Carl Zimmer, on le connait bien sur Podcast Science puisque on a eu l’immense honneur de l’avoir à notre micro à la sortie d’un précédent livre : Planète de Virus. [Même que c’est un rare épisode où on peut longuement écouter la voix de notre Pascal national qui a réalisé le doublage de Carl]. Carl Zimmer, c’est aussi le gars qui a en grande partie inspiré mon premier ouvrage de vulgarisation Moi, Parasite qui emprunte largement à son opus Parasite Rex.
Mais Carl Zimmer, c’est surtout le genre de GOAT qui, quand je dois préparer une chronique de 15 minutes pour un podcast, me fait me dire, sans sourciller, que je dois lire l’intégralité des 496 pages de son dernier livre en moins de deux semaines.
Sans surprises : aucun regret ! Son livre est à la fois limpide et un condensé compact d’informations scientifiques. Le postulat de départ du bouquin est simple : expliquer comment le 28 mars 2020, en pleine pandémie de COVID, l'organisation mondiale de la santé (l’OMS ou WHO en anglais) a pu publier un tweet qui affirmait, à tort :
“FACT: #COVID19 is NOT airborne”:
FAIT : #COVID19 n'est PAS aéroporté.
Le virus responsable de la COVID-19 est principalement transmis par des gouttelettes générées lorsqu'une personne infectée tousse, éternue ou parle. Ces gouttelettes sont trop lourdes pour rester en suspension dans l'air. Elles tombent rapidement sur le sol ou les surfaces.
Vous pouvez être infecté en respirant le virus si vous vous trouvez à moins d'un mètre d'une personne atteinte de la COVID-19, ou en touchant une surface contaminée puis en portant vos mains à vos yeux, votre nez ou votre bouche avant de les avoir lavées.
Pour vous protéger, maintenez une distance d'au moins un mètre avec les autres et désinfectez les surfaces fréquemment touchées. Nettoyez-vous régulièrement les mains et évitez de toucher vos yeux, votre bouche et votre nez.
Il y a une image barrée d’un “INCORRECT” où on devine qu’il est écrit “COVID-19 est aéroporté et peut rester dans les airs près de 8h !”
Et l’OMS écrit en-dessous : Un message circulant sur les réseaux sociaux est incorrect. Aidez à stopper la désinformation. Vérifiez les faits avant de partager.
#Coronavirus #COVID19
Or depuis, le 23/12/21, voici l’information qu’on peut trouver sur le site de l’OMS :
Le virus peut se propager lorsque de petites particules liquides sont expulsées par la bouche ou par le nez quand une personne infectée tousse, éternue, parle, chante ou respire profondément. Ces particules sont de différentes tailles, allant de grosses « gouttelettes respiratoires » à des « aérosols » plus petits.
Le virus peut [...] être transmis dans des espaces intérieurs mal ventilés et/ou bondés, où l’on a tendance à rester plus longtemps, car les aérosols restent en suspension dans l'air ou se déplacent sur des distances supérieures à un mètre (longue distance).
Que s'est il passé entre mars 2020 et le 23 décembre 2021 pour que le vent tourne ainsi ?
Dans son livre, Carl Zimmer analyse cette situation et laisse entendre qu’un tel désastre aurait pu être évité si une branche de recherche en sciences du vivant – l’aérobiologie – avait réellement pris son envol.
Pour vous faire ressentir toute la rigueur et la minutie de son enquête, sachez qu'il nous embarque dans un récit historique des sciences qui débute avec les écrits d'Hippocrate !
Je vous propose donc un survol d’Air-Borne, un véritable tourbillon de découvertes qui met en lumière les principaux obstacles, les vents contraires et les bourrasques qui ont jalonné le parcours des sciences de la vie aérienne.
Partie 1 : La girouette du consensus scientifique
Pour comprendre l’histoire de l’aérobiologie, il faut tout d’abord envisager quelque chose de contre-intuitif : le fait que l’humanité ait longtemps considéré l’air comme une des meilleures explications du monde qui nous entoure. Carl Zimmer nous explique par exemple qu’Anaximenes pensait que l’air était l’unique élément fondamental et non un des 4 éléments basiques de l’univers.
C’est également chez les grecs de l’antiquité que l’on trouve le lien entre l’air et la santé, à travers la sagesse d’Hippocrate qui estimait que de nombreux maux pouvaient s’expliquer par un air trop chaud, trop froid, trop humide ou trop sec. Pire encore, si l’air était souillé ! En grec, “souillure” se dit miasma et si, à l’origine, cela évoquait plutôt une souillure morale – comme un meurtre –, Hippocrate semblait convaincu que l’air pouvait porter des miasmes, souvent reconnaissables à leur odeur nauséabonde : les excréments puent, les marais puent, et les cadavres puent, tous susceptibles de contaminer les populations.
Cette philosophie est restée vivace et a traversé les frontières, reprise par des médecins arabes au XIIIe siècle pour décrire la peste, puis revenue en Europe, notamment en Italie, où les odeurs méphitiques des marais furent associées à une maladie portant le nom d’« air mauvais » – mala aria : la malaria. D’autres médecins proposèrent une explication complémentaire aux miasmes : l’idée de la contagion. La peste était, en effet, considérée par beaucoup comme une maladie initiée par des miasmes, mais rendant par la suite les malades et cadavres contagieux.
Et pour lutter contre ces maladies, on préconisait des parfums (ce sont notamment des herbes odorantes et épices qui remplissaient les becs des célèbres masques médicaux de l’époque)...
… ou encore de nettoyer les rues de tous déchets malodorants.
