[Pierre] Le 24 Août 2011, quelques jours avant de quitter New York où j’achevais mon Post-Doc, pour retrouver Paris, ma Wonderful Wife(™) et mes équipes d’enseignement et de recherche, j’ai enregistré durant trois heures un dossier pour Podcast Science qui sera découpé en trois épisodes explorant la classification du vivant (Dossier 1, 2 et 3).
Ce dont je ne me rendais pas compte à cette occasion, c’est que d’une part, j’allais parasiter le podcast pendant plus de dix ans, et que d’autre part, je jetais à travers cette série d’épisodes, les jalons des méthodes pédagogiques que je peaufine depuis maintenant 12 ans pour essayer de vulgariser et transmettre les notions de classification du monde vivant. Spoiler, je cherche encore.
Alors certes, je pense avoir fait des progrès et notamment, j’imagine que je m’y prendrais totalement différemment aujourd’hui pour réaliser cette série d’épisodes. À ce propos, je me souviens qu’à l’enregistrement de la 200ème de Podcast Science, une poditrice, Milou, s’était confiée en direct d’avoir écouté 30 émissions de Podcast Science dont 28 fois la mienne sur la classification du vivant. Certes, elle disait que cela l’avait aidé à rédiger son mémoire, mais je me suis dit que s’il fallait écouter 28 fois en boucle ce que je racontais, je n’avais probablement pas bien fait le job…
C’est pourquoi je cherche activement des moyens de transmettre de manière efficace les notions de parenté évolutive, méthodes que je teste sur mes étudiantes et étudiants mais, peut être surtout et avant tout, que je teste sur mon blog, les réseaux sociaux et sur Podcast Science. C’est un peu ce qui me pousse aujourd’hui à publier (avec l’aide de Marie Treibert et Cléora) des vidéos courtes intitulées les EvoLessons. C’est ce qui m’a poussé à tester les bénéfices de l’enseignement de l’étymologie à travers mes EtymoZoo. C’est l’idée sous-jacente des quizz que j’ai surnommé les KIKEPLUPROCHDEKI où je demande d’identifier parmi trois espèces, quelles sont les deux qui ont un lien de parenté le plus étroit. Mais l’une des premières idées originales pour enseigner la classification du vivant que j’ai voulu étrenner, c’est ce le TFI ou Taxonomy Fail Index (Indice d’Erreur Taxonomique - IET - en français). C’est à vrai dire une idée que j’ai piquée à l’entomo-photographe de renom Alex Wild, qui tient un blog appelé Myrmecos, où il commente souvent les erreurs taxonomiques réalisées par les grands médias qui peuvent utiliser des photos de mouches pour illustrer des invasions de frelons. Sur mon blog je présentais le TFI ainsi :
“Le principe est simple: le TFI jauge l’erreur effectuée sur deux espèces en la rapportant sur l’erreur qu’on pourrait faire en confondant un humain et un chimpanzé. La formule du TFI est la suivante: Soit deux espèces A et B, A étant l’espèce véritable du spécimen observé et B l’espèce attribuée par erreur. T sera le nombre de millions d’années qui séparent l’une ou l’autre espèce de leur dernier ancêtre commun. Enfin, H est le nombre de millions d’années qui séparent le chimpanzé ou l’Homo sapiens de notre dernier ancêtre commun (6.4 millions d’années). Et donc on pose: TFI=T/H Obtenir un TFI de 1, c’est confondre un humain avec un chimpanzé. En d’autres termes, tout score de TFI supérieur à 1 revient à faire une erreur plus grossière que celle de remplacer la couverture de ELLE avec Scarlett Johansson par une photo d’une belle guenon…”
Mais alors pourquoi vouloir utiliser le TFI en enseignement ? Et bien pour moi, c’est un bon moyen de jauger la loose. De quantifier l’erreur qu’on peut faire en confondant une espèce avec une autre. De savoir si confondre une morue avec un pois chiche est plus grave que de confondre une vache avec un salsifis ? (spoiler, c’est le même score de TFI pour les deux : 249,688, car 1598 millions d’années d’évolution séparent la lignée des plantes et celle des animaux de leur dernier ancêtre commun).
Ce qui m’amène à la considération derrière la chronique que je voulais faire pour la 500ème de Podcast Science : quel est le score TFI d’une erreur taxonomique entre deux lignées séparées par 500 millions d’années d’évolution ? Et bien la réponse est… 79,365. Voilà.
À l’instar de “La grande question sur la vie, l'Univers et le reste” sur laquelle plancha l’ordinateur Deep Thought durant 7,5 millions d'années et à laquelle il fournit la réponse 42, je me vois, à cette étape de ma chronique, confronté à l’inanité de ma question pour communiquer un quelconque soupçon de notions évolutives…
À moins que… À quoi correspond au final ce TFI de 79,365? Normalement à la confusion entre deux espèces séparées par 500 millions d’années d’évolution. Par exemple, plus de 500 millions d’années d’évolution se sont écoulées depuis l’émergence du dernier ancêtre commun entre un humain et une lamproie, des sortes de poissons sans nageoires paires et sans mâchoires. Je vous recommande de regarder des images du faciès de ces animaux à la bouche circulaire et dont une partie du cycle de vie est parasitaire.
Donc, on est d’accord, confondre aujourd’hui Scarlett Johansson avec une lamproie, c’est clairement une belle gaffe taxonomique.
Mais si on remontait il y a 500 millions d’années, on serait parfaitement excusé de ne pas être en mesure de distinguer les représentants de la lignée à laquelle Scarlett et nous appartenons, de celle qui donnera les lamproies qui peuplent nos rivières. J’en veux pour preuve que les paléontologues galèrent comme pas possible pour réaliser cette distinction lorsqu’ils interprètent les fossiles d’espèces de vertébrés qui vivaient à cette période. En effet, malin sera celui qui, au premier coup d'œil, pourra discriminer les silhouettes de Haikouichthys, Myllokunmingiaet Zhongjianichthys.
Tous trois ressemblent grosso-merdo à des filets de harengs avec une bouche béante…
Et c’est un peu normal au final. Le dernier ancêtre commun entre la lignée qui a donné les humains et celle qui a donné les lamproies, c’est celui dont la descendance forme le vaste groupe des vertébrés. Or, on retrouve les premiers fossiles de vertébrés il y a 518 millions d’années, ce qui peut expliquer en partie le peu de diversité qu’on retrouve chez ces espèces là, en à peine une dizaine de millions d’années d’évolution.
Je dis en partie, parce qu’il faut avouer qu’à cette époque, qu’on appelle le Cambrien, il y a plus de 500 millions d’années, l’évolution des animaux semblait complètement dopée aux stéroïdes.
Mais avant de vous dépeindre quelques exemples de la faune du Cambrien, il vous sera utile de comprendre la géologie du Cambrien présentée par Alexa.
