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[La Tronche En Live] Apprivoiser l'erreur



Voici le dossier sur le thème de l'erreur, que j'ai écrit pour l'équipe de La Tronche en biais en préparation d'une émission en Live réalisée le Mardi 29/09/2015. On a eu de nombreux soucis techniques mais j'espère que le montage de l'émission sera tout de même intéressant et agréable à écouter. En attendant, voici le script de ce dossier qui est publié ici et simultanément sur le blog de Mendax, Menace Théoriste.

Vidéo de mon intervention en Live sur la chaine de La Tronche en Biais:



Erreur et Sérendipité

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L’erreur, ça semble rarement cool… On dit pourtant souvent que l’erreur est humaine. Et en étendant quelque peu la définition de ce qu’est une erreur, on pourrait carrément dire que l’erreur est biologique. L’erreur, dans le vivant, c’est la source même de la variation, c’est ce qui permet l’introduction d’un caractère aléatoire lors de la reproduction (les mutations, les erreurs de copie). Si les premiers organismes vivants n’avaient réalisé que des copies totalement fidèles de leur matériel génétique, l’absence de variation de génération en génération n’aurait pu permettre leur évolution. Et il est fort probable que la moindre pression sélective sur ces proto-organismes tous identiques les auraient condamnés à l’extinction. Si vous avez donc envie de dépasser le stigmate de l’erreur, rassurez-vous en vous disant que l’erreur est la source de l’exquise diversité du vivant. Pour résumer, sans erreur, y’aurait pas de vie.

Mais saviez-vous que l’erreur est aussi essentiellement scientifique ? L’erreur est au cœur de la méthode scientifique et est souvent son objet : on cherche à l’identifier, la caractériser, la limiter, etc.

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Brillantes exploitations de l’erreur.

Parfois même, l’erreur peut être au cœur des découvertes scientifiques… Sans parfaitement correspondre à la définition, des découvertes par erreurs peuvent rentrer dans un phénomène plus général qu’on appelle la sérendipité, le fait de découvrir quelque chose qu’on ne cherchait pas directement. J’ai découvert l’origine de ce mot en écoutant une chronique d’Alan Vonlanthen de Podcast Science qui citait les aventures des trois princes de Serendip, un conte persan où les princes y font sans cesse la découverte de choses qu’ils ne cherchaient pas, par une subtile combinaison d’accidents et de sagacité. Le néologisme de sérendipité fut ensuite créé par le comte d’Oxford Horace Walpole en 1754 pour désigner ce moteur très important de découvertes scientifiques. Dans son sens général, cela évoque le fait qu’une observation, à priori aléatoire (le fait que des laitières du XVIIIème siècle, contractant souvent la variole bovine, semblaient immunisées contre la variole humaine) inspire un scientifique, Edward Jenner, pour l’analyser et permettre une découverte majeure (en l’occurrence le premier vaccin, contre la variole, en inoculant des enfants avec du pus des plaies des laitières malades de la variole bovine).

Mais dans cette histoire, il n’y a pas vraiment d’erreur (enfin il y a une grosse erreur d’éthique et de déontologie, mais passons) : c’est plutôt la providence qui est révélée ici, ou la grosse schkoumoune comme on dit dans le métier. La question qui nous intéresse maintenant, c’est s’il existe vraiment des découvertes dont l’origine est une bonne grosse gaffe de derrière les fagots ?

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Monsieur Fleming et sa paillasse mal rangée.

L’exemple le plus connu de conneries qui mène à une découverte, c’est celle d’Alexander Fleming, qui aurait pu finir comme un fort peu célèbre microbiologiste incapable de faire pousser correctement des bactéries dans des boites de Petri. Il avait une réputation de bordélique et, à plusieurs reprises, laissait ses sécrétions contaminer ses boites de cultures bactériennes. C’est comme ça qu’il a découvert, après avoir laissé tomber une larme dans une de ces boites, que les bactéries ne poussait plus là où la larme était tombé. Et bing, il mis en évidence une enzyme capable de bousiller des bactéries. Rebelotte 6 ans plus tard: il part en vacances en laissant sa paillasse en bordel, avec des piles de boites de cultures. En revenant, il découvre qu’un champignon y avait poussé, et encore une fois, il découvre que là où pousse le champignon, les bactéries trépassent: c’est la découverte de la pénicilline, premier antibiotique correspondant aux sécrétions du champignon.