Avec notre perspective actuelle, on peut trier les efforts inutiles de ceux susceptibles d’apporter un véritable progrès médical. Entreprendre une politique d’hygiène urbaine, c’est pas une si mauvaise idée au final. Pareil pour le port d’un masque respiratoire. C’est ballot qu’ici, la peste et la malaria soient des maladies transmises par des insectes (puce et moustique respectivement).
Et puis, alors que la contagion et les miasmes ne soient pas nécessairement en opposition, deux clans se sont formés: les contagionistes et les miasmatistes. Ces deux camps se sont régulièrement affrontés pour faire valoir leurs solutions face aux épidémies (quarantaines pour les uns, ventilations et hygiène pour les autres), jusque tard dans le XIXème siècle. Il faut noter qu’à bien des égards, les miasmatistes étaient considérés comme particulièrement érudits et dans l’air du temps.
Il faut dire qu’il manquait aux contagionnistes un argument de taille, ou plutôt, un argument minuscule : la bactérie. Ce n’est qu’en 1838 que le mot « bactérie » fut forgé par le microbiologiste Christian Gottfried Ehrenberg, qui proposa une première systématique des micro-organismes. Il en cherche dans tous les écosystèmes, participant à des expéditions à travers le monde, et va même en décrire dans des roches ! ll observe en effet au microscope de la craie et du marbre, dont il décrit la composition microscopique faite de myriades de micro-fossiles. Beaucoup considèrent ce chercheur allemand comme l’un des pères de la bactériologie mais aussi de l’aérobiologie. Ehrenberg établit des rapprochements audacieux entre la description de ses micro-organismes et des phénomènes jusque-là inexplicables, comme, par exemple, les pluies de sang. Interprétées comme des châtiments divins, ces phénomènes météorologiques rares mais documentés ont titillé la curiosité d’Ehrenberg qui a émis l’hypothèse qu’il s’agissait de pluies enrichies en poussières et micro-organismes. Pour corroborer son idée, Ehrenberg échangea même avec Charles Darwin, lui demandant des échantillons de poussière recueillis sur le Beagle lors de son tour du monde. Même s’il est peu probable que des preuves irréfutables de l’origine des pluies de sang soient découvertes de l’époque d’Ehrenberg, il parvint à convaincre plusieurs savants contemporains que l’atmosphère pouvait être chargée de vie et la propager… aux quatre vents.
Un des farouches défenseurs de l'hypothèse d'une atmosphère riche en vie, c'est notre Louis Pasteur national ! En 1856, il démontra comment des cuves de jus de betterave pouvaient être contaminées par des levures microbiennes transportées dans l’air. En 1860, il détecta et isola des souches microbiennes aériennes jusqu’au sommet des glaciers de la mer de glace. Puis, en 1864, il organisa une démonstration formelle de la théorie microbienne, renversant le dogme de la génération spontanée.
Malgré ces exploits, Carl Zimmer ne dresse pas un portrait élogieux de Pasteur dans Airborne, dépeint comme misogyne, tyrannique et plagieur. J’ai envie de dire, un malheureux classique dans le milieu… Moi ce qui m'a marqué, c’est surtout le soulagement religieux qu’il semble avoir éprouvé en démontant la théorie de la génération spontanée. L’enjeu était de taille car pour Pasteur, la victoire de cette théorie aurait donné crédit aux athées, aux matérialistes. Je le cite dans son cours de Chimie appliquée à la physiologie donné à la Sorbonne sur le thème des générations spontanées (sur Gallica, transcription)
Quelle conquête, messieurs, quelle conquête pour le matérialisme s’il pouvait protester qu’il s’appuie sur le fait avéré de la matière s’organisant d’elle-même, prenant vie d’elle-même ; la matière, qui a en elle déjà toutes les forces connues. [...] Ah ! si nous pouvions lui ajouter cette autre force qui s’appelle la vie, [...] quoi de plus naturel alors que de la déifier, cette matière ? A quoi bon recourir à l’idée d’une création primordiale, devant le mystère de laquelle il faut bien s’incliner ? A quoi bon l’idée d’un Dieu créateur ?
Paradoxe, donc, de voir qu’une avancée scientifique majeure dans la compréhension des maladies ait été utilisée comme preuve contre le consensus scientifique actuel concernant l’abiogenèse, l’origine matérialiste de la vie (voir mon premier dossier pour Podcast Science sur le sujet et cette vidéo de Passe-Science).
Paradoxe également que, dans le sillage de l’identification par Pasteur des premiers germes flottant dans les airs, la plupart de ceux identifiés par la suite utilisent des voies de contaminations totalement différentes. Je vous cite un passage d’Air-Borne à ce sujet :
Une fois que les scientifiques ont identifié les germes, ils ont pu retracer les voies qu'ils empruntaient pour passer d'un hôte à l'autre. La teigne se transmet par simple contact cutané. La syphilis est causée par une bactérie appelée Treponema, qui ne se transmet que par voie sexuelle. L'eau contaminée transmet des Vibrio (Cholera) et des Salmonella. Le virus de la rage nécessite l'utilisation d'animaux vivants, qui mordent leurs victimes. La fièvre des prisons s'est avérée être causée non pas par l'air des prisons, mais par des bactéries transmises par les poux, et son nom est devenu le typhus. Les rats étaient porteurs de puces infectées par Yersinia pestis, la bactérie responsable de la peste.
À la fin du XIXe siècle, les miasmes s'estompent, faisant figure d'illusion obsolète. Et bien que Louis Pasteur ait proposé une vision alternative de l'air transportant des germes flottants invisibles qui propageaient des maladies telles que le choléra, le typhus et la fièvre jaune, il s'est trompé sur ces trois points. Les microbiologistes en étaient réduits à se demander si les germes flottants étaient à l'origine d'une quelconque maladie.
