Voici la transcription et les notes de l'émission 386 de Podcast Science. Cette émission m’a permis de mettre un jour un vieux billet de SSAFT paru en 2012 ainsi qu’une vidéo réalisée dans le cadre du festival en ligne Head Bang, en 2016.
Inspirez. Expirez. Inspirez. Expirez.
En réalisant ces simples exercices de respiration, vous venez de solliciter un système de tubes et de canaux qui va gonfler des sacs organiques situés dans votre cage thoracique. Constitués de millions de minuscules poches qui portent le nom poétique d’alvéoles, ces deux sacs, les poumons, vous permettent d’extirper les molécules de dioxygène mélangées à d’autres molécules gazeuses qui se trouvent dans l’air qui vous entoure. Cet exploit a lieu grâce à l’irrigation sanguine particulièrement développée autour des poumons où chaque alvéole est couplée à une myriade de fins vaisseaux sanguins appelés les capillaires. Dans ces vaisseaux, circulent des globules rouges gorgées d’hémoglobines, des protéines capables de capturer les molécules de dioxygène. Ces cellules iront, à la vitesse faramineuse de votre circulation sanguine, faire le tour de votre corps et oxygéner les cellules immobiles qui étouffent. En guise de remerciement, elles relarguent leurs déchets gazeux, le dioxyde de carbone, qui à dos d’hémoglobine fera le chemin du retour pour quitter votre corps au niveau des poumons.
Et tout cela se résume ainsi : Inspirez. Expirez.
Tout ce périple débute aux orifices qui marquent l’entrée de vos voies respiratoires : les narines et la bouche.
Ce qui nous amène à l’une des considérations enfantines les plus courantes face au portrait d’un insecte : “Où qu’elles sont les narines de la coccinelle?” S’en suit la terrible révélation suivante : les insectes n’ont pas vraiment de narines. “Mais du coup, elles respirent par la bouche ?” Me rétorquerait ce charmant et curieux bambin. Et voici le coup de grâce : les insectes ne respirent pas par la bouche.
Stupéfaction. N’ayez crainte, les explications arrivent.
Inspirez. Expirez.
Rien ne semble intuitif quand on considère la biologie des insectes. On apprenait lors de ma première émission sur le sujet (Emission 364 - La croisière ça mue) que les insectes portent leur squelette à l’extérieur, que cela forme une sorte d’armure quasi impénétrable, la cuticule, dont ils doivent se débarrasser régulièrement pour pouvoir grandir.
Pour respirer, les insectes font encore leurs intéressants : pas de narines, pas de poumons et surtout, pas de globules rouges. Pour inhaler et exhaler, les insectes exploitent un réseau de tubes qui prolongent la cuticule et qui s’enfonce dans leur corps. Ces tubes portent le nom de trachées et leurs système respiratoire, par extension, est un système trachéen. Chaque trachée d’insecte est composée de chitine, la molécule caractéristique de leur cuticule. Donc non seulement les insectes ont un squelette externe, mais en plus celui-ci leur rentre à l’intérieur du corps sous forme d’une myriade de tubes.
Si on a appelé ces structures des trachées, c’est parce qu’elles ressemblent à nos trachées avec cette forme en tube et ces multiples anneaux sur toute leur longueur. Mais alors que nous ne possédons qu’une trachée, les insectes en possèdent tout un réseau dont les plus grosses débouchent sur l’extérieur par des orifices externes qu’on appelle des stigmates ou encore spiracles. Donc si, chez les insectes, on devait chercher des analogues des orifices de notre système respiratoire (les narines et la bouche), on les trouverait tout le long du corps de nos amis à 6 pattes. En effet, classiquement, il y a une paire de stigmates par segment thoracique et abdominal de l’animal. Donc vous trouverez l’équivalent de 20 narines chez une sauterelle.
Les grosses trachées qui partent de ces “narines” se ramifient à l’intérieur du corps en de nombreuses trachées plus fines appelées trachéoles et qui vont aboutir dans les différentes cellules du corps de l’insecte pour y amener l’oxygène et récupérer le dioxyde de carbone. Vous avez donc ici un système fondamentalement différent de celui d’un humain, et par extension, de tous les vertébrés terrestres : chez les insectes, le système respiratoire trachéen transporte les gaz jusqu’aux cellules des organes. Il n’y a absolument pas besoin de fluides sanguins pour leur permettre de respirer. Et quand on dit jusqu’au cellules, c’est que les tubes deviennent si fins (jusqu'à 2 µm de diamètre) qu’ils peuvent parfois rentrer dans les cellules!
