Difficile de faire plus mollasson qu’un concombre de mer, cet animal qui ressemble grosso-merdo à un étron et qui broute les fonds marins. Pour le rendre Funky, il va falloir s’accrocher. On peut par exemple utiliser des techniques de montage des séries américaines…
Mais je suis pas certain que le résultat soit convaincant cependant…
Il faut dire qu’avec leur profil de bout de tuyau, on va pas trop rameuter les foules. Niveau anatomique c’est pas folichon non plus. Et pour cause! On peut distinguer à vue d’œil 3 parties anatomiques externes chez le concombre de mer: la bouche (entourée de tentacules), un long corps recouvert de petits pieds (les podia), et enfin un deuxième trou pour évacuer ce qui n’a pas été digéré… Ouais bon, un tuyau quoi!
Premier fait troublant concernant les Holothuries (le nom donné aux concombres de mer histoire qu’ils gardent un semblant de dignité), c’est que nous, humains, sommes plus proches d’eux en terme de parenté que des insectes ou des poulpes! Comme je vous l’expliquais déjà dans mon article sur l’arbre du vivant, concombres de mer et humains appartiennent à un grand groupe parmi les animaux, le groupe des deutérostomiens.
Un de nos points communs, c’est le fait que l’on possède un squelette interne. Les concombres de mer forment un groupe particulier avec leurs cousins les oursins et leurs cousines les étoiles de mer. Ce groupe, c’est celui des échinodermes, caractérisé notamment par des plaques calcaires (une sorte de squelette) disséminées dans leur peau.
Se comparer avec une étoile de mer et un oursin, c’est déjà pas joyeux joyeux, mais il faut avouer que même au sein de son propre groupe, le concombre de mer a juste l’air d’avoir engrangé les tares… Le cousin débile quoi…
Mais vous vous imaginez bien que si je vous en parle finalement, c’est que le concombre de mer cache bien son jeu et nous prépare des surprises ultra Funky. On commence par quelques capacités étranges dont ils sont capables:
Traduction:
Ces animaux peuvent sembler ennuyeux, mais les concombres de mers sont plein de surprises. Ce concombre de mer duveteux met plusieurs heures à s’enterrer dans le sable. Une fois son corps enfoui, il est temps de se nourrir. Il déploie ses tentacules plumeuses et toute particule microscopique qu’il trouve est ramenée à sa bouche. Une forêt miniature de concombres filtre l’eau de tout débris organique. Mais au premier signe de danger, la foret disparait et se nourrira à un autre moment.
Il ne connait pas la peur, probablement parce qu’il n’a pas de cerveau. A la place, un anneau nerveux autour de sa bouche lui dicte quand bouger, quand se battre et quand se nourrir.
Au royaume animal, il n’y a pas de salles d’urgence, de pansements, ou des bisous de maman: il faut avoir des tripes pour se battre. Mais pour le concombre de mer, ce n’est pas une métaphore!
Un poisson tente de grignoter son arrière train. Mauvais choix! Le concombre expulse ses intestins. Cela donne des filaments collants et toxiques. Si le poisson se fait attraper il peut mourir. Le poisson ne veut pas faire partie du combat et se résout à ne pas grignoter cet animal aux défenses surprenantes.
Autant avant de savoir tous ces détails, une série sur les concombres de mer semblait assez absurde, autant maintenant j’imagine trop le concept: Holothurie Man! Mordu par un concombre de mer radioactif, il est maintenant doté de pouvoirs incroyables et combat les criminels en propulsant ses intestins avec son anus!
(bizarrement, je n’ai pas trouvé d’illustrations pour ce concept… Je vais le proposer à Strip Science, sait-on jamais…)
Oui parce que si vous n’aviez pas bien compris les images de cette petite vidéo, le système de défense des holothuries, c’est de l’éviscération pure et simple! Pour mieux comprendre le phénomène, un peu d’anatomie interne s’impose:
Comme vous pouvez le constater, la cavité interne d’un concombre de mer abrite en fait pas mal d’organes, qu’on peut ranger sous le terme générique de viscère: des gonades, des arbres respiratoires, un système vasculaire et bien sûr des intestins. Toutes les espèces d’holothuries n’éviscèrent pas de la même manière. Certaines éviscèrent leurs intestins, d’autres leurs systèmes respiratoires, certaines le font par la bouche, d’autre par l’anus. Heureusement pour elles, les holothuries peuvent très rapidement régénérer les organes qu’elles balancent à la face de leurs prédateurs, ce qui constitue un mode de défense particulièrement efficace:
Connaissant cette capacité des concombres de mer, je fus particulièrement intrigué en découvrant l’image suivante:
Que voyons-nous là? Et bien un poisson, dans le fion d’un concombre de mer… De base, trouver un animal dans l’anus d’un autre animal, c’est pas bien courant. Mais quand l’anus dudit animal est capable d’expulser des viscères toxiques, ça rajoute encore à l’incongruité du tableau. Mais d’abord, présentons les protagonistes: côté anus, nous avons une Holothurie tropicale au doux nom de Bohadschia argus.
