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Retranscription : Evolution et chimères, interview du Professeur Selosse pour Podcast Science


Grâce au fantastique travail de Romain Domart et Johan Mazoyer, l'interview du Pr. Selosse est retranscrite et publiée simultanément ici et sur Podcast Science! Bonne lecture!



Alan : Podcast Science est un projet un peu magique… Là où une émission de « vulgarisation » scientifique traditionnelle ferait du top-down, de la diffusion de savoirs scientifiques, chez Podcast Science, il s’agit plutôt d’un dialogue, avec tout ce que cela peut réserver comme surprises. Le 30 juin dernier, nous recevions un message complètement incongru de notre auditeur Mael Thépaut : « un haricot vert, nous demandait-il, auquel on aurait ajouté un gène de limace pour qu’il soit plus juteux (exemple inventé …), où se situerait-il dans l’arbre du vivant ? ». Ni une ni deux, nous avons appelé notre vieux copain Pierre Kerner à la rescousse – Pierre Kerner, c’est le formidable Taupo du blog “Strange Stuff and Funky Things”, que vous avez entendu à plusieurs reprises sur Podcast Science. Il sortait justement d’une conférence sur le sujet, par le Professeur Selosse, l’un des plus grands spécialistes de la question. Ni une ni deux, Pierre l’a contacté, nous avons convenu d’une date et nous voici réunis ce soir pour tenter de répondre à la question de Maël. Nous sommes le mardi 11 novembre 2014 et vous êtes sur Podcast Science. C’est l’épisode 193. Bonsoir et bienvenue :)

(Intro) Tatatatata da ta da ta da ta…

Alan : Tour de table. A Paris, chez Nico, nous avons Marc André Selosse (MAS) qui a abrégé son séjour à Lille exprès pour être avec nous ce soir, Pierre Kerner (PK) alias Taupo et Nico (N) à la technique. À Nice, Julie, qui va se charger de remonter les questions de la chatroom. Pas de Robin, il a d’autres chats à fouetter, si j’ose dire. Pas Johan et pas Irène apparemment. Quant à moi, Alan, à Lausanne, ma responsabilité ce soir va être de détecter les gros mots et de rappeler à l’ordre nos spécialistes s’ils commencent à dire des choses bizarres. Avant de passer la main à Pierre qui a préparé et va conduire cette interview, je vais tenter de présenter le professeur Marc-André Selosse en deux mots. Marc-André, vous étudiez la génomique de la biodiversité et de l’évolution des champignons. Vous êtes Professeur au Muséum d’Histoire Naturelle, à Paris. Et vos recherches portent principalement sur les symbioses entre des racines de plantes et des champignons du sol. Vous êtes également Président de la Société Botanique de France. C’est bien cela ou j’ai dit des bêtises ?

MAS : Oui, c’est tout à fait ça. Et je suis pas spécialiste ni des haricots verts ni des limaces, mais on va tenter tout de même de répondre à la question.

A : Je vous propose que nous démarrions l’interview : Pierre a préparé quelques questions qui nous permettront de mieux comprendre ce que vous faites exactement.

PK : Comme la question porte sur l’arbre du vivant [1,2 et 3] et que l’arbre du vivant c’est censé représenter des relations entre diverses espèces, on va commencer par cette notion d’espèce. Cette notion d’espèce semble très intuitive (les chats donnent des chats, les chiens donnent des chiens), mais si on tente de donner une définition de ce qu’est une espèce, on se heurte tout de même à de nombreux problèmes. Est-ce que vous pouvez expliquer le problème ou la définition de ce qu’est une espèce ?

MAS : Il y a plein de définitions effectivement. Il y en a une toute simple que l’on utilise quand on va acheter du saumon chez le poissonnier ou des poireaux au marché qui est une définition morphologique : un poireau ça ressemble à un poireau. Mais pour un biologiste, c’est un peu plus compliqué. Il y a des organismes qui se ressemblent beaucoup mais qui en fait ne sont pas du tout de la même espèce. Par exemple, on a découvert cela chez des lézards d’Europe ou chez certains champignons, comme ceux qui font le bleu sur le roquefort. En réalité, on a souvent sous un même aspect plusieurs espèces différentes. Quand on prend un autre critère, qui est de voir si les organismes sont capables de se reproduire ensemble, de se croiser: quand ils ne le sont pas, ils contiennent éventuellement des gènes que les autres ne contiennent pas. Ça c’est le critère biologique, c’est une espèce qui n’est pas définie sur la morphologie, mais sur la capacité à se croiser entre organismes. Une espèce est une communauté d’organismes, capable de se reproduire et de se croiser ensemble et qui donc partagent les mêmes gênes. Cette définition-là, très opérationnelle pour les biologistes et pour comprendre la diversité génétique, elle a été aussi doublée ou triplée, d’une troisième définition, plus évolutive, qui consiste à prendre en compte le temps qui passe : sont dans une même espèce les descendants d’un ancêtre donné, ou d’une population d’ancêtres donnée. C’est à ce moment là le critère de descendance qui compte. Les biologistes jonglent avec toutes ses définitions, utilisant l’une ou l’autre selon les cas. Qu’est-ce que ça veut dire en fait ? Quelle que soit la définition qu’on prend, c’est pas vraiment quelque chose qui existe. Même la définition biologique a des gros problèmes, on y reviendra. Quand on parle des espèces, on essaie de figer le réel avec des concepts qui n’existent pas forcément dans la nature, mais qui nous permettent de nous en emparer. Ce sont des représentations du réel.

PK : Vous avez évoqué le mot de “figer”. Souvent on se heurte à cette idée que les espèces sont figées, mais de plus en plus on a compris que justement du fait de l’évolution, il y a naissance d’espèces.

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Dans le cadre de ces définitions, comment naissent les espèces ?

MAS : Ça s’est un truc important. Quand on regarde les espèces qu’on peut voir avec les yeux, elles ont pas l’air d’évoluer si vite. Mais pour les microbes, c’est pas la même chose, on en voit certains évoluer beaucoup plus vite, mais pour les poireaux et les saumons dont on parlait, là l’évolution parait plus lente. Et effectivement, on a du mal à considérer que sur un temps long elles vont changer, et qu’elles ont déjà changé. Mais si on se reporte 1 million d’années en arrière, il y a très peu de choses qui ressemblent à ce qu’on a actuellement parmi nous. Et donc les espèces, il leur arrive plein de choses. Certaines s’éteignent, par exemple les dinosaures. Certaines persistent et changent dans le temps : l’homme d’il y a 70’000 ans ne ressemble pas à l’homme actuel et pourtant on descend bien de ces gens là… Et puis, il y aussi des cas, ou pour différentes raisons, une espèce donnée en engendre plusieurs, par exemple parce que des populations se retrouvent isolées sur des continents différents et ne vont plus effectivement se croiser. Et si elles peuvent plus se croiser, elles finissent par devenir différentes.

PK : Et c’est là où on obtient deux espèces différentes.

MAS : Oui bah à la fin, on a deux espèces différentes. Ce processus, qu’on appelle la spéciation, l’apparition de nouvelles espèces, c’est un mécanisme qu’a beaucoup étudié Darwin, qu’il l’a aidé à comprendre qu’il y avait de l’évolution. Ce qui est assez joli, c’est que Darwin ne définit jamais l’espèce, il dit même que c’est un concept un peu dur à cerner, il s’intéresse seulement au changement.

PK : Pour lui l’espèce est quelque chose qui n’a pas essentiellement d’importance dans l’explication de sa théorie : à terme, toute population est amenée à changer, c’est bien ça ?

MAS : Pour nous aujourd’hui, une espèce, c’est un devenir.

PK : Alan, tu avais une question sur cette notion d’espèce ?

A : Oui vous dites dans une de vos vidéos que la reproduction n’a pas pour but d’assurer la pérennité de l’espèce. C’est pourtant ce qu’on nous apprend à l’école. Pouvez-vous développer ?



MAS : Il ne faut pas confondre le but et la conséquence. Du fait que les organismes se reproduisent, ils ont une descendance, c’est sûr. Mais d’abord, l’espèce elle varie : quand on regarde dans les fossiles, on ne retrouve pas les espèces actuelles. Croire que l’espèce a une pérennité, qu’elle ne bouge pas, c’est une forme de fixisme, c’est-à-dire ne pas prendre en compte l’évolution profonde qui se voit tout le temps dans tout ce qui nous entoure et qui est vivant. Ce qui est d’ailleurs une propriété qui peut définir le vivant. Le vivant c’est ce qui évolue. On est toujours obligé d’évoluer pour plein de raisons. Pour en prendre une toute simple, qui va peut être nous conduire sur ce qu’on va parler aujourd’hui, les interactions biologiques: on est obligé d’évoluer pour s’adapter à ses parasites. Car les parasites évoluent et au cours de ses évolutions arrivent à obtenir de nouveaux mécanismes qui peuvent nous être nuisibles et rapidement les individus sensibles sont atteints par ces maladies, se reproduisent pas ou meurent, ou se reproduisent moins bien, et on va sélectionner tous les changements qui au sein de l’espèce permettent de résister aux maladies et à leur innovation. Il y a un mécanisme perpétuel ou le vivant engendre l’évolution du vivant. Il n’y a pas de règle de pérennité. Le summum de cette absence de pérennité, c’est qu’il y a des extinctions, parfois à cause de circonstances environnementales, mais parfois aussi car des parasites tuent bel et bien l’espèce, les boulottent jusqu’au dernier. Quitte à en crever eux-mêmes ensuite.

PK : Là c’est l’idée, qu’il faut systématiquement qu’il y ait adaptation. On avait tendance à considérer cette adaptation comme des espèces qui s’adaptent à des agents externes, mais on s’aperçoit que ces agents externes sont systématiquement un autre organisme vivant. Ces interactions entre le vivant créent une perpétuelle adaptation et du coup un perpétuel changement.

MAS : Il faut à la fois s’adapter à l’environnement physique, mais plus fréquemment, à l’environnement biologique. L’homme par le passé s’est adapté à des tas de changements. Par exemple, dans les sociétés occidentales, on ne meurt quasiment plus de la grippe ou des oreillons. Mais quand des peuplades amazoniennes qui n’ont jamais été en contact avec ces maladies les attrapent, elles sont décimées au sens stricte du mot, il n’en survit pas plus d’un sur 10. Car il n’y a pas eu de sélection de tous les traits qui permettent de résister à ces pathogènes qui ont été eux-mêmes sélectionnés chez nous depuis leur apparition.

PK : On vient de démonter d’une certaine manière les certitudes qu’on avait sur l’espèce, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une manière d’appréhender le réel en y apposant une nomenclature qui ne va pas nécessairement s’appliquer à tous les cas de figure. Récemment, Scott Gilbert, un célèbre Professeur américain de Biologie Évolutive du Développement, a répété dans divers séminaires que la notion d’individu était, à l’instar de celle de l’espèce, une représentation approximative du réel. Il prenait comme exemple le fait que 90% des cellules d’un “individu” humain sont d’origine bactérienne. Quel est votre point de vue sur ce nouveau bouleversement de nos définitions?

A : Avant de laisser répondre le professeur Selosse, juste pour être sûr de bien comprendre la question… On est en train de parler, notamment, de la flore intestinale, c’est ça ?

PK : Oui, ou de la flore sur notre peau par exemple, il y a énormément de bactéries dans beaucoup de compartiments de l’être humain.

A : Du coup, seul un dixième des cellules dans notre corps contiennent notre ADN, l’immense majorité de nos cellules, ne sont en fait pas à nous, mais des bactéries avec lesquelles nous cohabitons, c’est ça? Et donc, effectivement, dans ce contexte, est-ce que la notion d’individu fait sens ?

PK : Oui c’est bien le sens de ma question.

MAS : C’est vraiment une question importante et émergente. On se rend compte de plus en plus que nous sommes un écosystème bactérien. On est peuplé de pleins de bactéries. Effectivement dans le tube digestif, mais aussi dans tout un tas de cavités –la bouche, les oreilles, le nez, la vagin– et aussi sur la peau. Il y en a un petit peu moins mais elles se cachent bien dans les crevasses de la peau. Au total, on a peu près, 10^14 cellules (1 et 14 zéros derrière), et il y a autant de bactéries que de cellules humaines dans le tube digestif et on a environ 10 fois moins de bactéries sur la peau. Ça fait du monde. On comprend aujourd’hui comment ces bactéries structurent nos fonctions. Ça faisait longtemps –moi j’ai appris ça dans mes études– qu’on savait qu’une partie de la digestion et notamment une partie des vitamines que l’on ingère sont liées aux bactéries. On comprend de plus en plus comment elles défendent l’organisme, comment elles empêchent des pathogènes de s’installer sur la peau ou dans le tube digestif. Mais ce qu’on est en train de comprendre maintenant, à l’aide de souris sur lesquelles on fait des expériences, c’est que le développement de nos organes, de notre cerveau est construit par la présence de ces bactéries. La maturation d’un organisme pour faire un adulte est quelque chose qui est co-contruit par les capacités génétiques –à l’intérieur d’un organisme comme l’homme– et par les bactéries qui le colonisent. On compte que nos bactéries, qui sont de plein d’espèces différentes, contiennent 100 fois plus de gènes au total que nous en avons-nous dans notre génome humain. C’est énorme. Mais en plus, ce qu’on ne dit pas c’est que ces bactéries changent d’un individu à l’autre. Elles sont responsables d’une variabilité interindividuelle qui est largement supérieure à celle attendue par les différences entre nos gènes, qui eux se ressemblent plus que ne se ressemblent les bactéries d’un individu à l’autre.

PK : Ce qu’on dit là d’une certaine manière c’est qu’un individu dissocié de sa flore bactérienne n’a pas de sens car ça influe sur son comportement, et son être même. Un individu c’est aussi la population bactérienne qui lui est associée, c’est ça ?

MAS : On élève certaines souris de façon complètement axénique, c’est-à-dire qu’elles sont mis sous bulle après leur naissance par césarienne et ensuite, de génération en génération, elles produisent des souris sans bactéries. On compare alors leur comportement avec des souris –avec des bactéries dans le tube digestif– et on s’aperçoit qu’elles ont des comportements complètement bizarres. Elles ne sont pas intimidés, elles retiennent assez mal les accidents qui leur arrivent, elles ont des stratégies exploratoires assez dangereuses. Elles ont un comportement différent, qui correspond à un développement du système nerveux et notamment du cerveau totalement différent. L’individu est le résultat de cette multitude qui l’habite –en tout cas les individus assez gros pour abriter des bactéries– et il est tout à fait exact que finalement l’individu ne peut pas se comprendre autrement que comme une communauté, entre un gros individu qui structure l’ensemble et ses habitants. Et ça, ça détruit la notion d’individu, ou plutôt ça la reconstruit. Car les organismes continuent d’exister, mais dans leur réalité biologique, dans ce qui détermine leurs propriétés à un moment, et leur santé, …

PK : Et du coup ça, ça a nécessairement un impact sur la définition d’espèce, puisqu’une espèce est composée d’individus. Il s’agit d’un autre écueil de la définition d’espèce ?