Si tous les tissus de la bestiole doivent être alimentés en oxygène et relarguer leur dioxygène dans un système de tubes, vous pouvez vous imaginer à quel point ce réseau de trachées doit être dense et complexe, comme on peut s'en apercevoir en schéma...
...avec des images d'un synchrotron à rayons X et en contraste de phase...
...et même en gif animé de la reconstitution tomographique d’un réseau trachéen d’une blatte de Madagascar:
C’est d’ailleurs sur une dissection de blatte que le Dr Nozman, à l’occasion d’un de ses fameux SciVlog, a pu observer le système respiratoire trachéen d’un insecte: à l’œil nu, ça ressemble à un fouillis duveteux de petits tubules blancs et brillants qu’il a pu prélever et observer sous microscope.
Que ce soit en tomographie ou en dissection, la révélation du système trachéen d’un insecte permet souvent de se rendre compte à quel point ces bestioles, c’est essentiellement que du vent… du fait qu’ils soient constitués d’autant de tubes remplis d’air.
L’auditeur attentif aura peut être une question s’il a relevé que les trachées sont une extension de l’exosquelette de l’insecte : que se passe-t-il au niveau des trachées lorsque le dit insecte doit muer et se débarrasser de son ancien exosquelette. Et bien une grande partie de ces trachées doivent être remplacées et font partie de la mue de l’insecte! Cela signifie que si vous ramassez une mue d’insecte, avec un peu de chance, vous pourrez voir à l’intérieur des filaments blancs qui moulent parfaitement le réseau de trachées qui parcouraient l’animal.
C’est comme si un serpent, en se débarrassant de sa vieille peau, crachait aussi ses poumons… Ouais je sais, y’a plus glamour comme image… Et j’en profite pour vous partager dans les notes de l’émission celle que j’ai fourni sur twitter il y a quelques temps d’un patient de 36 ans ayant toussé un caillot sanguin qui a moulé exactement la bronche droite de son poumon.
Ça n’a rien avoir, mais c’était tout de même une occasion rêvée d’en parler…
Comme je vous le disais, le réseau trachéen de l’insecte communique avec l’extérieur via des stigmates (ou spiracles) dont le nombre et la taille varient en fonction des espèces.
Ces stigmates fonctionnent comme des valves musculaires et leur ouverture est contrôlée, essentiellement pour empêcher que trop d’eau ne s’échappe de l’animal. Ce qui est surprenant sur le fonctionnement des stigmates, c’est que leur ouverture et fermeture régulent essentiellement les pertes en eaux de l’organisme et non la respiration. En effet, les insectes respirent essentiellement passivement, le dioxygène de l’air des trachées diffusant tranquillos dans les cellules, sans mouvement musculaire pour faire circuler l’air dans l’organisme. Du coup, cela signifie d’une part que les trachées doivent toujours être en forme de tubes ouverts ce qui est assuré par ces myriades d’anneaux qui les constituent, les ténidies, et qui sont en fait des épaississements réguliers de la cuticule. C’est la même technique employée dans notre trachée et qui est réalisée chez nous par des anneaux cartilagineux.
Pour comprendre l’utilité des ténidies, il faut se représenter des tuyaux d’arrosage ou une paille. Si, en aspirant ou en arrosant, vous appuyez sur le tube, et que celui-ci n’est pas renforcé, le tube se ferme sur lui même et le liquide ne peut plus passer. Un renforcement du tube à l’aide d’anneaux concentriques peut pallier ce risque d'effondrement. C’est l’utilité des anneaux cartilagineux dans notre trachée, et des spirales de cuticule épaissie dans les trachées d’insectes.
Certains insectes peuvent tout de même augmenter le volume d’air qui rentre et qui sort de leur corps en contractant et en dilatant leur abdomen, un peu à la manière d’un soufflet qu’on utilise pour attiser les braises d’un feu de cheminée.
Les modes de respiration changent alors en fonction de l’activité de l’animal, qu’il coure, qu’il vole ou qu’il reste passif.
Qui dit respiration passive, dit limitation de la quantité d’oxygène apportée aux cellules de l’organisme et de fait, limitation de la taille de celui-ci.