Je pense que vous l’aurez compris : dans l’histoire de la médecine, notre compréhension des maladies infectieuses a été ballottée par le vent. Telle une girouette dans un typhon, le consensus scientifique a tour à tour favorisé la punition divine, le miasme, les miasmes contagieux, le face-à-face miasmes versus contagion, les miasmes triomphants, et enfin la théorie microbienne – pourfendant la génération spontanée – tout en éclipsant les miasmatistes. Au début du XXe siècle, nous aurions pu bénéficier d’un consensus plus proche de la réalité en réintégrant l’observation des microbes aéroportés, mais l’histoire en a voulu autrement, laissant filer dans l’air ce qui aurait pu être une révolution.
Partie 2 : like a candle in the wind
Si Ehrenberg est considéré comme le père de l’aérobiologie, son pape aurait dû être Fred Campbell Meier. C’est lui qui a forgé le terme « aérobiologie » dans les années 1930 et, surtout, qui a mis le vent en poupe à cette discipline dès 1915. Il a en effet commencé à démontrer comment un champignon pathogène de pastèques pouvait se propager dans les airs. Il s'est interrogé sur l’altitude maximale et la distance à laquelle ces pathogènes pouvaient se déplacer dans l’atmosphère. Ça tombe plutôt bien, car c’était le début de l’aviation, et il réussit l’exploit de convaincre plusieurs aviateurs et aviatrices réputés d’embarquer du matériel scientifique afin d’isoler des formes de vie à haute altitude. On parle quand même de Charles Lindberg et d’Amelia Earhart : pas mal comme baptême de l’air pour l’aérobiologie ! Et le plus fou c’est qu’ils trouvent des formes vivantes à plusieurs milliers de km au-dessus de nos têtes : du véritable aéroplancton, voyageant au gré du vent. Les recherches de Meier font la une des journaux, et il parvient aisément à convaincre diverses universités de constituer des groupes de travail sur l’aérobiologie, envisageant des expéditions toujours plus ambitieuses. En 1938, il réussit même à persuader la compagnie Pan-Am d’équiper son premier avion transpacifique d’un matériel scientifique de pointe. C’est d’ailleurs Meier lui-même qui assure la supervision scientifique de l’expédition… qui, hélas, n’aboutira jamais. L’avion Hawaii Clipper du vol 229, attendu à Manille, ne répond plus aux appels des tours de contrôle. Les 6 passagers et les 9 membres de l’équipage, dont le « pape de l’aérobiologie », ont mystérieusement disparu dans les airs… Et la disparition de Meier semble couper le souffle et l’élan à sa discipline.
Partie 3 : un dogme contre vent et marées
Meier était respecté et populaire et peut-être qu’il aurait réussi à convaincre ses contemporains de la possibilité que des pathogènes puissent être aéroportés. À son époque, la plupart des médecins considéraient que les maladies aéroportées étaient un reliquat de miasmatistes poussiéreux. Des théories qui n’étaient pas dans le vent, quoi…
Et malheureusement, avec la mort de Meier, les défenseurs qui restaient dans la team aérobiologie… avaient bien moins de bagou. Le premier comité d’aérobiologie avait été fondé le 12 novembre 1937, et deux absents, William Firth Wells et son épouse, Mildred Weeks Wells, venaient d'ouvrir deux mois plus tôt un Laboratoire pour l'étude des infections transmises par l'air à l'université de Pennsylvanie. C’est ce couple qui auraient dû donner leurs lettres de noblesse à leur discipline, mais qui ont peut-être contribué à son oubli pendant des décennies.
William est un brillant ingénieur qui développe initialement des méthodes pour améliorer l’aquaculture des huîtres. Son épouse est médecin et passionnée d’épidémiologie. Ensemble, ils vont réussir à démontrer que certaines maladies, comme la rougeole, peuvent être aéroportées, mais surtout concevoir des méthodes de luttes contre ces germes à travers la stérilisation de l'air par des lampes UV. Ils ont en effet documenté une nette diminution de la propagation de rougeole dans des écoles de Pennsylvanie où ils ont installé au-dessus des têtes de bambins des lampes UV braquées vers le plafond.
Malgré ces remarquables prouesses, des obstacles infranchissables se dressent sur le chemin des Wells.
Premier obstacle : l'un est sans diplôme, l'autre est une femme…
Et à cette époque, et peut être encore de nos jours, s’opposer au consensus scientifique sans avoir de diplômes comme un doctorat, ou pire, ne pas avoir de pénis, c’était s’assurer de parler dans le vent.
Deuxième obstacle : les Wells sont insupportables ! Dans Airborne, Carl Zimmer compile de nombreux témoignages de collègues qui se plaignent des Wells, mais aussi de lettres des Wells qui individuellement témoignent ne plus pouvoir souffrir leur partenaire… l'une est susceptible et critique le travail des autres en se donnant des grands airs, tandis que l'autre est un moulin à paroles incapable de synthétiser et organiser ses idées. Personne n’arrive par exemple à comprendre les modèles mathématiques que Wells et un autre chercheur du nom de Riley développent pour expliquer comment des germes peuvent rester dans l’air pendant plusieurs heures.
Les Wells parviennent même à convertir des alliés en ennemis jurés, comme l'épidémiologiste Alexander Langmuir qui les torpillera injustement à plusieurs occasions. C'est de cette inimitié que naîtra d'ailleurs le dogme à l'origine du tweet malheureux de l'OMS. En effet, Langmuir va critiquer les travaux des Wells, lutter contre leur admission dans des universités, s’opposer au financement de leurs travaux car il est convaincu que les maladies aéroportées sont invraisemblables… sauf certaines qui relèvent du secret-défense.
