Le 5 Juillet dernier, je participais à SOS Neurones, une chouette soirée/conférence à Nantes en compagnie d'illustres vulgarisateurs: Chroniques de prof, Balade Mentale, Acermendax de la Tronche en Biais, Florence Porcel et même Frédéric Courant de l'Esprit Sorcier.
On m'avait proposé de parler d'un sujet un peu ardu, "Sommes-nous les seuls à savoir ?", et voici comment je me suis débrouillé:
Et pour ceux qui veulent prendre le temps de regarder les diapositives calmement, les voici (mon texte est dans les commentaires des diapositives):
Quand on m'a proposé de participer à cette conférence, au début j'étais carrément embarrassé, parce que je ne voyais pas trop ce que je pouvais raconter de pertinent. Mais heureusement pour moi, je venais de clore l'UE optionnelle que j'avais lancée il y a peu de temps, Culture Biologique Numérique, où mes étudiants avaient eu le bon ton de s'intéresser au thème de l'intelligence des plantes et d'inviter un enseignant chercheur, François Bouteau, à nous parler du sujet, juste après la diffusion d'un documentaire.
Après quelques recherches, je tombe sur cette passionnante et déroutante conférence TED du chercheur Stefano Mancuso:
La question "Sommes-nous les seuls à savoir?" devenait une opportunité de se plonger dans le monde fascinant du comportement végétal. Alors certes, le sujet devenait carrément plus évident à traiter, mais il me restait néanmoins à me plonger dans les articles de blogs et les revues scientifiques pour me faire ma propre opinion sur l'état de l'art concernant la neurobiologie des plantes. Et comme la gigantesque liste de sources que vous trouverez en fin de billet peut en témoigner, wala la quantité d'articles qu'il faut se farcir pour modérément s'assurer qu'on va pas dire de grosses conneries lors d'une conférence en face d'une centaine de personnes. L'autre souci c'est que je me retrouve à vouloir présenter toutes les découvertes incroyables que j'ai pu lire... en seulement 10 minutes... Mais comme on dit:
Ce billet sera donc l'occasion de partager les vidéos, billets et podcasts qui ont jalonné mes recherches et m'ont permis de découvrir une nouvelle facette de la biologie que je ne soupçonnais pas.
Commençons donc par l'anecdote de Richard Feynman que j'ai utilisé pour défendre l'idée que s'attarder sur les définitions et les nomenclatures humaines pouvaient souvent nous éloigner de l'objet de notre étude:
C'est assez paradoxal de ressortir cette citation pour un biologiste dont l'essentiel du travail tourne autour de l'établissement des liens de parentés entre organismes et de fait, leur attribution d'un nom. Mais en fait c'est toujours salutaire de prendre du recul sur sa propre activité. Pour moi, cela me permet de me rendre compte que malgré l'intérêt certain que la phylogénie peut avoir pour travailler en évolution, voire en biologie de manière générale, il s'agit d'un outil humain pour essayer de donner un sens figé à une réalité mouvante et toujours changeante. Une sorte de mandala scientifique en somme.
Mais bon, on va pas se mentir, c'était surtout histoire de me donner une crédibilité en citant un prix Nobel... J'en avais bien besoin avant de montrer les similitudes entre des neurones et... le piège d'une dionée!
Pour voir la vidéo dont est tiré ce gif, cliquer ici.
L'aspect surprenant ici, c'est d'évoquer des potentiels d'actions pour une plante, quand bien même elle est chelou comme Dionaea muscipula. Les potentiels d'action étant des influx électrochimiques caractérisant des cellules nerveuses, on peut être surpris d'en retrouver l'usage chez des plantes. Mais, bon, il peut s'agir de quelque chose de spécifique à une plante isolée dans son coin.
Et bien c'est sans compter une autre plante sensible: Mimosa pudica.
Pour le coup, j'ai fouillé dans l'excellent blog de Robert Krulwich pour obtenir des informations pertinentes sur le sujet, mais aussi chiper deux excellents gifs expliquant une expérience menée par Monica Gagliano. Cette chercheuse a ainsi observé que les feuilles de Mimosa se referment lorsqu'on fait chuter la plante d'une hauteur de 15cm:
On conviendra que ce genre d'expérience ne représente pas une situation fréquemment rencontrée dans la nature (c'est d'ailleurs l'intérêt de la procédure). Monica Gagliano s'est ensuite aperçue que la plante cesse de fermer ces feuilles après répétitions successives de l'expérience:
C'est une surprise en soi, d'autant plus que les feuilles continuent d'être sensibles au toucher. Encore plus surprenant: certaines plantes semblent conserver cette absence de réaction plus de 28 jours après la première série d’expériences… Un peu comme si elle avait mémorisé la leçon…
On passe ensuite aux images qui m'ont le plus marqué lors de la préparation de cette conférence: les plants de pois qui détectent un tuteur. J'en avais entendu parlé lors de la conférence de François Bouteau et j'ai du chercher un extrait vidéo pendant des heures. J'ai trouvé mon bonheur dans une vidéo accompagnant un excellent article du New Yorker sur l'intelligence des plantes:
La tentation d'interpréter en terme émotionnel le comportement de ces plants de pois est quasi impossible à maîtriser. Certes on y voit des plants de pois qui repèrent dans l'espace la localisation du tuteur qui va leur permettre d'obtenir un support pour se hisser vers le haut, mais on ne peut s'empêcher de ressentir l'effort de la plante, voir être peiné pour un des plants qui perd à la compétition pour s'agripper à un tuteur...
