Strange Animals

Anivatar : les maîtres de l'eau

introduction série avatar

Transcription de la chronique pour la 523ème émission de Podcast Science, dont la thématique était l'eau.


Je vais commencer ma chronique par une digression, mais qui maintient un lien avec nos émissions thématiques élémentaires de cette 15ème saison de Podcast Science. Il y a peu de temps, ma wonderful wife™ me demandait quel était mon jouet favori quand j’étais enfant. Je ne sais pas ce que ça a déclenché dans mon cerveau, mais je me souvenais EXACTEMENT de mes jouets préférés, des figurines en plastoc à l’effigie d’animaux avec un blason thermosensible sur le poitrail. Cependant, impossible de me souvenir de leurs noms. Alors quel ne fut pas mon émoi quand, en faisant la recherche suivante sur internet “jouets animaux plastique éléments armures bois eau” j’ai retrouvé les dragonautes, cette gamme de jouets des années 80 et leur publicité qui m’avait tant marqué :

Bannière "Les Dragonautes"


J’ai donc passé des heures ensuite à écumer l’internet mondial à la recherche de miettes de nostalgie car, cela ne vous aura pas échappé, j’ai conservé une grande âme d’enfant… Pas étonnant qu’adulte, je sois resté fasciné par divers programmes destinés à la jeunesse qui proposent de suivre des combats élémentaires. Un des derniers en date est la série Avatar. Pas les films de James Cameron mais les dessins animés où l’on suit les aventures d’Aang durant 3 saisons puis celles de Korra (4 saisons).
Ce sont tous deux des maîtres multi-élémentaires (en anglais benders) chargés de maintenir l'équilibre entre les peuples des quatre éléments : eau, air, terre et feu. Dans cet univers, les arts martiaux se mêlent à une forme de magie liée aux forces naturelles. Personnellement, c’est le genre de monde qui me fait rêver et résonne pleinement avec mon imaginaire juvénile. Mais plutôt que de vous faire un debrief des 7 saisons d’avatar ou un tier-list des meilleurs dragonautes, je vous propose de mixer les deux, sans perdre de vue un objectif de vulgarisation zoologique, en répondant à la question suivante : existe-t-il des animaux capables de se battre ou de réaliser d’autres prouesses aquatiques, en manipulant l'eau ? La mission étant donnée, il ne me reste plus qu’à me jeter à l’eau…

introduction la légende de Korra

Un des exploits dont sont capables les maîtres de l'eau, c'est de se déplacer grâce à leurs pouvoirs. 

Méthode de la plateforme rivière

Et bien figurez vous que c'est dans les archives de Podcast Science que j'ai puisé un exemple de locomotion liquide car dans ma chronique "La mouche qui pète. Info ou intox ? pour l'émission 329, ou encore les émissions “Trachée n’est pas Jouer” et “1001 pattes” je vous apprenais que 

Les larves de libellules sont capables de respirer sous l’eau à l’aide de branchies… cachées dans leur rectum. Pour respirer, elles pompent donc de l’eau [...] dans une cavité appelée l’ampoule rectale. Elles peuvent contrôler le flux et la pression du jet d’eau qui sort par le rectum si bien qu’elles peuvent utiliser ce système pour se propulser ! Ces larves de libellule pètent de l’eau ! [Or] un jet d’eau permet à la larve de nager bien plus vite que si elle effectuait ce mouvement avec ses pattes : de vraies fusées à hydropropulsion! Elles peuvent aussi accumuler de la pression hydraulique à l’intérieur de l’ampoule rectale pour déployer leur sorte de mâchoire diabolique [, le masque], servant à capturer des proies en un éclair. [...] 

Le masque d'une larve de libellule


Mais si on se mettait en quête d’une liste exhaustive de toutes les bestioles qui exploitent l’eau pour se propulser, on serait vite la tête sous l’eau ! Car si l’animal a la forme d’un tube ou possède un ou plusieurs siphons, banco : il est potentiellement doté d’une capacité à jouer les torpilles. On pense alors aux méduses, ou des espèces cousines littéralement appelées les siphonophores (porteuses de siphons). Plus original, chez les mollusques on trouve des bivalves, comme les coquilles saint-jacques, qui menacées, peuvent décamper en nageant comme des castagnettes…

Nage d'une coquille St Jacques

Et puis chez les mollusques à siphons, il y a aussi les poulpes et autres céphalopodes ! C’est d’ailleurs parmi eux qu’on trouve mon exemple préféré de locomotion par propulsion aquatique : celui qui ne permet pas de nager, mais de planer hors de l'eau. Comme je vous l’annonçais dans ma chronique, ça plane pour eux, “des espèces de calmars comme Ommastrephes bartramii ou Todarodes pacificus ont été épisodiquement photographiées en train de réaliser de fantastiques bonds à la surface de l’eau. Mais il a fallu attendre une récente étude japonaise parue dans la revue Marine Biology pour connaître, en détail, les modalités de la locomotion si particulière de ces mollusques. Les chercheurs ont estimé que les céphalopodes, qui mesurent environ 20cm de long, volaient dans les airs à une vitesse de 11,2 mètres par seconde pour réaliser des bonds pouvant atteindre les 30m. C’est plus rapide qu’Usain Bolt ! Pendant leur vol de près de 10s, les calmars étendent leurs bras et leurs ailerons pour se diriger.