Car le troisième obstacle, c’est la militarisation de l’aérobiologie. On sait aujourd’hui, avec la levée de certaines études classées top-secret à l’époque, que des laboratoires ont travaillé sur différents programmes d’armes biologiques à haut potentiel de dissémination aérienne, comme l’anthrax par exemple. Sans rentrer dans les détails, il faut savoir qu’alors que Langmuir s’oppose aux Wells dans le domaine public, il exploite leurs idées pour tester des scénarios catastrophes de guerre bactériologique, et notamment l’exploitation de lumière UV pour désinfecter l’air de structures militaires.
Le coup de grâce de Langmuir, c’est lorsqu’il admettra (après leurs morts) que les Wells avait raison sur la possibilité de maladies aéroportées, mais en mesinterprétant leurs résultats. Dans un texte majeur, Langmuir explique que “la taille des particules des aérosols microbiens est un facteur majeur dans l'apparition d'une infection aéroportée, qu'elle soit naturelle, accidentelle ou expérimentale. [S]eules les particules d'un diamètre inférieur à cinq microns sont suffisamment petites pour s'insérer dans les passages étroits menant aux alvéoles. Les gouttelettes plus grosses ne pouvaient pas faire ce voyage, pas plus que les grains de poussière enrobés de bactéries.” Selon Langmuir, la règle stricte des cinq microns signifiait que pratiquement aucune maladie ne pouvait être transmise par l'air, à l'exception de la tuberculose et des armes biologiques telles que la psittacose, la fièvre des perroquets.
Partie 4 : un nouveau vent se lève
On ne sait pas combien de temps le dogme des 5 microns aurait pu perdurer s’il n’y avait pas eu une pandémie mondiale pour secouer la communauté scientifique, mais il est remarquable que près de 60 années se soient écoulées depuis la phrase de Langmuir et sa remise en question.
Pourtant, dans les années 2000, de nombreux chercheuses et chercheurs avaient documenté avec des instruments très précis et d’élégantes expériences, que des particules de plus de 5 microns pouvaient se balader dans les airs et y rester un temps très long. Parmi eux, la chercheuse Linsey Marr qui a, à plusieurs reprises, reçu les éloges de l’OMS pour démontrer que des particules polluantes pouvaient se maintenir en suspension dans l’air dans des pièces non correctement ventilées.
Mais bizarrement, en pleine pandémie, lorsqu’elle présente avec son collègue Jose Luis Jimenez des résultats similaires pour des particules virales, elle voit se dresser devant elle une levée de bouclier improbable. On lui affirme que puisque les particules émises par les contaminés et contenant le coronavirus mesurent plus de 5 microns, todo bem, elles vont tomber au sol comme des bombes à eau. On lui explique cela à elle, qui a passé près de 20 ans à modéliser des particules dans l’air.
Face à ce refus dogmatique, elle va s’appuyer sur une autre approche, une approche bibliographique. Un collègue pointe en effet les travaux de Katie Randall, une doctorante dont la thèse, bousculée par la covid-19, s’est transformée en manuscrit de recherche bibliographique destiné entre autre à trouver la source de la valeur des 5 microns dont tout l’OMS ne cesse de causer. C’est donc le travail de Randall qui a permis de mettre à jour l’odieuse mésinterprétation de Langmuir et ses conséquences mortelles.
Randall, avec Marr et Jimenez, ont rapidement constitué un groupe de chercheuses et chercheurs qui ont publié leurs accablants résultats de recherches menant au changement de paradigme de l’OMS. Ils ont réussi également à remettre au goût du jour une partie des travaux des Wells sur la stérilisation de l’air par les UV qui ont créé aujourd’hui tout un pan dynamique de recherche sur l’exploitation de ce qu’on appelle les UVC.
Mais surtout, ils ont illustré à quel point le monde scientifique peut être un domaine comme les autres, ou les luttes intestines, la politique et les dérives sociétales sèment le vent de la discorde.
Références : Airborne Contagion and Air Hygiene: An Ecological Study of Droplet Infections : William Firth Wells
Bender, Eric. « Disinfecting the Air with Far-Ultraviolet Light ». Nature, vol. 610, no 7933, octobre 2022, p. S46‑47. https://doi.org/10.1038/d41586-022-03360-w
Arzanani, Kimia Ghasemi, et al. « A Review on Applications and Safety of 222 Nm Far UVC Light for Surface and Air Disinfection ». Biophysical Reviews, février 2025. Springer Link, https://doi.org/10.1007/s12551-025-01269-y.
McDevitt, J. J., Koutrakis, P., Ferguson, S. T., Wolfson, J. M., Fabian, M. P., Martins, M., Pantelic, J., & Milton, D. K. (2013). Development and performance evaluation of an exhaled-breath bioaerosol collector for influenza virus. Aerosol science and technology : the journal of the American Association for Aerosol Research, 47(4), 444‑451. https://doi.org/10.1080/02786826.2012.762973
Researches on the effect of light upon Bacteria and other organisms. (1878). Proceedings of the Royal Society of London, 26(179‑184), 488‑500. https://doi.org/10.1098/rspl.1877.0068
Aérobiologie : histoire de courants (d'air) scientifiques
Transcription de la chronique pour la 525ème émission de Podcast Science, dont la thématique était l'air.
À chaque émission thématique de Podcast Science, le même dilemme : comment trouver un sujet sur un thème ultra large (cette fois-ci, le thème de l'air), sans rabâcher ce que j'ai raconté à d'autres occasions. Exit donc les animaux qui volent et qui planent dont j'avais amplement parlé lors de notre émission sur la chute. Adieu également à la thématique de l’aérobiome, l'écosystème atmosphérique dont j'avais brièvement brossé le portrait à travers la transcription d'un épisode de Radiolab.