[Alexa] Alors le Cambrien, c’est la merde ! Plus sérieusement, c’est l’une des rares périodes du phanérozoïque qui n’a pas de biostratigraphie précise - c’est-à-dire pour laquelle on ne connait pas tous les étages et subdivisions. Pourquoi ? Parce que c’est très vieux et que de nombreux étages et sub-divisions ne sont pas encore bien décrits à l’échelle mondiale selon le GSSP (Global Stratigraphy Section and Point) ce qui fait qu’on utilise encore beaucoup de sous-étages régionaux/locaux qui sont valides localement mais ne sont pas nécessairement valide à l’échelle internationale. Ce qui veut dire qu’il reste encore beaucoup de choses à découvrir mais on a quand même plein d’indices qui permettent de reconstituer la position des continents, le climat, mais aussi faire le lien entre ces paramètres et la vie qui existait à cette époque.
Mais alors, à quoi ressemblait la Terre au Cambrien ? Vous savez sans doute que les continents n’ont pas toujours été à la place à laquelle ils sont aujourd’hui. L’Afrique et l’Amérique du Sud, par exemple, étaient imbriquées les unes dans les autres et se sont écartées lors de la formation de l’océan atlantique qui s’est ouvert entre les deux. Mais comme le volume de la Terre est fini, lorsqu’un océan s’ouvre et qu’il y a donc création de nouvelle croûte, de la croûte disparaît ailleurs sur Terre, soit par subduction - une plaque passe sous une autre et disparaît dans le manteau - soit par collision lorsque deux continents se rencontrent et forment des chaînes de montagne. C’est la tectonique des plaques et c’est ce qui fait que les continents et océans bougent et changent de forme et de taille au cours des temps géologiques, que de nouvelles chaînes de montagne se forment, etc, etc. Les océans peuvent être plus ou moins grands et les continents peuvent être plus ou moins répartis sur la planète avec des périodes extrêmes allant de l'existence de super continents où tous les continents étaient réunis ensemble avec un immense océan unique et d’autres où ils étaient très séparés, un peu comme actuellement.
Il y a 500 millions d’années, on était un peu entre deux : on émergeait tout juste de l’un de ces super continents et la Terre était très différente d’aujourd’hui. Cette répartition des continents n’est pas anodine, elle a eu - comme c’est toujours le cas - des conséquences très importantes sur le climat, la répartition de la vie et bien évidemment son évolution.
Pour mieux comprendre l’impact de cette répartition, on va se replacer juste avant 500 millions d’années, il y a 541 millions d’années. A cette époque, on considère qu’il y avait un de ces super continent situé au niveau de l’antarctique - la Pannotia - qui regroupait les continents majeurs ensemble. Je dis considère car très récemment, en 2022, l’existence d’un continent unique à cette période a été remise en question par la géochronologie qui indique que les continents étaient probablement plus groupés ensemble plutôt que fusionnés. Ce qui semble faire consensus en tout cas, c’est l’existence d’un très grand océan avec les différents continents en bas - soit groupés tous en même temps, soit fusionnés ensemble. Et l’un des arguments pour l’existence d’un continent unique, c’est justement la vie. Avant le Cambrien et son explosion dont va parler Taupo, il y a 575 Ma, un autre événement majeur dans notre compréhension de l’histoire de la vie est la découverte de la faune édiacarienne, un gisement fossilifère très riche qui montre une faune plus complexe qu’avant. Et qui est en faveur d’un continent unique car on la retrouve partout dans le monde : Mexique, Russie, Namibie, etc, répartition que l’on ne peut expliquer que par la présence d’un groupement de continents à un moment donné. Cette faune est aussi importante pour comprendre les dynamiques d’apparition de la vie et le lien avec la géologie et le climat. On pense qu’elle est apparue après la fin d’un épisode Terre boule de neige lorsque la Terre a dégelé et qu’elle a disparu au moment de l’explosion Cambrienne à 500 millions d’années dont on parle aujourd’hui - les causes sont encore discutées. En tout cas, avant le Cambrien, on avait ce continent unique, Pannotia, après un épisode de Terre gelée à un moment où la Terre était devenue plus propice à la vie. Au début du Cambrien, ce super-continent a commencé à se fractionner et au même moment, on a également une explosion de vie encore plus complexe que la faune d’Ediacara : la faune Cambrienne.
[Pierre] Alexa nous dépeint donc une planète Cambrienne dotée d’un océan géant mais aussi de plusieurs continents colossaux, dont le plus grand est le proto-Gondwana. [Pour préparer l'émission, j'ai navigué sur un fantastique outil ressemblant à un paléo-google earth et dont voici deux captures d'écran assez évocatrices]
On pourrait s’attendre à ce que je vous propose donc une exploration de la faune terrestre, mais que nenni. Au Cambrien, elle ne faisait que barboter dans les eaux marines ou des rivières. Quelques scientifiques pensent qu’éventuellement des mille-pattes auraient pu commencer à fouler le sol Gondwanais il y a 510 millions d’années (comme Patrick Laurenti et moi-même vous expliquions lors de notre émission Des eaux, pas des eaux : L'épopée des sorties des eaux ), mais cela n’est toujours pas corroboré par de véritables traces fossiles.
Par contre, Gondwana était bel et bien peuplé de traces de vies, mais d’une toute autre nature, comme va nous l’expliquer Eléa.
[Eléa] On a tendance à les oublier - mais tout de même, elles sont partout : où en sont les plantes il y a 500 millions d’années ? Pour répondre à cette question, petit récap de ce qu’on sait actuellement de l’histoire évolutive des plantes. La première trace de vie sur Terre est estimée à. 3,7 milliards d’années, soit plus de 6 fois 500 millions d’années.
Si l’on doit refaire l’histoire de la vie des plantes en accéléré, on imagine que les premiers organismes photosynthétiques remontent à plus de 3 milliards d’années. Disons, à la louche - entre 3,2 et 3,5 milliards d’années. À cette époque apparaissent des bactéries capables d’utiliser la lumière pour créer leur propre matière organique à partir du CO2. Une vraie dinguerie, la photosynthèse. Ces bactéries fusionneront avec des cellules eucaryotes lors d’un événement dit d’”endosymbiose” pour donner la lignée verte, les ancêtres de toutes les plantes terrestres.
Les plus anciennes traces d’organismes apparentés à des végétaux pluricellulaires (Grypania) remonteraient à 2,1 milliard d’années. Grypania spiralis a longtemps été considéré comme un unicellulaire géant proche des algues… mais algue ou bactérie géante, personne ne sait !
C’est à peu près au même moment que suite au refroidissement du manteau terrestre, la concentration en nickel chute constamment dans les océans, provoquant la disparition des archées dans ces milieux. En parallèle, l’oxygène réagit avec le méthane déclenchant une forte glaciation - la fonte des glaces lessive les continents, apportant des éléments nutritifs dans les océans… le fait de vider une niche écologique et d’apporter des nouvelles sources d’énergie va permettre la prolifération des cyanobactéries et algues sous marine, générant une forte augmentation en oxygène. La concentration en oxygène augmente dans l’atmosphère, d’abord absorbée par les océans - elle va continuer à augmenter pour former la couche d’ozone, ce qui permet de limiter les rayonnements ultraviolets nocifs à la surface.