Le fait que les hexapodes emploient un système respiratoire trachéen limite donc leur taille maximale qui n’atteindra donc probablement jamais celle des monstres des films de série Z :
J’vous avoue, c’est un brin dommage. Mais peut être que les auditeurs ont déjà vu des reconstitutions de la faune préhistorique parmi laquelle ils ont pu noter la présence de certains insectes préhistoriques tels que Meganeuropsis permiana qui pouvaient atteindre des tailles bien plus conséquentes que nos insectes contemporains.
Si en effet Meganeuropsis permiana atteignait la taille titanesque de 71cm d’envergure pour 43 cm de taille du corps, c’est que cette énorme proto-libellule vivait au permien, entre 298 et 252 millions d’années avant notre ère à une époque où le taux d’oxygène dans l’atmosphère atteignait des valeur entre 31 et 35% (contre notre taux actuel autour de 21%). Tout en maintenant cette diffusion passive de l’oxygène, Meganeuropsis permiana alimentait ses cellules avec plus d’oxygène, permettant ainsi de pouvoir titiller la catégorie des poids lourds.
À l’inverse, vu que la respiration des hexapodes s’effectue par diffusion et non une respiration pulmonaire, les toupiti insectes peuvent être véritablement riquiqui avec un système respiratoire trachéen réduit voire absent comme chez les collemboles (qui pour le coup, sont chtimimi).
Ce système respiratoire semble donc assez peu optimisé et pourtant, il s’agit du premier système respiratoire ayant permis aux insectes de conquérir la terre ferme il y a plus de 395 millions d’années, et ce bien avant les premiers vertébrés! Cette conquête du milieu terrestre depuis le milieu aquatique a été fondamentale dans le succès évolutif des insectes (rappelez-vous qu’il s’agit du groupe d’organismes vivants avec le plus d’espèces connues à ce jour! Les insectes, c’est LA success story de l’évolution).
Et en parlant d’évolution, et maintenant que le système trachéen des insectes n’a plus de secret pour vous, voyons voir ce que la nature a bricolé avec pour leur permettre des utilisations plus exotiques que la simple respiration aérienne.
Et bien le système trachéen, on estime que près de 3% des espèces d’insectes l’utilisent… pour respirer sous l’eau… Attends, attends, Taupo, tu veux dire que l’un des éléments clés du succès évolutif des insectes, un système trachéen fondamentalement adapté à la respiration de gaz aériens qui leur a permis de conquérir la terre ferme depuis le milieu aquatique, que ce système là, des insectes l’utilisent pour respirer sous l’eau?
Ce serait un peu comme imaginer l’histoire des mammifères qui retournent vivre dans l’eau (les cétacés par exemple) et qui utiliseraient leurs poumons en guise de branchies, ça peut pas fonctionner!
Et bien voyons cela!
Pour retourner à la flotte, plusieurs stratégies ont été adoptées par des lignées d’insectes qui voulaient patauger. Il y a tout d’abord celles qui trichent un peu parce qu’elles continuer de respirer l’air… tout en étant sous l’eau. L’astuce c’est qu’elles gardent un contact avec la surface via un tube respiratoire. Ces insectes jouent donc la stratégie du scaphandrier, tout pareil comme Tintin qui employait un scaphandrier pour explorer l’épave de la Licorne:
Dans cette catégorie, on retrouve la larve de l'Eristale (appelée asticot à queue de rat ou rat-tailed maggot chez nos amis anglophones):
La queue du "queue de rat" est en fait un siphon respiratoire souple, mobile et qui peut s'étirer ou se rétracter à volonté, selon la position de la bestiole. Ce siphon comporte 3 parties télescopiques, un peu à la manière d'une canne à pêche, et au maximum de son déploiement il atteint près d'une dizaine de cm, soit 4 à 5 fois la longueur du corps de son propriétaire! C’est à l'extrémité de ce siphon que se situent les spiracles les plus postérieurs de l’animal qui vont donc rester en contact avec le milieu aérien. Pour éviter la noyade, les deux spiracles postérieurs sont munis de sortes de poils imperméables, dits hydrofuges, et souvent de valves permettant une fermeture avant une éventuelle plongée dans l’eau. Après métamorphose, ces asticots donneront d’abord une pupe qui a particulièrement l’apparence d’une souris avec une très longue queue…
... puis une mouche qui ressemble, de par ses couleurs, à une guêpe, astuce pour que les prédateurs la laisse tranquille.