Heureusement pour moi, c’est précisément un récent épisode du podcast Radiolab qui m’a soufflé une inspiration pour notre émission, un épisode où un invité prestigieux était convié à présenter son dernier ouvrage : Carl Zimmer pour son livre Air-Borne.
Carl Zimmer, on le connait bien sur Podcast Science puisque on a eu l’immense honneur de l’avoir à notre micro à la sortie d’un précédent livre : Planète de Virus. [Même que c’est un rare épisode où on peut longuement écouter la voix de notre Pascal national qui a réalisé le doublage de Carl]. Carl Zimmer, c’est aussi le gars qui a en grande partie inspiré mon premier ouvrage de vulgarisation Moi, Parasite qui emprunte largement à son opus Parasite Rex.
Mais Carl Zimmer, c’est surtout le genre de GOAT qui, quand je dois préparer une chronique de 15 minutes pour un podcast, me fait me dire, sans sourciller, que je dois lire l’intégralité des 496 pages de son dernier livre en moins de deux semaines.
Sans surprises : aucun regret ! Son livre est à la fois limpide et un condensé compact d’informations scientifiques. Le postulat de départ du bouquin est simple : expliquer comment le 28 mars 2020, en pleine pandémie de COVID, l'organisation mondiale de la santé (l’OMS ou WHO en anglais) a pu publier un tweet qui affirmait, à tort :
“FACT: #COVID19 is NOT airborne”:
FAIT : #COVID19 n'est PAS aéroporté.
Le virus responsable de la COVID-19 est principalement transmis par des gouttelettes générées lorsqu'une personne infectée tousse, éternue ou parle. Ces gouttelettes sont trop lourdes pour rester en suspension dans l'air. Elles tombent rapidement sur le sol ou les surfaces.
Vous pouvez être infecté en respirant le virus si vous vous trouvez à moins d'un mètre d'une personne atteinte de la COVID-19, ou en touchant une surface contaminée puis en portant vos mains à vos yeux, votre nez ou votre bouche avant de les avoir lavées.
Pour vous protéger, maintenez une distance d'au moins un mètre avec les autres et désinfectez les surfaces fréquemment touchées. Nettoyez-vous régulièrement les mains et évitez de toucher vos yeux, votre bouche et votre nez.
Il y a une image barrée d’un “INCORRECT” où on devine qu’il est écrit “COVID-19 est aéroporté et peut rester dans les airs près de 8h !”
Et l’OMS écrit en-dessous :
Un message circulant sur les réseaux sociaux est incorrect. Aidez à stopper la désinformation. Vérifiez les faits avant de partager.
#Coronavirus #COVID19
Or depuis, le 23/12/21, voici l’information qu’on peut trouver sur le site de l’OMS :
Le virus peut se propager lorsque de petites particules liquides sont expulsées par la bouche ou par le nez quand une personne infectée tousse, éternue, parle, chante ou respire profondément. Ces particules sont de différentes tailles, allant de grosses « gouttelettes respiratoires » à des « aérosols » plus petits.
Le virus peut [...] être transmis dans des espaces intérieurs mal ventilés et/ou bondés, où l’on a tendance à rester plus longtemps, car les aérosols restent en suspension dans l'air ou se déplacent sur des distances supérieures à un mètre (longue distance).
Que s'est il passé entre mars 2020 et le 23 décembre 2021 pour que le vent tourne ainsi ?
Dans son livre, Carl Zimmer analyse cette situation et laisse entendre qu’un tel désastre aurait pu être évité si une branche de recherche en sciences du vivant – l’aérobiologie – avait réellement pris son envol.
Pour vous faire ressentir toute la rigueur et la minutie de son enquête, sachez qu'il nous embarque dans un récit historique des sciences qui débute avec les écrits d'Hippocrate !
Je vous propose donc un survol d’Air-Borne, un véritable tourbillon de découvertes qui met en lumière les principaux obstacles, les vents contraires et les bourrasques qui ont jalonné le parcours des sciences de la vie aérienne.
Partie 1 : La girouette du consensus scientifique
Pour comprendre l’histoire de l’aérobiologie, il faut tout d’abord envisager quelque chose de contre-intuitif : le fait que l’humanité ait longtemps considéré l’air comme une des meilleures explications du monde qui nous entoure. Carl Zimmer nous explique par exemple qu’Anaximenes pensait que l’air était l’unique élément fondamental et non un des 4 éléments basiques de l’univers.
C’est également chez les grecs de l’antiquité que l’on trouve le lien entre l’air et la santé, à travers la sagesse d’Hippocrate qui estimait que de nombreux maux pouvaient s’expliquer par un air trop chaud, trop froid, trop humide ou trop sec. Pire encore, si l’air était souillé ! En grec, “souillure” se dit miasma et si, à l’origine, cela évoquait plutôt une souillure morale – comme un meurtre –, Hippocrate semblait convaincu que l’air pouvait porter des miasmes, souvent reconnaissables à leur odeur nauséabonde : les excréments puent, les marais puent, et les cadavres puent, tous susceptibles de contaminer les populations.
Cette philosophie est restée vivace et a traversé les frontières, reprise par des médecins arabes au XIIIe siècle pour décrire la peste, puis revenue en Europe, notamment en Italie, où les odeurs méphitiques des marais furent associées à une maladie portant le nom d’« air mauvais » – mala aria : la malaria. D’autres médecins proposèrent une explication complémentaire aux miasmes : l’idée de la contagion. La peste était, en effet, considérée par beaucoup comme une maladie initiée par des miasmes, mais rendant par la suite les malades et cadavres contagieux.