MAS : Oui, c’est sûr qu’on assiste à la dilution de tout un tas de notions qui sont pratiques dans le langage courant, mais que quand on les examine de près sont un tout petit peu complexe. C’est le propre de la science de révéler la complexité derrière des idées reçues simple. C’est tout de même assez amusant, vous pensiez inviter ce soir une seule personne, mais vous invitez une centaine d’espèces de bactéries en plus.

(rires)

PK : Maintenant que l’on a tout chamboulé, on va quand même recentrer sur la question de Mael. On va parler de chimères aujourd’hui. De quoi s’agit-il ?

MAS : Dans la mythologie gréco-romaine, une chimère est un organisme composé d’une tête de lion, d’un corps de chèvre et d’une queue de serpent.

PK : Et ça, pour nos auditeurs, ça n’existe pas dans la nature ?

MAS : Non, pas encore (rires).

Nico : Tu veux dire, on en a pas encore trouvé (ironique).

PK : Oui voilà… (rire) Comme le haricot à la limace, c’est un exemple inventé.

MAS : (ironique) Elle existait belle et bien, on connait ses frère et sœur, Cerbère –le chien gardien des enfers– et l’hydre à neuf têtes. C’est une famille durement touchée par des morphologies bizarres. Ça existe tellement pas quelque chose comme chimère que le mot en français à finit par désigner quelque chose qui n’existe pas. Une chimère, c’est quelque chose d’inaccessible… Bon ça revient à dire que l’on croit vraiment que les mélanges d’espèces n’existent pas.

PK : Et ça pose problème ?

MAS : Bah oui justement parce qu’on est tous des puzzles fait d’espèces différentes. Quand je dis “je”, il y a des bactéries partout, qui m’aident à digérer, qui me défendent contre les pathogènes, qui font que je suis de bonne ou de mauvaise humeur, selon les analogues de neurotransmetteurs qu’elles envoient dans mon organisme. Et donc les gros organismes sont des chimères par essence. Ce truc dont on dit qu’il n’existe pas, en fait il y a des choses qui ressemblent, des organismes composites, c’est la règle plutôt que l’exception.

PK : Et du coup, de quels processus biologiques les chimères sont elle le résultat ?

MAS : Alors… L’idée c’est que, dans l’évolution, les organismes peuvent se rencontrer et établir des relations plus ou moins étroites. En particulier, en prenant l’exemple d’un individu qui a un tube digestif, celui-ci finit par être colonisé. Petit à petit cette coexistence, qui ne va pas forcément déclencher de maladies ou l’éliminer, peut-être quelque chose qui va établir des dépendances ou des fonctions nouvelles. Ces rencontres sont des opportunités. C’est comme ça qu’on a des organismes comme les plantes –on en reparlera j’espère parce que c’est là-dessus que je travaille– sont pour la plupart infoutues de se nourrir dans le sol, d’extraire l’eau et les sels minéraux, si elles n’avaient pas des champignons qui colonisent leur racines. En échange elles les nourrissent, mais elles en sont devenues complètement dépendantes pour leur nutrition. C’est le genre de dépendance qui finit par émerger quand des organismes se rencontrent : il n’y a pas que des processus pathogènes, des maladies, des prédations, qui résultent de ces rencontres.

PK : D’accord. On va parler de chimères, celles-ci sont le résultat de mécanismes d’hybridation pour la plupart. Est-ce que ces mécanismes vont bouleverser notre conception de ce qu’est une espèce ?

MAS : C’est quelque chose d’un peu différent. Effectivement, on peut conjuguer des propriétés venues d’origines évolutives différentes en associant des organismes. Par exemple, moi et une bactérie qui est dans mon tube digestif. Mais il y a aussi des cas où il se produit des associations de propriétés génétiques venus d’horizons évolutifs différents, par la formation d’hybride. Quand deux espèces –qui ne sont jamais très très loin dans l’évolution, hein, il faut qu’elles arrivent à se reproduire ensemble– qui étaient séparées, finissent par créer un descendant commun. Ça se passe souvent et ces derniers temps de plus en plus quand l’homme remet dans le même lieu des espèces relativement proches, mais qui ont divergé il y a plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’années car l’une est en Amérique, l’autre en Europe, par exemple. Finalement, avec les échanges commerciaux, les transports d’animaux, on finit par remettre ensemble des espèces de canards qui s’étaient pas vues depuis des décennies. Par le biais de leur isolement, ils n’échangent plus de gènes. Et bien alors même qu’ils sont morphologiquement différents et génétiquement différents ils peuvent faire des petits quand on les remet ensemble. Des fois ces petits survivent et là, le mélange commence…

PK : Est-ce que vous avez des exemples de chimères d’espèces qui se sont séparées il y a très très longtemps ? Est-ce que vous avez déjà entendu parler de ça ?

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MAS : Je sais pas, c’est une question ouverte ou fermée, vous avez la réponse ? (rire) Non, j’ai pas trop d’idées, mais on est d’accord que si jamais on veut que ces choses-là se reproduisent ensemble, il ne faut pas qu’elles aient divergé trop anciennement. On va avoir des espèces de salmonidés, des poissons de la famille de la truite ou du saumon qui vont être capables de faire ça. Cette famille d’espèce, ou celle des canards se retrouvent dans le monde entier et quand on les remet ensemble ils commencent à se reproduire. Mais c’est jamais à très grand distance (évolutive) car il faut encore qu’ils soient capable de s’accoupler, que leurs génomes, lorsqu’ils se réunissent, soient capables de fonctionner ensemble… Finalement, ça va brasser une diversité qui est moins diverse que celle dont on parlait lorsque l’on fait vivre ensemble deux espèces qui elles pouvaient avoir divergé évolutivement depuis des lustres…

PK : Oui, des milliards d’années en effet… Donc là on parle d’un mécanisme de “chimérisation” d’espèces assez proches finalement.

MAS : A côté de la “chimérisation” par mélange d’espèces, on a une “chimérisation” par mélange de génomes d’espèces proches.

PK : Quand on parle d’hybridation, on évoque souvent la polyploïdisation, c’est quoi ?

MAS : C’est quelque chose qui arrive dans beaucoup de groupes, comme les champignons, ou les plantes. En gros, pour faire simple, il y a un moment quand on va se reproduire, on fait des spermatozoïdes et des ovules et à ce moment-là on divise par deux la quantité de gènes. Si on divise pas par deux, quand le spermatozoïde va rencontrer l’ovule et qu’ils vont additionner leurs gènes, on augmente le nombre de gènes et on finit par avoir des génomes énormes après quelques générations. On a des dispositifs qui font que quand on va produire un descendant, chaque parent va donner la moitié de ses gènes. A ce moment, on appareille les chromosomes deux à deux et on en prend un des deux de façon à avoir un chromosome de chaque. Mais le problème c’est que quand on a fait un hybride entre deux espèces, les chromosomes sont potentiellement différents et on peut plus les mettre deux par deux. Les hybrides survivent éventuellement, mais ils ont souvent des problèmes à franchir cette étape où ils doivent mettre les chromosomes deux par deux. En fait, ils n’arrivent plus à faire des paires, chaque chromosome est unique. Si jamais dans un hybride on double le nombre de chromosomes, par accident, cet accident est prometteur car comme on a doublé le nombre de chromosomes, on a fait des paires. Il y a une forme d’hybrides assez spéciale, qui survit, qui sont des hybrides dans lequel le nombre de chromosomes a doublé. Vous allez me dire “Waaahh boonn, c’est technique”. Bah non c’est pas technique. Parce que le blé par exemple, les blés qui font les farines qu’on consomme, ils ont subi ça dans leur évolution.

PK : Ce sont des hybrides entre quelles espèces ?

MAS : Ce sont des hybrides entre des espèces d’égilope, de blé au sens strict sauvage, des Triticums. Les blés dur qui servent à faire des pâtes par exemple sont des hybrides entre une espèce d’égilope et une espèce de Triticum, qui donne un blé qui est un polyploïde. Un peu plus tard, il y a eu un autre événement d’hybridation suivit d’une polyploïdisation où ce blé dur s’est mélangé avec un autre triticum ce qui donné les blés dit tendres qui servent à faire des pâtes panifiables. Des choses aussi simples que les blés que nous cultivons sont le résultat de telles opérations. Ils ajoutent les propriétés issues de ces différents blés sauvages. Et par exemple, pour le blé panifiable, les qualités de panifiabilité, le fait de lever quand on fait une pâte, ce sont des caractéristiques obtenues par hybridation.

PK : Là on est dans le cadre de quelque chose qui a été fait par la domestication humaine où vraiment aléatoirement dans la nature ?

MAS : Justement, mon exemple il est chouette parce que la première hybridation suivi de polyploïdisation qui donne le blé dur s’est faite il y a 500’000 ans.

PK : Donc là, a priori c’était pas nous…

MAS : L’homme a récupéré dans la nature ce blé qui existait. Mais la seconde s’est produite il y a 10 – 12 mille ans et là cet hybride là il s’est peut-être fait spontanément, mais il est bien possible que ce soit des agriculteurs qui l’aient récupéré car il était intéressant.

PK : Alan, je sais pas si toi la polyploïdisation c’était pas déjà un gros mot et qu’on a dépassé les bornes…

A : Il a été très bien expliqué donc j’ai pas crié, mais je me demandais quand même : c’est sans doute une question naïve arrêtez-moi si je dis une bêtise, mais je comprends diploïde comme 2 versions de chromosome, polyploïde comme plusieurs versions de chromosome, mais alors ça me fait penser à la trisomie, où on a 3 versions d’un même chromosome… Il y a un lien ?

MAS : C’est une question intéressante. On est tous DIploïde car on a 2 jeu de chromosomes et c’est pour ça qu’il faut en retirer un de chaque avant de les transmettre à sa descendance puisque notre partenaire a fait la même chose aussi et ça redonnera un bébé diploïde aussi. Alors POLYploïde, il y a plus de 2. Alors maintenant la trisomie. Le problème, c’est qu’on augmente la dose de certains gènes, ceux qui sont sur un des chromosomes qui a mal vécu cette opération là et l’un des parents a transmis 2 fois le chromosome au lieu d’une seule fois. Le bébé a donc 3 copies de ce chromosome. Il y a des systèmes de dose. Quand on change la dose de certains gènes par rapport à d’autres, cela induit des dysfonctionnements. C’est un vrai problème pour les hybrides. On parlait d’hybrides qui font de nouvelles espèces, qui ont des propriétés nouvelles, d’accord. Mais la majorité du temps, quand on manipule un jeu chromosomique, ça foire. Et comme ça foire, ces hybrides on les voit plus. En évolution, on voit surtout les descendants de ceux qui pour le coup avaient des propriétés intéressantes et qui “marchait” quand même bien. Il ne faut pas se leurrer, l’hybridation c’est pas toujours bon et ça peut déboucher sur des accidents. Je vais faire ma comparaison habituelle : le croisement chihuahua et le saint-bernard. Vous imaginez bien, notamment avec la femelle chihuahua, qu’il y a des croisements qui sont pas très prometteurs. Il faut donc réaliser que dans tous les hybrides qu’on peut faire, il y en a qui sont voués à l’échec dès la première génération, par exemple parce qu’ils sont stériles.

PK : Là on parle de chromosomes, mais ça on le retrouve pas chez tous les êtres vivants. Est-ce que la polyploïdisation est un mécanisme qu’on retrouve seulement chez les espèces qui ont un noyau avec des chromosomes identifiés.

MAS : Oui oui oui. Les bactéries elles se reproduisent pas du tout comme nous, elles ne font pas cette opération qui consiste à se mettre à deux pour donner une partie de ses gènes à un descendant, elles se contentent de se diviser. Elles ont d’autres moyens d’acquérir de nouveaux gènes, on pourra peut-être en parler, mais elles ont pas de polyploïdie non. Et puis, il y a des groupes d’être vivants, les animaux, où la polyploïdie ne marche pas très très bien, probablement du fait que dans ces groupes là il y a des chromosomes sexuels qui sont eux très sensibles aux effets de dose. Du coup, chez les animaux, ça arrive, on sait même que dans notre histoire évolutive, il y a sans doute eu des polyploïdes mais c’est moins fréquent. C’est une particularité des animaux, mais cela dit ça se produit quand même. On arrive à le reconstituer en étudiant finement les génomes et à voir que même si elles sont très altérées et qu’elles sont devenues un peu différentes les unes des autres, il y a deux copies de génomes qui se ressemblaient plus ou moins. Cette ressemblance s’altère au cours du temps, mais on arrive à reconstituer, avec de bons outils, le fait qu’à un moment, il y a eu l’équivalent de deux génomes.

PK : Donc au sein des vertébrés c’est ça ?

MAS : A priori, ces événements dont je parle ce sont produits dans des ancêtres à nous qui devaient plutôt ressembler à des poissons, donc c’est assez ancien.

PK : Et si je ne m’abuse, on a l’impression que plus on a de gènes mieux on se porte, mais nous humains, par rapport aux poissons osseux, on a moitié moins de gènes, car il y a eu un événement de duplication du génome pour les poissons osseux.

MAS : Oui il y a des poissons qui ont divergé avant qui n’ont pas ça non plus. Mais on a pas forcément un double de gènes, car une fois que vous avez doublé comme ça, le nombre de chromosomes et de gènes, il y a des redondances, certaines copies vont acquérir d’autres fonctions et finalement ça fait que arriver à reconnaitre a partir d’un génome actuel qu’a un moment il y a eu deux génomes avec des redondances entre eux, c’est de l’archéologie, et ça demande des outils puissants. Finalement, il y a beaucoup de choses qui ont été perdu après ou qui ont subi des altérations pour acquérir de nouvelles fonctions. C’est assez fabuleux de voir qu’aujourd’hui on a des outils qui permettent de raconter l’histoire évolutive et pour revenir à ce qu’on disait au début, de raconter à quel point l’espèce a changé.

PK : Oui. Juste pour vraiment figer notre idée autour de ça : comment on fait véritablement pour faire cette archéologie des événements de polyploïdisation ? On regarde dans le génome si on voit plusieurs copies de gènes, c’est ça ?

MAS : Oui, mais ce ne sont plus des copies identiques car justement, s’il y a vraiment une redondance, il y en a une des deux qui disparait et c’est pas un problème. Souvent les deux prennent des fonctions un petit peu différentes, donc les gènes ne se ressemblent plus tout à fait. C’est des travaux où l’on essaie de voir s’il n’y a pas des parties du génome, tout un groupe de gènes contigus qui ressemblent à d’autres. On arrive alors à reconstituer l’existence de deux génomes indépendants. Mais c’est assez difficile, car il y a eu des réorganisations, donc c’est complètement éclaté. Il y a des ilots qui ont été re-soudés entre eux. C’est réellement de l’archéologie pour essayer de voir derrière des gènes qui ont suivis des évolutions différentes, la trace qu’à un moment ils ont eu quelque chose en commun.