Avant de continuer, j’en profite pour insérer une petite digression de bon goût. Il s’avère que les femelles des éristales pondent leurs œufs dans des flaques d’eau assez nauséabondes (là où il y au final peu de chances que leur progéniture se fasse bouffer et où, même si l’eau est pauvre en oxygène, les larves peuvent prospérer parce qu’elles respirent avec leur paille dans le cul). Et bien ces flaques d’eau nauséabondes, ça peut tout simplement être des latrines et il existe de très rares cas médicaux où l’orifice anal de patients humains se voit colonisé par des œufs de ce genre d’insectes (ou pire, des individus qui ingèrent ces œufs après ne pas s’être lavé les mains suite à un séjour aux dites latrines). Les œufs éclosent et, il s’avère que larves peuvent tout de même survivre, équipé de leur siphon qui les aident à trouver de l’air dans les boyaux de leurs hôtes. C’est un peu le même genre d’histoire que je vous confiais à l’occasion de ma réponse au quizz “La mouche qui pète : info ou intox” où je vous révélais que certaines mouches pouvais FAIRE péter car des larves de mouches à myiases provoquaient, de par leur développement dans les boyaux d’un pauvre patient, des ballonnements et des diarrhées aiguës. Fin de la digression. Continuons notre exploration des insectes aquatiques munies de tubas dans le fion.
Car oui! D’autres insectes ont acquis des siphons respiratoires au cours de leur histoire évolutive et qui leur confère la capacité de respirer de l’air, bien qu’étant submergé. On peut citer les nèpes, sortes de punaises aquatiques, redoutable prédatrices munies de pattes ravisseuses mais aussi de deux prolongements abdominaux en forme de gouttières qui peuvent se réunir pour former un tube respiratoire. Cette fois-ci, les spiracles restent près du corps de l’abdomen et l’air chemine depuis la surface jusqu’au postérieur de l’animal.
Plutôt pratique pour choper de croustillantes proies aquatiques!
Autre espèce qui goûtent les joies du snorkeling anal : les larves de moustiques. Et oui, les larves de nos pires ennemis de l’été sont aquatiques et munis d’un siphon respiratoire.
Les larves de certaines espèces de moustiques, comme celles du genre Mansonia, ont trouvé encore plus malin pour pomper l’air de la surface. Plutôt que d’employer une paille corporelle, elles exploitent les pailles de leur environnement : les racines ou les tiges des végétaux aquatiques qui comportent des vaisseaux remplis d’airs (ce qu’on appelle les canaux aérifères de la plante). Ces larves exploitent leurs stigmates abdominaux qui sont munis d’éperons pour percer les tissus des végétaux et mettre leurs système trachéen en contact avec l’air qu’achemine la plante depuis la surface.
C’est un peu la méthode classique des films d’aventures et d’actions où les héros exploitent un roseau pour se confectionner des tubas de fortune.
Mais bon, le scaphandrier, c’est marrant quelque temps, mais si on veut explorer le milieu aquatique un peu plus en profondeur, mieux vaut faire comme le commandant Cousteau et se munir de réserves d’oxygène portatives!
Ben les insectes n’ont pas attendu le capitaine au bonnet rouge pour plonger avec leurs réserves d’oxygène! Il y a par exemple les Corises qui plongent avec une bulle d’air précautionneusement coincée sous l’abdomen:
Directement en contact avec les stigmates abdominaux, la corise n’a qu’à attendre que sa réserve s’épuise pour capturer une nouvelle bulle d’air à la surface.
Chez la notonecte qui nage sur le dos, la bulle est capturée par sa partie dorsale:
Et puis il y a des insectes qui ont un compartiment dans lequel coincer leur bulle d’air. C’est le cas par exemple de certains coléoptères qui peuvent stocker une bulle d’air sous leur paire d’ailes antérieures qui sont complètement dures, les élytres. Le plus célèbre d’entre eux est le beau et fier dytique.
Le plus malin avec cette technique de la bulle d’air, c’est qu’il y a non seulement des échanges gazeux entre le système respiratoire trachéen de l’insecte et la bulle, mais il y a aussi des échanges gazeux entre la bulle et l’eau de la mare dans laquelle se trouve l’insecte! Et oui, contrairement à nos bouteilles de plongée, la bulle d’air n’est pas étanche et il peut y avoir des échanges gazeux entre l’air de la bulle et l’eau alentour. En temps normal, la quantité de dioxygène dans l’air est en équilibre avec celle qui est dissous dans l’eau. On dit en langage scientifique rébarbatif que leurs pressions partielles sont égales. Cette stabilité est maintenue par des échanges gazeux partant du milieu avec la pression partielle de dioxygène la plus forte vers le milieu avec la pression partielle de dioxygène la plus faible. Et bien lorsque le dytique respire depuis sa bulle d’air, il fait diminuer la pression partielle de dioxygène dans sa bulle… Puisqu’il consomme le dioxygène. Le dioxygène dissous dans l’eau autour aura alors tendance à diffuser à l’intérieur de la bulle d’air!