Quelques pages où trouver plus d’info sur la sérendipité :



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Les trois princes de Serendip



Mais finalement les exemples où des erreurs et gaffes flagrantes sont à l’origine de découvertes ne pullulent pas. La question qu’on est en droit de se poser c’est : est-ce que ces exemples sont véritablement rares, ou est-ce qu’ils sont cachés, car leurs auteurs sont honteux d’avoir réalisés ces gaffes ?

Faut dire ce qui est vrai: faire des erreurs constitue toujours un fort stigmate. On sort rarement indemne d’admettre qu’on fait des erreurs, et c’est potentiellement la raison pour laquelle on a tendance à vouloir masquer qu’on en fait. En science, ça peut être un peu curieux puisque le système de la méthodologie scientifique, et notamment son processus de publication de résultats, s’attache à impliquer tous les chercheurs, tantôt du côté de la personne qui produit et présente des potentielles découvertes scientifiques, tantôt du côté de l’expert sollicité pour déterminer si ces potentielles découvertes ont été réalisées selon des protocoles rigoureux et si les résultats obtenus ne constituent pas des erreurs d’interprétations. De ces découvertes, souvent, les scientifiques bâtissent des théories qui, comme nous l’expliquait Mendax, sont des ensembles de concepts capables de rendre compte du fonctionnement du monde. Une fois formulées, ces théories ne sont pas pour autant à l’abri de critiques, bien au contraire. Kathryn Schulz, dans son livre ‘Being Wrong’, nous explique qu’en réalité, non seulement on peut réussir à prouver que certaines théories sont fausses, mais qu’à vrai dire, c’est le sort de la très grande majorité des théories. Et les scientifiques s’accordent à dire que ce type d’évènement, l’effondrement d’une théorie, marque de manière retentissante le succès de la science, et non son échec. Pourquoi? Et bien parce que quand des théories s’effondrent face à de nouvelles découvertes ou des réinterprétations de résultats, cela marque le progrès de nos connaissances générales ; nous nous écartons alors d’une position erronée pour nous rapprocher d’une compréhension véritable de la nature. Certaines anecdotes illustrent le comportement exemplaire de certains scientifiques qui ont pris à cœur cette perspective sur l’erreur. Dans son ‘The God Delusion’ (titre français « Pour en finir avec Dieu »), Richard Dawkins rapporte l’anecdote d’un biologiste d’Oxford ayant pendant 15 ans affirmé qu’une structure cellulaire, l’appareil de Golgi, n’existait pas. A la suite d’une présentation d’un de ses pairs qui venait présenter des résultats convaincants quant à l’existence de cet appareil de Golgi, notre biologiste est venu à sa rencontre pour lui serrer la main, le féliciter, et le remercier en déclarant ‘je vous remercie d’avoir prouvé que j’avais eu tort pendant 15 ans’.

Très personnellement, l’exemple le plus édifiant d’un tel comportement où un scientifique cherche d’abord à prouver que sa découverte est une erreur, avant de considérer qu’elle puisse être vraie, c’est une scène du film Contact adapté d’un livre de Carl Sagan. Ellie, le personnage interprété par Jodie Foster dans le film de Zemeckis, capte un signal d’origine potentiellement extraterrestre. En tant que spectateur, si on n’est pas un peu la tête dans le guidon, on se doute bien que la narration va nous mener à comprendre qu’il s’agit d’un signal extraterrestre. Pourtant le film passe près de 5 minutes à illustrer le comportement sceptique d’Ellie qui, en face de ses collègues, les incitent à prouver qu’elle a tort de penser qu’il s’agit d’un signal extraterrestre: Make me a liar, leur dit-elle.

Ca fait quoi d’avoir tort ?