PK : C’est bien pour les auditeurs car ce concept d’archéologie génomique, ce n’est pas quelque chose d’instinctif et pourtant on est capable à l’heure actuelle, en regardant attentivement la topologie des génomes de divers organismes de se rendre compte de ce qu’il s’est passé il y a parfois 500 millions d’années, parfois plus.

MAS : Ces méthodes ne sont pas très intuitives. Les capacités informatiques appliquées à la biologie nécessaire pour extraire cette information (un génome, c’est des millions et des millions d’informations, de bases azotées) sont nécessaires, ça ne se traite pas à la main. C’est aussi une prouesse informatique.

PK : J’ai tout de même l’impression que ces mécanismes de polyploïdisation se passent peut être plus facilement chez les plantes que chez les animaux. Vous avez dit que c’était éventuellement liés à des chromosomes sexuels chez les animaux, qui seraient différents des chromosomes sexuels chez les plantes, c’est bien ça ?

MAS : Ça c’est une hypothèse, hein. Je préfère pas la détailler. Il faut reformuler la question. Le vrai problème, c’est que c’est rare chez les animaux, plus rares que dans l’ensemble des autres groupes. En fait, c’est pas les plantes dont il faut parler, mais plutôt des animaux, qui ont ce problème. Les animaux, ils ont un problème, c’est qu’on peut pas faire un animal à partir d’un morceau d’animal. Enfin, il y en a où dans une certaine mesure on peut, mais…

PK : C’est rare…

MAS : Pour revenir aux vertébrés dont on parlait. Quand on coupe un poisson en deux, ça fait deux morceaux de poissons, mais pas deux poissons. Ce n’est pas vrai pour les plantes ou pour les champignons. Quand on prend un petit bout de champignon ou un petit bout de plante, vous pouvez refaire un individu. Il faut comprendre que ça, ça va faire que si vous avez fait un hybride qui est incapable de se reproduire car il n’a pas de paires de chromosome. Et bien il est encore capable de survivre, notamment par des bouturages, par la multiplication végétative. Il se maintient. Alors c’est pas fameux, mais ça augmente les chances qu’à un moment, il y ait un accident qui double le nombre de chromosomes et qui en fait un polyploïde, comme on a dit, qui lui est capable non seulement de se maintenir de ses façons végétatives, par bouturage, par des propagations de petits morceaux qui redonnent des individus, mais aussi de se reproduire par voie sexuelle, avec des gamètes et qui produit des descendants.

PK : Je suis content d’être venu, je n’avais pas mis le doigt sur cette stratégie de reproduction asexuée chez les champignons et chez les plantes…

MAS : …et beaucoup d’autres groupes… Les algues par exemple : vous déchirez en deux une laitue de mer, ça fait deux laitues de mer, ce qui n’est pas le cas d’un saumon. La survie en multiplication végétative est une sorte de salle d’attente, qui va permettre éventuellement de restaurer une sorte de fertilité par la voie la plus productive de descendance qui est la voie de la reproduction sexuée.

PK : Et donc, cette première méthode pour obtenir des chimères, est-ce que ça résulte en une stratégie évolutive particulière ?


Un Tigron



MAS : On a bien dit que beaucoup d’hybrides n’ont pas un grand avenir. Par exemple, les tigrons et les ligrons, les mâles ne sont en général par fertiles. Donc, bon…

PK : Tigrons et ligrons ? Ce sont les hybrides des tigres et des lions en fonction de qui est le mâle et qui est la femelle, c’est ça ?

Mas : Oui je sais pas si on met la première la lettre de la maman ou du papa. Enfin bon bref, on peut croiser une tigresse et un lion et une lionne par un tigre. Et ça donne des descendants, qui sont très beaux, qui se développent très bien, qui sont parmi les plus gros félins connus d’ailleurs. On voit très bien qu’au niveau de leur survie il n’y a pas trop de problème. Par contre, pas de descendants… Attendez, là il y a une arnaque. On dit souvent, oui, les hybrides ils sont pas fertiles. Là on se doute bien que ça fait pas une nouvelle espèce. Mais il y a deux scénarios qui peuvent se produire et qui sont vachement intéressants du point de vue de l’évolution des espèces. Le premier scénario, c’est le cas où cet hybride va doubler son nombre chromosomique ou devenir fertile, par hasard (car ce n’est pas obligé qu’il ne le soit pas). S’il ne l’est pas, il peut se polyploïdiser. Et là il va donner des descendants, mais ceux-ci, s’ils sont polyploïdisés, ne peuvent plus se croiser avec les parents, car il y a un problème du nombre de chromosomes. Et donc parfois, vous allez créer une nouvelle espèce. Parfois, une hybridation débouche sur une nouvelle espèce, qui ne se croise plus avec les parents. C’est typiquement ce qu’il se passe en cas de polyploïdisation, car si vous avez 4 génomes dans votre organisme et que vous faites des spermatozoïdes ou des ovules qui en contiennent 2, lors du croisement avec les espèces parentes, qui elles font des spermatozoïdes ou des ovules avec 1 seul génome, vous ferez un descendant avec 3 génomes. Et lui, il aura du mal peut être pas se développer, mais à se reproduire à son tour et à diviser ses chromosomes en deux.

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Un Tigron



PK : Bien sûr…

MAS: Maintenant, autre scénario, qui est encore plus intéressant en terme de mélange. C’est le scénario où ces hybrides sont capables de se croiser avec leurs parents. Je reviens aux tigrons et aux ligrons. Tout le monde dit que c’est une voie de garage. Mais les femelles sont fertiles. Elles sont pas obligées de se croiser avec des tigrons/ligrons. Elles peuvent faire des petits avec leur papa… (rire) enfin elles peuvent se reproduire avec les deux espèces parentales. Et là, ça donnera des descendants. Et ça, ça se passe. A ce moment-là, les descendants de cet hybride vont posséder des gènes venus des deux espèces. Et à la limite, si ce processus, est vraiment fructueux, il se répand dans toute la population : les hybrides commencent à faire des petits dans les deux populations parentales. A la fin que se passe-t-il ? Et bien vous n’avez qu’une population avec les mêmes génomes, vous n’avez plus que des hybrides quoi, au bout de quelques générations. Vous êtes dans un processus très intéressant : vous avez une nouvelle espèce, issue de deux autres (certes pas très distantes évolutivement, dans le cas des lions et tigres, ce sont toujours des félins), qui est une chimère. Vous avez une sorte d’extinction. On parle de dé-spéciation : le processus donne plus qu’une espèce. On a un suisse parmi nous, allons dans les lacs suisses.

A : Allons-y !

MAS : C’est arrivé récemment. Autrefois les lacs suisses étaient assez profonds et il y avait en surface de gros poissons, des corégones. Ce sont des poissons carnivores qui vivent en surface. Il y avait aussi des espèces qui vivaient au fond avec des proies un peu différentes. Puis on met là-dessus des Suisses. Et bon, les Suisses, comme tous les hommes, génèrent un peu de pollution, d’érosion et ces lacs tendent à devenir moins lumineux, plus riches en matière organique. Finalement, les poissons du fond vont remonter vers la surface et vont commencer à se croiser avec les poissons de surface, alors qu’ils ne se croisaient pas avant. Dans plein de lacs suisses, on avait deux espèces de corégones distinctes qui étaient connus historiquement, qui sont en train de devenir simplement une seule espèce hybride. Ça se produit sous nos yeux, assez souvent d’ailleurs sous l’effet de l’homme, cette dé-spéciation. C’est un des mécanismes qui fait qu’il n’y a pas de pérennité de l’espèce.

A : Je suis absolument fasciné par ce que je viens d’entendre. C’est épatant, je n’avais jamais pensé à ce mécanisme évolutif. J’ai la réponse à la question essentielle qu’on se posait tout à l’heure. Tigron = papa tigre + maman lion, Ligron = papa lion + maman tigre. On met le papa en premier en fait.

PK : Comme d’habitude, les nomenclatures prennent le mâle en premier, bravo… Donc là, moi ce qui me surprend beaucoup, c’est qu’on arrive à des mécanismes de spéciation ou même de force évolutive, qui ne sont pas vraiment celles que Darwin avaient ébauché dans l’Origine des espèces, n’est-ce pas ?

MAS : Il y a des gens qui pour se faire mousser disent “regardez, le darwinisme c’est fini, ça contredit le darwinisme…”. Il faut bien comprendre ce que ce que c’est que la construction scientifique. C’est pas quelque chose où les idées sont appelées à durer. Elles sont appelées à être modifiées, ou à voir s’agréger autour d’elles d’autres idées, de nouveaux concepts, de nouveaux mécanismes. Le propre de la science, c’est d’être en évolution perpétuelle, et au passage cette évolution peut soit nier des choses passées, soit –et c’est le cas ici– ajouter de nouvelles connaissances. La spéciation à la Darwin, où une espèce en donne deux : elle existe bel et bien. Quelque part en amont, c’est ça qui a donné les tigres et les lions. On ne peut pas dire que c’est anti-darwinien ou que Darwin est à jeter aux orties. C’est pas du tout ça. Le darwinisme évolue, on a maintenant d’autres mécanismes, qui enveloppent et augmentent ceux de Darwin. L’évolution est en perpétuelle… évolution (rire) ! Comme toute théorie scientifique vivante. C’est une différence avec le créationnisme d’ailleurs, qui lui est figé.

PK : Le mécanisme qui est ici mis en évidence n’est pas lent et progressif : quand on polyploïdisation, nécessairement on a un mécanisme qui est plutôt saltatoire, dans le sens où il y a des sauts adaptatifs.

MAS : Oui, c’est tout à fait ça. Après ce saut, il doit y avoir des hybrides qui regrettent de l’avoir fait, car ils vivent dans des conditions atroces et ils sont privés de descendances, mais parfois ce saut est prometteur. Ça nous rappelle la vieille théorie de Goldschmidt sur le monstre prometteur. C’est une théorie qui n’a pas eu de succès en biologie mais qui est resté dans le langage courant, la notion de monstre prometteur. C’est l’idée qu’à un moment il y a un truc bizarre qui apparait et qu’il peut créer de la nouveauté. C’est vrai que là, quand on a une hybridation, on a un saut quantitatif qui peut s’opérer. Là pour le coup, ça invalide une position qu’avait prise Darwin et qu’il avait pas besoin de prendre. Beaucoup d’observateurs ont dit après “pourquoi il a été dire ça ?”. Il avait repris cette idée que la nature ne fait pas de saut : Natura non facit saltus. Il l’a même écrit de sa main. Pour lui c’est un processus continu. Et c’est vrai que beaucoup de spéciation par divergences, comme celles qu’il décrivait sont en fait des micro-accumulations de différences dans 2 populations qui finissent par faire 2 espèces différentes. Ce qu’il décrivait, c’était un processus d’évolution relativement continu. Ici, en effet, on a un cas avec une forme de saut.

PK : Quand on a mis en évidence ce phénomène de duplication du génome des vertébrés, on est capable de s’apercevoir que ces sauts ont eu lieu dans notre lignée. Au lieu de prendre juste cet exemple des chimères, on peut savoir que c’est véritablement arrivé dans notre lignée, ce n’est pas juste une vue de l’esprit qui ne nous concerne pas. Ok.

MAS : Ah oui, il y a truc dont on avait parlé ensemble et là il faut le mentionner. C’est qu’on sait aujourd’hui qu’on a des petits morceaux de gènes qui nous parviennent de l‘homme de Néandertal dans le génome de l’homo sapiens, et ils sont rentrés par les processus d’hybridation dont je parlais. On a de bonnes preuves qu’il y avait des incompatibilités entre les Homo sapiens et les hommes de Néandertal, en particulier, on a absolument aucun reste de gènes de Néandertal sur nos chromosomes sexuels. Et cela s’interprète par le fait qu’il devait y avoir une forte incompatibilité entre les chromosomes sexuels de Néandertal et les nôtres et les hybrides étaient pas très réussis de ce point de vue là, pas très fertiles. Mais assez pour que quelques descendants aient introduits quelques gènes Néandertaliens dans les populations d’Homo sapiens modernes et en particulier, nous en Europe, cela nous a sans doute introduit pas mal de caractères de notre peau, notamment des gènes codant pour la Kératine ou sans doute aussi la couleur pâle, qui serait une adaptation à la vie en milieu tempéré. Et finalement, cette peau blanche que l’on a longtemps vue comme un symbole de supériorité, est simplement un vieux caractère Néandertalien très probablement. C’est un de ces cas où nous sommes des chimères, par hybridation avec des Néandertaliens… et pas seulement ! On sait aujourd’hui qu’il y a plein de groupes d’hommes fossiles qui nous ont laissés quelques gènes. Alors pas dans toutes les régions…

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PK : On va passer à un autre type de chimérisation qui cette fois ci permet de passer des parties de génome entre des espèces très éloignés. C’est par le transfert de gènes: le transfert horizontal. Pourquoi parle-t-on de transfert horizontal ?

MAS : Ce sont des OGM dans la nature ! Ça ne constitue en rien une justification des OGM mais le fait qu’une espèce puisse recevoir des gènes d’une autre espèce existe dans la nature, ça s’est souvent passé lors de l’évolution et ça a des conséquences importantes ce qui montre que ces transferts ne sont pas complètement neutres. Je répète qu’il ne faut pas y voir une justification des OGM : La production de CO2 existe dans la nature, ce n’est pas une raison pour produire des décatonnes de CO2. Revenons sur le sujet, c’est un phénomène assez commun chez les bactéries qui reçoivent assez facilement des gènes de l’environnement. Elles sont capable de récupérer de l’ADN de différentes façons et de provenances extrêmement variées. Les caractères acquis pouvant provenir d’espèces très différentes. On connait plusieurs moyens chez les bactéries, je vais en citer deux. Tout d’abord une bactérie peut attraper un virus qui introduit de l’ADN dans l’organisme. Normalement c’est leur ADN qu’ils introduisent mais il existe des virus “mal foutus” qui vont introduire de l’ADN provenant de la cellule qui lui a donné naissance. Par conséquent, l’infection n’est pas dangereuse mais de plus il introduit un gène qui va pouvoir s’intégrer dans le génome. Si jamais le fragment passe dans le génome de l’espèce infectée par ce virus, elle acquiert ce gène, et parfois, ce gène peut se mettre à servir. Voilà un premier exemple de transfert assez fréquent chez les bactéries. Techniquement cela s’appelle la transduction. Ensuite, il y a une autre façon qui est aussi simple, voire plus simple: Les bactéries sont capable de récupérer de l’ADN directement dans le milieu autour d’elle, provenant d’une cellule morte et qui a laissé son ADN. Et elles le font assez souvent : je vais donner un chiffre assez éloquent.


