Le Mercredi on Converge

[Le Mercredi, on converge] La caravane passe, le piranha aboie


(Un article qui m’a été inspiré par mon ami Charly, merci poto!)

Bien malin sera celui qui prédira ce que les poissons nous réservent en matière Strangesque. On a vu ici que certains poissons savent gambader, que d’autres possèdent deux mâchoires et qu’une poignée d’entre eux font les fanfarons avec leurs Tasers électriques… Et bien aujourd’hui, vous allez découvrir que la poiscaille papote!

Et oui, il n’y a pas que les sonars de nos vilains sous-marins et ceux des cétacés qui résonnent dans les océans: il y a 109 familles de poissons chez qui on retrouve des espèces capables de produire des sons pour communiquer. Ce qui est fascinant (et bien utile quand on parle de convergence évolutive), c’est qu’elles utilisent presque toutes un mécanisme différent pour taper la causette. Ecoutez par exemple la complainte de ce petit poisson chat (de la famille des Doradidés):
 


Et bien elle provient des stridulations de ses épines pectorales. Les sons peuvent même varier et permettre des vocalisations surprenantes comme pour Porichthys, cette espèce de poisson-crapaud qui croasse bel et bien pour garder son territoire ou faire la sérénade!
 


Même le plus charismatique des poissons, celui qui a inspiré Le Monde de Nemo, le poisson clown Amphiprion clarkii, peut véritablement nous faire la conversation.

Amphiprion clarkii

Lui, le fait en claquant les dents par contre… Ecoutez ce que ça donne:
 


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piranha à ventre rouge
L’espèce de poisson bavard la plus récemment étudiée, est le piranha à ventre rouge (Pygocentrus nattereri). En effet, il a été observé depuis longtemps que si l’on capture un piranha dans un filet, ou à mains nues (!!!), celui-ci se met… à aboyer!
Mais il restait deux mystères à percer: pourquoi le piranha aboie-t-il, et comment? C’est ce qui a poussé l’équipe d’Eric Parmentier à faire l’acquisition de ces charmants poissons et de commencer un élevage en aquarium. Sandie Millot, Post-Doc dans l’équipe d’Eric Parmentier, s’est donc mise à étudier le comportement des Piranhas pour vérifier si leurs aboiements ne sont émis que lorsqu’on les extirpe hors de l’eau. Quand on est Post-Doc, on donne de sa personne, mais Sandie Millot a failli laisser un doigt, a demi sectionné lors de la manipulation des voraces poissons! Du coup, la plupart des enregistrements ont été effectués à l’aide d’un hydrophone inséré dans l’aquarium des Piranhas… Futés, les chercheurs ont également enregistrés des heures de vidéos pour comparer les sons émis avec le comportement des bestiaux. Et bien il s’avère que les Piranhas, en fonction de la situation, utilisent 3 sons différents pour communiquer entre eux:
- Grognements d’avertissements quand 1 poisson fait face à un intrus pour dire ‘casse-toi tu m’lourdes’
- Bruit sourd pour dire ‘Viens on s’bat’
- Claquements répétés tout en poursuivant le perturbateur tenace pour lui dire ‘si j’te choppe, j’te bouffe’
(Comme vous pouvez le constater, la conversation du Piranha n’est que paix et amour…)

Voici à quoi ça ressemble en aquarium:


Comme je vous le disais, tous les 3 sons ne sont pas produits de la même manière, et si le claquement correspond au son des dents des Piranhas qui s’entrechoquent, les grognements et bruits sourds correspondent à un autre type de son, qui ne nécessite pas que le Piranha ouvre la mâchoire: il s’agit du frottement de muscles spécifiques contre leur vessie natatoire.

Anatomie d'un actinopterygien

Alors qu’est-ce qu’on vient nous parler de pipi de poisson maintenant? Et bien s’il ne faut pas prendre des vessies pour des lanternes, il ne faut pas non plus confondre les vessies contenant notre urine, de la vessie natatoire des poissons qui est une extension de leur œsophage et qui leur sert principalement de flotteur: étant une poche remplie de gaz, la modulation de son contenu permet aux poissons à nageoires rayonnées (les Actinoptérygiens), d’ajuster passivement la profondeur à laquelle ils se trouvent.