Une espèce atteignant les 60 cm et qui éviscère comme une pro:
Côté poisson, nous avons Carapus boraborensis
Il s’agit d’un poisson appartenant à la famille de Carapidés et qui peut résister aux toxines produites par les holothuries et choisit donc de se loger dans leur cloaque… Voyons donc ça en vidéo:
Donc voilà, comme dit le monsieur (dont vous avez déjà entendu la voix dans cet article, narrer les exploits des néréides), nos holothuries, respirant par l’anus, filtrent continuellement l’eau par cet orifice et arrivent bien souvent à se choper de vilains parasites comme des protozoaires, des mollusques. des vers marins, des crabes… et nos fameux poissons qui, quand ils sont petits, pénètrent l’anus des holothuries la tête la première, et quand ils sont trop grands, en marche arrière, queue la première…
Voici une nouvelle vidéo de l’exploit:
Les deux vidéos précédentes ont été tournées en aquarium car c’est tout de même un phénomène assez difficile à capturer. Mais à leur habitudes, des caméraman de la BBC ont réussi à filmer cette sodomie de l’extrême en milieu naturel:
Une des séquences les plus bizarres dans l’épisode 2 est celle du carapidé. C’est un long poisson qui ressemble à une anguille qui nage dans la lagune sableuse et il semble très vulnérable. Ils se nourrissent de plancton essentiellement la nuit, mais le jour, ils doivent se cacher. Et le seul endroit qu’ils peuvent trouver sur ses larges étendues de sables, c’est un concombre de mer. Le concombre de mer ressemble à une miche de pain qui déambule sur le sable et tire ses nutriments du sable. C’est un peu un aspirateur biologique. Mais parce que les concombres de mer ont tout le temps la tête dans le sable, c’est un peu dur de respirer. Et donc en fait, ils respirent par le cul. Et c’est la partie que vise le carapidé. Il nage à l’intérieur de l’anus du concombre de mer et vit à l’intérieur de son cloaque pendant la journée. Cet étrange comportement a été déjà documenté et filmé en aquarium mais c’est la première que cela a été observé dans la nature sauvage. J’ai donc nagé pendant des heures, à suivre des carapidés en espérant qu’ils trouvent un hôte. Quand un carapidé trouve un concombre de mer, il devient super excité et nage très rapidement, mais j’attrape le concombre de mer et les carapidés doivent les renifler pour savoir par quel orifice rentrer avant d’être tranquille dans la journée.
La première vidéo en français laissait supposer que les carapidés sont nécessairement des parasites qui, une fois à l’intérieur des holothuries, leur broutent les organes… C’est le cas par exemple pour cette espèce, Encheliophis homei:
Un poisson qui non seulement viole l’intimité du concombre de mer, mais va également dévorer continuellement ses organes (dont les gonades) qui, en régénérant, offrent un buffet perpétuellement réapprovisionné.
D’autres carapidés cependant ne cherchent qu’à s’abriter et vont manger par leur propres moyens. On dit qu’ils sont commensaux… une sorte d’invité squatteur quoi!
Enfin, d’autres carapidés utilisent l’abri du rectum des concombres de mer comme… chambre nuptiale! Quoi de plus sexy que l’intérieur d’un échinoderme pour s’ennageoirer passionnément! Ceci implique, de fait, que l’holothurie va abriter deux poissons à travers son anus. Preuve en images (et voix débiles):
Traduction:
OK. Nage droit devant toi. Un moment ou un autre, tu vas trouver une maison. Mince il commence à faire froid ici bas! Ouais, super froid! J’ai pas eu d’endroit où dormir, un endroit chaud pour reposer mes branchies depuis 3 semaines! Oh Attends, c’est quoi ça? Qu’est ce que c’est là bas? Oh. Mon. Dieu! Ceci est incroyable! C’est encore mieux ce que j’ai jamais pu imaginer!
Oh je vais appeler ma mère, elle sera si contente, si fière que j’ai trouvé ma propre maison.
_ Eh oh attend, qui t’es toi?
_ Oh, on dirait que c’est fermé…
_ Casse toi de là!
