soie de la manière suivante.


Comme quoi la vulgarisation scientifique est aussi une question d’art et de poésie…

Edit 2020 :


Depuis 2011, quelques avancées scientifiques remarquables concernant le "ballooning" des araignées ont été franchies, notamment en observant ce comportement chez des araignées-crabes (Thomises) en condition naturelle mais aussi en les plaçant dans des turbines artificielles.


Plus d'explications dans cette vidéo du New-York Times :

Transcription :

Cette araignée-crabe ne se contente pas de faire du surplace. Elle envisage de voler. Une fois au sommet de ce dôme artificiel, elle lève une patte pour tester le flux d'air. Une fois satisfaite, elle soulève son abdomen, active ses filières - les organes qui fabriquent la soie - et tisse des fils vers le ciel jusqu'à ce qu'elle se lance.
C'est ce que l'on appelle le "ballooning", mais les araignées ne pendent qu'à leurs propres fils de soie. Fait incroyable, ces araignées sont réputées pour traverser les océans au gré du vent et peuvent atteindre des hauteurs de 1 ou 2 kilomètres. Et parfois, les araignées sont si nombreuses à s'élancer ensemble que le sol est recouvert de soie d'araignée. Les araignées utilisent les ballons pour chercher de la nourriture, éviter le danger, trouver un partenaire. Mais on ignore encore beaucoup de choses sur la physique du vol des araignées. Et c'est ce qui a poussé Moonsung Cho à les étudier. Le voici à Berlin. Vous pouvez voir du doigt le chemin que prend une araignée en ballon après son lancement. Cho a effectué des dizaines de tests dans la nature. Mais pour une analyse détaillée, il a emmené les araignées au laboratoire où il les a testées dans une soufflerie. Les chercheurs ont constaté que les araignées préfèrent les brises légères. Et la soie qu'elles filent peut mesurer jusqu'à deux mètres de long. Étonnamment, il semble que ce ne soit pas la brise, mais ce que l'on pourrait considérer comme la viscosité de l'air qui les maintient en l'air. Imaginez un fil suspendu dans un liquide épais, comme un sirop. Il ne coulera pas. Et si le fluide se déplace, le fil se déplace avec lui. Un fil de soie peut être plus de mille fois plus fin qu'un cheveu humain.
Pour la soie d'araignée, l'air est donc ce fluide, qui se déplace rapidement pour emmener les araignées loin. Ces araignées n'ont pas besoin d'un véritable ballon pour voler, juste de leur propre soie étonnante.

Lien:
Radiolab
Article du Blog de Robert Krulwich
How Spiders Fly

Références:
Berenbaum MR (2010). Frequent flyer miles, American Entomologist,  Entomological Society of America.
Chapman JW, Smith AD, Woiwod IP, Reynolds DR and Riley JR (2002). Development of vertical-looking radar technology for monitoring insect migration. Computers and Electronics in Agriculture 35: 95-110.
Chapman JW, Reynolds DR, Smith AD, Riley JR, Pedgley DE and Woiwod IP (2002). High-altitude migration of the diamondback moth, Plutella xylostella, to the UK: a study using radar, aerial netting and ground trapping. Ecological Entomology 27: 641-650.
Chapman JW, Reynolds DR and Smith AD (2003). High-altitude insect migration monitored with vertical-looking radar. Bioscience 53: 503-511.
Chapman JW, Reynolds DR and Smith AD (2004). Migratory and foraging movements in beneficial insects: a review of radar monitoring and tracking methods. International Journal of Pest Management 50: 225-232.
Reynolds DR, Chapman JW, Edwards AS, Smith AD, Wood CR, Barlow JF and Woiwod IP (2005). Radar studies of the vertical distribution of insects migrating over southern Britain: the influence of temperature inversions on nocturnal layer concentrations. Bulletin of Entomological Research 95: 259-274.
Reynolds DR, Smith AD and Chapman JW (2008). A radar study of emigratory flight and layer formation at dawn over southern Britain. Bulletin of Entomological Research 98, 35-52.

Cho, Moonsung, et al. « An Observational Study of Ballooning in Large Spiders: Nanoscale Multifibers Enable Large Spiders’ Soaring Flight ». PLOS Biology, vol. 16, no 6, juin 2018, p. e2004405. PLoS Journals, doi:10.1371/journal.pbio.2004405.

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