The Domestication Show

On ne plaisante pas avec les bananes



Bien que la priorité sur SSAFT soit (après la promotion du strange et du funky évidement) de toujours apporter des arguments scientifiques et (donc) objectifs à chacune de nos publications, il a pu, de temps à autres, transpirer d’entre nos lignes une petite pointe de sarcasme à l’égard des créationnistes… rien de bien méchant et après tout c’est de bonne guerre. Alors aujourd’hui je vous propose d’y aller franco en vous racontant la petite histoire de Ray Comfort, un chrétien évangéliste Néo-Zélandais adepte de l’Intelligent Design. Vous connaissez sans doute cette théorie (mais pas dans le sens scientifique du terme) , rejeton mal dissimulé du créationnisme, selon laquelle l’organisation de l’univers et de la vie est trop « complexe » et trop « parfaite » pour être expliquée par autre chose qu’un « dessein intelligent » ou un « grand architecte ». Je rappelle à titre d'information, que cette théorie a failli être enseignée dans certaines écoles américaines comme étant de valeur équivalente aux écrits de Darwin… ou quand la peur du vide cautionne la misère éducative.

 

La preuve que Dieu existe…

 

Ray est un prêcheur très occupé, il a écrit un petit paquet de bouquins sur l’intelligent design et sur l’athéisme. Il a aussi participé à de nombreux débats sur le sujet et à des Talk shows évangélistes présentés par son ami Kirk Cameron (un des enfants dans la série Quoi de neuf Docteur?). En voici un extrait, une vidéo célèbre pour l’hilarité qu’elle provoque dans le milieu scientifique. Elle s’intitule : « Le cauchemar de l’athée » ou « la banane comme preuve de l’existence de Dieu ». Regardez, rigolez, on démonte tout ça juste après.

 


Le cauchemar de l'athée ou la banane comme preuve de l'existence de Dieu

 

Pour les non-anglophones, voici une petite traduction (pas exactement littérale mais bon, c’est la première fois que je joue le rôle d’interprète aussi):


« Le cauchemar de l’athée.

Si vous regardez sur la face convexe d’une banane bien faite, vous trouverez trois arrêtes. Si vous regardez sur la face concave vous en trouverez deux. Si vous placez votre main comme si vous teniez la banane vous trouverez en haut trois creux et en bas deux creux. La banane et la main sont parfaitement faites l’une pour l’autre. Vous verrez aussi que dieu tout puissant a donné à la banane une surface antidérapante. Même des signes extérieurs comme sa couleur indique si vous pouvez la manger : Vert, trop tôt. Jaune, juste comme il faut. Noir, trop tard. Maintenant si vous regardez l’extrémité de la banane, vous verrez une languette. Dieu tout puissant a donc placé une languette en haut de la banane. Si vous la tirez, le contenu ne vous saute pas à la figure, les arrêtes se découpent toutes seules et l’emballage s’enlève facilement. Notez comme cela se déroule gracieusement autour de la main humaine. Regardez maintenant la pointe du fruit, sa forme est exactement adaptée à la bouche humaine. C’est facile à mâcher, à digérer, c’est même courbé vers le visage pour rendre tout le processus plus facile. Sérieusement Kirk, la création tout entière témoigne du génie de Dieu le créateur. »



… Ou pas.

 

Pas besoin de passer ses journées à pénétrer les mystères des annélides polychètes, toute personne possédant un minimum de jugeote relèvera le ridicule de ce discours, nous n’allons donc pas discuter de « Ben, l’ananas, c’est pas la preuve indiscutable que Dieu est un enc… qui veut qu’on se nique les doigts ? » ni de « Et les pommes alors, elles sont rondes et rouges (des fois), où est le dessein intelligent ? »

 

Finalement j’ai compris qu’entre Dieu et les pommes, y’avait comme un lézard (elle revient de loin celle là) (image: www.onyearbibleimage.com)

 

Cependant, il est important de démontrer objectivement pourquoi le moustachu se plante. Car dans le principe fondamental il ne s’y prend pas trop mal au début, il adopte même un raisonnement scientifique : observation, déduction (oui c’est surtout là que ça cloche en fait). Malheureusement pour lui (et heureusement pour l’humour) il a oublié une chose ô combien fondamentale dans son étude (et croyez-moi, en tant que stagiaire j’en sais quelque chose…) : la sacro-sainte bibliographie. En effet avant de se lancer à corps perdu dans un travail, on feuillette quelques livres, on se farcit quelques lourdes thèses (dans le laboratoire y’en a notamment une qui fait son poids de papier), bref, on se documente sur le sujet. Chose que j’ai faite pour vous évidement.