Sous la mer pendant ce temps, on continue de se diversifier, avec l’apparition des algues brunes et les algues rouges autour de 1,2 milliards d’années. Tout cela suit son cours et progressivement, on arrive vers -600 millions d’années : tout est prêt pour que des organismes pluricellulaires puissent conquérir la surface ! Mais pour faire des plantes, encore faut-il du sol - on imagine que des couches successives de cyanobactéries, d’algues, de champignons et de lichens auraient probablement participé à former les premières strates nécessaires à l’implantation des plantes sur la Terre ferme. Il y a -500 millions d’années, on s’attend donc à avoir des plantes, même primitives…
Problème : côté fossiles, c’est le vide. Le néant absolu.
Alors, on a bien quelques traces de spores entre 450 et 500 millions d’années. Mais il y a débat si ces spores sont d'origines de plantes terrestres ou des spores qui auraient atterri sur la terre ferme mais émises par des plantes aquatiques...
Il faut attendre 473 Ma pour avoir de vraies preuves matérielles de l’existence de plantes sur les terres émergées. Et encore, sous la forme de fossiles de spores d’hépatiques (des plantes sans vaisseaux qui poussent sous l’aspect de “thalles” c’est à dire de galettes plates de cellules, en gros… proches des mousses, identifiées en Argentine. On retrouve des structures globuleuses. Il y a 443-419 Ma : premières preuves irréfutables de l’existence de plantes terrestres. Notamment il y a 420Ma on retrouver un fossile de lycophyte (Baragwanathia) - Lycophytes, plantes primitives avec des ébauches de petites feuilles, qu’on appelle des microphylles.
Puis dans l'ordre :
Cooksonia : tissu vasculaire. 410 Ma. Réseau vasculaire
Aglaophyton major : 408 Ma - flore de Rhynie - intermédiaire entre végétaux non vasculaires et vasculaires.
Halleophyton : 1ère plante vasculaire dotée de feuilles simples - Yunnan
Asteroxylon : 400 Ma, structures ramifiées, Dévonien - 35cm
Drepanophycus, groupe des lycophytes, 1m.
Wattieza : arbre primitif, lignine.
408 millions d’années : flore de Rhynie en Ecosse - découvert en 1912 par le docteur William Mackie, à Elging. Premières traces de parasitisme d’algue par des champignons, fossiles d’insectes, etc… Algue : palonitella par champignon aquatique sorodiscus.
Mais évidemment, si on retrouve des fossiles à cette période là, c’est qu’il devait y avoir des choses avant, à partir desquelles ces plantes qu’on a retrouvé ont évolué. « L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence » comme on dit.
Du coup, de nombreux papiers essayent de calculer l’origine probable de l’émergence des organismes grâce à une autre méthode, sans fossiles : l’horloge moléculaire. C’est une technique qui part du postulat que les mutations et les transformations chimiques dans l’ADN surviennent à une vitesse constante - et que donc, en se basant sur la divergence de séquence entre deux organismes, on peut théoriquement calculer la date du point de séparation d’un ancêtre commun. Par exemple, pour qu’une plante puisse avoir une structure ramifiée, avec une croissance aux extrémités - on sait qu’on a besoin de certains gènes comme des facteurs de transcription - qui ont du évoluer à partir d’une séquence ancestrale. En comparant la séquence de ce gène, inactif ou inexistant dans des plantes qui n’ont pas de croissance apicale, vers le haut - avec celle de plantes qui l’ont, on peut donc s’imaginer quand est-ce qu’une version du gène ancestrale aurait pu diverger.
De nombreux scientifiques se sont lancés dans des simulations de calcul et des modélisations, selon plusieurs scénarios, et les résultats sont formels : les embryophytes, les plantes terrestres seraient apparues au beau milieu du Cambrien entre 515 et 473 millions d’années.
Un autre phénomène aléatoire que l’on sous-estime, autre que des mutations à vitesse fixe, ce sont des événements comme des duplications de gènes, voire du génome entier. Plus il y a de versions dupliquées de gènes, plus certaines versions peuvent se diversifier, sans altérer la fonction initiale du gène. Plusieurs papiers considèrent que l’explosion subite de la faune du Cambrien serait liée à des duplications de gènes, notamment les gènes hox, homéotiques, que Taupo adore et qui permettent de déterminer les plans d’organisation des êtres vivants.
Actuellement, on ne connaît la taille de génome de seulement 3% des plantes terrestres (1,5% des mousses, 41% des gymnospermes (sapins etc…) et 3% des plantes à fleurs. Il y a encore de nombreux efforts de séquençage et d’annotation, c’est à dire d’interprétation de ces séquences, pour avancer dans la compréhension de l’évolution des plantes.
Et il est clair qu’avec toutes les adaptations qu’elles ont du sortir pour vivre à l’air libre… : cycles de vie alternés (gamétophyte VS sporophyte), symbioses plantes champignons, qui ont changé la façon d’utiliser les nutriments du sol, croissance en hauteur, imperméabilisation à la sécheresse, racines, vaisseaux conducteurs…
Il y a encore du travail pour retracer toute l’histoire, en attendant d’avoir les fossiles…
Mais repartons sous l’eau, parce que comme on vous disait, là bas il y a 500 millions d’années… il y avait du monde :
Chez certains petits fossiles du cambrien on a retrouvé des structures appelées radula, très similaires à l’appareil buccal des gastéropodes herbivores actuels. De nombreuses preuves s’accumulent pour penser que l’herbivorie était déjà apparue, et on s’imagine que parmi la faune déjantée du Cambrien dont Taupo va vous parler dans quelques secondes, certains organismes devaient se nourrir d’algues sur les fonds marins, à la manière de nos vaches qui paissent dans une prairie.
Il existe par exemple une convergence intéressante entre les pièces buccales retrouvées sur des fossiles en Suède, et l’Elysie - dont on a déjà parlé dans l’épisode « Usual Kleptoplasts ». L’appareil est constitué de petites dents, capables de percer en poussant la surface des algues, puis de sucer le contenu liquide. Il est peu probable que ce soit des ancêtres communs directs de l’Elysie, mais n’empêche que la structure pourrait être une convergence et remplir les mêmes fonctions, sur les mêmes types d’organismes.
[Pierre] Il faut donc saluer les exploits évolutifs des plantes, véritables pionnières de la colonisation terrestre. La faune, elle, semblait accaparée par d’autres projets évolutifs. En effet, durant le Cambrien, l’évolution bricolait des formes de vie animales complètement déjantées. Et pour vous les présenter, je vais proposer à Claire et Robin, un petit jeu. Je vais leur présenter une image de reconstitution d’espèces fossiles du Cambrien et leur demander, à tour de rôle, de décrire l’animal qu’ils voient, de nous soumettre un nom d’espèce, puis de donner la branche d’animaux actuels qui seraient les plus proches parents du spécimen fossile. Et à chaque fois on comparera avec bien entendu les vraies réponses [à écouter ici].
Première espèce :
Cette espèce est appelée Hallucigenia. C’est un Lobopode, proche parent des onychophores (vers de velours) et des tardigrades. Il s'avère que son sulfureux découvreur, Conway Morris, s'est d'une part trompé sur les pics, qu'il a confondu avec les pattes de l'animal, et la tête. Car sur le tout premier spécimen découvert, une excroissance dépassait d'une extrémité de l'animal, mais il s'agissait en réalité de son caca...