Et pour lutter contre ces maladies, on préconisait des parfums (ce sont notamment des herbes odorantes et épices qui remplissaient les becs des célèbres masques médicaux de l’époque)...
… ou encore de nettoyer les rues de tous déchets malodorants.
Avec notre perspective actuelle, on peut trier les efforts inutiles de ceux susceptibles d’apporter un véritable progrès médical. Entreprendre une politique d’hygiène urbaine, c’est pas une si mauvaise idée au final. Pareil pour le port d’un masque respiratoire. C’est ballot qu’ici, la peste et la malaria soient des maladies transmises par des insectes (puce et moustique respectivement).
Et puis, alors que la contagion et les miasmes ne soient pas nécessairement en opposition, deux clans se sont formés: les contagionistes et les miasmatistes. Ces deux camps se sont régulièrement affrontés pour faire valoir leurs solutions face aux épidémies (quarantaines pour les uns, ventilations et hygiène pour les autres), jusque tard dans le XIXème siècle. Il faut noter qu’à bien des égards, les miasmatistes étaient considérés comme particulièrement érudits et dans l’air du temps.
Il faut dire qu’il manquait aux contagionnistes un argument de taille, ou plutôt, un argument minuscule : la bactérie. Ce n’est qu’en 1838 que le mot « bactérie » fut forgé par le microbiologiste Christian Gottfried Ehrenberg, qui proposa une première systématique des micro-organismes. Il en cherche dans tous les écosystèmes, participant à des expéditions à travers le monde, et va même en décrire dans des roches ! ll observe en effet au microscope de la craie et du marbre, dont il décrit la composition microscopique faite de myriades de micro-fossiles. Beaucoup considèrent ce chercheur allemand comme l’un des pères de la bactériologie mais aussi de l’aérobiologie. Ehrenberg établit des rapprochements audacieux entre la description de ses micro-organismes et des phénomènes jusque-là inexplicables, comme, par exemple, les pluies de sang. Interprétées comme des châtiments divins, ces phénomènes météorologiques rares mais documentés ont titillé la curiosité d’Ehrenberg qui a émis l’hypothèse qu’il s’agissait de pluies enrichies en poussières et micro-organismes. Pour corroborer son idée, Ehrenberg échangea même avec Charles Darwin, lui demandant des échantillons de poussière recueillis sur le Beagle lors de son tour du monde. Même s’il est peu probable que des preuves irréfutables de l’origine des pluies de sang soient découvertes de l’époque d’Ehrenberg, il parvint à convaincre plusieurs savants contemporains que l’atmosphère pouvait être chargée de vie et la propager… aux quatre vents.
Un des farouches défenseurs de l'hypothèse d'une atmosphère riche en vie, c'est notre Louis Pasteur national ! En 1856, il démontra comment des cuves de jus de betterave pouvaient être contaminées par des levures microbiennes transportées dans l’air. En 1860, il détecta et isola des souches microbiennes aériennes jusqu’au sommet des glaciers de la mer de glace. Puis, en 1864, il organisa une démonstration formelle de la théorie microbienne, renversant le dogme de la génération spontanée.
Malgré ces exploits, Carl Zimmer ne dresse pas un portrait élogieux de Pasteur dans Airborne, dépeint comme misogyne, tyrannique et plagieur. J’ai envie de dire, un malheureux classique dans le milieu… Moi ce qui m'a marqué, c’est surtout le soulagement religieux qu’il semble avoir éprouvé en démontant la théorie de la génération spontanée. L’enjeu était de taille car pour Pasteur, la victoire de cette théorie aurait donné crédit aux athées, aux matérialistes. Je le cite dans son cours de Chimie appliquée à la physiologie donné à la Sorbonne sur le thème des générations spontanées (sur Gallica, transcription)
Paradoxe, donc, de voir qu’une avancée scientifique majeure dans la compréhension des maladies ait été utilisée comme preuve contre le consensus scientifique actuel concernant l’abiogenèse, l’origine matérialiste de la vie (voir mon premier dossier pour Podcast Science sur le sujet et cette vidéo de Passe-Science).
Paradoxe également que, dans le sillage de l’identification par Pasteur des premiers germes flottant dans les airs, la plupart de ceux identifiés par la suite utilisent des voies de contaminations totalement différentes. Je vous cite un passage d’Air-Borne à ce sujet :
Une fois que les scientifiques ont identifié les germes, ils ont pu retracer les voies qu'ils empruntaient pour passer d'un hôte à l'autre. La teigne se transmet par simple contact cutané. La syphilis est causée par une bactérie appelée Treponema, qui ne se transmet que par voie sexuelle. L'eau contaminée transmet des Vibrio (Cholera) et des Salmonella. Le virus de la rage nécessite l'utilisation d'animaux vivants, qui mordent leurs victimes. La fièvre des prisons s'est avérée être causée non pas par l'air des prisons, mais par des bactéries transmises par les poux, et son nom est devenu le typhus. Les rats étaient porteurs de puces infectées par Yersinia pestis, la bactérie responsable de la peste.
À la fin du XIXe siècle, les miasmes s'estompent, faisant figure d'illusion obsolète. Et bien que Louis Pasteur ait proposé une vision alternative de l'air transportant des germes flottants invisibles qui propageaient des maladies telles que le choléra, le typhus et la fièvre jaune, il s'est trompé sur ces trois points. Les microbiologistes en étaient réduits à se demander si les germes flottants étaient à l'origine d'une quelconque maladie.