 

La banane, donc ! Ou plutôt le bananier. Il s’agit d’une plante monocotylédone du genre Musa. Contrairement à ce que l’on peut penser, le bananier n’est pas un arbre mais une herbe géante (non lignifiée c'est-à-dire sans tronc), atteignant communément les 3m de haut. Il en existe plus de 50 espèces dont les relations de parenté sont très difficiles à déterminer du fait de leur tendance naturelle à l’hybridation. C’est la quatrième plante la plus cultivée dans les pays en voie de développement et la production mondiale de bananes s’élève à 100 Mégatonnes (en Afrique on en consomme 400kg par personne et par an, surtout des bananes plantain). Comme vous avez pu le remarquer, les bananes que nous mangeons ne contiennent pas de graines, il s’agit d’hybrides incapables de se reproduire de manière sexuée (pas de pollen ni de fertilisation). La production de fruits se fait par parthénocarpie: la fleur du bananier reçoit une stimulation (de quel genre, je n’en sais rien) et le fruit se développe comme s’il y avait eu pollinisation, à la différence qu’il ne produira pas de graines (puisque la fleur est non fécondée). Ce phénomène est très pratique pour la culture, mais beaucoup moins pour la survie de l’espèce, ainsi la parthénocarpie ne concerne pas les espèces sauvages.

 

Une jolie fleur de bananier et son régime sur l’île d’Haiti
(image: www.haitichristianfondation.org)

 

Vous l’aurez compris, la plus grosse erreur de Ray (en dehors du simple fait d’essayer de se frotter à des théories dont il ne pige pas deux lignes) a été de considérer comme « naturel » et « issu de la création » un fruit typiquement domestiqué par Homo sapiens depuis des lustres. On estime que la domestication de la banane date de plus de 7000 ans (jusqu’à 10 000 selon certains) et est survenue pour la première fois dans l’actuelle Papouasie Nouvelle-Guinée (mais elle a également eu lieu plus tard sur d’autres territoires, notamment au Cameroun il y a 2500 ans). Il existe plusieurs lignées de bananes domestiquées, la plupart des cultivars sont issus de mutations spontanées ayant fait apparaître le caractère parthénocarpique chez des plantes sauvages qui ont ensuite été récupérées et cultivées par des fermiers. Parmi ces variétés comestibles on distingue les bananes « douces » que nous connaissons bien et les bananes plantain, beaucoup plus fermes qui nécessitent d’être pelées au couteau et cuites avant d’être mangées. Pour les amateurs il existe aussi des « beer banana » dont le jus peut être fermenté pour produire des boissons alcoolisées et dont on peut également frire la chair pour faire des chips (je vous jure c’est vrai). Même une fois domestiquée, la banane n’est donc pas forcément mangeable tel quel. Pour « l’emballage qui s’en va tout seul » et le « facile à mâcher et à digérer » on repassera. La banane sauvage, quant à elle, contient une ribambelle de grosses graines noires et dures comme des cailloux.

 

banane sauvage (la vraie de vrai)
(image: www.wikipedia.com)

 

Bananes plantain
(image: lenaskitchen)

Chips salés de bananes
(image: www.laylita.com)

 

Je passerai sur l’argument de la forme parfaitement adaptée à la morphologie humaine, d’autres personnes ont déjà creusé la question. En revanche je peux m’attarder sur celui de la couleur indiquant si le fruit est comestible ou non. En effet, il se trouve que certaines bananes plantain ne peuvent être consommées que si elles sont noires (très mûres et à la chair ramollie), et les inconscients qui s’aventureraient à les manger jaunes subiraient le courroux de leur système digestif. Mais beaucoup plus funky que ça, il existe des bananes qui laisseraient n’importe quel moustachu créationniste perplexe… Ben alors Ray ? Je fais quoi là ? Je mange ou je mange pas :

 

Banane naine rouge

Bananes naines rouges

Banane Fuchsia

Jolies bananes fuchsia

 

Différentes variétés de bananes comestibles sur les étals d’un marché indien

(image: Heslop-harrison et Scharzacher)

 

Je vais m’arrêter là (pour cet article du moins). Sans rancune Ray, ça te servira pour la prochaine fois, pas la peine de recruter des fanatiques de beurre de cacahuète. C’est pas la faute des évolutionnistes si la banane jaune est un fruit domestiqué, ils ne l’ont pas inventé, et ils ne sont pas non plus remontés 10 000 ans en arrière pour préparer le coup en sachant que tu allais te faire avoir aujourd’hui… Ah mais attends, c’est impossible puisque la Terre a 6000 ans! suis-je bête, j’ai failli me faire avoir.

 

Références et bibliographie:

Domestication, Genomics and the Future for Banana, J.S Heslop-Harrison and T. Schwarzacher, Oxford Journals, 2007. (pdf)

Page skepticwiki, le cauchemar de l’athée. ici

Page wikipedia, Ray Comfort. ici

article science et avenir sur casafree.com. ici

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