Deuxième spécimen :
Il s'agit d'Opabinia, proche parent des euarthropodes (insectes, araignées, myriapodes et crustacés). On notera des spécificités morphologiques renversantes comme, justement, une bouche orientée à l’envers, un proboscis tentaculaire pour se nourrir, et 5 yeux…
[Eléa] L'étymologie d'Opabinia ne vient pas du latin ou du grec, car ces animaux ont été découvertes dans les schistes de Burgess, en colombie britannique, quelque part dans les rocheuses canadiennes. C'est un site découvert au début du XXème siècle par le paléontologue Walcott. Du coup pour nommer ces animaux très bizarres qui constituaient les premiers fossiles animaux à corps mous jamais découverts, il a donné des noms des pics et lacs avoisinants, qui proviennent eux-mêmes de noms indiens qui font référence à la topographie ou au climat. Opabin signifie donc : rocheux !
[Pierre] Dernier spécimen :
Il s'agit de Wiwaxia, qui est probablement Mollusque, une sorte de prototype entre les bivalves et les gastéropodes...
[Eléa] ... et dont le nom vient lui aussi de l'indien et signifie "venteux".
[Pierre] Vous l’aurez compris à travers ce petit jeu : l’évolution de la faune cambrienne était… cocasse ! La plupart des paléontologues s’arrachent les cheveux en essayant de trouver à quelle branche de l’arbre de parenté des animaux appartiennent tel ou tel fossile. Et pourtant, il semble évident que la très grande majorité des lignées que nous connaissons aujourd’hui étaient déjà représentées au Cambrien. Vertébrés, Arthropodes, Annélides, Mollusques… Chaque grande catégorie de morphologies animales semblaient déjà avoir évolué durant le Cambrien. Pourtant, presque aucune de celles-ci n'apparaît à l’époque précédente : l’Ediacarien. C’est ainsi que le Cambrien est considéré par beaucoup comme une période d’intense diversification : on parle d’explosion cambrienne.
Quel phénomène se cache derrière l’explosion Cambrienne ? Alexa va nous apporter quelques explications du côté de la géologie.
[Alexa] Si vous vous rappelez de ce que j’ai dit juste avant, l’explosion Cambrienne se replace après la fracture du super continent Pannotia. Au début du Cambrien, à -541 millions d’années, le supercontinent Pannotia au pôle Sud va commencer à se séparer et l’océan Iapetus à s’ouvrir et certains grands continents à se former comme Laurentia le gros craton qui est actuellement l’Amérique du Nord et plus tard, le Gondwana qui regroupe le Congo, l’Amazonie, l’Inde, etc. et qui est la plus grosse masse terrestre de l’époque.
Cette ouverture va s’accompagner d’énormément de changements climatiques : ces continents vont remonter de l’Antarctique à des latitudes plus proches des tropiques et donc plus chaudes et plus propices à la diversifications de la vie, ensuite, on a aussi une hausse très importante du niveau de la mer concomitante à une érosion chaînes de montagnes datant de la formation de ce supercontinent qui avaient la taille de l’Himalaya, et qui relarguent plein d’éléments dans la mer. Érosion - eau plus chaude - relargage - on a ici un cocktail détonnant pour dynamiser l’apparition de nouvelles formes de vie dans un nouvel environnement océans et aussi mers peu profondes et plus chaudes : on a notamment un forte disponibilité de certains éléments chimiques tels que l’oxygène ou le calcium qui sont cruciaux pour la vie et en particulier, pour le calcium, l’apparition de squelettes externes ou internes calcifiés, mais aussi du fer, du potassium ou de la silice qui peuvent être utilisés soit pour des éléments rigides soit comme co-facteurs des réactions chimiques nécéssaire à la vie. Les organismes vivants auraient donc commencé à assimiler ces éléments et évolué de nouvelles structures, coquilles, squelettes, et généraliser les hèmes qu’on retrouve dans les globules rouges ou la chlorophylle pour transporter de l’oxygène ou catalyser des réactions chimiques. Vous aurez remarqué que je suis restée souvent au conditionnel parce que ces arguments représentent des faisceaux de preuve et des hypothèses soutenues mais qui peuvent encore changer ou être raffinées - c’est loin dans le temps et l’espace, et c’est compliqué - mais la grande majorité des indices que l’on a sur l’actuel, le passé plus proche mais aussi plus lointain, est que le mouvement des continents et le changement d'environnement et de conditions de vie a joué un rôle majeur dans les radiations évolutive et l’évolution de la vie.
Quand le Cambrien se termine, il y a environ 488 millions d’années, plusieurs ancêtres d’espèces que l’on retrouve aujourd’hui sont déjà présentes : les hexapodes, les arachnides, les myriapodes et certains, commencent à s’adapter aux grand continents secs et et rocheux ainsi que les ancêtres des plantes terrestres. Il n’y avait pas de calottes polaires (ou très peu), et les continents se feraient coloniser plus tard par des plantes et des animaux avant de se réunir à niveau tous ensemble, beaucoup plus tard à la fin de l’ère primaire pour former la pangée, le dernier super-continent connu.
[Eléa] J'en profite pour glisser une recommandation lecture de mon côté, le premier livre de vulgarisation que j'ai lu, un livre de Stephen Jay Gould, paléontologue américain (1941-2002), qui parlait de la découverte du site des schistes de Burgess (la vie est belle). C'est un cadeau de ma prof de SVT (Delphine Guibet) et qui m'a donné envie de faire de la biologie. J'en ai tiré une citation dans le livre que je vous propose ici :
Sans la moindre hésitation ou équivoque, et pleinement conscient des merveilles paléontologiques que sont les dinosaures ou les autralopithèques africains, je déclare que les invertébrés du schiste de Burgess, découverts dans les hauteurs des montagnes rocheuses canadiennes [...] sont les animaux fossiles les plus importants du monde !
[Alexa] Et de mon côté, ma recommandation lecture c'est les déportés du Cambrien de Robert Silverberg et qui est très politique en fait, car des prisonniers sont déportés au Cambrien et ils pèchent des trilobites.
[Pierre] En conclusion, vous aurez pu noter un certain enthousiasme de la part des trois biologistes de cette chronique. C’est que le sujet de l’explosion cambrienne, pour la plupart des biologistes intéressés par l’évolution, c’est un peu le graal. Un moment de l’histoire de la vie où l’évolution semblait générer des formes organiques similaires aux productions d’une app de génération d’images de première génération : des hallucinations animales et végétales, pour lesquelles il reste encore tant de choses à découvrir ! Et cette explosion de créativité évolutive, ce bouleversement phénoménal tirant partie de tout ce qu’il y a de merveilleux dans la diversité : ça nous semblait un sujet hommage de circonstance pour la 500ème émission du Podcast scientifique le plus créatif, le plus divers et au final le plus merveilleux qui existe.