Bizarrement, il semble qu’on remarque assez rarement l’utilité de l’erreur dans le processus d’apprentissage. Pourtant c’est très souvent le fait de faire des erreurs qui nous permet de corriger, de réviser nos idées et de changer pour le meilleur. Qui plus est, la vérité absolue, si elle existe pour certains aspects de l’univers, est totalement unique. Par contre, comme l’observait Benjamin Franklin, il semble exister une infinité de manières de se tromper, et on peut s’attarder à admirer la diversité de conneries, d’erreurs, d’absurdités dont est capable l’esprit humain, source parfois d’une poésie insoupçonnée. Dans la chanson Don Diego 2000 de Dionysos, on nous conte l’histoire d’un homme doué d’une dyslexie magique qui suture des mots à l’oreille d’une fille aux yeux en pâte d’amande. Pas mal comme gaffes linguistiques, non ?

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L’erreur c’est parfois une question de point de vue (mais pas toujours, et pas sur tous les sujets)

Du coup, y’a deux choses qu’il faudrait souvent garder en tête vis-à-vis de l’erreur. La première, c’est qu’avoir tort, en fait, c’est pas particulièrement désagréable. À vrai dire, comme le fait remarquer Kathryn Schulz, ça ressemble particulièrement à ce qu’on ressent quand on a raison. C’est parce qu’on confond souvent avoir tort avec la réalisation qu’on a tort. Avoir tort, c’est le plus souvent à nos dépens, sans qu’on en ait conscience. Du coup, présentement, sur pas mal de sujets, j’ai tort, vous avez tort et on s’en porte pas plus mal. Ce qui est plus difficile à digérer, c’est quand on s’aperçoit qu’on a tort. Parce que, généralement, on perd la face, et souvent c’est une réalisation catalysée par une personne qui nous démontre qu’on a tort, et qui en prend un malin plaisir.

 

Ça m’amène à la deuxième chose importante à garder en tête vis-à-vis de l’erreur : si on change d’avis et qu’on réalise que l’erreur est souvent positive, source d’enseignement, alors il faut savoir la tolérer, la gérer quand on s’aperçoit qu’elle est présente chez autrui. Et ça, ça demande des compétences en communication, en empathie, et c’est loin d’être facile.

Po3235148771_disagreement_xlargeur en revenir au premier point, si on sait qu’on est très certainement en train d’avoir tort, alors il faut prendre cette opportunité pour apprendre de ses erreurs : peaufiner les outils pour les détecter et les interpréter. Généralement, ça relève d’une hygiène mentale et d’un scepticisme rigoureux. Pour ça, il faut peaufiner des outils du scepticisme, sur soi-même. Jean-Michel Abrassart, fondateur du podcast Scepticisme Scientifique, observe, à juste titre, que de nombreux sceptiques utilisent les outils du scepticisme pour prouver aux autres qu’ils ont tort. A vrai dire, les outils du scepticisme sont d’autant plus efficaces et utiles lorsqu’ils sont avant tout utilisés sur nous-mêmes. Comme la plupart des outils, en soi, la méthode scientifique et le scepticisme n’a pas de valeur intrinsèque et c’est son utilisation qui va en déterminer l’impact (positif ou négatif) qu’ils peuvent avoir sur nous-mêmes et sur autrui. À l’instar du marteau qui peut être utilisé pour clouer ou pour assommer son voisin, le scepticisme peut, si uniquement employé pour prouver aux autres qu’ils ont tort, avoir des conséquences particulièrement négatives à une échelle individuelle mais parfois même à celle d’une communauté.

J’avoue que, personnellement, c’est une tendance qui m’assaille systématiquement. Quand je regarde une vidéo de la Tronche en Biais ou d’Hygiène Mentale, quand je lis des livres sur le scepticisme, je me surprends parfois à réfléchir pour essayer de trouver, dans mon entourage, sur qui utiliser tel ou tel outil sceptique pour prouver que cette personne à tort. C’est un peu normal en même temps: on peut très rapidement développer une envie de prouver à tous les autres qu’ils ont tort, c’est presque grisant. Mais ce qu’on fait au final, c’est souvent perpétuer le stigmate de l’erreur, et surtout, on perd des opportunités de vérifier si on en perpétue pas nous même, des erreurs.

C’est pourquoi pour optimiser le bénéfice des erreurs, il est particulièrement important qu’en tant que sceptique, on les popularise, qu’on les rende agréables, et surtout qu’on montre qu’on est capables d’en faire, et de les gérer sainement, en en bénéficiant nous-même.