Je pense que vous l’aurez compris : dans l’histoire de la médecine, notre compréhension des maladies infectieuses a été ballottée par le vent. Telle une girouette dans un typhon, le consensus scientifique a tour à tour favorisé la punition divine, le miasme, les miasmes contagieux, le face-à-face miasmes versus contagion, les miasmes triomphants, et enfin la théorie microbienne – pourfendant la génération spontanée – tout en éclipsant les miasmatistes. Au début du XXe siècle, nous aurions pu bénéficier d’un consensus plus proche de la réalité en réintégrant l’observation des microbes aéroportés, mais l’histoire en a voulu autrement, laissant filer dans l’air ce qui aurait pu être une révolution.
Partie 2 : like a candle in the wind
Si Ehrenberg est considéré comme le père de l’aérobiologie, son pape aurait dû être Fred Campbell Meier. C’est lui qui a forgé le terme « aérobiologie » dans les années 1930 et, surtout, qui a mis le vent en poupe à cette discipline dès 1915. Il a en effet commencé à démontrer comment un champignon pathogène de pastèques pouvait se propager dans les airs. Il s'est interrogé sur l’altitude maximale et la distance à laquelle ces pathogènes pouvaient se déplacer dans l’atmosphère. Ça tombe plutôt bien, car c’était le début de l’aviation, et il réussit l’exploit de convaincre plusieurs aviateurs et aviatrices réputés d’embarquer du matériel scientifique afin d’isoler des formes de vie à haute altitude. On parle quand même de Charles Lindberg et d’Amelia Earhart : pas mal comme baptême de l’air pour l’aérobiologie ! Et le plus fou c’est qu’ils trouvent des formes vivantes à plusieurs milliers de km au-dessus de nos têtes : du véritable aéroplancton, voyageant au gré du vent. Les recherches de Meier font la une des journaux, et il parvient aisément à convaincre diverses universités de constituer des groupes de travail sur l’aérobiologie, envisageant des expéditions toujours plus ambitieuses. En 1938, il réussit même à persuader la compagnie Pan-Am d’équiper son premier avion transpacifique d’un matériel scientifique de pointe. C’est d’ailleurs Meier lui-même qui assure la supervision scientifique de l’expédition… qui, hélas, n’aboutira jamais. L’avion Hawaii Clipper du vol 229, attendu à Manille, ne répond plus aux appels des tours de contrôle. Les 6 passagers et les 9 membres de l’équipage, dont le « pape de l’aérobiologie », ont mystérieusement disparu dans les airs… Et la disparition de Meier semble couper le souffle et l’élan à sa discipline.
Partie 3 : un dogme contre vent et marées
Meier était respecté et populaire et peut-être qu’il aurait réussi à convaincre ses contemporains de la possibilité que des pathogènes puissent être aéroportés. À son époque, la plupart des médecins considéraient que les maladies aéroportées étaient un reliquat de miasmatistes poussiéreux. Des théories qui n’étaient pas dans le vent, quoi…
Et malheureusement, avec la mort de Meier, les défenseurs qui restaient dans la team aérobiologie… avaient bien moins de bagou. Le premier comité d’aérobiologie avait été fondé le 12 novembre 1937, et deux absents, William Firth Wells et son épouse, Mildred Weeks Wells, venaient d'ouvrir deux mois plus tôt un Laboratoire pour l'étude des infections transmises par l'air à l'université de Pennsylvanie. C’est ce couple qui auraient dû donner leurs lettres de noblesse à leur discipline, mais qui ont peut-être contribué à son oubli pendant des décennies.
William est un brillant ingénieur qui développe initialement des méthodes pour améliorer l’aquaculture des huîtres. Son épouse est médecin et passionnée d’épidémiologie. Ensemble, ils vont réussir à démontrer que certaines maladies, comme la rougeole, peuvent être aéroportées, mais surtout concevoir des méthodes de luttes contre ces germes à travers la stérilisation de l'air par des lampes UV. Ils ont en effet documenté une nette diminution de la propagation de rougeole dans des écoles de Pennsylvanie où ils ont installé au-dessus des têtes de bambins des lampes UV braquées vers le plafond.
Malgré ces remarquables prouesses, des obstacles infranchissables se dressent sur le chemin des Wells.
Premier obstacle : l'un est sans diplôme, l'autre est une femme…
Et à cette époque, et peut être encore de nos jours, s’opposer au consensus scientifique sans avoir de diplômes comme un doctorat, ou pire, ne pas avoir de pénis, c’était s’assurer de parler dans le vent.
Deuxième obstacle : les Wells sont insupportables ! Dans Airborne, Carl Zimmer compile de nombreux témoignages de collègues qui se plaignent des Wells, mais aussi de lettres des Wells qui individuellement témoignent ne plus pouvoir souffrir leur partenaire… l'une est susceptible et critique le travail des autres en se donnant des grands airs, tandis que l'autre est un moulin à paroles incapable de synthétiser et organiser ses idées. Personne n’arrive par exemple à comprendre les modèles mathématiques que Wells et un autre chercheur du nom de Riley développent pour expliquer comment des germes peuvent rester dans l’air pendant plusieurs heures.
Les Wells parviennent même à convertir des alliés en ennemis jurés, comme l'épidémiologiste Alexander Langmuir qui les torpillera injustement à plusieurs occasions. C'est de cette inimitié que naîtra d'ailleurs le dogme à l'origine du tweet malheureux de l'OMS. En effet, Langmuir va critiquer les travaux des Wells, lutter contre leur admission dans des universités, s’opposer au financement de leurs travaux car il est convaincu que les maladies aéroportées sont invraisemblables… sauf certaines qui relèvent du secret-défense.