Mais puisqu'il s'agit de vidéos qui ne font pas encore partie d'une étude publiée sur le sujet, je me garde de conclure quoi que ce soit sur ces facultés observées chez quelques plants de pois. Par contre, de nombreuses études ont documenté la détection spatiale par les cuscutes, des plantes parasitaires qui s'agrippent aux plants de tomates.
J'avoue que j'affectionne assez ces plantes parasitaires qui, en vidéo accéléré, donne vraiment l'impression d'être des plantes zombies. On voit tout de même les nombreuses adaptations qui permettent aux cuscutes d'une part de détecter leurs hôtes (notamment grâce à des molécules volatiles) et d'autres part de se fixer à eux à travers des haustoriums qui leur permettent ensuite de pomper eau et nutriments.
J'embraie ensuite sur le sujet de la communication des plantes, sujet que j'ai notamment pu explorer à travers cet article de The Scientist. C'est également l'occasion d'évoquer l'incroyable qu'ont certaines plantes, comme le maïs, de réagir à des ondes sonores, et même d'en produire. Pour ces expériences, on retrouve Monica Gagliano qui explique à l'équipe de Earth Unplugged comment révéler ces phénomènes:
Si la recherche en acoustique des plantes (j'en reviens toujours pas d'avoir écrit ça...) est encore balbutiante, d'autres formes de communications entre plantes sont étudiées depuis plusieurs décennies, notamment dans le domaines des molécules volatiles, ou encore celles échangées à travers le réseau racinaire:
On découvre dans cette infographie comment les plantes peuvent échanger entre elles des informations concernant divers éléments environnementaux, comme par exemple une attaque de pucerons. Les plants de fèves peuvent ainsi se prévenir entre eux d'une telle attaque et organiser une réplique contre ces attaques en attirant des prédateurs de pucerons: des guêpes parasitaires dont voici un aperçu du mode opératoire:
Si certaines plantes arrivent à communiquer aussi bien entre elles, c'est donc en partie à travers leur réseau racinaire qui est complété par des champignons symbiotiques: l'association mycorhizienne. Comme quoi on a pas fini de parler de ces relations si particulières qui étaient le sujet de l'interview de Marc André Selosse pour Podcast Science...
C'est à ce moment où je commence une longue digression sur l'émergence de putatives propriétés cognitives chez les plantes avec des considérations sur de la mémoire stockée chez des planaires qui régénèrent leur cerveau, ou encore sur des comportements sociaux chez des bactéries contrôlés par des influx électrochimiques. Ce seront tous deux les sujets plus aboutis de futurs articles un de ces quatre (comprendre en 2028).
Que voulez-vous, après avoir préparé cette conférence, je suis devenu un vrai légume...
Je profite de la rédaction de cet article pour révéler deux prouesses végétales que je n'ai pas pu inclure dans ma présentation. Tout d'abord une plante qui réagit en temps réel à de la musique: la plante dansante Codariocalyx motorius:
Et ensuite cette graine akène de plante à feuilles de cigüe (Erodium cicutarium) qui utilise une méthode assez originale pour s'enfoncer dans le sol:
Et pour finir, voici les vidéos des autres conférences lors de SOS Neurones:
Le Roman National - par Chroniques de Prof:
Veut-on tout savoir? par Florence Porcel:
Peut-on tout savoir? par Balade Mentale:
C'est la seule explication possible ! par La Tronche en Biais:
Liens:
Plantes :
Stefano Mancuso: Les racines de l'intelligence végétale
I Am Groot! Plants Are More “Alive” Than We Think
The Intelligent Plant
Can a Plant Remember? This One Seems to—Here’s the Evidence
Can plants learn?
Aphid attacks should be reported through the fungusphone
L’insoupçonnable intelligence des plantes – Partie 1
Les plantes entendent-elles ?
Plants "Listen" to the Good Vibes of Other Plants
Plants may be able to ‘hear’ others
Do Plants Smell Other Plants? This One Does, Then Strangles What It Smells
Plant Talk
Root intelligence: Plants can think, feel and learn
Using Ideas from Behavioural Ecology to Understand Plants
Plants Listen for Hungry Caterpillars, First-of-Its-Kind Study Suggests
Plongée souterraine à la rencontre des racines... et de leur "nez"!
How plants rely on friendly fungal bodyguards
How the Venus Flytrap Became Predator Instead of Prey
The Venus Flytrap Is a Mighty Hunter Because It Can Count
Mémoire chez la planaire:
Remembrance of Brains Past
Animal Loses Head But Remembers Everything
Decapitated Worms Regrow Heads with Memories Still Inside
Bactéries Quorum sensing:
Should I Stay Or Should I Go
Cooperating bacteria are vulnerable to slackers
Quorum-Sensing Molecule Modifies Gut Microbiota
A Look Into The Viruses That Control Your Stomach Bacterial Infections (Including Probiotics)
Slime City: Where Germs Talk to Each Other and Execute Precise Attacks
Les bactéries aussi savent compter !
Bacteria Can Convey Electrical Messages the Same Way Neurons Do
The Secret Languages of Microbes
Bacteria communicate like neurons in the brain
Live Wires
Bacteria unite to form living electric cables that stretch for centimetres
Do cheaters prosper?
Slice of PLOS: Bacteria’s Social Media
Références:
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