Pratique, non? Bon le truc ballot, c’est que l’air ne contient pas que du dioxygène et que la pression partielle des autres gaz va faire réduire progressivement la taille de la bulle et contraindre le dytique à renouveler sa réserve de temps à autres. C’est quand même pas mal sachant qu’un dytique peut rester plusieurs heures sous l’eau!
Mais bon, pour rester sous l’eau tout le temps qu’on veut, le meilleur moyen reste de se procurer des branchies. Et là, pas de miracles, aucun insecte n’a de branchies… Enfin… Aucun insecte adulte! De très nombreuses larves d’insectes sont munies de branchies!
Chez les larves de chironomes (des sortes de moustiques), la respiration se fait entièrement à travers la cuticule, et les larves ont complètement perdu leur système trachéen. À la place, c’est leur fluide corporel qui transporte les gaz vers les organes. Ce fluide, c’est ce qu’on appelle l’hémolymphe et qui est en quelque sorte le sang de l’insecte. Chez la plupart des insectes, cette hémolymphe n’a pas de couleur parce que essentiellement dépourvue de pigments respiratoires, mais chez les larves de chironomes, il y a un pigment respiratoire apparenté à l’hémoglobine et qui lui donne sa couleur rouge:
D’où leur nom chez les anglais : blood worm.
Comme pour toutes fonctions d’échanges physiologiques, les structures du chironome qui facilitent les échanges gazeux doivent présenter une surface perméable et étendue. C’est sur la partie terminale de son abdomen qu’elle présente de splendides tubules, dernière tendance fashion chez les larves d’insectes…
Mais comment font les larves qui possèdent un système trachéen pour développer des branchies? Et bien tout d’abord, les larves d’insectes totalement aquatiques ont leurs stigmates clos. C’est un peu logique. Mais du coup, qu’est-ce qui a à l’intérieur des trachées? Et bien il y a du gaz, de l’oxygène essentiellement. L’oxygène diffuse passivement par la cuticule de la larve passant de l’état dissous dans l’eau, à l’état gazeux dans les trachées. Mais vu la faible quantité d’O2 qui passe, et le fait qu’il est rapidement consommé par les cellules de la larve, la pression à l’intérieur des trachées est particulièrement faible et ces tubes menacent de se refermer sur eux-même. Heureusement, il y a le fameux système des anneaux de chitine, les ténidies, qui renforcent la structure des trachées et empêchent la catastrophe. Mais donc, bien que complètement immergé, ces larves d’insectes aquatiques arrivent à se confectionner une mini atmosphère respirable de l’intérieur.
Pour extraire de manière efficace l’oxygène dissous dans l’eau, la plupart des larves d’insectes aquatiques sont munis de structures à la cuticule fine et garnis de trachéoles. C’est le cas par exemple pour les larves des éphémères qui portent ce qu’on appelle des trachéobranchies garnissant les flancs de leur abdomen. En forme de feuilles ou de plumes, ces structures sont agitées frénétiquement pour que de l’eau riche en oxygène soit renouvelée au contact de la cuticule pour en faciliter l’extraction.
Mais les branchies trachéennes ne se trouvent pas systématiquement sur les flancs de l’insecte. Les odonates (genre d’insectes chez qui on retrouve les libellules et les demoiselles) ont des larves avec des trachéobranchies positionnées à des endroits exotiques, par exemple à l’extrémité de l’abdomen des larves de demoiselles qui, pour justifier le chic de leurs noms, ont le popotin décoré de trois plumes anales :
Et puis il y a les larves d’anisoptères (Libellules) chez qui on cache les branchies…
dans une ampoule rectale!
Pour respirer, cette larve pompe l’eau par l’anus, comme je vous en faisais la confidence encore une fois lors de la réponse au quizz sur la mouche qui pète, mais aussi dans une vidéo en compagnie de l’incroyable Marie Wild:
Les contractions de l’anus sont tellement efficaces pour pomper l’eau que les larves d’anisoptères peuvent s’en servir comme moyen de propulsion!