Références :
Nutman, A. P., Bennett, V. C., Friend, C. R. L., Van Kranendonk, M. J., & Chivas, A. R. (2016). Rapid emergence of life shown by discovery of 3,700-million-year-old microbial structures. Nature, 537(7621), 535‑538. https://doi.org/10.1038/nature19355
Slater, B. J. (2023). Cambrian ‘sap-sucking’ molluscan radulae among small carbonaceous fossils (Scfs). Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 290(1995), 20230257. https://doi.org/10.1098/rspb.2023.0257
15 billiards 778 billions 800 milliards de secondes
Transcription de la chronique à 6 mains réalisée avec mes comparses Eléa Héberlé et Alexa Sadier pour la 500ème émission de Podcast Science enregistrée le 31 Décembre 2023 sur la thématique de la seconde.
[Pierre] Le 24 Août 2011, quelques jours avant de quitter New York où j’achevais mon Post-Doc, pour retrouver Paris, ma Wonderful Wife(™) et mes équipes d’enseignement et de recherche, j’ai enregistré durant trois heures un dossier pour Podcast Science qui sera découpé en trois épisodes explorant la classification du vivant (Dossier 1, 2 et 3).
Ce dont je ne me rendais pas compte à cette occasion, c’est que d’une part, j’allais parasiter le podcast pendant plus de dix ans, et que d’autre part, je jetais à travers cette série d’épisodes, les jalons des méthodes pédagogiques que je peaufine depuis maintenant 12 ans pour essayer de vulgariser et transmettre les notions de classification du monde vivant. Spoiler, je cherche encore.
Alors certes, je pense avoir fait des progrès et notamment, j’imagine que je m’y prendrais totalement différemment aujourd’hui pour réaliser cette série d’épisodes. À ce propos, je me souviens qu’à l’enregistrement de la 200ème de Podcast Science, une poditrice, Milou, s’était confiée en direct d’avoir écouté 30 émissions de Podcast Science dont 28 fois la mienne sur la classification du vivant. Certes, elle disait que cela l’avait aidé à rédiger son mémoire, mais je me suis dit que s’il fallait écouter 28 fois en boucle ce que je racontais, je n’avais probablement pas bien fait le job…
C’est pourquoi je cherche activement des moyens de transmettre de manière efficace les notions de parenté évolutive, méthodes que je teste sur mes étudiantes et étudiants mais, peut être surtout et avant tout, que je teste sur mon blog, les réseaux sociaux et sur Podcast Science. C’est un peu ce qui me pousse aujourd’hui à publier (avec l’aide de Marie Treibert et Cléora) des vidéos courtes intitulées les EvoLessons. C’est ce qui m’a poussé à tester les bénéfices de l’enseignement de l’étymologie à travers mes EtymoZoo. C’est l’idée sous-jacente des quizz que j’ai surnommé les KIKEPLUPROCHDEKI où je demande d’identifier parmi trois espèces, quelles sont les deux qui ont un lien de parenté le plus étroit. Mais l’une des premières idées originales pour enseigner la classification du vivant que j’ai voulu étrenner, c’est ce le TFI ou Taxonomy Fail Index (Indice d’Erreur Taxonomique - IET - en français). C’est à vrai dire une idée que j’ai piquée à l’entomo-photographe de renom Alex Wild, qui tient un blog appelé Myrmecos, où il commente souvent les erreurs taxonomiques réalisées par les grands médias qui peuvent utiliser des photos de mouches pour illustrer des invasions de frelons. Sur mon blog je présentais le TFI ainsi :
Mais alors pourquoi vouloir utiliser le TFI en enseignement ? Et bien pour moi, c’est un bon moyen de jauger la loose. De quantifier l’erreur qu’on peut faire en confondant une espèce avec une autre. De savoir si confondre une morue avec un pois chiche est plus grave que de confondre une vache avec un salsifis ? (spoiler, c’est le même score de TFI pour les deux : 249,688, car 1598 millions d’années d’évolution séparent la lignée des plantes et celle des animaux de leur dernier ancêtre commun).
Ce qui m’amène à la considération derrière la chronique que je voulais faire pour la 500ème de Podcast Science : quel est le score TFI d’une erreur taxonomique entre deux lignées séparées par 500 millions d’années d’évolution ? Et bien la réponse est… 79,365. Voilà.
À l’instar de “La grande question sur la vie, l'Univers et le reste” sur laquelle plancha l’ordinateur Deep Thought durant 7,5 millions d'années et à laquelle il fournit la réponse 42, je me vois, à cette étape de ma chronique, confronté à l’inanité de ma question pour communiquer un quelconque soupçon de notions évolutives…
À moins que… À quoi correspond au final ce TFI de 79,365? Normalement à la confusion entre deux espèces séparées par 500 millions d’années d’évolution. Par exemple, plus de 500 millions d’années d’évolution se sont écoulées depuis l’émergence du dernier ancêtre commun entre un humain et une lamproie, des sortes de poissons sans nageoires paires et sans mâchoires. Je vous recommande de regarder des images du faciès de ces animaux à la bouche circulaire et dont une partie du cycle de vie est parasitaire.
Donc, on est d’accord, confondre aujourd’hui Scarlett Johansson avec une lamproie, c’est clairement une belle gaffe taxonomique.
Mais si on remontait il y a 500 millions d’années, on serait parfaitement excusé de ne pas être en mesure de distinguer les représentants de la lignée à laquelle Scarlett et nous appartenons, de celle qui donnera les lamproies qui peuplent nos rivières. J’en veux pour preuve que les paléontologues galèrent comme pas possible pour réaliser cette distinction lorsqu’ils interprètent les fossiles d’espèces de vertébrés qui vivaient à cette période. En effet, malin sera celui qui, au premier coup d'œil, pourra discriminer les silhouettes de Haikouichthys, Myllokunmingia et Zhongjianichthys.
Tous trois ressemblent grosso-merdo à des filets de harengs avec une bouche béante…
Et c’est un peu normal au final. Le dernier ancêtre commun entre la lignée qui a donné les humains et celle qui a donné les lamproies, c’est celui dont la descendance forme le vaste groupe des vertébrés. Or, on retrouve les premiers fossiles de vertébrés il y a 518 millions d’années, ce qui peut expliquer en partie le peu de diversité qu’on retrouve chez ces espèces là, en à peine une dizaine de millions d’années d’évolution.
Je dis en partie, parce qu’il faut avouer qu’à cette époque, qu’on appelle le Cambrien, il y a plus de 500 millions d’années, l’évolution des animaux semblait complètement dopée aux stéroïdes.
Mais avant de vous dépeindre quelques exemples de la faune du Cambrien, il vous sera utile de comprendre la géologie du Cambrien présentée par Alexa.
[Alexa] Alors le Cambrien, c’est la merde ! Plus sérieusement, c’est l’une des rares périodes du phanérozoïque qui n’a pas de biostratigraphie précise - c’est-à-dire pour laquelle on ne connait pas tous les étages et subdivisions. Pourquoi ? Parce que c’est très vieux et que de nombreux étages et sub-divisions ne sont pas encore bien décrits à l’échelle mondiale selon le GSSP (Global Stratigraphy Section and Point) ce qui fait qu’on utilise encore beaucoup de sous-étages régionaux/locaux qui sont valides localement mais ne sont pas nécessairement valide à l’échelle internationale. Ce qui veut dire qu’il reste encore beaucoup de choses à découvrir mais on a quand même plein d’indices qui permettent de reconstituer la position des continents, le climat, mais aussi faire le lien entre ces paramètres et la vie qui existait à cette époque.