Illustration d'un calmar planant


Enfin on pourra citer le système de locomotion particulier des oursins, étoiles de mer et autres concombres de mer, qui exploitent un réseau de canaux emplis d’eau de mer. C’est le système ambulacraire qui sert à la fois d’hydrosquelette et de mécanisme hydraulique.

une étoile de mer qui gallope


Méduse, poulpe, bivalve et étoile : le moins qu’on puisse dire c’est que les waterbenders dans la vraie vie ne se ressemblent pas comme deux gouttes d’eau (ne leur répétez pas, ça risquerait de faire des vagues…).
Mais bon, hormis se propulser en giclant par le siphon ou par le fion, qu’est-ce qu’on peut faire avec de l’eau ? Et bien préparez-vous à plonger dans le monde invraisemblable de l’exploitation de l’eau comme d’un véritable outil !
Et plutôt que de nager entre deux eaux, nous allons commencer notre exploration sur la terre ferme car le premier exemple que je vais vous présenter, c’est celui de l’éléphant ! Alors non, ça ne se passe pas comme dans certains dessins animés ou des éléphants boivent de l’eau en utilisant leur trompe comme une paille, ni comme dumbo où ils les utilisent comme des trompettes…


Mais par contre leur trompe leur permet littéralement d’avoir l’eau à la bouche ! Une étude parue dans le journal of the royal society interface nous apprend que la trompe peut stocker jusqu’à 5,5 litres d’eau et en aspirer à la vitesse de 3 litres par seconde ! Pratique quand on veut se rincer le goulot, mais aussi pour plein d’autres activités, comme d’asperger d’éventuels prédateurs pour les effrayer…


… ou encore pour se laver le corps. Certaines équipes ont même entraîné des éléphants à résoudre des problèmes d’éthologie classique où de l’eau transportée par la trompe permet d’accéder à une récompense. Une autre étude encore plus récente a montré que des éléphants utilisent leur trompe pour manipuler non pas l’eau directement, mais un tuyau d’arrosage pour se laver… mais je digresse fortement.

Un éléphant se lave avec un tuyau d'arrosage

Or, j’ai un exemple qu’il me tarde de vous présenter, d’une espèce qui détrône toutes les autres dans sa maîtrise de l’eau. Promis craché, ça vaut le coup, car il s’agit d’un véritable robin des mangroves, le bien nommé Poisson Archer (du genre Toxotes qui en grec signifie… archer). 

J’ai eu l’heureuse surprise de découvrir qu’Agatha Liévin-Bazin, récurrente invitée de Podcast Science, a déjà réalisé un épisode du podcast de Futura Bêtes de Science sur le sujet. Elle nous y apprend que le genre des Toxotes comprend entre 7 et 10 espèces réparties sur les côtes australiennes et d’Asie du Sud, et le plus souvent dans les mangroves. Mâles et femelles du poisson-archer sont le portrait craché l’un de l'autre avec une mâchoire inférieure proéminente qui leur donne une expression boudeuse. Leurs grands yeux, placés bas sur la tête, leur offrent une excellente vision binoculaire pour percevoir les distances en 3D. Particulièrement pratique lorsqu’on sait que pour capturer ses proies, le poisson archer crache dessus !

La chasse d'un poisson archer


Alors pas un glaviot fait de salive (ils n’en produisent d’ailleurs pas), mais des jets d’eau sortis de sa bouche pour faire tomber des proies situées au-dessus de la surface. Il produit ce jet en fermant ses opercules (les structures qui protègent les branchies du poisson) et en contractant les muscles de sa bouche, ce qui lui permet d’atteindre ses cibles avec précision à plus d’un mètre de distance. C’est dans sa bouche que se trouvent les premières adaptations qui permettent cette prouesse. Le toit de son palais est en effet doté d’une rainure spéciale dans laquelle peut s’enchâsser sa langue et constituer un tube similaire à celui d’un pistolet à eau. Ce poisson produit d’ailleurs des jets d’eau depuis la surface vers l’extérieur, mais aussi directement dans l’eau. Cette capacité à produire des jets subaquatiques est une bonne piste pour comprendre comment ses prouesses de Guillaume Tell sont apparues au cours de l’évolution…

Jets subaquatiques de poissons archers

Ensuite, il utilise ses capacités visuelles exceptionnelles pour ajuster précisément ses tirs malgré la réfraction de l’eau. Mais ce qui est le plus dingue, c’est qu’il est capable de propulser des gouttes d’eau à la verticale… qui accélèrent plus elles s’élèvent. Genre rien à secouer de la gravité ! C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, non ?

jet d'eau d'un poisson archer

Et pourtant, des recherches ont montré qu’en contrôlant rapidement l’ouverture de sa bouche, le poisson-archer module la vitesse de l'eau expulsée, rendant la traînée du jet d’eau plus rapide que le front. Cette technique permet au jet de se regrouper en une goutte plus puissante juste avant d'atteindre la proie, maximisant ainsi l'impact pour la déloger. Pas étonnant que l’armée américaine ait baptisé un de leurs sous-marins “archerfish”.

