Science

Double Je

Transcription de ma chronique pour l'émission 492 de Podcast Science enregistrée au Ground Control à l'occasion du Festival Double.Science

Castor et Pollux, Luke et Leia ou encore Igor et Grichka Bogdanoff, nombreux sont les jumelles et jumeaux qui sont rentrés dans la culture populaire. Et dans le cadre de notre enregistrement exceptionnel d’émission au festival double science, je voulais me pencher sur les phénomènes biologiques à l’origine de ces hoquets d’une nature qui voit double.

La gémellité, phénomène biologique à l’origine des jumeaux, est le cas le plus simple pour obtenir des doubles, et se décline en deux catégories bien connues : les fausses et faux jumelles/jumeaux, ce qu’on appelle aussi la gémellité dizygote, et les vrai.e.s jumeaux et jumelles monozygotes. La différence fondamentale entre ces deux situations se retrouve dans leur étymologie car zygote désigne la cellule œuf fécondé (provenant du grec ancien zugōtós « attelé, joint » car issu de la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovule . Rien à voir donc avec zigoto.). Dizygote (di = 2) évoque alors le fait que deux cellules œufs distinctes, issues de deux rencontres séparées entre deux ovules et deux spermatozoïdes sont à l’origine d’une même grossesse avec deux frères, deux sœurs ou un mix des deux. Génétiquement, c’est l’équivalent de deux bébés distincts mais qui naissent simultanément. À l’inverse, une seule cellule œuf est à l’origine d’une gémellité monozygote. Cette cellule œuf unique va, après une ou plusieurs divisions, se scinder et générer deux embryons distincts qui partagent le même patrimoine génétique et donc donner soit deux frères, soit deux sœurs essentiellement identiques.

Mais, vous me connaissez, je ne vais pas m’attarder sur ces cas classiques et plutôt vous présenter des cas de gémellité plus… exotiques. À commencer par des cas de gémellités monozygotes aboutissant à un couple frère/sœur. Ici, c’est un dérèglement génétique très rare d’un des embryons qui peut aboutir à des cas d’intersexuations où par exemple un chromosome Y est perdu. Mais avec moins de 10 cas documentés à travers le monde, on peut faire un pari plutôt peu risqué en considérant que des jumeaux monozygotes partagent le même sexe à la naissance.

La gémellologie, ou étude des jumeaux, révèle aussi des cas rares où une seule cellule œuf a été fécondée par deux spermatozoïdes, aboutissant à des jumeaux ou jumelles semi-identiques sesquizygotes !

Jumeaux sesquizygotes
Avec seulement deux cas documentés et prouvés, il s’agit donc de bébés excessivement rares qui partagent le même patrimoine génétique provenant de leur mère mais un jeu différent de chromosomes issus de leur père : un partage donc d’environ ¾ de leur patrimoine génétique à l’identique. Là encore, pour l’un des cas documentés, la grossesse a abouti à un frère et une sœur. Je n’entre pas dans les cas où des spermatozoïdes provenant de pères différents peuvent aboutir à des cas de gémellités peu courants, mais je ne serai pas surpris de savoir que des équipes de gémellologie traquent avidement les amateurs d’orgies et partouzes pour dépister de nouvelles occurrences de ce genre de phénomènes…

jumeaux semi-identiques sesquizygotiques

Et il faut aussi citer ces cas de vrais jumeaux où la séparation de l’embryon unique pour en générer deux, a eu lieu assez tard et notamment après que l’axe droite/gauche du bébé ait été déterminé. Cela aboutit alors au phénomène de gémellité miroir. Elle peut se manifester sur la latéralisation (si l’individu est droitier ou gaucher), mais aussi des caractéristiques morphologiques comme l’orientation en spirale des cheveux, voire même la localisation d’organes impairs avec un des bébé possédant un situs inversus et donc un cœur à droite.