Mais alors, à quoi ressemblait la Terre au Cambrien ? Vous savez sans doute que les continents n’ont pas toujours été à la place à laquelle ils sont aujourd’hui. L’Afrique et l’Amérique du Sud, par exemple, étaient imbriquées les unes dans les autres et se sont écartées lors de la formation de l’océan atlantique qui s’est ouvert entre les deux. Mais comme le volume de la Terre est fini, lorsqu’un océan s’ouvre et qu’il y a donc création de nouvelle croûte, de la croûte disparaît ailleurs sur Terre, soit par subduction - une plaque passe sous une autre et disparaît dans le manteau - soit par collision lorsque deux continents se rencontrent et forment des chaînes de montagne. C’est la tectonique des plaques et c’est ce qui fait que les continents et océans bougent et changent de forme et de taille au cours des temps géologiques, que de nouvelles chaînes de montagne se forment, etc, etc. Les océans peuvent être plus ou moins grands et les continents peuvent être plus ou moins répartis sur la planète avec des périodes extrêmes allant de l'existence de super continents où tous les continents étaient réunis ensemble avec un immense océan unique et d’autres où ils étaient très séparés, un peu comme actuellement.
Il y a 500 millions d’années, on était un peu entre deux : on émergeait tout juste de l’un de ces super continents et la Terre était très différente d’aujourd’hui. Cette répartition des continents n’est pas anodine, elle a eu - comme c’est toujours le cas - des conséquences très importantes sur le climat, la répartition de la vie et bien évidemment son évolution.
Pour mieux comprendre l’impact de cette répartition, on va se replacer juste avant 500 millions d’années, il y a 541 millions d’années. A cette époque, on considère qu’il y avait un de ces super continent situé au niveau de l’antarctique - la Pannotia - qui regroupait les continents majeurs ensemble. Je dis considère car très récemment, en 2022, l’existence d’un continent unique à cette période a été remise en question par la géochronologie qui indique que les continents étaient probablement plus groupés ensemble plutôt que fusionnés. Ce qui semble faire consensus en tout cas, c’est l’existence d’un très grand océan avec les différents continents en bas - soit groupés tous en même temps, soit fusionnés ensemble. Et l’un des arguments pour l’existence d’un continent unique, c’est justement la vie. Avant le Cambrien et son explosion dont va parler Taupo, il y a 575 Ma, un autre événement majeur dans notre compréhension de l’histoire de la vie est la découverte de la faune édiacarienne, un gisement fossilifère très riche qui montre une faune plus complexe qu’avant. Et qui est en faveur d’un continent unique car on la retrouve partout dans le monde : Mexique, Russie, Namibie, etc, répartition que l’on ne peut expliquer que par la présence d’un groupement de continents à un moment donné. Cette faune est aussi importante pour comprendre les dynamiques d’apparition de la vie et le lien avec la géologie et le climat. On pense qu’elle est apparue après la fin d’un épisode Terre boule de neige lorsque la Terre a dégelé et qu’elle a disparu au moment de l’explosion Cambrienne à 500 millions d’années dont on parle aujourd’hui - les causes sont encore discutées. En tout cas, avant le Cambrien, on avait ce continent unique, Pannotia, après un épisode de Terre gelée à un moment où la Terre était devenue plus propice à la vie. Au début du Cambrien, ce super-continent a commencé à se fractionner et au même moment, on a également une explosion de vie encore plus complexe que la faune d’Ediacara : la faune Cambrienne.
[Pierre] Alexa nous dépeint donc une planète Cambrienne dotée d’un océan géant mais aussi de plusieurs continents colossaux, dont le plus grand est le proto-Gondwana. [Pour préparer l'émission, j'ai navigué sur un fantastique outil ressemblant à un paléo-google earth et dont voici deux captures d'écran assez évocatrices]
On pourrait s’attendre à ce que je vous propose donc une exploration de la faune terrestre, mais que nenni. Au Cambrien, elle ne faisait que barboter dans les eaux marines ou des rivières. Quelques scientifiques pensent qu’éventuellement des mille-pattes auraient pu commencer à fouler le sol Gondwanais il y a 510 millions d’années (comme Patrick Laurenti et moi-même vous expliquions lors de notre émission Des eaux, pas des eaux : L'épopée des sorties des eaux ), mais cela n’est toujours pas corroboré par de véritables traces fossiles.
Par contre, Gondwana était bel et bien peuplé de traces de vies, mais d’une toute autre nature, comme va nous l’expliquer Eléa.
[Eléa] On a tendance à les oublier - mais tout de même, elles sont partout : où en sont les plantes il y a 500 millions d’années ? Pour répondre à cette question, petit récap de ce qu’on sait actuellement de l’histoire évolutive des plantes. La première trace de vie sur Terre est estimée à. 3,7 milliards d’années, soit plus de 6 fois 500 millions d’années.
Si l’on doit refaire l’histoire de la vie des plantes en accéléré, on imagine que les premiers organismes photosynthétiques remontent à plus de 3 milliards d’années. Disons, à la louche - entre 3,2 et 3,5 milliards d’années. À cette époque apparaissent des bactéries capables d’utiliser la lumière pour créer leur propre matière organique à partir du CO2. Une vraie dinguerie, la photosynthèse. Ces bactéries fusionneront avec des cellules eucaryotes lors d’un événement dit d’”endosymbiose” pour donner la lignée verte, les ancêtres de toutes les plantes terrestres.
Les plus anciennes traces d’organismes apparentés à des végétaux pluricellulaires (Grypania) remonteraient à 2,1 milliard d’années. Grypania spiralis a longtemps été considéré comme un unicellulaire géant proche des algues… mais algue ou bactérie géante, personne ne sait !
C’est à peu près au même moment que suite au refroidissement du manteau terrestre, la concentration en nickel chute constamment dans les océans, provoquant la disparition des archées dans ces milieux. En parallèle, l’oxygène réagit avec le méthane déclenchant une forte glaciation - la fonte des glaces lessive les continents, apportant des éléments nutritifs dans les océans… le fait de vider une niche écologique et d’apporter des nouvelles sources d’énergie va permettre la prolifération des cyanobactéries et algues sous marine, générant une forte augmentation en oxygène. La concentration en oxygène augmente dans l’atmosphère, d’abord absorbée par les océans - elle va continuer à augmenter pour former la couche d’ozone, ce qui permet de limiter les rayonnements ultraviolets nocifs à la surface.
Sous la mer pendant ce temps, on continue de se diversifier, avec l’apparition des algues brunes et les algues rouges autour de 1,2 milliards d’années. Tout cela suit son cours et progressivement, on arrive vers -600 millions d’années : tout est prêt pour que des organismes pluricellulaires puissent conquérir la surface ! Mais pour faire des plantes, encore faut-il du sol - on imagine que des couches successives de cyanobactéries, d’algues, de champignons et de lichens auraient probablement participé à former les premières strates nécessaires à l’implantation des plantes sur la Terre ferme. Il y a -500 millions d’années, on s’attend donc à avoir des plantes, même primitives…
Problème : côté fossiles, c’est le vide. Le néant absolu.