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Admettre son erreur.

Comment aborder un débat d’idées ?

Mike Meraz a été l’hôte d’un fantastique Podcast, Actually Speaking, qui a employé le parti pris audacieux de mettre de côté l’aspect scientifique du scepticisme pour se concentrer sur son aspect humain, et essentiellement sur des problématiques de communication. Il s’est notamment penché sur l’efficacité de telle ou telle méthode de communication pour changer l’opinion de notre entourage. Son mot d’ordre : vivre de manière sceptique, mais savoir garder ses amis ! Cela signifie qu’il s’est surtout concentré sur des discussions et des communications qui peuvent avoir lieu entre personnes qui se connaissent, entre proches, et donc pas nécessairement des cas correspondant à deux figures publiques qui s’affrontent.

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Le débat n’est pas forcément public et médiatique.



Son premier constat, c’est que dans toutes discussions où deux personnes ne partagent pas la même opinion, il y a très peu de chances que l’une d’entre elle arrive à changer l’opinion de l’autre sur le moment, et qu’à la fin de la conversation on se retrouve en face d’une personne prompte à changer d’avis et admettre avoir eu tort. Et pourtant c’est souvent ce qu’on s’attend à obtenir en démarrant une conversation.

Ce qui est bizarre, c’est que nombre d’entre nous n’ont pas été convaincus du jour au lendemain sur tel ou tel controverse, et excessivement rarement après une conversation frustrante et houleuse. C’est très rare qu’on nous oblige à réfléchir et que ça marche. Généralement, les réalisations, les grands bouleversements de notre manière de penser ne sont pas obtenus sous la contrainte.

Ce qu’il faut réaliser c’est que de la communication, sans objectifs définis appropriés à la situation, mène à de la frustration. Dans le cas précédent l’objectif invraisemblable qui est visé mène à une conversation frustrante. Si on se définit un objectif à notre portée, alors on a plus de chances de réaliser une communication positive et fructueuse.

Pour être en mesure de savoir si un objectif est à notre portée, il faut se demander ce qui, selon nous, peut être formulé par notre interlocuteur pour nous signifier que l’objectif est accompli. Si cela vous semble invraisemblable, c’est que probablement votre but est irréaliste et va vous mener vers une conversation frustrante. Au final, ça vous oblige à réfléchir avant de prendre la parole, et c’est totalement en accord avec les principes du scepticisme. En plus ça limite les conversations frustrantes qui peuvent vous permettre de vous dissocier d’avec une image négative.

D’autre part, il y a une notion de contrôle importante et de qui le détient. Si l’objectif visé est de changer l’avis de la personne en face, on place l’interlocuteur en position de contrôle : lui seul peut décider du sort de la conversation. Vous lui donnez en cadeau votre perspective d’accomplissement. Dans une conversation conflictuelle, votre interlocuteur peut penser que tant qu’il ne partage pas votre point de vue, vous avez perdu. Et si votre objectif est de changer sa manière de penser ou son avis, vous allez probablement vers un échec car votre objectif est peu réaliste. Une autre manière de voir si votre objectif est réaliste, c’est de déterminer si vous êtes véritablement en contrôle de votre sens d’accomplissement. Votre but vous maintient-il en contrôle de votre niveau de frustration ?

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Faut-il sauter à la gorge de votre interlocuteur à la moindre erreur ?



Il ne faut pas non plus oublier d’admettre que nos proches, nos amis, peuvent commettre des erreurs. Leur tomber immédiatement dessus ne correspond pas véritablement à la reconnaissance de l’utilité de ce qu’est une erreur, ni à la réalisation que le meilleur moyen d’apprendre de ses erreurs, c’est souvent via une quête semi-individuelle, et favorisée par un contexte agréable et un sentiment de liberté. Le psychiatre George E. Vaillant utilisait une parabole avec des chenilles et des papillons: Il est très fréquent que les chenilles se transforment en papillon et soient alors persuadées qu’elles étaient de petits papillons dans leur jeunesse. La plupart d’entre nous sommes devenus sceptiques à travers un long et fastidieux voyage. S’attendre à ce que notre entourage le réalise le temps d’une discussion est totalement illusoire et injuste.