Escherichia coli (Grossissement × 15 000)



On a séquencé une soixantaine de souches d’E. Coli, une bactérie assez commune dans le tube digestif de l’homme. Et en essayant de séquencer ces souches, on s’est aperçu que de l’une à l’autre il y avait des gènes extrêmement différents. Aujourd’hui on connait en arrondissant grossièrement 20 000 gènes détaillés dans ces bactéries. Pour information, elles en contiennent 5000 chacune. Et sur tous ces gènes il n’y en a qu’un millier que l’on retrouve dans toutes les souches. Les 19 000 gènes restants ne sont présents que dans une poignée de bactéries. Tout simplement, chaque individu est le produit d’une histoire où il a accumulé des gènes différents. Il y un jeu de gènes, appelé le cœur de génome, qui est présent partout, mais chacun agrège des gènes différents

PK: Je vais faire un peu de rétropédalage pour une question que certains auditeurs vont se poser. Sachant que les bactéries se reproduisent pas sexuellement, comment est-on capable de définir des espèces de bactéries?

MAS : Ici, le fameux critère biologique qui consiste à dire que deux individus de la même espèce peuvent se croiser et faire des descendants ne marche pas du tout. On ne peut pas l’appliquer. Et on voit très bien que cette définition, typiquement, ne correspond pas à l’ensemble de l’univers. C’est pour ça que l’on disait tout à l’heure qu’il n y a pas de bonne définition : elle peut s’appliquer pour des organismes qui comme les champignons ou les plantes font des descendants en se mettant à deux pour faire une progéniture, mais elle ne s’applique pas là. Alors que font les microbiologistes? Ils disent que quand deux souches ont 75% de gènes en commun, elles sont de la même espèce. C’est un code, mais cela rejoint ce que l’on disait tout à l’heure. C’est une façon de représenter le réel et là, on l’a codifié de cette façon.

PK: Alors que l’on voit, en plus, que dans le processus que vous venez de détailler, il y a tellement de mobilité de gènes entre les différentes souches bactériennes que ces 75% vont être vite fait.

MAS : Et puis les gènes peuvent venir de n’importe où. D’ailleurs ils peuvent même venir d’animaux ou de plantes. C’est de l’ADN comme un autre.

Nico : J’ai une question hyper naïve : Pourquoi est-ce la même bactérie alors?

MAS : Génétiquement ce n’est pas la même. Mais si on veut faire des espèces comment on fait?

Nico : Quand on dit ” C’est plein de gènes de telle bactérie”. Comment fait-on pour reconnaitre telle bactérie alors que elles sont si variées et différentes?

MAS : C’est une décision arbitraire: Quand deux souches ont 75% de gènes en commun, on les met dans la même espèce. C’est la définition de l’espèce pour les microbiologistes qui s’occupent de bactéries. Mais c’est une définition, comme toutes les définitions, qui est arbitraire. Simplement, c’est celle qui marche le mieux. Mais, une fois de plus, l’espèce n’existe pas dans la nature. Mais nous on a envie de faire des catégories d’organismes, et donc, on peut utiliser l’une ou l’autre des définitions selon les cas. La définition biologique marche assez bien pour les animaux et les plantes, mais ne va pas marcher avec les bactéries car on ne peut pas leur faire “faire des petits” à deux. Et donc on prend une définition qui est, finalement, une définition sur la ressemblance, un peu comme celle que vous utilisez quand vous allez à la poissonnerie et que vous reconnaissez un saumon à son aspect, sauf que là c’est son aspect génétique et qu’il faut un peu de matériel génétique pour voir si elles appartiennent à cette espèce qui est définie arbitrairement. Mais qui n’a pas de réalité biologique.

PK: Là je pense qu’on l’a bien vu. Dès que l’on passe aux bactéries, on arrive à ce gros problème de la notion d’espèce qui ne tient plus beaucoup.

MAS : Si on était des bactéries, je me demande d’ailleurs si on aurait pensé à la notion d’espèce. Je ne pense pas que l’on y aurait pensé. Ça marche beaucoup mieux chez les eucaryotes, les organismes ayant des cellules à noyaux (les animaux, les plantes..). Ce qui n’est pas le cas des bactéries.

Nico : En tout cas, on aurait mis sacrément de temps à comprendre pourquoi ils se mettaient à deux à faire un truc “chelou” pour produire un nouvel élément de la population.

PK: Alors, on va essayer de se faire un petit peu peur en se demandant s’il y a des barrières au transfert horizontal. Si un animal mange des plantes, des animaux, est-ce qu’il peut y avoir transfert horizontal?

MAS : Comme je l’ai dit tout à l’heure, rien n’exige qu’un gène vienne de proches parents dans l’évolution. Il peut venir de n’importe où. Par exemple, les bactéries ne savent pas faire de cholestérol, mais il y a des bactéries pathogène de l’homme, les chlamydies que vous connaissez peut-être. Ce sont des maladies pas très agréables notamment pour le système urinaire. Eh bien, ces chlamydies ont récupéré tous les gènes et fabriquent du cholestérol. Pourquoi? Parce qu’à force d’infecter l’homme et les animaux en général elles ont attrapé des gènes d’animaux. Il n’y a pas de barrière en ce sens. Après, certaines bactéries ont mis en place des barrières. Elles vont contrôler l’ADN qui ressemble à l’ADN d’organismes apparentés parce que, quand vous récupérez de l’ADN ça peut être une maladie génétique. Ça peut être, par exemple, un bout d’ADN viral, un bout d’ADN qui se multiplie dans le génome en faisant des tas de dégâts. Donc récupérer n’importe quoi, c’est risquer d’attraper des maladies. De nouveau, comme dans l’hybridation, quand un gène rentre dans un organisme, cela peut faire des dégâts terribles et il peut crever. On n’a pas dit que tous les transferts de gènes donneront des descendants. Mais par contre, ceux que l’on voit, que l’on reconstitue actuellement, sont ceux qui ont survécu, bien évidemment. C’est le gros piège de l’évolution. Comme on ne voit que ce qui survit on se dit “Tiens les hybrides ça fait des espèces” ” Le transfert de gênes ça fait des souches qui survivent bien”. Oui, parce que l’on ne voit plus que cela. Il y a une notion de charnier. L’évolution est un charnier. Revenons sur les barrières, on peut peut être parler des eucaryotes.

PK: Justement. On a bien compris que les bactéries pouvaient mettre en place des défenses pour trier. C’est la même chose pour les eucaryotes?

MAS : Toutes ne le font pas. Certaines le font.

PK: Et à l’inverse, les animaux les plantes se défendent contre ces intrusions par transfert horizontaux.

MAS : Le noyau dont on parlait est un emballage supplémentaire. C’est un peu plus dur pour l’ADN qui arrive de rentrer dans le génome. Mais il y a un autre problème. Chez les plantes et les animaux, les cellules qui vont avoir des descendants sont à l’abri de l’extérieur. Elles sont dans les testicules, dans les ovaires, au cœur de la fleur par exemple. Elles ne sont plus en contact avec l’extérieur et ne reçoivent plus d’ADN de l’extérieur. Et là il y a un problème technique qui est que l’ADN n’arrive plus aux cellules qui vont avoir des descendants. C’est la fameuse séparation du soma, le corps, et du germen, la lignée qui donnera des descendants. Et ça c’est problématique, mais malgré tout ça arrive. Il faut se rappeler qu’il y a aussi beaucoup d’unicellulaires les amibes, les levures, les paramécies… Dans ces organismes, il n y a pas de différence soma-germen. La cellule se divise, de temps à autres, deux cellules s’unissent pour donner un descendant. En plus, certains se nourrissent en absorbant des proies qu’elles digèrent. Ce qui fait qu’il y a en permanence dans les cellules de l’ADN en train d’être coupé en morceaux par les enzymes digestives. Si jamais un de ces morceaux s’échappe et rentre dans le noyau…

PK: Il y a transfert horizontal

MAS : Maintenant, en conséquence de ces choses-là, on s’aperçoit qu’effectivement, même chez ces organismes non bactériens on trouve énormément de gènes venus d’ailleurs… Alors parlons de l’Homme?

PK: Oui?

MAS : Alors, nous aussi, on a des gènes venus d’ailleurs. Chez nous, c’est notamment un gène récupéré d’un virus. C’est un gène qui fait fusionner les cellules utilisées par les virus pour rentrer dans les cellules. Ils fusionnent leur propre enveloppe à la cellule. Des virus comme ceux de la grippe utilisent ce genre de mécanismes. La protéine faisant cela s’appelle la syncytine. Et cette protéine virale est utilisée, chez l’homme et d’autres primates, pour faire fusionner les cellules et constituer une partie du placenta où les cellules fusionnent en un “Méga Blorb” : le Syncytium du placenta. La protéine en question, qui sert à faire le placenta, est en fait un bout de virus.

PK : Donc sans les virus, on n’aurait pas eu de placenta?

MAS : Alors c’est un peu plus compliqué parce qu’il y a des placentas différents. Il existe des organismes non primates qui ont aussi un placenta mais il n’est pas fait pareil. Notre placenta à nous, tel qu’on le fait, nous primates, est fait avec ça.

PK : C’est très anthropocentrique.

MAS : J’insiste sur ces exemples pour montrer que, même à nous cela peut arriver. Mais ça arrive aux autres aussi et ceux qui n’ont pas cette distinction soma-germen, encore plus souvent.

PK: Dans le livre “Aux origines de la sexualité“, auquel vous avez collaboré, vous parlez de “sexe lent” des eucaryotes, ces organismes avec un compartiment qu’on appelle le noyau. Est-ce que c’est un référence au transfert horizontal et si oui, pourquoi?

MAS : Alors, il faut peut-être que l’on définisse le sexe, parce que là, je pense que les gens qui nous écoutent pensent que l’émission va prendre un tournant affriolant.

PK : Je suis un peu déçu qu’il n’y ait pas eu de jingle.

Alan : Ils en ont vu d’autres, nos auditeurs, on a eu toute une émission sur le sexe.

Nico : Avant de parler sexe.

Julie : … On a une question de Maël, initiateur de ce podcast, qui nous dit : ” Au regard de ce que l’on dit depuis le début, un organisme pathogène est un organisme qui a raté sa vocation. Si il n’avait pas été pathogène il aurait été tranquille dans l’organisme et peut être pour des millénaire.”

MAS : Ce qui est certain, et c’est la bonne nouvelle, c’est tous les microorganismes que nous rencontrons sont soit inoffensifs soit positifs. C’est plutôt rare qu’il y en ait un qui soit capable de nous faire du mal. Et paradoxalement, alors qu’historiquement on a découvert les microorganismes par leurs effets nocifs parce qu’il était facile de le voir, on a mis beaucoup plus de temps à découvrir les positifs. Et la multitude est neutre ou positive. Mais vous savez, c’est aussi le propre de la science de décomposer ce que l’on ne voit pas ou à prendre conscience de ce qu’on ne réalise pas. On parle très souvent des trains qui n’arrivent pas à l’heure mais cela ne représente que 5, 10,15% des trains en France. Mais la vraie conversation c’est pourquoi le train arrive à l’heure car c’est le fait de 95% des trains. Et c’est étrange mais c’est comme ça : On a découvert les pathogènes parce qu’ils se voient bien, mais ce que révèle la science progressivement c’est que finalement ils sont partout derrière le fonctionnement normal. Je ne sais pas si c’est la réponse à la question

Alan : Sans doute. C’est comme ça que j’avais compris la question. Effectivement, tous les microorganismes ne sont pas forcément des microbes.

MAS : C’est intéressant, ça, sémantiquement. En gros cela revient à dire qu’un microbe est méchant.

Alan: C’est ça oui.

MAS : L’étymologie dit que c’est juste petit. “Microbie” c’est vivant-petit. Mais c’est vrai que le sens a dérivé, parce qu’au 19 e lorsque le mot a commencé à être utilisé, c’était “méchant microbe”. C’est la vision Pasteurienne du microbe et le mot s’en est retrouvé teinté. Maintenant les gens, pudiquement, se cachent derrière le mot microorganisme au sens large pour ne pas récupérer cette connotation négative.

PK : Mais un microbe ça peut être très gentil.

Alan : Je prie donc les microbes d’accepter mes plus plates excuses. Je ferai attention.

PK: Tu as entendu. Si on t’enlevait tout tes microbes tu pourrais totalement changer de comportement, être pas très bien.

Alan : Et Nicotupe, tu avais peut être aussi une question

Nico: Oui, quitte à dire n’importe quoi, j’avais cru entendre dire que les mitochondries étaient une sorte de microorganisme chez l’homme.

Pk: Ce n’est pas n’importe quoi

Nico : Aaah c’est cool.

PK: Mais ça vient plus tard. On est en train de griller des étapes.

Nico : Alors je me tais. Je n’ai rien dit.

PK : Non c’est bien, ça fait un mini spoiler. Tout va bien.

MAS : Sinon, vous vous souvenez peut être des médichlorons dans Star Wars.

PK: “Midichlorien

Nico : Non, je ne suis pas un gros fan de Star Wars.

Tous : OHLALA

MAS : Là, il va falloir mettre un “moins” pour ceux qui ne connaissent pas… Cette histoire-là est inspirée des mitochondries. Alors une mitochondrie c’est quoi? C’est quelque chose qui a été très anciennement décrit dans nos cellules. Ça a été décrit par Altmann en 1890 et on a petit à petit compris que ces parties de nos cellules servaient à transformer les sucres que nous consommons et l’oxygène que nous amenons à nos cellules en énergie. C’est à dire que le sucre contient de l’énergie, c’est pour ce que l’on est obligé de se nourrir, et la transformation de cette énergie de la forme chimique dans les aliments en énergie directement utilisable par la cellule, les molécules d’ATP, par le processus de respiration qui consomme de l’oxygène, se fait dans les mitochondries. Dès le début des gens on dit ” c’est marrant ces mitochondries, elles grossissent dans les cellules, elles se divisent en deux, on dirait des bactéries” Cette hypothèse a très rapidement pris du plomb dans l’aile parce que les gens ont essayé de les cultiver et qu’est-ce qu’il se passait? Et bien ils y arrivaient jusqu’à ce que l’on découvre qu’ils avaient cultivé un contaminant. Et donc finalement ils n’y arrivaient pas. Et dans la science Pasteurienne, un microbe, on l’isole, et on le réinjecte pour voir si ça refait le même effet. Et on ne pouvait pas faire ça! Donc c’était une bonne idée mais sans les moyens de la prouver, et qui est directement tombée aux orties. Et puis elle ressuscite dans les années 60 par Lynn Margulis qui va faire triompher cette idée la parce qu’elle va réunir plein d’arguments qui sont de l’ordre de la microscopie électronique mais aussi de la génétique, car dans ces petits éléments il y a du matériel génétique, il y a de l’ADN, et des gènes bactériens. Et entre temps on a découvert que ce que font les mitochondries, il existe des bactéries qui vivent seules qui le font: qui respirent. Elle va donc enfoncer le clou de nombreux travaux et dire que dans les cellules d’animaux, mais aussi dans les cellules de champignons et de plantes, il y a ces mitochondries qui permettent de respirer et ce sont d’anciennes bactéries. Et c’est ça qui a inspiré le scénariste de la “Guerre des étoiles”. Mais revenons sur des choses plus sérieuses : En fait si on raclait toutes nos bactéries du tube digestif, de la peau et de toutes les cavités de l’organisme, on reste intrinsèquement, au sein même de nos cellules, une entité double. Quand on dit l’homme, et bien typiquement on parle d’une chimère entre des cellules eucaryotes qui ont un jour “mangé” une bactérie qui leur a permis de respirer. Vous pouvez remercier votre maman, car c’est grâce à elle que vous avez des mitochondries : elles sont transmises par la mère. Donc vous avez les mitochondries de Maman, c’est une mauvaise nouvelle pour les mitochondries de Papa qui n’ont pas de descendantes. Elles sont sacrifiées dans l’évolution. En tout cas c’est transmis verticalement et personne ne décompose l’homme en séparant homme et mitochondrie. Non. Je dis “Je”. Faudrait il peut être que je dise “Nous”?