Alors, on a bien quelques traces de spores entre 450 et 500 millions d’années. Mais il y a débat si ces spores sont d'origines de plantes terrestres ou des spores qui auraient atterri sur la terre ferme mais émises par des plantes aquatiques...
Il faut attendre 473 Ma pour avoir de vraies preuves matérielles de l’existence de plantes sur les terres émergées. Et encore, sous la forme de fossiles de spores d’hépatiques (des plantes sans vaisseaux qui poussent sous l’aspect de “thalles” c’est à dire de galettes plates de cellules, en gros… proches des mousses, identifiées en Argentine. On retrouve des structures globuleuses. Il y a 443-419 Ma : premières preuves irréfutables de l’existence de plantes terrestres. Notamment il y a 420Ma on retrouver un fossile de lycophyte (Baragwanathia) - Lycophytes, plantes primitives avec des ébauches de petites feuilles, qu’on appelle des microphylles.
Puis dans l'ordre :
Cooksonia : tissu vasculaire. 410 Ma. Réseau vasculaire
Aglaophyton major : 408 Ma - flore de Rhynie - intermédiaire entre végétaux non vasculaires et vasculaires.
Halleophyton : 1ère plante vasculaire dotée de feuilles simples - Yunnan
Asteroxylon : 400 Ma, structures ramifiées, Dévonien - 35cm
Drepanophycus, groupe des lycophytes, 1m.
Wattieza : arbre primitif, lignine.
408 millions d’années : flore de Rhynie en Ecosse - découvert en 1912 par le docteur William Mackie, à Elging. Premières traces de parasitisme d’algue par des champignons, fossiles d’insectes, etc… Algue : palonitella par champignon aquatique sorodiscus.
Mais évidemment, si on retrouve des fossiles à cette période là, c’est qu’il devait y avoir des choses avant, à partir desquelles ces plantes qu’on a retrouvé ont évolué. « L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence » comme on dit.
Du coup, de nombreux papiers essayent de calculer l’origine probable de l’émergence des organismes grâce à une autre méthode, sans fossiles : l’horloge moléculaire. C’est une technique qui part du postulat que les mutations et les transformations chimiques dans l’ADN surviennent à une vitesse constante - et que donc, en se basant sur la divergence de séquence entre deux organismes, on peut théoriquement calculer la date du point de séparation d’un ancêtre commun. Par exemple, pour qu’une plante puisse avoir une structure ramifiée, avec une croissance aux extrémités - on sait qu’on a besoin de certains gènes comme des facteurs de transcription - qui ont du évoluer à partir d’une séquence ancestrale. En comparant la séquence de ce gène, inactif ou inexistant dans des plantes qui n’ont pas de croissance apicale, vers le haut - avec celle de plantes qui l’ont, on peut donc s’imaginer quand est-ce qu’une version du gène ancestrale aurait pu diverger.
De nombreux scientifiques se sont lancés dans des simulations de calcul et des modélisations, selon plusieurs scénarios, et les résultats sont formels : les embryophytes, les plantes terrestres seraient apparues au beau milieu du Cambrien entre 515 et 473 millions d’années.
Un autre phénomène aléatoire que l’on sous-estime, autre que des mutations à vitesse fixe, ce sont des événements comme des duplications de gènes, voire du génome entier. Plus il y a de versions dupliquées de gènes, plus certaines versions peuvent se diversifier, sans altérer la fonction initiale du gène. Plusieurs papiers considèrent que l’explosion subite de la faune du Cambrien serait liée à des duplications de gènes, notamment les gènes hox, homéotiques, que Taupo adore et qui permettent de déterminer les plans d’organisation des êtres vivants.
Actuellement, on ne connaît la taille de génome de seulement 3% des plantes terrestres (1,5% des mousses, 41% des gymnospermes (sapins etc…) et 3% des plantes à fleurs. Il y a encore de nombreux efforts de séquençage et d’annotation, c’est à dire d’interprétation de ces séquences, pour avancer dans la compréhension de l’évolution des plantes.
Et il est clair qu’avec toutes les adaptations qu’elles ont du sortir pour vivre à l’air libre… : cycles de vie alternés (gamétophyte VS sporophyte), symbioses plantes champignons, qui ont changé la façon d’utiliser les nutriments du sol, croissance en hauteur, imperméabilisation à la sécheresse, racines, vaisseaux conducteurs…
Il y a encore du travail pour retracer toute l’histoire, en attendant d’avoir les fossiles…
Mais repartons sous l’eau, parce que comme on vous disait, là bas il y a 500 millions d’années… il y avait du monde :
Chez certains petits fossiles du cambrien on a retrouvé des structures appelées radula, très similaires à l’appareil buccal des gastéropodes herbivores actuels. De nombreuses preuves s’accumulent pour penser que l’herbivorie était déjà apparue, et on s’imagine que parmi la faune déjantée du Cambrien dont Taupo va vous parler dans quelques secondes, certains organismes devaient se nourrir d’algues sur les fonds marins, à la manière de nos vaches qui paissent dans une prairie.
Il existe par exemple une convergence intéressante entre les pièces buccales retrouvées sur des fossiles en Suède, et l’Elysie - dont on a déjà parlé dans l’épisode « Usual Kleptoplasts ». L’appareil est constitué de petites dents, capables de percer en poussant la surface des algues, puis de sucer le contenu liquide. Il est peu probable que ce soit des ancêtres communs directs de l’Elysie, mais n’empêche que la structure pourrait être une convergence et remplir les mêmes fonctions, sur les mêmes types d’organismes.
[Pierre] Il faut donc saluer les exploits évolutifs des plantes, véritables pionnières de la colonisation terrestre. La faune, elle, semblait accaparée par d’autres projets évolutifs. En effet, durant le Cambrien, l’évolution bricolait des formes de vie animales complètement déjantées. Et pour vous les présenter, je vais proposer à Claire et Robin, un petit jeu. Je vais leur présenter une image de reconstitution d’espèces fossiles du Cambrien et leur demander, à tour de rôle, de décrire l’animal qu’ils voient, de nous soumettre un nom d’espèce, puis de donner la branche d’animaux actuels qui seraient les plus proches parents du spécimen fossile. Et à chaque fois on comparera avec bien entendu les vraies réponses [à écouter ici].
Première espèce :
Cette espèce est appelée Hallucigenia. C’est un Lobopode, proche parent des onychophores (vers de velours) et des tardigrades. Il s'avère que son sulfureux découvreur, Conway Morris, s'est d'une part trompé sur les pics, qu'il a confondu avec les pattes de l'animal, et la tête. Car sur le tout premier spécimen découvert, une excroissance dépassait d'une extrémité de l'animal, mais il s'agissait en réalité de son caca...
Deuxième spécimen :
Il s'agit d'Opabinia, proche parent des euarthropodes (insectes, araignées, myriapodes et crustacés). On notera des spécificités morphologiques renversantes comme, justement, une bouche orientée à l’envers, un proboscis tentaculaire pour se nourrir, et 5 yeux…
[Eléa] L'étymologie d'Opabinia ne vient pas du latin ou du grec, car ces animaux ont été découvertes dans les schistes de Burgess, en colombie britannique, quelque part dans les rocheuses canadiennes. C'est un site découvert au début du XXème siècle par le paléontologue Walcott. Du coup pour nommer ces animaux très bizarres qui constituaient les premiers fossiles animaux à corps mous jamais découverts, il a donné des noms des pics et lacs avoisinants, qui proviennent eux-mêmes de noms indiens qui font référence à la topographie ou au climat. Opabin signifie donc : rocheux !