Votre rôle, en tant que sceptique, pourrait être d’une part de donner un bon exemple de la méthode sceptique, en partageant votre propre expérience, vos propres apprentissages de vos erreurs: donnez l’exemple de ce que vivre une vie sceptiquement peut apporter de bénéfique.

Vous pouvez aussi vous donner comme rôle de ne pas nécessairement pointer les moments où vos proches font des erreurs, mais plutôt les moments où ils en tirent un apprentissage précieux.

Le partage de connaissance, sans émettre de jugement sur les opinions de vos proches, peut éventuellement accomplir ce que vous recherchez: devenir une référence, un soutien pour leur éventuelle transformation.

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Cependant il y a un équilibre entre le soutien et la remise en question. Généralement, nous, les sceptiques, on est assez balaises pour remettre toute affirmation en question. Mais généralement, cela fait fuir notre entourage. On représente un perpétuel challenge, et parfois malgré nous : c’est ce qu’on réalise par exemple en présumant des connaissances de notre entourage, de leur intérêt pour nos propres centres d’intérêts, de leur capacité ou leur familiarité avec des concepts scientifiques ou philosophiques. La remise en question peut être excessive quand on bombarde notre entourage de faits scientifiques non digérés, quand on s’attend à ce qu’ils déploient une méthode académique ou épistémologique, quand on piétine leur croyance sans égard et surtout, quand on leur fait croire qu’il faut qu’ils changent pour pouvoir continuer à nous parler, voire d’être un bon être humain. Surtout s’il s’agit de vos proches, il peut être capital pour conserver de bonnes relations de ne pas systématiquement remettre tout ce qu’ils disent en question. C’est éreintant et non constructif. N’allez pas à toutes les batailles. De la même manière ne vous transformez pas en manuel scolaire à chacune de vos interventions. Si la plupart d’entre nous changent après avoir lu tel ou tel livre, d’autres effectuent ce changement en interagissant avec des personnes, grâce à une connexion. Et on n’est pas capable d’avoir une connexion avec un manuel scolaire.

À l’inverse, on peut apporter un soutien trop prononcé. C’est ce qui se passe si, par exemple, on laisse tout passer, on laisse dire des choses qui nous semblent fausses sans intervenir de peur de briser nos relations, quand on suggère qu’on est d’accord puisqu’on se tait, quand on est trop neutre voire qu’on suggère que le relativisme complet est tolérable.

Comme c’est human-errorsouvent le cas, il faut un peu des deux, et déterminer un équilibre adéquat. Il est cependant très important de comprendre que la remise en question d’une opinion peut être traumatisante. En sachant ça, il est utile d’essayer d’éviter ce traumatisme, car c’est très peu propice à l’apprentissage. On dit souvent qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, mais on n’est pas obligé de bousiller une barquette de 24 pour partager une omelette à deux…

Pour pouvoir atteindre un bon équilibre, y’a pas 30000 façons, faut s’entrainer, faut s’exercer, et vous inquiétez pas, vous allez faire des erreurs, mais avec un peu de chance et de bonne volonté, vous allez probablement apprendre de vos erreurs pour vous améliorer.

L’Entretien épistémique ?

Les gars de la Tronche en Biais ont évoqué l’entretien épistémique comme une bonne méthode pour qu’un interlocuteur soit confronté à ses propres erreurs : l’entretien épistémique, selon eux, correspond à une discussion sans débat permettant, à terme, d’amener votre interlocuteur devant ses propres contradictions, devant les limites de ses connaissances actuelles. En constatant lui-même les anomalies de sa méthode, il vous verra moins comme un adversaire que comme un partenaire dans l’examen des raisons pour lesquels il croit ce qu’il croit.

Personnellement je remarque qu’il y a éventuellement un problème d’objectif tel que je l’ai énoncé plus haut avec une perspective de changement d’opinion à la fin d’une discussion.

Mais plus important pour moi, il y a surtout une lacune quant à la méthode permettant d’écouter efficacement votre interlocuteur. Quoi? Bien écouter, c’est pas tout simple? Il suffit pas de croiser les bras et de laisser votre interlocuteur blablater, alors?