Ce dernier cas de séparation tardive d’embryon a cependant tendance à générer d’autres manifestations de double identité : des jumelles ou jumeaux conjoints, aussi connus sous le nom de siamois, qui se réfère à Chang et Eng Bunker, célèbres jumeaux conjoints nés dans l’actuelle Thaïlande qui portait le nom de Siam à leur époque, au XIXe siècle. De manière contre-intuitive, la plupart des cas de gémellité conjointe provient d’une fission incomplète d’un embryon qui génère alors des jumeaux reliés par différentes parties du corps comme le thorax, l’abdomen ou le crâne. Mais parmi ces cas, je ne résiste pas à la tentation de vous parler plus particulièrement de ceux qu’on appelle les “jumeaux parasitaires” où l’un des deux individus s’est moins développé et ne présente pas, à ma connaissance, de tête.

Gemellité parasitaire
Cela résulte en une personne généralement complètement formée qui porte un corps embryonnaire attaché à différente partie de son anatomie comme l’abdomen, le tronc ou encore un cas surnommé Pygopagus parasiticus, où le deuxième corps atrophié dépasse du bassin… Pour le dire plus crûment, cela donne l’impression qu’un embryon leur sort des fesses…

Gemellité parasitaireGemellité parasitaire

Des cas similaires de gémellité conjointe existent chez de nombreux animaux et aboutissent à des cas étranges d’oiseaux à quatre pattes, de scorpions à deux dards ou encore de tortues à deux têtes.

Pigeon à 4 pattesPoussin à 4 pattesScorpion à 2 dardsTortue à deux têtes
Parfois, l’un des individus est carrément absorbé par l’autre et aboutit à un phénomène portant le nom de Fœtus in fœtu. Pour me documenter et préparer cette chronique, je me suis appuyé sur une référence en matière de bizarreries médicales, Marc Gozlan du blog Réalités Biomédicales. Et il me suffira de vous partager les titres de ses billets pour que vous puissiez apprécier le caractère improbable de ces découvertes cliniques : Une fillette chinoise naît avec deux fœtus jumeaux dans le ventre, Fœtus in fœtu intracrânien : la jumelle d’un bébé se trouvait dans son cerveau, et mon préféré : Un bébé naît avec un fœtus jumeau accolé à son testicule gauche.

Et puis il y a des manières exotiques de partager sa vie avec un autre de manière fusionnelle. Plus tôt je vous évoquais comment la détermination du sexe à la naissance pouvait être potentiellement imprévisible, même dans le cas de gémellité monozygote. Mais chez certaines autres espèces, la détermination peut être encore plus alambiquée car certains individus dit gynandromorphes, peuvent présenter un mélange de caractéristiques mâles et femelles. Cas particulier de chimérisme, le gynandromorphisme porte bien son nom car son étymologie grecque se découpe en gynē (femelle), anēr (mâle), et morphē (forme). Les individus gynandromorphes sont un mélange de cellules qui définissent des régions mâles et femelles. Ce phénomène se déploie pendant le développement embryonnaire, durant certaines divisions cellulaires où les chromosomes sexuels sont répartis de manière chaotique, ce qui génère des chimères plus ou moins étendues. En effet, plus la division fautive a lieu tard, plus les gynandromorphes auront un aspect de mosaïque. Si la répartition de cellule mâle et femelle se réalise très tôt, vous aurez alors peut être l’opportunité de voir un individu complètement séparé en deux. Biologiquement, le gynandromorphisme se manifeste donc chez des espèces où le sexe est essentiellement déterminé par des chromosomes sexuels, sans grand impact d’hormones. Vous l’aurez compris, ce n’est pas le cas de notre propre espèce. Par contre, vous pourrez trouver de spectaculaires exemples de gynandromorphismes chez des crustacés (dont des homards qui paraissent mi-cuits car bleu d’un côté et marron de l’autre), mais aussis chez les araignées, les tiques, nombreux insectes, des lézards, des serpents ainsi que chez de nombreuses espèces d'oiseaux.

homards gynandromorphesmouche gynandromorphearaignée gynandromorphepoule gynandromorphecardinal gynandromorphebourdon gynandromorphe
C’est d’ailleurs chez une espèce d’oiseau, un diamant mandarin, que des chercheurs ont exploité des individus gynandromorphes pour identifier des régions cérébrales spécifiquement mâle (comme par exemple contrôlant le chant nuptial) et d’autres typiquement femelles.