PK: Malheureusement cette question est arrivée un peu trop tôt. On n’a pas fini avec le transfert horizontal. Quelle est la définition du sexe ?

MAS : Et bien il y a plein de définitions. Elles ne sont ni fausses, ni vraies. Elles sont simplement plus ou moins utiles dans le cadre de ce que l’on veut faire, au même titre que le concept d’espèce tout à l’heure. Et on a très bien vu avec ta question que finalement, parfois on préfère une autre définition parce que simplement on ne peut plus employer la première. Donc il faut être souple la dessus. Les évolutionnistes appellent sexe tous les processus qui génèrent un génome diffèrent. Donc quand, dans l’espèce humaine ou dans une fleur on prend un petit peu de gène dans un organisme et dans un autre pour faire un descendant, ce descendant a un nouveau génome. C’est du sexe. Quand en plus, c’est un nouveau descendant, c’est de la reproduction. On appelle ça de la reproduction sexuée. Les bactéries ne font pas ça comme ça. Mais elles font quand même du sexe parce qu’à chaque fois qu’elles gagnent des gènes venus de l’extérieur, leur génome est différent.

PK : Et pourquoi sexe lent?

MAS : On a dit qu’il arrivait aussi aux eucaryotes de récupérer des gènes. Évidemment au jour le jour, cela ne se voit pas, car le sexe que l’on voit chez les eucaryotes c’est le sexe lié à la reproduction sexuée où deux parents donnent un descendant diffèrent. Différent morphologiquement car il est diffèrent génétiquement. Ce changement frénétique et régulier de génome a été repéré tout de suite et l’arbre cache la forêt, car sur le terme évolutif, il y d’autres gènes qui rentrent lentement et que même des lignées évolutives comme la nôtre, au même titre que les bactéries, à une fréquence moindre, il leur arrive de gagner des gènes venus de tout à fait ailleurs que des parents au sens de la reproduction sexuée. En toile de fond nous subissons des apports de gènes parfois venus de très loin.

PK: Donc c’est un sexe lent et lointain.

MAS : Il est lent parce qu’il n’est pas aussi frénétique que l’autre…

PK : Alors pourquoi parle-t-on de transfert horizontal? C’est opposé à quoi? Qu’est-ce que serait la verticalité?

MAS : Les gènes qui sont à un instant dans un organisme peuvent avoir deux provenances. Soit ils sont venus de ses parents. Alors ça peut être la bactérie qui s’est séparée en deux pour donner deux descendants ou mon papa et ma maman. Là c’est une transmission dite verticale parce que ça descend l’arbre généalogique de génération en génération. La transmission dite horizontale consiste à prendre des gènes sur un organisme au même niveau de l’arbre généalogique. Ce sont des gènes que vous prenez sur une autre branche de l’arbre, au même moment que vous. Ce ne sont pas des gènes qui viennent d'”avant”.

PK : Donc l’exemple du haricot et de la limace c’est un transfert horizontal.

MAS : Tout à fait.

PK : Ok. Donc c’est cet OGM naturel que l’on pourrait envisager?

MAS : En gros, nous sommes tous des OGM, mais quand on regarde les conséquences des transferts de gènes qui parfois font apparaitre des organismes radicalement différents. Par exemple il y a beaucoup de nématodes qui parasitent les plantes. Et c’est d’ailleurs une peste pour les cultures, c’est 5% des pertes de récoltes au niveau mondial.


Locomotion du nématode Caenorhabditis elegans



PK: Pour les auditeurs, les nématodes ce sont des petits vers ronds, d’ 1 mm de long généralement, qui sont proche parents des insectes et des crustacés.

MAS : Et qui d’habitude mangent les bactéries dans le sol et les déchets. Mais il y en a quelques-uns qui sont devenus capable de rentrer dans les plantes. Et pour rentrer dans les plantes il faut être capable d’ouvrir les cellules. Les cellules dans les plantes sont emballées dans des polymères comme la cellulose, des molécules qui protègent les cellules et font un emballage assez difficile à briser. Et bien ils ont gagné des gènes de bactéries qui codent pour des enzymes découpant ces molécules.

PK: Donc les bactéries déjà découpaient les parois des végétaux.

MAS : Quelque chose comme ça. Et comme les ancêtres de ces vers la mangeaient des bactéries et les digéraient, ils ont dû être en contact avec pas mal de ces gènes. Et comme ce sont des petits vers, les spermatozoïdes et les ovaires ne sont pas loin de l’appareil digestif. Ça a du se faire comme ça. Enfin, quel que soit la façon, l’évolution a vu apparaitre des organismes qui sont devenus des pathogènes majeurs pour les plantes. Ce que je veux dire ces transferts gènes qui sont créatifs dans l’évolution et c’est ce qui en fait aujourd’hui des outils puissants et aussi potentiellement dangereux. Comme tous les outils.

PK : Cet exemple nous amené à la méthodologie scientifique. Comment, en tant que chercheur met-on en évidence des transferts horizontaux?

MAS : Ce n’est pas facile et d’ailleurs on peut se gourer. Vraiment. La première méthode consiste à regarder si les espèces proches dans l’évolution comportent ou non ces gènes. Le bon gène transféré c’est un gène que n’ont pas les espèces proches mais qu’ont des espèces qui n’ont rien à voir.

PK: Le bon gène transféré dans le sens le bon gène facilement identifiable par le chercheur.

MAS : Voilà. Et alors quand on a séquencé le génome de l’homme on s’est aperçu qu’une bonne centaine de gènes de l’homme que l’on ne trouvait pas du tout chez les autres animaux mais que l’on trouvait chez les bactéries. Et là tout le monde était excité : On a 100 gènes de bactéries. Mais je n’en ai pas parlé tout à l’heure parce que quand on a mieux connu les gènes des autres animaux, lorsque l’on a eu plus de données sur des tas de bestioles que l’on ne connaissait pas au moment du séquençage de l’homme. On l’a séquencé dans les tout premiers. Quand on a commencé à mieux connaitre les génomes des autres espèces animales on s’est aperçu qu’il y en avait mais que simplement ils avaient été perdus par certaines espèces. Donc là, critère pourri. Le bon critère opérationnel consiste à reconstituer l’évolution de ce gène en le comparant aux gènes qu’il y a dans les autres organismes. Et ce gène si vous faites son arbre évolutif, et bien, imaginez par exemple, un nématode a récupéré un gène de bactérie. Vous, vous ne le savez pas, vous trouvez ce gène dans le nématode. Vous remarquez que les nématodes voisins qui n’attaquent pas les plantes n’ont pas ce gène. Vous dites ” Oh tiens c’est un bon candidat” Vous allez prendre ce gène et tous ceux qui lui ressemblent dans les banques de données sur internet et vous allez faire un arbre évolutif. Et en comparant les séquences vous reconstituez l’arbre évolutif de ce groupe de gène. Vous reconstituez les gènes ancestraux qui ont donné les gènes actuels. Et ce que vous voyez c’est que ce gène qui apparait chez un nématode il apparait dans un arbre évolutif qui est garni de gène de bactéries. Mais les nématodes, ne descendent pas de bactéries. C’est complètement absurde. Mais cette absurdité c’est que ce gène vous raconte qui il est. Il vous raconte que ses ancêtres c’étaient des ancêtres de bactéries. Donc vous reconstituez l’arbre évolutif du gène et cet arbre évolutif ne ressemble pas à celui des nématodes qui eux, quand on fait leur arbre évolutif, on l’a dit tout à l’heure, sont proche des crustacés, des insectes, eux même proche des autres animaux, qui sont eu même proches des champignons, qui sont eux même proches des plantes. Enfin, ça n’a rien à voir. Et ce contraste là, ce fait que le gène ne raconte pas la même histoire évolutive que ce dans quoi il est ça veut dire qu’à un moment il est rentré là où il est maintenant mais qu’avant il n’y était pas.

PK : C’est ça. Mais ça met en évidence la différence entre transfert horizontal et transfert vertical. Si c’était un gène qui était uniquement hérité des parents ce serait vertical. On le verrait dans l’arbre.

MAS : Les gènes transmis verticalement racontent la même histoire que celle de l’organisme qui le contient.

PK: Voilà. L’idée qu’il y a cet arbre des relations entre espèces permet de se retrouver avec un bon candidat pour un transfert horizontal. Et plus on apporte de preuve plus on a d’idées de cette horizontalité.

MAS : J’ai vu apparaitre un dessin d’un Blorb. Je ne sais pas ce que c’est. C’est une bactérie qui se demandait si elle avait pris un gène de sa mère. Alors ça ce serait de la transmission verticale mais si il a des doutes et se demande si ce gène ne vient pas de son voisin je lui recommande de séquencer son génome pour en savoir plus. Et de faire des arbres évolutifs sur ses gènes.

Nico : Juste un petit retour sur le transfert vertical, si j’ai bien compris. On a une petite question d’Irène sur la définition du sexe qui dit que cette définition ne prend pas du tout en compte l’épigénétique. J’avoue ne pas bien comprendre ce qu’elle entend par là.

MAS : C’est marrant parce que dès que l’on parle de génétique aujourd’hui il y a toujours quelqu’un qui parle d’épigénétique autour.

Nico : Il y a des fanatiques d’épigénétiques.

MAS : Irène a raison.

Irène : Et oui.

Nico : Et en plus elle est là elle aurait pu poser sa question.

MAS : Non mais c’est vrai. Récapitulons : La plupart de l’information que nous recevons de nos parents, voire même du milieu qui nous entoure est sur de l’ADN. Mais pas que. Il y d’autres choses que nous recevons qui ne sont pas exactement sur de l’ADN. Qu’est-ce que ça peut être? Ça peut être des petites modifications de l’ADN qui font que certains gènes vont s’exprimer plus fort ou moins fort.

PK: Dans la configuration de l’ADN.

MAS : Oui. Des Méthylations par exemple. On ajoute des radicaux méthyles et ça bloque ou, selon les cas, ça favorise l’expression d’un gène donc on va avoir plus de produits de ce gène.

PK : Si je me souviens bien il y avait une métaphore pour parler de ce processus: Cette idée là, ce serait que notre génome, notre ADN serait un livre de recette et les pages peuvent être facilement décollables ou pas. Quand c’est collé, justement c’est que c’est méthylé, et quand c’est décollé, on peut lire. C’est la différence entre l’accès à la lecture ou pas.

MAS : Mais bon, on peut décoller les pages aussi. Il y a d’autres façons, on peut hériter des protéines dans les cellules qui viennent de la génération précédente et qui modifient l’expression de nos gènes. Et du coup, bien que l’on ait les mêmes gènes qu’un autre organisme, on peut ne pas avoir du tout la même apparence, les mêmes caractéristiques opérationnelles et fonctionnelles. Ça il ne faut pas non plus en faire des gorges chaudes. C’est très important dans le fonctionnement des organismes mais comme c’est labile, ce n’est pas durable dans l’évolution. Et souvent les gens parlent d’épigénétique dans l’évolution, ce qui sincèrement me pose problème. Je vais me faire arracher la tête si un collègue écoute ça mais je pense que ce qui est sélectionné dans l’évolution c’est la capacité à faire de l’épigénétique, à avoir des modifications qui se transmettent pour quelques générations et qui vont permettre d’avoir une sorte de mémoire à quelques générations. Mais les modifications épigénétiques elles même ne sont pas un substrat de l’évolution parce qu’elles sont labiles : elles disparaissent. Par exemple les protéines qui modifient l’expression des gènes vont finir par être dilué au cours des générations ou bien les méthyles vont être retirés soit dans un stade développemental soit, on le sait aujourd’hui, dans certaines conditions environnementales. Par exemple le froid peut diméthyler chez certaines espèces et provoquer un changement complet du fonctionnement du génome qui répond physiologiquement au froid.

PK : Mais un moment, il faut mettre une fixation dans les molécules héritables pour plusieurs générations c’est ça?

MAS : Oui. Et donc ce qui est sélectionné c’est la capacité à faire ces petites fluctuations transmissibles à court terme mais labiles à long terme et donc qui ne sont pas elles-mêmes le substrat d’un changement hérité.

PK : Je n’ai pas compris la question vis à vis de l’épigénétique. En quoi pensais tu Irène, que c’était lié au sexe? Je n’ai pas compris exactement.

Irène : Je ne suis pas une spécialiste donc il est très possible que je me trompe, mais je croyais justement que le problème de l’épigénétique c’est que par exemple – je prends un exemple qui n’est peut-être pas exact- une maman déprimée, et du fait de la dépression, a un métabolisme va être diffèrent. Il va y avoir un impact au niveau des protéines, de la chimie du cerveau etc. qui risque d’avoir un impact sur l’ADN de la maman. Et du coup cet ADN va être transmis à l’enfant et donc en ce sens, la physiologie de la maman a un impact sur l’ADN de l’enfant. Encore une fois, je ne suis pas une spécialiste mais il me semblait que c’était ça l’épigénétique. C’est le fait que selon les conditions de vie, selon l’état et les facteurs extérieurs, il peut y avoir des modifications.

MAS : C’est tout à fait ça. Les modifications sont souvent induites par l’environnement. Absolument. Elles ne sont pas nécessairement sur l’ADN. Elles peuvent résider sur d’autres petites molécules qui interfèrent lors de l’expression des gènes, que l’on appelle des ARNm qui peuvent être transmis comme ça et transmettre le caractère. Et quelques fois c’est beaucoup plus énigmatique, on ne sait pas très bien ce qui est transmis et par exemple des stress des générations précédentes peuvent être transmis aux générations suivantes. Mais c’est compliqué car il y aussi des cas où ces modifications sont effacées au moment du changement de génération. Ça dépend. Là il y a un zoo de mécanismes tous différents les uns des autres, Mais des fois, au moment de la sexualité, justement, le moment de la reproduction sexuée chez les espèces comme la nôtre, on efface cette information. Mais pas que ! Parfois on la transmet. Il existe un exemple assez classique. Ces générations qui ont souffert aux Pays Bas de problème d’alimentation pendant la seconde guerre mondiale et les descendants ont des maladies métaboliques qui sont liées à la tendance à la suraccumulation de réserves qui sont héritées non pas de l’information génétique de la génération précédente mais de l’histoire de la génération précédente.