Vessie natatoire d'un gardon rouge
Les poissons cartilagineux (Chondrichtyens) comme les requins et les raies n’ont pas de vessies natatoires, et pour rester à une profondeur donnée, il ne doivent pas cesser de nager… C’est crevant à force!

Ce qui est fascinant avec cet organe, c’est qu’il est en fait homologue avec nos poumons! Cela signifie que le dernier ancêtre commun des tétrapodes et des poissons actinoptérygiens possédait vraisemblablement un organe capable de contenir des gaz, probablement pour la survie dans un environnement aqueux pauvre en oxygène et histoire de complémenter l’oxygène puisé à l’aide de branchies. Imaginez un poisson dans une vase pauvre en oxygène et qui peut, de temps en temps, prendre une goulée d’air pour éviter l’asphyxie.
L’histoire évolutive de cet organe a donc suivi deux chemins distincts avec une adaptation accrue à l’environnement aérien chez les tétrapodes permettant de survivre sur la terre ferme (format poumons), et une adaptation à un milieu aqueux riche en oxygène ou cet organe a évolué pour conférer aux Actinoptérygiens une fonction de flotteur (format vessie natatoire). Comme quoi, la prochaine fois que vous zieuterez un poisson rouge, dite vous qu’il a évolué pour rester dans l’eau! Sa lignée aurait pu s’adapter à la vie terrestre, mais ça ne s’est pas fait… Et ils ne s’en portent pas plus mal!

Bref, trêve de digression évolutive, vous devez commencer à comprendre maintenant que la vessie natatoire, chez le Piranha, a plusieurs fonctions: celle de flotteur, mais celle aussi d’organe vocal! Eric Parmentier et son équipe, après avoir analysé (en sacrifiant des bouts de doigts) le comportement des Piranhas, se sont bien vengés en disséquant certains spécimens pour essayer de reproduire le phénomène. En fait, l’association vessie natatoire et vocalisation des poissons avait déjà été observée chez Porichthys, le poisson crapaud qu’on voit dans la vidéo plus haut et dont voici la vessie natatoire, avec les muscles sous-jacents:

Vessie natatoire d'un Porichthys
Ce qui n’avait pas été compris jusque là, c’est la fonction de la vessie natatoire dans la vocalisation: caisse de résonnance ou organe vibratoire? Et bien en excitant les muscles du Piranha disséqué, l’équipe d’Eric Parmentier s’est rendu compte que les sons émis changeait de fréquence en fonction de la fréquence de vibration des muscles, et que lorsque les muscles cessent de vibrer, plus aucun son n’est émis… Exit l’option caisse de résonnance donc! C’est bien l’ensemble muscle-vessie natatoire qui est le véritable organe vocal du Piranha!

Aujourd’hui, l’équipe d’Eric Parmentier espère décrocher les financements nécessaires à une poursuite de leurs études, notamment sur les vocalisations amoureuses du piranha, en Amazonie. Et oui, faut bien compenser la perte des bouts de doigts par une jolie croisière au Brésil!

Ce que j’espère, mes p’tits piranhas, c’est qu’à la vue d’une telle proie:

Piranha 3D
Ce n’est pas le chien en vous que vous allez réveiller… Mais le loup:


Référence:
Bass AH, Gilland EH, Baker R: Evolutionary origins for social vocalization in a vertebrate hindbrain-spinal compartment. Science 2008, 321(5887):417-421.
Parmentier E, Colleye O, Fine ML, Frederich B, Vandewalle P, Herrel A: Sound production in the clownfish Amphiprion clarkii. Science 2007, 316(5827):1006.

Millot, S., Vandewalle, P. and Parmentier, E. (2011). Sound production in red-bellied piranhas (Pygocentrus nattereri, Kner): an acoustical, behavioural and morphofunctional study. J. Exp. Biol. 214, 3613-3618.

Liens:
Article Le Monde
Article National Geographic
Article Io9

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