Partager son corps avec son frère ou sa sœur, ou une version sexuellement opposée à soi, c’est déjà bien strange, mais que diriez-vous de le partager… avec votre propre progéniture. Attention, âmes sensibles, le phénomène que je m’apprête à décrire est peu ragoûtant. Connu sous le nom de lithopédion, du grec líthos (pierre) et paidíon (enfant), il désigne des cas où des grossesses abortives génère un fœtus partiellement réabsorbé par le corps de la mère et qui a tendance à se calcifier.

Lithopédion
De manière assez incroyable, les cas documentés de lithopédions sont très fréquemment diagnostiqués bien après la génération du fœtus : en moyenne 22 ans après. Les records de longévité de ces avortons pétrifiés dépassent largement les 50 ans, et plusieurs mères ont donné naissance à d’autres enfants sans que le lithopédion aient généré des problèmes particuliers.

Lithopédion

Pour conclure cette chronique, je me dois de mentionner une autre manière de faire l’expérience d’une vie intriquée entre deux individus et que je souhaite à toutes nos auditrices et auditeurs : rencontrer l’âme sœur. Mais avant cela, je vous partage cette sagesse, édictée par le personnage de psy incarnée par Camille Cottin dans le film de Cédric Klapisch “Deux Moi” : “Pour que deux moi fassent un nous, il faut que les deux soient soi”.

Liens :

Are Identical Twins Always the Same Sex?
Sesquizygotes : naissance extrêmement rare de jumeaux “semi-identiques” - GuruMeditation
Jumeaux du troisième type – Réalités Biomédicales
What are mirror image twins?
Quand des jumeaux n’ont pas le même père – Réalités Biomédicales
Des jumeaux de pères différents, c’est possible. Retomber enceinte alors qu’on l’est déjà, aussi.
  

Fœtus in fœtu
Une fillette chinoise naît avec deux fœtus jumeaux dans le ventre
Fœtus in fœtu intracrânien : la jumelle d’un bébé se trouvait dans son cerveau – Réalités Biomédicales
Un bébé naît avec un fœtus jumeau accolé à son testicule gauche

Gynandromorphe
Un cardinal à moitié cuit
As Many Exceptions As Rules: Half Male, Half Female, Completely Weird 

Lithopédion
Un cas clinique tragique : agression d’une vieille dame porteuse d’un fœtus calcifié – Réalités Biomédicales
Un fœtus pétrifié découvert dans le ventre d’une femme décédée à 87 ans

Références :
Fusco, G., & Minelli, A. (2023). Descriptive versus causal morphology : Gynandromorphism and intersexuality. Theory in Biosciences, 142(1), 1‑11. https://doi.org/10.1007/s12064-023-00385-1
Gabbett, M. T., Laporte, J., Sekar, R., Nandini, A., McGrath, P., Sapkota, Y., Jiang, P., Zhang, H., Burgess, T., Montgomery, G. W., Chiu, R., & Fisk, N. M. (2019). Molecular support for heterogonesis resulting in sesquizygotic twinning. New England Journal of Medicine, 380(9), 842‑849. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1701313
Souter, V. L., Parisi, M. A., Nyholt, D. R., Kapur, R. P., Henders, A. K., Opheim, K. E., Gunther, D. F., Mitchell, M. E., Glass, I. A., & Montgomery, G. W. (2007). A case of true hermaphroditism reveals an unusual mechanism of twinning. Human Genetics, 121(2), 179‑185. https://doi.org/10.1007/s00439-006-0279-x
Wachtel, S. S., Somkuti, S. G., & Schinfeld, J. S. (2000). Monozygotic twins of opposite sex. Cytogenetics and Cell Genetics, 91(1‑4), 293‑295. https://doi.org/10.1159/000056859
Zech, N. H., Wisser, J., Natalucci, G., Riegel, M., Baumer, A., & Schinzel, A. (2008). Monochorionic-diamniotic twins discordant in gender from a naturally conceived pregnancy through postzygotic sex chromosome loss in a 47,XXY zygote. Prenatal Diagnosis, 28(8), 759‑763. https://doi.org/10.1002/pd.2031

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