PK: Ca y’est j’ai compris. Ça veut dire qu’il y a une intégration au moment de la reproduction d’une information héréditaire, mais peut-être pas à long terme.

MAS : Justement, c’est le moment où on transmet cette information.

Irène: Je me demande si dans le futur, on ne découvrira pas des modifications à long terme. Je me demande en fait. Je n’en sais rien.

MAS : Là, ma réponse c’est qu’actuellement on n’en connait pas. Mais la prudence veut à ne pas conclure en une preuve d’absence en l’absence de preuve. Donc peut être. Mais actuellement, tout ce que l’on connait c’est qu’il y a une certaine labilité à long terme.

Irène : D’accord.

PK: On va revenir sur nos chimères et plus particulièrement sur les mitochondries parce que l’on va parler d’un 3e type de chimères entre espèces. C’est l’endosymbiose et justement j’ai l’impression que ça concerne les mitochondries.

MAS : Alors la symbiose c’est “vivre ensemble”. C’est quand deux espèces différentes vivent ensemble. On est en symbiose avec les bactéries du tube digestif. Et l’endosymbiose c’est le cas où cette symbiose se fait dans les cellules. Et c’est ce qu’il se passe avec les mitochondries qui sont, justement, dans nos cellules.

PK: N’y a-t-il pas un aspect bénéfique dans le concept de symbiose?

MAS : Ça dépend selon les auteurs. Moi je parle de symbiose quand il y a coexistence et que cette coexistence est bénéfique aux deux partenaires. C’est effectivement l’usage en français le plus fréquent. Et donc la mitochondrie est un exemple de symbiose assez étroite parce qu’elles sont dans les cellules. Elles peuvent même être transmises dans les ovules chez les animaux. Cependant, il y a quand même deux types de symbiose. Il y a celle où l’on réacquiert les partenaires à chaque génération. Les bactéries des tubes digestifs, vous les acquériez sur la peau de la maman, sur le biberon, en mettant votre cube de gros Lego premier âge à la bouche. Mais il y a aussi des cas où la symbiose est transmise verticalement. On retrouve ce que l’on disait tout à l’heure. Elle est héritée des parents, c’est le cas des mitochondries. Mais à ce moment-là, si vous raisonnez un petit peu ça veut dire qu’en fait vous avez piqué les gènes d’une bactérie. Vous les avez satellisés autour de vos propres gènes. Formellement, ça ressemble fort à un transfert de gènes en fait. Vous avez acquis des gènes de bactéries. Elles sont toujours dans une bactérie mais cette bactérie est cotransmise avec vos propres chromosomes. Et alors même que l’endosymbiose est pas nécessairement liée à la chimérisation, dans certains cas elle est une forme de chimérisation qui a formellement les mêmes propriétés que le transfert de gènes ou même les hybridations dont on parlait plus haut. Elle va remettre dans un organisme des choses qui proviennent de deux provenances évolutives différentes, et la remettre de façon transmissible, héritable

PK: Est-ce que c’est fréquent l’endosymbiose. On a l’exemple des mitochondries, mais c’est une seule fois au cours de l’évolution.

MAS : Chez l’ancêtre de tous les eucaryotes : amibes, champignons, paramécies. C’est un vieux truc. Tous ces gens qui respirent. Est-ce que c’est fréquent? Alors, le monde est vert autour de vous. Vous avez remarqué qu’il suffit de mettre le nez par la fenêtre – ce n’est pas le moment mais pour ceux qui écouteront dans la journée ils pourront regarder dehors- et il y aura de la verdure.

PK : Chez Tupe il n’y a pas beaucoup de plantes, on peut le dire.

MAS: Non mais il y a des fleurs en plastiques…

PK : Donc il y a des plantes vertes, on est d’accord.

MAS : Et ce qui est vert, c’est la partie de la cellule ou il y a la chlorophylle qui capte l’énergie de la lumière et qui permet de fabriquer du sucre. C’est ce qui permet aux plantes de se nourrir à partir du gaz carbonique, de l’énergie de l’air et de faire du sucre. Ça c’est plus ou moins connu. On a tous plus ou moins vu ça au lycée. La partie de la cellule ou ça se réalise et où se trouve la chlorophylle ça s’appelle le plaste. Eh bien, ce plaste – rebelote- et là c’est encore Lynn Margulis en 1968 qui va encore enfoncer le clou, c’est une ancienne bactérie. C’est une ancienne bactérie qui est rentrée dans les ancêtres des plantes et des algues. Et cette bactérie est capable de faire la photosynthèse. On le sait parce qu’il y a des gènes, de l’ADN dans les plastes, et qu’il y a plein d’arguments structuraux. Et on connait aujourd’hui des bactéries qui vivent dans la nature, ça s’appelle des cyanobactéries, mais peu importe le terme technique. Il y en a sur les façades des immeubles. Vous n’avez pas à aller très loin. Si vous avez une façade pisseuse, si vous regardez par la fenêtre et que vous ne voyez pas que le monde est vert mais que la façade en face est pisseuse et noirâtre, et bien c’est des cyanobactéries qui sont en train de faire de la photosynthèse. Ce n’est plus les pots d’échappements qui font du noir sur les façades de nos jours.

PK : Ah oui?

MAS : On vit dans un monde plus propre quand même…. Et donc ce sont des bactéries très communes, qui font exactement ce que font les plastes. Donc on a plein de raison de penser que quand les plantes ont acquis la capacité de faire la photosynthèse c’est juste qu’elles ont piqué une bactérie. Et comme cette bactérie est transmise, là encore, de génération en génération, et bien en fait les ancêtres des plantes se sont approprié les gènes, ou en tout cas, on fait un consortium unissant les gènes de bactéries aux leurs propres. Et c’est pourquoi le monde est vert.

PK : Et c’est arrivé qu’une fois cette endosymbiose entre bactérie et plantes ?

MAS : Alors là c’est un capharnaüm. Déjà c’est arrivé une fois entre les cyanobactéries et les ancêtres des plantes, mais ça a aussi été perdu une fois. Et aussi, des fois, des cellules d’algues qui contenaient une de ces bactéries, se sont mises à entrer dans une autre cellule qui s’est mis à obtenir la photosynthèse, en quelque sorte, d’occasion. En récupérant des cyanobactéries qui avaient déjà servi dans une autre lignée. Et ça, ça a donné les algues brunes comme le fucus ou les algues noirâtres que l’on trouve sur les plateaux de fruit de mer au restaurant.

PK : Donc ce ne sont pas vraiment des plantes vertes.

MAS : Cette symbiose elle a été récupérée plusieurs fois dans l’évolution par d’autres lignées. Et dans certaines lignées elle a été quelque fois perdue aussi. Donc là c’est une histoire un peu plus complexe. Mais il y a plein d’autres endosymbioses. Les insectes par exemple. Il y a des multitudes d’espèces d’insecte et ça vient du fait qu’ils sont capables de manger n’importe quoi. Il y en a qui mangent du cuir, il y en a qui mangent une seule espèce de plantes, hyper toxique pour tout le monde. Et assez souvent ce sont des spécialisations qui s’accompagnent de l’ingestion de molécules toxiques qui font qu’il n’y pas grand monde qui peut consommer ces plantes ou ces choses-là. Par exemple certains insectes consomment du tabac. La nicotine ce n’est pas bon. Je ne sais pas s’il y a des fumeurs parmi vous, mais vous devez le savoir. Et ils tolèrent la nicotine car ils ont des bactéries qui détoxifient la nicotine.

PK : D’accord. Donc la nicotine c’est une défense de la plante contre des parasites de type insecte.

MAS : Oui et qui a été contourné par des insectes grâce à des bactéries qui détoxifient ça. D’autres insectes ont des régimes alimentaires absolument insupportables, ou il manque de la vitamine, où il manque des choses. Par exemple, la mouche Tsé Tsé qui boit du sang, il lui manque des choses. Ce n’est pas une alimentation complète. Eh bien, elle a des bactéries qui synthétisent les vitamines manquantes. Donc chez les insectes il y a eu beaucoup d’instants de symbiose qui se sont mis en place qui les ont aidés à coloniser les niches écologiques variées. En fait derrière toutes ces exemples, il faut bien voir qu’à chaque fois ça a permis à des organismes d’occuper et de gagner des fonctions écologiques nouvelles. Et on retombe sur les transferts horizontaux de gènes, tout à l’heure. Cette acquisition de gènes va correspondre à l’émergence de capacités nouvelles, d’écologies nouvelles. Des fois ça ne correspond a rien, ça loupe complètement et il n y a pas de descendants.

PK : Encore une fois, on voit, du haut du charnier, ce qui a marché mais il y a nécessairement des cas d’endosymbiose qui n’ont pas marché.

MAS : Il y a des sacrés survivants aussi.

PK : D’accord. Et l’endosymbiose ça implique systématiquement des eucaryotes et des bactéries, ou est-ce qu’il y a d’autres choses qui se font dans l’endosymbiose?

Alan : Gros Mot : Les eucaryotes. Donc, ce sont les cellules qui ont un noyau, nos cellules à nous autres.

PK: Bon tu l’as dit 3 fois déjà…

Alan : Mais, je l’ai dit il y a une heure.

MAS : Ce n’est pas parce que l’on dit les gros mots plusieurs fois que l’on est excusé.

PK : Pardon, Pardon.

MAS : Le monde est divisé en deux gros groupes par l’homme. Ceux qui ont leur ADN directement dans la cellule : les bactéries au sens large. Ça concerne les archées et les eubactéries. Et puis ceux qui ont des chromosomes- pour le coup ils ont des chromosomes multiples souvent – emballés dans une partie de la cellule qu’on appelle le noyau. C’est nous, les champignons, les paramécies, les amibes, toutes les plantes, toutes les algues. Et ceux-là ils ont des cellules qui ont la capacité de pouvoir absorber des parties du milieu pour les digérer à l’intérieur. C’est un phénomène que vous connaissez peut-être, parce que c’est un gros mot que vous avez peut être déjà utilisé : elles font de la phagocytose. C’est à dire qu’elles font une sorte de creux dans leur membrane et dans ce creux, il y a quelque chose qui vient se placer. Ça peut être une cellule, un bout d’aliment. Puis, ce puît s’approfondit, s’isole de la membrane et ça fait une “bulle de milieu extérieur” qui topologiquement se retrouve dans la cellule.

PK: Phagocytose ça vient de “Phago” qui veut dire manger et “cyto” la cellule. On voit bien que c’est la manière dont les cellules se nourrissent. On anthropomorphise encore une fois.

MAS : Mais oui, mais elles se nourrissent comme ça pour beaucoup d’entre elles. Nos globules blancs absorbent des bactéries pour les faire exploser. Sauf que des fois c’est les bactéries qui les font exploser et ça se passe mal. Ça, ça affecte les eucaryotes : ils arrivent souvent à absorber une bactérie. Revenons dans l’évolution : si elle est là-dedans c’est que souvent, elle s’est fait bouffer. Parfois non. Et donc si jamais elle a réussi à se multiplier en captivité si j’ose dire, on en a eu assez pour transmettre aux cellules de la descendance et des fois ça a mis en place des coexistences stables et éventuellement avantageuses. Les bactéries dont on parlait qui sont le reste du monde vivant, elles, n’ont pas la capacité d’ingérer des cellules ou très marginalement, dans des groupes tordus et elle ne le font pas en grandeur suffisante. Elles n’ont pas la capacité de mettre à l’intérieur d’elle-même des morceaux du monde environnant. Du coup, chez les bactéries, les symbioses sont plutôt des symbioses du genre french kiss, c’est à dire que deux espèces de bactéries sont très proches et s’interdigitent très étroitement pour échanger des métabolites. Mais c’est plus le french kiss que l’intégration.

PK : Donc ce n’est pas vraiment de l’endosymbiose. Venons-en aux virus. Peut-on considérer que ce sont des endosymbioses s’ils sont stabilisés et qu’ils apportent quelque chose ? Comme par exemple le virus qui permettait d’avoir le placenta des mammifères. Est-ce que l’on peut considérer que c’est une endosymbiose?

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MAS : Oui Oui. Par symbiose on entend souvent q la relation entre deux espèces. Des gens vont venir vous chagriner en disant ” Ah oui mais les virus, il n y a pas vraiment d’espèces”. C’est super emmerdant comme commentaire, donc on va faire comme si on n’avait pas entendu. Mais il est vrai effectivement que certain virus peuvent aider par leur présence dans le génome. On a parlé tout à l’heure d’un reste de virus qui finalement était assez utile dans notre génome à nous, homme. C’est ce reste de virus qui codait pour la syncytine, la protéine qui nous aide à faire un placenta. Il y a aussi des symbioses avec des virus. Il y en a plein et je vais vous en citer un qui est très très connu par les gens qui font de la viticulture enfin, plutôt ceux qui font de la vinification. C’est le phénotype killer chez les levures. En fait, il y a des levures qui sont capable de tuer les autres en sécrétant des toxines. Et donc quand vous vous introduisez des levures qui sont techniquement favorables à faire du vin, qui ont des capacités aromatiques intéressantes, qui vont vraiment faire beaucoup d’alcool parce que vous voulez avoir un vin 14 et qui ne vont pas mettre des sales gouts. Quand vous inoculez une souche dans votre cuve il faut qu’elle soit “Killer” parce que si jamais dans la cuve il y a une souche venue du milieu externe qui soit killer, elle va se faire tuer. Et le phénotype killer, pardon, la “capacité de tuer”, c’est quelque chose qui vient d’un virus qui vit dans le cytoplasme de ces souches de levures. En fait il y a même deux virus. Il y en a un qui synthétise la molécule qui tue, et un autre qui synthétise le système qui fait que la cellule qui produit ça n’est pas tuée.

PK : D’accord. Des défenses.

MAS : D’ailleurs il y a des levures qui ne sont pas tueuses mais qui ne sont pas tuables, parce qu’elles ont l’autre virus: celui qui empêche d’être sensible aux toxines. Ce système est très commun chez tout un tas de paramécies ou même de champignons et c’est un exemple ou effectivement on peut dire que c’est avantageux pour la cellule qui porte ces petits virus là en termes de compétition interspécifique, pour faire la lutte à ses congénères.

PK : Alors, on a l’impression qu’il y a quelque chose de commun entre ces virus, ces bactéries de ces fameux eucaryotes, ces organismes avec un génome dans le noyau. Est-ce qu’il y a des mécanismes communs à l’origine de l’endosymbiose. On imagine que des interactions entre espèces sont nécessaires pour réaliser des endosymbioses, comme le commensalisme c’est à dire le fait de manger ensemble, le parasitisme…La symbiose en soi, pas à l’intérieur. Est-ce qu’il y a un type d’interactions qui est plus efficace que d’autre pour établir des endosymbioses?