Par la suite, de nombreuses équipes de recherche se sont demandées si ces prouesses étaient acquises ou innées. Pour leur faire cracher le morceau, on peut commencer par les observer dans la nature où les adultes chassent plutôt en solitaire (et sont souvent assez efficaces), alors que les poissons juvéniles chassent en groupe (et ratent fréquemment leurs cibles). Lors de ces épisodes qui ressemblent à des séances d'entraînement, les jeunes apprennent à mieux viser, mais surtout à prédire où vont tomber leurs proies, car mainte fois, ce n’est pas celui qui vise le mieux qui réussit à gober le repas. Cela suggère que les jeunes poissons-archers n’ont pas un tir précis dès la naissance, mais qu’ils apprennent en observant leurs congénères. Une étude en aquarium a en effet montré que des poissons n’ayant jamais pratiqué la glaviot-chasse pouvaient devenir aussi précis qu’un tireur expérimenté simplement en le regardant faire, tandis que ceux privés de modèle réussissaient moins bien. Cela suggère que le poisson-archer possède une véritable intelligence sociale, en plus de son habileté physique, et remet donc en question nos idées sur les capacités d’apprentissage des poissons.


Pour aller plus loin, des chercheuses et chercheurs ont même testé leurs capacités de reconnaissance visuelle. Et pour compliquer le tout, ce ne sont pas des portraits de poissons ou d’insectes, mais d’humains qui leur étaient présentés. Selon cette étude, certains Toxotes sont capables de discriminer plus de 40 visages différents, présentés selon des angles variables ! Une gageure pour certains membres de laboratoire, comme la chercheuse Dagmar der Weduwen qui, lors de sa thèse, s’est fait régulièrement cracher sur la gueule lorsque des poissons chafouins estimaient qu’ils n’étaient pas assez rapidement nourris.


Mais comme dit l’adage, il faut rester joie, quand on sert la science… alors on va pas cracher dans la soupe !

Liens

How An Elephant’s Trunk Manipulates Air to Eat and Drink | College of Sciences | Georgia Institute of Technology
Asian elephants are capable of using water as a tool
 

Spit Decision: How Archerfish Decide | WIRED
Archer Fish Create Deadly Water Guns To Catch Prey | IFLScience
The Fluid Dynamics of Spitting: How Archerfish Use Physics to Hunt With Their Spit | WIRED
Video: Fish spits water like we throw spears | Science | AAAS
How archer fish gun down prey from a distance | Nature
Archerfish Defy Notion that Complex Vision Requires a Cortex | The Scientist
le Dock Arte – Des poissons pas si cons

Toxotes jaculatrix - Archerfish hunt by shooting jets of water
Le toxote, le pistolet à eau des mangroves | Les super-pouvoirs du vivant
A Fish that Shoots it's Prey? | Weird Nature | BBC Earth
Species: Archerfish
Water-spitting archerfish can identify and remember human faces
Archerfish - Bibliography
92: Archerfish w/ Dagmar der Weduwen! by Just the Zoo of Us | Podchaser
59. Archerfish, Social Learning & [This Episode Title is Data Deficient] (with Dagmar der Weduwen & Willow the Cat) par Pangolin: The Conservation Podcast
Archerfish : Bullseye – The Wild Episode
Le poisson-archer projette des jets d'eau pour chasser les insectes - Podcast

Références :
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Mann, J., & Patterson, E. M. (2013). Tool use by aquatic animals. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 368(1630), 20120424. https://doi.org/10.1098/rstb.2012.0424
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Schulz, A. K., Ning Wu, J., Ha, S. Y. S., Kim, G., Braccini Slade, S., Rivera, S., Reidenberg, J. S., & Hu, D. L. (2021). Suction feeding by elephants. Journal of The Royal Society Interface, 18(179), 20210215. https://doi.org/10.1098/rsif.2021.0215
Urban, L., Becker, R., Ochs, A., Sicks, F., Brecht, M., & Kaufmann, L. V. (2024). Water-hose tool use and showering behavior by Asian elephants. Current Biology, 34(23), 5602-5606.e1. https://doi.org/10.1016/j.cub.2024.10.017
Vailati, A., Zinnato, L., & Cerbino, R. (2012). How archer fish achieve a powerful impact : Hydrodynamic instability of a pulsed jet in toxotes jaculatrix. PLoS ONE, 7(10), e47867. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0047867

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