Les trachées des insectes peuvent donc leur servir à respirer sur la terre ferme ou sous l’eau, et peuvent même contribuer à un moyen de locomotion. Mais chez certains autres insectes, une partie des trachées peuvent être exploitées pour… entendre!
Contrairement à notre lignée, les insectes écoutent avec des systèmes auditifs très variés. On estime que l’audition a évolué près de 20 fois, et de manières différentes chez les insectes. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder où se trouve les “oreilles” chez différents insectes :
Sur les ailes chez certains papillons, entre les pattes chez les mantes religieuses, sur l’abdomen chez les cigales ou encore sur les pattes des criquets… C’est d’ailleurs chez ces derniers que le système auditif est complété par une modification de certaines trachées. Si les tympans de criquets sont situés sur leurs tibias, ils communiquent avec des trachées dans le thorax qui servent de détecteurs perfectionnés capables de vibrer selon l’orientation des ondes sonores. Grâce à la pression maintenue dans ces trachées, le criquet bénéficie d’une sorte de sismomètre pour localiser l’origine d’un rival, d’une femelle ou d’une proie. Imaginez un peu, c’est comme si en complément de nos oreilles, nous percevions notre environnement à l’aide de nos bronches...
Mais pour conclure ce dossier, je vous propose une des évolutions les plus audiogéniques du système trachéen des insectes. La blatte de Madagascar (Gromphadorhina portentosa) est remarquable à bien des égards, en commençant par ses proportions qui sont assez titanesques (7cm de long pour les plus grosses).
Elles sont aussi caractérisées par une absence d’ailes, même chez les adultes, mais ce qu’il y a de plus étonnant les concernant, c’est leur aptitude à siffler! Elles utilisent en effet leurs stigmates pour émettre des sons très puissants qu’elles emploient pour intimider d’éventuelles prédateurs ou encore entre mâles rivaux.
Etonnant, non? Et ce que je trouve de fascinant, c’est ce que cela nous renvoie comme message et comme considérations. Car oui, cet insecte emploi son système respiratoire pour communiquer… mais c’est notre lot à nous aussi, humain. Ce qu’a bricolé l’évolution pour me permettre aujourd’hui de vous expliquer le système trachéen des insectes, c’est une cooptation, une altération d’un système respiratoire adapté aux échanges gazeux aériens. À vrai dire, on est tellement bizarrement fichu que c’est un mix entre notre système respiratoire et digestif qui est sollicité pour communiquer entre nous. Ce que l’étude des insectes peut permettre parfois, c’est de nous rendre d’à quel point nous sommes nous-mêmes bien étranges...
Mais on n’a encore tellement de choses à dire sur les insectes! Il y a la locomotion, la reproduction, la vision, etc. Mais je sens que c’est trop pour l’instant et je vais donc vous laisser souffler un peu…
Si vous ne pouvez pas attendre jusqu’à la prochaine émission de Podcast Science, sachez qu’il y a de forte chance que le prochain épisode soit une mise à jour du billet final de SSAFT sur le sujet : 1001 pattes.
Références:
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Gullan PJ & Cranston P. (2004). The Insects: An Outline of Entomology, 3rd ed..
Harrison, J., & Wasserthal, L. (2012). Gaseous exchange. In R. Chapman (Author) & S. Simpson & A. Douglas (Eds.), The Insects: Structure and Function (pp. 501-545). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9781139035460.023
Hill, R., Wyse, G. A., & Anderson, M. (2016). Animal Physiology: Sinauer.
Kennedy CH. (1922). The Homologies of the Tracheal Branches in the Respiratory System of Insects. Ohio Journal of Science 22, 84-89. http://hdl.handle.net/1811/2153
Ramel, A. (2007) La Respiration Aquatique des Insectes. Insectes.146, 3-7.
Schmidt, A. K., & Römer, H. (2013). Diversity of acoustic tracheal system and its role for directional hearing in crickets. Frontiers in Zoology, 10(1), 61. https://doi.org/10.1186/1742-9994-10-61
Liens:
Tabletop Whale - An animated guide to breathing
Article Les poissons n’existent pas
Article Bioteaching
Article Aramel
Article Knowable Magazine
1 De Podcast Science 386 - Trachée n’est pas jouer - Podcast - 16/10/2019, 08:14
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2 De Podcast Science 467 – Des eaux, pas des eaux : la grande - 22/02/2022, 18:00
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