MAS : Alors il y a une première réponse à ça qui est la même réponse que pour le transfert de gènes. De toute façon, ça ne va pas apparaitre entre deux choses qui ne sont pas au voisinage les unes des autres. Ça ne peut pas : il faut être voisin. Et c’est pareil que pour les transferts de gènes. On ne reçoit pas forcement des gènes de ses proches parents mais on ne peut recevoir des gènes que de ceux qui sont dans le coin. Donc il faut partager, peu ou prou, la niche écologique. Ça, dans le monde microbien, c’est assez commun. Si vous regardez vos ongles – regardez bien-, il y a déjà une soixantaine d’espèces qui sont en train de coexister.

PK: MAS l’a dit en grattant la table de Tupe, on peut déjà multiplier ça par 10.

MAS : La table, je pense que c’est encore plus riche parce que l’on vient de manger.

PK : C’est une petit pique…

MAS : La question c’est :”Quand vous avez deux organismes qui sont en symbiose, qu’est-ce qu’ils faisaient avant?” Leurs ancêtres, avant d’établir la relation dans laquelle ils existent- on a proposé de réduire ça à des ressorts de bénéfice mutuel – qu’est-ce qu’ils faisaient? Et c’est très varié. Par exemple, j’ai dit tout à l’heure que les plantes interagissaient avec des champignons qui s’associaient à leur racine et qui en échange d’un peu de sucre donné par les plantes à ces champignons, nourrissaient les plantes. Il y a plein de champignons qui sont en symbiose. Je donne quelques noms : les cèpes, les girolles, les truffes, les amanites, tous les bolets. Ces champignons qui vivent en forêt se nourrissent dans le sol sur des racines. Que faisaient leurs ancêtres? Maintenant qu’on a les arbres évolutifs, on s’aperçoit que ces champignons sont apparus à plusieurs reprises dans l’évolution. Plusieurs fois dans l’évolution des champignons ils sont devenus associés aux racines des plantes. Et bien les ancêtres de ces gens-là, quand on reconstitue les arbres ancestraux, on voit qu’ils apparaissent dans des groupes bourrés de champignons qui font pourrir le bois mort. En fait les ancêtres mangeaient du bois mort. Et donc ils ont dû se rapprocher et un moment, ça a dû évoluer vers une relation plus étroite. Mais ça a dû commencer par juste une proximité.

PK: D’accord. Donc il n’y a pas véritablement de tendance entre les types d’interactions.

MAS : Ça peut venir des maladies aussi. Par exemple, on parlait des mitochondries. Qui sait si ce n’est pas le reste d’une maladie qu’auraient attrapé nos très très très lointains ancêtres?

PK: Plutôt qu’une phagocytose, un parasitisme.

MAS : Et tiens, les plastes, à propos de phagocytose : Comment ça se fait qu’un jour un ancêtre des plantes s’est retrouvé avec des cyanobactéries, c’est à dire ces bactéries libres qui ont données les plastes. A mon avis, le scénario le plus simple, que l’on observe dans la nature actuelle, c’est que c’était une sorte de paramécie ou d’amibe, un truc qui avalait ces bactéries pour les digérer. Et un jour il ne l’a pas digéré – l’histoire commence par une indigestion – et ça a donné une suite évolutive qu’on connait et des cellules qui sont durablement vertes.

PK : Pour ça on a des arguments pour aller de cette hypothèse plutôt qu’une autre ?

MAS : Disons que c’est le scénario le plus probable quand on voit comment interagissent aujourd’hui ces petites bactéries photosynthétiques libres avec d’autres cellules d’eucaryotes. Et donc tout est permis. C’est un gigantesque bricolage, où n’importe quoi finit par arriver, éventuellement à un résultat semblable, qui est une interaction symbiotique.

PK : Ok. On touche un peu du doigt cette question : Comment font les chercheurs pour révéler qu’il y a interaction ? Ah mais il y avait une question avant : S’il y a endosymbiose est-ce qu’il y a une facilitation du transfert horizontal entre ces deux partenaires.

MAS : Là c’est l’histoire dans l’histoire. On a dit que quand on est proche, ça augmente la probabilité de faire passer des gènes. Et bien justement, ça fait longtemps que dans notre génome nucléaire, nos gènes eucaryotes de souche sont au voisinage des mitochondries.

PK: Est-ce que l’on peut dater ça? Il y a combien de temps?

MAS : On ne sait pas très bien quand ça se passe car on a du mal à calculer les divergences génétiques, à faire de la datation par ce que l’on appelle l’horloge moléculaire. On pense que l’origine de la symbiose avec les mitochondries c’est probablement il y a deux milliards d’années. Ce ne serait pas impossible.

PK: D’accord, donc ça fait deux milliards d’années qu’ils se retrouvent.

MAS : Et un tout petit peu plus tard, il y a eu cette autre symbiose chez les plantes, qui elles pour le coup, ont non seulement des mitochondries mais aussi des plastes. Cette symbiose c’est celle avec les bactéries qui faisaient de la photosynthèse, qui ont donné les plastes. Et là encore il y a une très longue coexistence. On découvre aujourd’hui en séquençant et en découvrant l’origine des gènes qui sont présent dans les génomes, dans le noyau pour les génomes eucaryotes, des plantes et des animaux, qu’il y a des gènes de mitochondries et des gènes de plastes qui sont passés dedans.

PK : D’accord, donc il y a des gènes des résultats de l’endosymbiose, c’est à dire de ces bactéries et de plastes qui se sont balladés et qui se sont retrouvés dans le génome de l’hôte, à l’intérieur du noyau, à l’intérieur d’un chromosome. C’est aléatoire c’est ça?

MAS: En fait, on sait aujourd’hui que par suite d’accidents, il y a de l’ADN qui atterrit dans les chromosomes régulièrement. C’est très fréquent. Mais cet ADN ne sert à rien la plupart du temps et il peut être perdu dans la génération suivante. Heureusement parce que sinon notre génome souffrirait d’obésité. Mais parfois, il peut prendre un rôle. Et là revenons sur le fonctionnement de l’évolution: il y a plein de possible et le fait le plus improbable finit par se produire. Là le fait le plus improbable c’est que de l’ADN de mitochondrie ou de plaste arrive dans le noyau et commence à servir à quelque chose. Et ça ça se fait de temps à autre. Aujourd’hui dans le génome d’une plante, 5 à 10 % des gènes sont venus du plaste, sont des gènes qui viennent très anciennement de bactéries photosynthétiques qui vivaient libres dans le milieu. Ça veut dire, en fait, que l’endosymbiose est une double chimérisation. C’est une chimérisation à deux détentes. La première c’est que vous vous appropriez le stock de gêne d’une bactérie, mais ça reste dans la bactérie pour l’instant et vous le transmettez de génération en génération. Vous avez capturé les gènes. Ça, les eucaryotes – on l’a dit- le font bien puisqu’ils peuvent la mettre dans leurs cellules. Mais après cette proximité va permettre des transferts de gènes, en bonne et due forme, dans lesquels les gènes vont se relocaliser dans le noyau de la cellule qui héberge les plastes. Alors, nous, on en a beaucoup moins, un petit pourcent, de notre génome qui viendrait des mitochondries. C’est un peu moins superbe mais on a quand même des gènes dans nos propres chromosomes qui sont des intrus évolutifs, car ils viennent de bactéries.

PK: Si j’ai bien compris comment marche l’évolution, du coup, on peut parier sur tout et on peut imaginer qu’il y a des gènes d’organismes eucaryotes qui passent dans les mitochondries ou dans les plastes. C’est possible ça? C’est à dire l’inverse.

MAS : Il y a un tout petit problème technique. C’est que les mitochondries et les plastes ont une pression de sélection qui s’exerce sur eux. C’est comme ça que j’explique cela. C’est assez controversé. Les papiers que nous avions écrit avec des collègues n’ont pas forcement la côte même ils sont cités. Il y a une forte pression de sélection pour que le génome soit petit, parce que plus il est petit, plus il se multiplie vite. Du coup, il n y a pas de place pour des séquences, des morceaux d’ADN qui n’ont pas de rôle. Alors que dans le noyau, pour une raison que les gens ne comprennent pas très bien, il y a ce que l’on appelle de l’ADN “poubelle”, ce sont des séquences d’ADN qui n’ont pas de rôle. Attention : plutôt, qui n’a pas de fonctions connues. On se doute aujourd’hui qu’une partie de cet ADN poubelle n’est pas si poubelle que ça parce qu’il y a des fonctions très complexes. Bref, il y a de la place dans les chromosomes de notre noyau pour des morceaux d’ADN qui ne servent à rien. Et ça, c’est une salle d’attente pour que certains d’entre eux acquièrent un rôle. Cette salle d’attente n’existe pas dans l’autre sens. Et du coup le transfert ne se font que dans un sens. Mais c’est une bonne question parce que théoriquement la coexistence l’autorisait. Et on voit qu’au-delà de la coexistence il y a des contraintes fonctionnelle qui font que des fois il ne suffit pas d’être ensemble pour échanger les gènes. Il faut certaines propriétés. Le génome eucaryote est paradoxalement le mieux fait pour recueillir des gènes parce qu’il peut stocker transitoirement des trucs qui ne servent à rien. Et ça, ça ouvre la possibilité, qu’à un moment, ça gagne une fonction.

PK : D’accord. Alors bon, là je pense que l’on a fait un peu le tour de tous les mécanismes de chimérisation. Est-ce que l’on va arriver par dire que toutes les espèces sont chimériques? Est-ce qu’il y a des espèces qui sont non-chimériques?

MAS : Il est facile de répondre à cette question par un contre-exemple. Il suffirait d’en montrer une. Je n’en ai pas. J’ai tellement de mécanismes qu’aussi bien pour une bactérie que pour un eucaryote, personne n’est seul. Et personne n’a été seul à tel point que ses ancêtres n’aient gagné des gènes de quelqu’un d’autre.

PK: Tant mieux. Moi je préfère ce point de vue-là.

MAS: Donc moi je n’en connais pas. Peut-être que l’on montrera un jour mais plus on séquence de génome, plus on a de preuves tangibles que tous les mécanismes que l’on a évoqués font que les gènes que l’on a dans un organisme viennent de partout. Ça renforce l’idée que l’on avait tout à l’heure. L’organisme est multiple, parce qu’il est bourré de bactéries. Oui mais si cette organisme est une bactérie est-ce que c’est vrai? Eh bien, il est bourré de gènes d’autres bactéries ou d’autres organismes. Donc, de pleins de façons, a plein d’échelles, nous sommes tous des chimères. Seulement, ça revêt des mécanismes ou des formes différentes.

PK: Oui, il y a quand même des règles à certains moments pour les mécanismes mais de manière générale, on se retrouve systématiquement avec des chimères. Alors, la chimérisation entraine l’émergence de nouveaux gènes, ou est-ce juste un brassage de gènes entre différentes parties du vivant?

MAS: C’est plutôt du brassage. C’est à dire que l’on va remettre ensemble dans une même unité qui fait des descendants des gènes venus de différents endroits. Parfois l’évènement, mais c’est assez anecdotique, qui amène un morceau d’ADN au sein de la cellule va abimer ou casser un gène résident et faire une forme de mutation.

PK: Donc là on peut parler de chimérisation de gène?

MAS : Là le gène obtenu est un peu différent. Je prends un exemple. Dans la salive on a de l’amylase. C’est un enzyme qui détruit l’amidon et nous aide à digérer, l’amidon du pain par exemple. Et dans les peuplades agricoles, on mange beaucoup d’amidon. Le gène qui fait de l’amylase dans la salive ne s’exprime que dans les glandes salivaires grâce à un petit bout de virus qui est venu se fixer tout prêt et ce bout de virus servait à favoriser l’expression des gènes du virus. Donc ce qui provoque l’expression du gène de l’amylase dans les glandes salivaires c’est un bout de gêne de virus. On a un gène qui lui-même est une chimère, et qui a été créé finalement par le mélange de virus et de gène résident. C’est une chimérisation fine. Mais bon c’est peu de chose par rapport au potentiel que l’on a par combinaison de gènes préexistants avec tous ces mécanismes de chimérisation.

PK : D’accord. Donc, beau brassage et éventuellement des nouvelles fonctions. Mais essentiellement du brassage par ces mécanismes de chimérisation. Est-ce que l’évolution par chimérisation n’est pas un peu la réhabilitation du concept d’hérédité des caractères acquis, notamment quand on voit ces acquisitions de mitochondrie par endosymbiose ou ces acquisitions d’un gène après avoir consommé, par transfert horizontal des gènes de bactéries. Est-ce que ça, justement, ça ne va pas dans cette voie la?

MAS : Oui et non. Oui parce que si on prend l’expression à la lettre c’est vrai. C’est des caractères qui ont été acquis par transfert horizontal. Ces caractères étant soit des endosymbiotes, soit des gènes dans le génome receveur. Et ils sont transmis. Donc hérédité des caractères acquis oui! Mais attention.. Si vous allez rouvrir Lamarck ce n’est pas du tout ça dont on parle.

PK: Ah non, je suis bien d’accord.

MAS : Justement, et c’est très important. On a le même mot pour désigner le fait que les organismes, à force d’acquérir par fonctionnement, des propriétés finissent par les transmettre. Vous savez c’est l’expérience qu’avez commandé Lyssenko à ses troupes, qui était aussi censé vérifier ses théories marxistes [sur Lyssenko, voir épisode Podcast Science #103]. A savoir, quand on coupe la queue a une souris à chaque génération, normalement elle doit cesser de faire une queue. L’empreinte du milieu est plus forte que l’empreinte génétique. Cette expérience a marché car ses étudiants, pour avoir la paix, et un avenir professionnel, finissaient par couper les queues des souris dès la naissance mais en vrai de vrai ça ne marche pas. Et l’hérédité des caractères acquis au sens du 19e : non. Par contre il y a bien une autre chose qui montre qu’il n y a pas que les gènes hérités, il y a aussi des choses acquises. Et, entre parenthèses, pour reparler brièvement d’épigénétique, c’est aussi des caractères acquis. Et là, dans le cadre de l’épigénétique dont on parlait tout à l’heure, on a des modifications qui peuvent apparaitre en réponse à l’environnement et parfois peuvent être adaptatives. Une fois de plus, les descendants de gens qui ont eu faim et qui font des réserves dans leurs organismes, sont adaptés à la famine. Pour revenir sur ces caractères épigénétiques, eux ressemblent plus à l’hérédité des caractères génétiques au sens ancien.

PK : Par contre la chimérisation c’est prendre au pied de la lettre l’expression hérédité des caractères acquis.

MAS : Mais attention aux confusions. Cette locution est large.