[Pierre] Dernier spécimen :
Il s'agit de Wiwaxia, qui est probablement Mollusque, une sorte de prototype entre les bivalves et les gastéropodes...
[Eléa] ... et dont le nom vient lui aussi de l'indien et signifie "venteux".
[Pierre] Vous l’aurez compris à travers ce petit jeu : l’évolution de la faune cambrienne était… cocasse ! La plupart des paléontologues s’arrachent les cheveux en essayant de trouver à quelle branche de l’arbre de parenté des animaux appartiennent tel ou tel fossile. Et pourtant, il semble évident que la très grande majorité des lignées que nous connaissons aujourd’hui étaient déjà représentées au Cambrien. Vertébrés, Arthropodes, Annélides, Mollusques… Chaque grande catégorie de morphologies animales semblaient déjà avoir évolué durant le Cambrien. Pourtant, presque aucune de celles-ci n'apparaît à l’époque précédente : l’Ediacarien. C’est ainsi que le Cambrien est considéré par beaucoup comme une période d’intense diversification : on parle d’explosion cambrienne.
Quel phénomène se cache derrière l’explosion Cambrienne ? Alexa va nous apporter quelques explications du côté de la géologie.
[Alexa] Si vous vous rappelez de ce que j’ai dit juste avant, l’explosion Cambrienne se replace après la fracture du super continent Pannotia. Au début du Cambrien, à -541 millions d’années, le supercontinent Pannotia au pôle Sud va commencer à se séparer et l’océan Iapetus à s’ouvrir et certains grands continents à se former comme Laurentia le gros craton qui est actuellement l’Amérique du Nord et plus tard, le Gondwana qui regroupe le Congo, l’Amazonie, l’Inde, etc. et qui est la plus grosse masse terrestre de l’époque.
Cette ouverture va s’accompagner d’énormément de changements climatiques : ces continents vont remonter de l’Antarctique à des latitudes plus proches des tropiques et donc plus chaudes et plus propices à la diversifications de la vie, ensuite, on a aussi une hausse très importante du niveau de la mer concomitante à une érosion chaînes de montagnes datant de la formation de ce supercontinent qui avaient la taille de l’Himalaya, et qui relarguent plein d’éléments dans la mer. Érosion - eau plus chaude - relargage - on a ici un cocktail détonnant pour dynamiser l’apparition de nouvelles formes de vie dans un nouvel environnement océans et aussi mers peu profondes et plus chaudes : on a notamment un forte disponibilité de certains éléments chimiques tels que l’oxygène ou le calcium qui sont cruciaux pour la vie et en particulier, pour le calcium, l’apparition de squelettes externes ou internes calcifiés, mais aussi du fer, du potassium ou de la silice qui peuvent être utilisés soit pour des éléments rigides soit comme co-facteurs des réactions chimiques nécéssaire à la vie. Les organismes vivants auraient donc commencé à assimiler ces éléments et évolué de nouvelles structures, coquilles, squelettes, et généraliser les hèmes qu’on retrouve dans les globules rouges ou la chlorophylle pour transporter de l’oxygène ou catalyser des réactions chimiques. Vous aurez remarqué que je suis restée souvent au conditionnel parce que ces arguments représentent des faisceaux de preuve et des hypothèses soutenues mais qui peuvent encore changer ou être raffinées - c’est loin dans le temps et l’espace, et c’est compliqué - mais la grande majorité des indices que l’on a sur l’actuel, le passé plus proche mais aussi plus lointain, est que le mouvement des continents et le changement d'environnement et de conditions de vie a joué un rôle majeur dans les radiations évolutive et l’évolution de la vie.
Quand le Cambrien se termine, il y a environ 488 millions d’années, plusieurs ancêtres d’espèces que l’on retrouve aujourd’hui sont déjà présentes : les hexapodes, les arachnides, les myriapodes et certains, commencent à s’adapter aux grand continents secs et et rocheux ainsi que les ancêtres des plantes terrestres. Il n’y avait pas de calottes polaires (ou très peu), et les continents se feraient coloniser plus tard par des plantes et des animaux avant de se réunir à niveau tous ensemble, beaucoup plus tard à la fin de l’ère primaire pour former la pangée, le dernier super-continent connu.
[Eléa] J'en profite pour glisser une recommandation lecture de mon côté, le premier livre de vulgarisation que j'ai lu, un livre de Stephen Jay Gould, paléontologue américain (1941-2002), qui parlait de la découverte du site des schistes de Burgess (la vie est belle). C'est un cadeau de ma prof de SVT (Delphine Guibet) et qui m'a donné envie de faire de la biologie. J'en ai tiré une citation dans le livre que je vous propose ici :
[Alexa] Et de mon côté, ma recommandation lecture c'est les déportés du Cambrien de Robert Silverberg et qui est très politique en fait, car des prisonniers sont déportés au Cambrien et ils pèchent des trilobites.
[Pierre] En conclusion, vous aurez pu noter un certain enthousiasme de la part des trois biologistes de cette chronique. C’est que le sujet de l’explosion cambrienne, pour la plupart des biologistes intéressés par l’évolution, c’est un peu le graal. Un moment de l’histoire de la vie où l’évolution semblait générer des formes organiques similaires aux productions d’une app de génération d’images de première génération : des hallucinations animales et végétales, pour lesquelles il reste encore tant de choses à découvrir ! Et cette explosion de créativité évolutive, ce bouleversement phénoménal tirant partie de tout ce qu’il y a de merveilleux dans la diversité : ça nous semblait un sujet hommage de circonstance pour la 500ème émission du Podcast scientifique le plus créatif, le plus divers et au final le plus merveilleux qui existe.
Références :
Nutman, A. P., Bennett, V. C., Friend, C. R. L., Van Kranendonk, M. J., & Chivas, A. R. (2016). Rapid emergence of life shown by discovery of 3,700-million-year-old microbial structures. Nature, 537(7621), 535‑538. https://doi.org/10.1038/nature19355
Slater, B. J. (2023). Cambrian ‘sap-sucking’ molluscan radulae among small carbonaceous fossils (Scfs). Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 290(1995), 20230257. https://doi.org/10.1098/rspb.2023.0257
Liens :
TimeTree.org
4.5 Billion Years in 1 Hour
The Extinction That Never Happened
The Trouble With Trilobites
What caused the Cambrian explosion?
The Cambrian Period (That We Know Of) ft. Animalogic
The extinct animal that was flipped upside down
FOSSIL HUNTRESS: PRIMITIVE FISH OF THE CHENGJIANG LAGERSTÄTTE
Par taupo, dimanche 7 avril 2024. Lien permanent
Ajouter un commentaire
URL de rétrolien : http://ssaft.com/Blog/dotclear/?trackback/917
« Des animaux démesurés Il faut des tripes pour régénérer »