Ça c’est probablement une manière d’écouter très inefficace, car écouter est un art. Surtout si on veut maitriser l’art de l’écoute active. De base, dans une conversation, on est des brêles pour écouter: on est distrait, on est dans nos propres pensées, on se concentre sur les arguments qu’on va sortir pour tacler notre interlocuteur, etc. Écouter de manière active, c’est véritablement porter toute son attention à l’interlocuteur. C’est montrer également à l’interlocuteur qu’on est engagé dans l’écoute, et investi dans la conversation. C’est choisir de montrer qu’on comprend, ou qu’on veut clarifier immédiatement une incompréhension.

Alors pourquoi choisir l’écoute active: et bien car elle aide à construire une relation de confiance avec votre interlocuteur, et elle vous permet de comprendre le contexte et le contenu de son propos. L’écoute active, c’est particulièrement efficace quand on couple cette technique à celle d’éviter d’utiliser la seconde personne. Dire ‘tu’ ou ‘vous’ à tout bout de champ, laisse transparaitre un certain degré d’accusation et il peut être souvent utile de se concentrer sur la première personne: de partager son expérience, son ressenti.

Pour en revenir à l’écoute active, dans le cadre d’un entretien épistémique, elle peut permettre de réfléchir comme un miroir les croyances d’une personne, de renvoyer cette image. En ça vous devez jouer le rôle d’un miroir efficace : vous devenez l’outil d’autoréflexion permettant à votre interlocuteur d’appréhender pleinement ses propres croyances, ses décisions, positions, opinions avec une clarté et une perspective quasi impossible à obtenir soi-même.

En plus être écouté montre qu’on entre dans une communication où le flux d’information n’est pas unilatéral, ce qui permet de se sentir estimé et de construire un environnement de communication partagé. En plus, quand on fait un effort conscient sur soi-même pour écouter l’autre, cela a souvent l’effet d’une soupape de sécurité qui vide un peu la pression et la frustration qu’on peut accumuler.

Il faut aussi se rendre compte et transmettre le fait qu’écouter ne signifie pas nécessairement agréer, accepter, valider. Ce n’est pas en coupant la parole à une personne à tout bout de champ qu’on démontre au mieux qu’on n’est pas d’accord avec ce qu’elle dit. Couper la parole à quelqu’un laisse déjà la possibilité à cette personne d’estimer qu’elle ne s’est pas totalement exprimé, que son opinion n’a pas été entendue. Pour des spectateurs de ces échanges, ça peut en plus avoir l’effet pervers de jeter une aura de mystère sur le fameux sujet non exprimé par votre interlocuteur, ce qui peut alimenter un esprit de controverse. Et en plus, ça nous fait paraitre menacés. Si vous êtes confiants sur la validité de vos opinions, laissez vos interlocuteurs parler pour que l’intégralité des deux opinions puissent être comparées. Si vous n’êtes pas confiants, vous aurez au moins de nombreuses informations obtenues auprès de votre interlocuteur et qui consisteront en autant de points de réflexions et recherches pour informer ou confirmer vos propres croyances.

Mais attention à ne pas confondre l’écoute pour obtenir des informations et l’écoute active. L’écoute active rajoute une couche à la simple collecte d’informations: elle permet de renforcer vos relations avec vos interlocuteurs, fournit les conditions propices à l’éveil personnel et au changement, augmente votre capacité à influencer et persuader et surtout permet de désamorcer des situations conflictuelles.

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L’écoute active.

Voici 5 points permettant de réaliser une écoute active efficace. Faut pas se le cacher, c’est compliqué, c’est dur, et la pratique de l’écoute active montre à quel point écouter peut être considéré comme un art. L’écoute active c’est:

1: Prêter attention.

Comment prêter attention – Des petites astuces. Regarder la personne dans les yeux, éviter les distractions (si vous sentez que vous êtes hyper en colère, ou distraits, c’est peut-être pas le moment d’avoir cette conversation), ne pas réfléchir à la manière dont on va formuler sa propre réponse mais se concentrer sur ce qui est dit, faire attention au langage corporel de son interlocuteur, ne pas se concentrer sur les tics de langages ou le maniérisme de l’interlocuteur qui peut nous agacer mais se concentrer sur le message qui nous est véhiculé.