_ OK, si l’entrée est fermée, peut être que la porte de derrière est ouverte? C’est OK, je cherche juste une entrée…
_ Vas-y, circule, va nager ailleurs.
_ Ouais, ouais, c’est ouvert!
_ Eh, quelqu’un à reniflé mon cul!
_ Bon, ben j’ai toujours dit qu’il fallait continuer à chercher…
_ Oh wow, wow, putain non! Merde! Non!
_ Oh mon dieu, regardez moi un peu cet intérieur! Il y a de jolis murs, un beau tapis, c’est si chaleureux, il faut que j’en parle! J’appelle mon ami!
_ Eh mec, quoi de neuf? Qu’est ce que tu fous là?
_ Mec, c’est juste de la bombe ici! J’ai de la disco ici, tout ce que tu veux, allez viens!
_ Oh là non! Il n’y a pas de la place pour 2 poissons dans mon cul!
Contrairement à ce que laisse supposer la vidéo du dessus, ce ne sont pas deux potes mais bien un couple de poisson qui s’est introduit dans l’holothurie. Une fois qu’ils auront fini de se frotter les écailles, ils laisseront leurs œufs fécondés à l’abri dans le cloaque du concombre de mer. Les œufs sont ainsi incubés juste avant d’éclore!
Heureusement pour elles, toutes les holothuries ne sont pas ainsi parasitées par les carapidés. Certaines sont par exemples trop petites pour abriter de tels organismes (les plus petites holothuries mesurent 10mm) et d’autres sont dotées de moyens dissuasifs contre la pénétration… des dents anales!
Ces charmantes quenottes cernent l’orifice d’Actinopyga miliaris dont voici le portrait:
Et voici un dernier sourire anal d’une autre espèce d’Actinopyga, pour le plaisir des yeux:
S’agissait-il du pouvoir caché d’Holothurieman?
Liens:
Articles Echinoblog (1, 2 et 3)
Article The Proceedings of the Ever So Strange
Références:
Garcia-Arraras, J. E. & Greenberg, M. J. Visceral regeneration in holothurians. Microsc Res Tech 55, 438-451
Moss M.L. · Murchison E. Calcified Anal Teeth And Pharyngeal Ring In The Holothurian, Actinopyga Mauritania. Acta Anatomica 1966;64:446–461
Parmentier E, Vandewalle P: Further insight on carapid—holothuroid relationships. Marine Biology 2005, 146(3):455-465.
Parmentier E, Das K: Commensal vs. parasitic relationship between Carapini fish and their hosts: some further insight through δ13C and δ15N measurements. Journal of Experimental Marine Biology and Ecology 2004, 310(1):47-58.
Trott LB: A General Review of the Pearlfishes (Pisces, Carapidae). Bulletin of Marine Science 1981, 31(3):623-629.
1 De Sirtin - 08/03/2013, 12:55
C'est délicieusement immonde comme ça m'arrive rarement. Je dois m'incliner mon maître qui a pulvérisé toutes les limites inimaginables !
Ça me rappelle une expérience de plongée (tuba et masque) avec mon père où nous avons croisé des concombres de mer. Avant de filer dare-dare quand ils se sont recouvertes de filaments blanchâtres absolument dégoutants. Maintenant, je sais pourquoi !
2 De Taupo - 08/03/2013, 14:32
@Sirtin : Ha ha, Merci Sirtin. Faut faire gaffe avec ces tubules donc, cela peut être toxique!
3 De luxsword - 09/03/2013, 11:07
Méga funky, aujourd'hui !
Sinon, ces bestioles qui se régénèrent, ça m'intrigue. Comment font-ils ? Pourquoi nous, on ne peut pas changer d'intestins quand ils ne nous plaisent plus, puisqu'on est de lointains cousins de ces concombres ? Est-ce qu'il y a eu (ou y aura-t-il) un article de SSAFT sur le sujet ???
4 De herbie - 07/12/2014, 22:26
Très instructif et drôle cet article (très funky quoi), comme tous ceux que j'ai pu lire ici d'ailleurs. J'avais une idée de dessin mais je ne peux pas la réaliser... il faut comprendre que je dessine moins bien qu'un pied, et que les miens ne veulent pas quitter leur pantoufles. Je lance l'idée, si quelqu'un veut illustrer, qu'il n'hésite pas. C'est un concombre en tenue sm latex qui veut se rendre à la fishtinière.
5 De Anonymous blog - 03/04/2015, 07:59
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6 De Anonymous blog - 03/10/2015, 22:19
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8 De Quand les holoturies ont un coup de mou – Top of the Prots - 30/03/2020, 08:10
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