Car le troisième obstacle, c’est la militarisation de l’aérobiologie. On sait aujourd’hui, avec la levée de certaines études classées top-secret à l’époque, que des laboratoires ont travaillé sur différents programmes d’armes biologiques à haut potentiel de dissémination aérienne, comme l’anthrax par exemple. Sans rentrer dans les détails, il faut savoir qu’alors que Langmuir s’oppose aux Wells dans le domaine public, il exploite leurs idées pour tester des scénarios catastrophes de guerre bactériologique, et notamment l’exploitation de lumière UV pour désinfecter l’air de structures militaires.
Le coup de grâce de Langmuir, c’est lorsqu’il admettra (après leurs morts) que les Wells avait raison sur la possibilité de maladies aéroportées, mais en mesinterprétant leurs résultats. Dans un texte majeur, Langmuir explique que “la taille des particules des aérosols microbiens est un facteur majeur dans l'apparition d'une infection aéroportée, qu'elle soit naturelle, accidentelle ou expérimentale. [S]eules les particules d'un diamètre inférieur à cinq microns sont suffisamment petites pour s'insérer dans les passages étroits menant aux alvéoles. Les gouttelettes plus grosses ne pouvaient pas faire ce voyage, pas plus que les grains de poussière enrobés de bactéries.” Selon Langmuir, la règle stricte des cinq microns signifiait que pratiquement aucune maladie ne pouvait être transmise par l'air, à l'exception de la tuberculose et des armes biologiques telles que la psittacose, la fièvre des perroquets.
Partie 4 : un nouveau vent se lève
On ne sait pas combien de temps le dogme des 5 microns aurait pu perdurer s’il n’y avait pas eu une pandémie mondiale pour secouer la communauté scientifique, mais il est remarquable que près de 60 années se soient écoulées depuis la phrase de Langmuir et sa remise en question.
Pourtant, dans les années 2000, de nombreux chercheuses et chercheurs avaient documenté avec des instruments très précis et d’élégantes expériences, que des particules de plus de 5 microns pouvaient se balader dans les airs et y rester un temps très long. Parmi eux, la chercheuse Linsey Marr qui a, à plusieurs reprises, reçu les éloges de l’OMS pour démontrer que des particules polluantes pouvaient se maintenir en suspension dans l’air dans des pièces non correctement ventilées.
Mais bizarrement, en pleine pandémie, lorsqu’elle présente avec son collègue Jose Luis Jimenez des résultats similaires pour des particules virales, elle voit se dresser devant elle une levée de bouclier improbable. On lui affirme que puisque les particules émises par les contaminés et contenant le coronavirus mesurent plus de 5 microns, todo bem, elles vont tomber au sol comme des bombes à eau. On lui explique cela à elle, qui a passé près de 20 ans à modéliser des particules dans l’air.
Face à ce refus dogmatique, elle va s’appuyer sur une autre approche, une approche bibliographique. Un collègue pointe en effet les travaux de Katie Randall, une doctorante dont la thèse, bousculée par la covid-19, s’est transformée en manuscrit de recherche bibliographique destiné entre autre à trouver la source de la valeur des 5 microns dont tout l’OMS ne cesse de causer. C’est donc le travail de Randall qui a permis de mettre à jour l’odieuse mésinterprétation de Langmuir et ses conséquences mortelles.
Randall, avec Marr et Jimenez, ont rapidement constitué un groupe de chercheuses et chercheurs qui ont publié leurs accablants résultats de recherches menant au changement de paradigme de l’OMS. Ils ont réussi également à remettre au goût du jour une partie des travaux des Wells sur la stérilisation de l’air par les UV qui ont créé aujourd’hui tout un pan dynamique de recherche sur l’exploitation de ce qu’on appelle les UVC.
Mais surtout, ils ont illustré à quel point le monde scientifique peut être un domaine comme les autres, ou les luttes intestines, la politique et les dérives sociétales sèment le vent de la discorde.
Liens :
Watch: A Slow-Motion Sneeze Looks A Lot Like Breathing Fire : Shots - Health News : NPR
Carl Zimmer on the Hidden Life in the Air Around Us
The 60-Year-Old Scientific Screwup That Helped Covid Kill | WIRED
Ultraviolet light can kill almost all the viruses in a room. Why isn’t it everywhere? | Vox
24.02.21 A universal virus-killer?
UV light kills viruses. Why isn't it everywhere?
COVID treatments and prevention are still improving – so the longer you can avoid it the better
We Could Prevent Future Pandemics By Switching On A New Type Of Light | IFLScience
New Kind of Ultraviolet Light Safely Kills Airborne Pathogens Indoors, Scientists Say : ScienceAlert
Références :
Airborne Contagion and Air Hygiene: An Ecological Study of Droplet Infections : William Firth Wells
Bender, Eric. « Disinfecting the Air with Far-Ultraviolet Light ». Nature, vol. 610, no 7933, octobre 2022, p. S46‑47. https://doi.org/10.1038/d41586-022-03360-w
Arzanani, Kimia Ghasemi, et al. « A Review on Applications and Safety of 222 Nm Far UVC Light for Surface and Air Disinfection ». Biophysical Reviews, février 2025. Springer Link, https://doi.org/10.1007/s12551-025-01269-y.
McDevitt, J. J., Koutrakis, P., Ferguson, S. T., Wolfson, J. M., Fabian, M. P., Martins, M., Pantelic, J., & Milton, D. K. (2013). Development and performance evaluation of an exhaled-breath bioaerosol collector for influenza virus. Aerosol science and technology : the journal of the American Association for Aerosol Research, 47(4), 444‑451. https://doi.org/10.1080/02786826.2012.762973
Researches on the effect of light upon Bacteria and other organisms. (1878). Proceedings of the Royal Society of London, 26(179‑184), 488‑500. https://doi.org/10.1098/rspl.1877.0068
Par taupo, mercredi 23 avril 2025. Lien permanent
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