2: Montrer qu’on écoute

Hochez la tête, agréez, souriez, ne vous braquez pas en croisant les bras en attendant la fin de l’intervention de votre interlocuteur, mais plutôt penchez-vous vers lui pour montrer que vous êtes absorbé par son propos.

3: Fournir un retour d’information, du feedback

C’est peut-être le plus compliqué… Là, vous allez devoir intervenir pour clarifier le message que vous venez d’acquérir. C’est bien la différence avec une écoute passive: l’écoute active implique que vous réfléchissiez immédiatement au message qu’on vous délivre. Pour cela, vous pouvez simplement répéter une phrase clé qu’on vient de vous communiquer, mais ça peut être vite lassant. Du coup il va falloir plutôt paraphraser votre interlocuteur en lui sortant des phrases du genre: ‘si je comprends bien, ce que tu me dis c’est pif et paf’. Il faut aussi, de temps à autres, résumer ce qui a été dit. C’est très important pour voir si vous avez suivi, si votre interlocuteur sait où il en est de son raisonnement, etc. Et puis n’hésitez surtout pas à poser des questions. En tant que prof, je peux très vite savoir si un étudiant suit mon cours ou non de cette manière: s’il me pose une question approprié, c’est que j’ai obtenu son attention (c’est très agréable). Dès que vous sentez que vous ne comprenez plus, c’est le moment d’intervenir. Il est tellement facile de faire semblant d’écouter en hochant la tête même si on ne pige rien. Poser une question pour être sûr qu’on a compris, c’est garantir à votre interlocuteur que sa voix est écoutée.

4: Différer son jugement, l’expression de son opinion.

En très bref, ne coupez pas la parole de votre interlocuteur et ne vous précipitez pas avec un contre argument à la moindre pause dans son argumentaire. Si vous montrez que vous êtes patients, il est à peu près certain que vous bénéficierez du même type de patience en retour pendant votre réponse: est-ce que c’est pas une situation idéale pour communiquer et transmettre ce que vous voulez dire?

5: Répondre de manière appropriée:

Après avoir laissé parler votre interlocuteur dans le cadre d’une écoute active, vous détenez maintenant non seulement des informations sur son message, mais aussi probablement sur ses émotions. Vous avez une perspective, un contexte dans lequel votre interlocuteur pense ce qu’il pense, croit ce qu’il croit. Vous serez éventuellement surpris d’apprendre que votre interlocuteur, de prime abord véhément sur l’inexistence de l’évolution, tient cette opinion essentiellement pour des raisons totalement différentes d’une simple adhésion à une logique créationniste: ça peut être l’expression d’une méfiance envers le monde académique, une crainte envers la disparition dans la société de certaines valeurs chère à votre interlocuteur ou encore d’une pression interne d’adhérer aux opinions d’un tiers qui leur est cher pour éviter de fragiliser ses relations, un mariage tendu par exemple. Utilisez maintenant ces informations à bon escient dans votre réponse. Soyez franc, honnête, mais n’édulcorez pas votre propre opinion pour autant.

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Y a-t-il d’autres stratégies valables ?

Je vous ai exposé des techniques de communications à utiliser essentiellement avec des proches et non des stricts inconnus ou des figures publiques. Dans ce second cas, vu notre investissement émotionnel et affectif  minimal, on peut être tenté de privilégier un discours beaucoup plus conflictuel, confrontationnel, utilisant le ridicule pour véhiculer l’inanité des opinions de vos interlocuteurs. Alors je vais peut-être vous surprendre, mais en soi, je ne trouve pas ça une mauvaise stratégie. L’agression, le ridicule, qu’on oppose souvent à la patience, l’éducation, correspond à un outil particulièrement efficace dans certains contextes pour promouvoir le scepticisme et l’esprit critique. Ces deux approches constituent des outils pour combattre l’ignorance. Opposer ces deux approches en essayant de savoir laquelle est la meilleure peut revenir à se demander ce qui est le meilleur outil: le marteau ou le tournevis. Cette question est totalement creuse si on supprime le contexte de l’utilisation de ces outils. La question qu’on doit se poser c’est quand utiliser ces outils, et comment les utiliser de manière efficace. Pour cela, une bonne méthode, c’est de se demander quel peut être le préjudice généré par votre interlocuteur. Alors attention, dans ce cas précis, à ne pas faire une erreur courante dans le monde sceptique qui est de confondre l’interlocuteur d’avec le sujet exposé. J’entends souvent dire qu’il ne faut pas se concentrer sur l’interlocuteur mais sur son sujet: c’est hyper dangereux en fait. La plupart d’entre nous, sceptiques, sont familiers avec des sites comme ‘What’s the Harm’ (http://whatstheharm.net/ ) qui compile tous les préjudices (morts, blessures, gaspillage économiques) perpétrés par des pratiques paramédicales ou occultes. Se concentrer sur le message et retirer l’interlocuteur de l’équation, c’est risquer de communiquer le fait que votre interlocuteur est directement responsable de ces préjudices. Je sais pas si vous imaginez le poids de responsabilité qu’un sceptique peut larguer tranquillos sur les épaules d’une personne sans prévenir:

« Bonjour, tu crois en l’homéopathie? Tu es responsable de la mort de N gamins. Ciao ! »

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Ce qui se passe en fait c’est qu’on n’a pas réellement déterminé le préjudice véritablement généré par notre interlocuteur. Et si on détermine qu’une personne est plus ou moins heureuse, saine, et ne porte pas un gros préjudice à elle-même et à son entourage, il faut savoir que la promotion du scepticisme est probablement plus efficace lorsqu’elle se base sur de l’éducation, des exemples, de la coopération, plutôt que de la confrontation.

Cependant, on peut se trouver dans des situations où il est utile de savoir ajuster son niveau d’agressivité. Personnellement, c’est une des pratiques que j’ai le plus de difficulté à mettre en œuvre, mais un véritable équilibre dans la gestion de ce niveau relève d’un entrainement et d’une pratique régulière.

La première mission, on l’a vu, c’est de déterminer le préjudice généré par votre interlocuteur. N’hésitez pas à prendre le temps de réfléchir avant d’intervenir, ça vaut le coup.

Votre niveau d’affirmation de vous-même, de transmission des principes du scepticisme doivent être calibrés. Évitez d’être trop brutal lorsque vous estimez que votre interlocuteur ne sait rien ou peu de choses du scepticisme.

Votre niveau d’intervention doit également être calibré: faible si vous estimez que la personne est susceptible de se poser des questions, très fort si le niveau de préjudice généré est important et immédiat.

Le ridicule et le discrédit? Il peut être utilisé, mais privilégiez son utilisation vers un individu pour lequel vous avez déterminé qu’il est une figure très publique, qu’il porte préjudice à autrui, qu’il refuse de s’en tenir à toute forme de raisons et surtout qu’il est en mesure d’influencer les autres. S’il s’agit d’une personne peu écoutée et influente, ne tirez pas sur l’ambulance…

À l’inverse privilégier la communication patiente et ouverte quel que soit la situation peut être une erreur: cela peut laisser penser que vous préférez esquiver, être inactif, et du coup minimiser l’importance du sujet que vous voulez promouvoir… On ne peut pas être gentil en toute circonstance, il faut savoir s’adapter à son auditoire.

Je vous communique tout ça non pas en expert: au contraire je suis ceinture blanche niveau junior dans la communication du scepticisme. J’ai passé par contre pas mal de temps à me poser des questions sur l’efficacité des différentes formes de communication et j’ai la volonté de m’entrainer à promouvoir de la meilleure manière qui soit, le sujet qui nous intéresse tous ici: le scepticisme et l’esprit critique. Comme beaucoup de bonnes choses, ça nécessite énormément d’entrainement et de pratique et je pense qu’on va faire énormément de gaffes sur le chemin. Mais ne soyez pas rat: partagez vos échecs, vos erreurs, pour que notre communauté grandisse ensemble rapidement.

En conclusion, j’espère que ce live aura été truffé de nombreuses et belles erreurs.

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Liens:
Mike Meraz:

Kathryn Schulz Being Wrong:

Autres liens sur l’erreur:

https://associationslibres.wordpress.com/2015/06/15/accepter-lechec-les-neuroscience-du-foirage/

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