PK: Quand on parle de chimères et symbiose, on parle souvent du lichen et je pense que justement, c’est un exemple où l’on a l’impression qu’il peut y avoir des confusions. Finalement c’est quoi le lichen?

MAS : Le lichen, c’est très intéressant parce que c’est un des exemples historiques sur lesquels on a pris conscience que parfois derrière une structure il y a deux espèces. C’est vers 1850 que certains auteurs comme Schwendener commencent à dire : ” Ben oui, quand je regarde le lichen au microscope, ça ressemble à un mélange de champignons et de petites cellules d’algues.” Évidemment, au début, ça passe relativement mal. Et puis, finalement, ça finit par passer et d’ailleurs c’est un des exemples sur lequel s’appuie un dénommé de Bary, un auteur allemand, vers 1879, pour écrire un article où il introduit le mot de symbiose pour dire qu’il y a des fois ou des espèces vivent ensemble. Lui, il est dans une définition encore floue. Il ne va pas jusqu’à la définition que l’on a adoptée aujourd’hui, où on a voulu qu’elles vivent ensemble et à bénéfice réciproque. A ce moment-là on va dire “Ok il y a deux espèces” Aujourd’hui le lichen, c’est le nom du champignon. L’algue de son côté a un autre nom. Donc on les distingue maintenant. On a séparé les choses. Du coup, le nom que l’on donnait au Lichen autrefois, c’est celui du champignon et on va donner un autre nom à l’algue. Vous remarquez qu’il y a une convention là, parce qu’on a des mitochondries dans les chats, les rats, les hommes les plantes, les champignons de paris, les cèpes. Et on ne donne pas de nom à ces bactéries. Alors que d’habitude les bactéries qui vivent libres on leur donne des noms. Là on a décidé que c’était trop intégré et que l’on allait considérer ça comme une seule espèce. C’est arbitraire. C’est une décision arbitraire, une convention. Et moi, je ne m’y oppose pas du tout. Je n’ai pas envie que l’on passe notre temps à donner les noms de toutes les plastes. Mais il est certain que l’on touche du doigt le fait qu’il y ait un arbitraire. Des fois, on décide de ne voir plus qu’une espèce. D’autres fois, non. Mais ça, on le décide.

PK: D’accord. Donc le lichen c’est bien l’exemple type où on touche du doigt le fait que c’est véritablement une symbiose. J’imagine que pour la plupart des espèces l’un ne peut pas vivre sans l’autre, c’est un aspect obligatoire. Donc, pour qu’on comprenne bien. Le champignon, il apporte quoi à l’association?

MAS : Dans le lichen? Le champignon apporte de l’eau et des sels minéraux. De toute façon l’algue n’a pas le choix, elle vit empaquetée dedans et n’a plus accès à l’extérieur. Il n’est pas certain qu’elle ne soit pas en prison parfois. Il y a peut-être des lichens où ça ne passe pas si bien. Et il y en a d’autre où elle ne vit pas dehors, donc là il n y a pas photo, c’est clair que c’est bon pour elle qu’il y ait un champignon autour. C’est assez variable selon les cas. Donc le champignon amène de l’eau et des sels minéraux, tout ce qu’il faut pour faire pousser une algue. Et l’algue donne au champignon un certain nombre de ressources carbonées donc des sucres, des choses comme ça.

PK : Dues à la photosynthèse.

MAS : De sa photosynthèse voilà.

PK : Photosynthèse qui est possible parce qu’elle a un plaste.

MAS : Alors en fait, l’algue, dans cette histoire-là elle est déjà double. Non. Elle est même triple puisqu’il y a aussi une mitochondrie dedans. Et le champignon il y a aussi ses mitochondries aussi. Donc dans un lichen, j’ai deux séries de mitochondries, un plaste, l’emballage de l’algue, l’emballage de champignon. Il y a au moins 5 lignées évolutives. Sans compter tous les transferts de gènes. Et puis, de toutes façon, un lichen c’est une pelletée de champignons qui vivent ensemble, c’est bourré de bactéries parce qu’il y a plein de trous et, c’est comme chez nous, les trous sont pleins de bactéries. Et eux ils ne se lavent pas les dents, et ne se brossent pas la peau.

PK : Donc ça reste.

MAS : Il y a du monde

PK: On arrive à la question : Les mécanismes de chimérisation, en quoi ça pose problème pour établir les relations de parentés entre espèces. On vient de toucher du doigt en disant qu’un lichen, au début on disait que c’est l’association de deux espèces. Et finalement c’est une association de cinq espèces. Quelles sont les écueils pour les relations de parentés ?

MAS : Ça veut dire que l’on ne peut pas placer l’homme dans l’arbre évolutif, ou alors il faut le mettre à deux endroits. L’endroit où sont ses mitochondries et l’endroit où il est lui. Et puis, pour revenir à l’autre aspect des chimérisation que sont les transferts de gènes, si vous imaginez que dans votre génome vous avez des gènes qui viennent de partout, c’est quoi votre origine évolutive? On peut réduire le problème en disant : “La plupart des gènes viennent d’un ancêtre duquel ils ont été transmis verticalement et progressivement” On peut le faire, mais tous les autres gènes qui se sont ajoutés et qui définissent comment fonctionne l’organisme, sa niche écologique, ils ont un sens. Et on nie ce sens en réduisant un organisme à l’origine de la majorité de ses gènes. Du coup, là encore, on voit que les arbres évolutifs, quand on les applique aux organismes sont une représentation du vivant qui n’a pas de réalité intrinsèque, puisqu’il n y a pas une origine des gènes qui sont dans l’organisme qui compte. Voire même des cellules qui sont dans l’organisme quand on passe aux mitochondries et aux plastes.

PK: Maintenant on va peut-être pouvoir répondre à l’auditeur. Puisque l’on vient de voir que justement ca posait problème ou est-ce que vous placeriez, vous, le haricot à gène de limace dans l’arbre du vivant.

MAS : Je crois que ça ressemble à un haricot et donc si il montre ce haricot a sa maman ou a sa petite fille de 5 ans, on dira “Boh, c’est un haricot”. Si on suit une définition morphologique de l’espèce, y a pas photo c’est un haricot. Sauf qu’il y a eu un transfert de gènes de plus. On peut raffiner le truc et dire ” Ça ne sert à rien de placer l’origine évolutive ou l’appartenance du haricot». La question c’est l’appartenance de chacun de ses gènes. Et tiens, il y a un gène qui est un gène de limace. Tiens, il y a un gène qui est un gène de cyanobactérie, c’est normal, il doit venir du chloroplaste. Tiens, là il y a un gène qui est vraiment un gène d’eucaryote, il a été acquis de l’ancêtre. En fait, ce qui a vraiment du sens si on veut reconstituer des appartenances, c’est l’appartenance de chaque gène. Après il faut un code pour déterminer l’appartenance de l’organisme. Et si vous décidez que c’est l’appartenance de la majorité des gènes, du moins à un horizon évolutif semi lointain, qui définit les choses, cet arbre évolutif que vous retrouvez pour le plus grand nombre de gêne, vous dite que c’est l’ “Arbre Evolutif”. Et là, je crois que si on rajoute juste un gène, ce sera un haricot.

PK: D’accord. Avec quelques petits gènes de bactéries si on compte les plastes par exemple.

MAS : Enfin, si l’adieu a envie d’appeler ça “limace” je pense que c’est un peu contre-intuitif. En fait, il faut toujours que les usages soit pratiques. C’est la seule contrainte.

PK: Bon alors, on peut quand même envisager que la représentation des arbres phylogénétiques, c’est à dire les arbres ou on voit des séparation en deux branches à chaque nœud, peut devenir obsolète.

MAS : Ou insuffisante. Incomplète. Puisque des fois, effectivement, j’ai un truc que j’appelle une espèce et qui est issu de deux choses qui, un jour, ont existé indépendamment. Moi et mes mitochondries par exemple.

PK: Est-ce qu’il serait utile de substituer une autre représentation. Est-ce que à l’heure actuelle, il y a des études, des recherches qui utilisent d’autres représentations que l’arbre. Ou est-ce que c’est trop difficile pour un esprit humain de faire ça.

MAS: Déjà au niveau de chacun des gènes on peut faire des arbres qui racontent l’histoire évolutive de ces gènes. Et donc on peut faire les arbres de tout le génome et la somme de tous ces arbres c’est l’arbre du génome.

PK : D’accord, ça ne se représente pas trop.

MAS : Au début, on pouvait faire des petits traits parce que l’on ne connaissait que quelques transferts. On prenait le vieil arbre évolutif habituel et on mettait un petit trait entre une bactérie et une branche d’eucaryote par exemple. Mais maintenant qu’on sait qu’il y en a vraiment partout et que c’en est bourré, on ne peut plus faire de représentation. Mais après tout le réel ne se dessine pas. C’est dur de représenter le réel dans toute sa diversité. Et ça va valoir la peine de garder des arbres, au niveau des gènes d’une part. Et puis finalement quand on regarde l’évolution des plantes, ou l’évolution des primates, ou l’évolution des champignons, ça peut être bien d’avoir aussi des arbres parce que la finalement, la portion de transfert horizontaux, à cette échelle, n’est pas si énorme. Et même si elle existe et qu’on ne peut pas la nier et si elle est très importante pour l’évolution de ces espèces, l’essentiel des gènes a la même histoire. Et on peut garder les arbres. Mais il faut garder en tête que ce ne sera qu’une approximation du réel. On retombe sur ce qu’on a dit de l’espèce, de l’organisme, des individus : ce sont des représentations du réel, ce n’est pas le réel.

PK : D’accord. Mais techniquement, dans la recherche, pour l’instant, c’est essentiellement retrouver des arbres.

MAS : Ah, mais ce sont des très bons outils. On a vu que c’était des supers outils pour trouver les transferts horizontaux. C’est sur la base des arbres qu’on a montré qu’il n y a pas d’arbre complet.

PK: Ok. Pour l’instant c’est un outil pratique. C’est pour ce que l’on va l’utiliser mais il n’y a pas de représentation avec des croisements qui permettent vraiment de résoudre quelque chose.

MAS : Enfin c’est pratique. Il y a un arbre évolutif que vous utilisez tous, je pense, c’est l’arbre généalogique. Il montre l’évolution de la population. Bon, on ne va pas le jeter. Ce n’est pas parce qu’éventuellement, ma grand-mère a choppé un gène de virus supplémentaire que je nie ma généalogie.

PK: Alors, justement, on va essayer de comprendre d’où vient cette connaissance incroyable sur les mécanismes d’hybridation etc. Vous, votre travail se focalise essentiellement sur les interactions mycorhisienne. D’où ça vient? Qu’est-ce que ça veut dire? Et est-ce que ça explique votre intérêt pour les chimères.

MAS : Mon travail de recherche n’a rien à voir avec ce dont on vient de parler. Mais mon boulot a quelque chose à voir avec ça puisque j’enseigne ça. Moi je travaille sur des associations qui s’opèrent entre les champignons du sol et des racines de plantes. Il y a plein de champignons différents qui font ça, plein de plantes différentes qui font ça. En fait 90 % des plantes ne se nourrissent pas sans champignons.


Gigaspora margarita (Gloméromycète) sur des racines de lotier



Et pour lesarbres forestiers de nos régions, ces champignons, on les connait bien. Ce sont des girolles, des cèpes, des truffes. Ce sont des champignons que l’on trouve sous les arbres d’ailleurs. Et là il y a une chimère, c’est le mycorhize. D’où ce nom de champignons mycorhisiens. Une partie des filaments des champignons vont rentrer dans une partie des racines des plantes et faire une structure double ou il y a du champignon et de la racine qui, pour le coup, est une chimère. Mais c’est une partie de l’organisme, de part et d’autre qui est chimérique, et c’est là que le champignon récupère du sucre de la plante et donne à la plante des sels minéraux qu’il a extrait du sol. En fait, formellement, ça marche exactement comme un lichen. Sauf que ça n’a pas la même gueule.

PK : D’accord. Ça marche comme un lichen sauf que les algues sont directement photosynthétiques…

MAS : Et le champignon est caché dans le sol.

PK: Vous venez d’évoquer quelque chose qui m’intéresse énormément : la truffe. La truffe, ça fait des interactions mycorhisiennes.

MAS: Oui tout à fait. C’est mal maitrisé la truffe – on ne sait pas produire des truffes -mais une façon d’augmenter ses chances de produire de la truffe c’est de produire des arbres qui ont été inoculés en broyant de la truffe dans le sol de pépinière. Et on a des noisetiers ou des chênes truffiers qui sont vendus dans le commerce. Ce sont des procèdes qui ont été développe par l’INRA qui donne des chênes dits truffiers. Il existe aussi des processus fait “coin de table, bord de table” à la maison, par des trufficulteurs et des pépiniéristes locaux. Et après il y a des protocoles plus balisés pour acheter des plants inoculés. Et ça, quand on le plante chez soi, il y a une petite chance que la truffe survive. Quand elle survit, il y a une petite chance qu’elle se mette à faire la grosse partie charnue qu’on ramasse qui est en fait l’organe ou elle fabrique ses spores. Mais j’ai dit petite chance, parce que l’on ne maitrise pas encore tout. Et même si on a des chemins techniques qui favorisent la venue de la truffe ce n’est pas une domestication totalement maitrisé, loin s’en faut.

PK: Et ça fait partie de votre domaine de recherche. Ce qui explique que quand j’ai regardé un peu votre bibliographie, j’ai vu des articles parus dans ” Le trufficulteur français“. Ça vient de là.

MAS: Oui. D’ailleurs ils sont téléchargeables sur mon site web. Effectivement, j’ai piloté un gros financement de recherche qui a duré 3 ans et demi sur la truffe. Qui a été financé par l’agence nationale de la recherche et qui nous a permis d’explorer un petit peu plus l’écologie de la truffe : son interaction avec les autres microbes du sol, son interaction avec les autres plantes. Et on a notamment montré des choses intéressantes qui est que la truffe est aussi associé, d’une façon que l’on n’a pas su déterminer quant à la nature de l’interaction, avec aussi les racines des plantes herbacés, les petites herbes qui poussent sur les truffières. On a aussi un peu regardé les ressources génétiques, la façon dont elle se structure dans l’espace. Est-ce qu’il y a des génotypes différents entre les différentes régions de production donc potentiellement des terroirs. La réponse est en demi-teinte mais oui, il y a des différences. Est-ce que ces différences sont gommées, estompées, remélangées par les plants inoculés produits en pépinières? Pas trop semblerait-il. Pas trop encore, du moins. Donc on en fait essayer d’utiliser les retombées d’un outil merveilleux. Et on va revenir sur quelque chose qu’on avait évoqué plus haut. Le génome de la truffe a été séquencé en 2010 et c’est en utilisant ce génome qu’on a pu faire tous ces travaux répondant à des question sur la diversité génétique, sur la façon aussi dont sont produites les truffes, dont elles se nourrissent et dont elles interagissent avec les autres plantes parce qu’on avait dans la main la carte d’identité de la truffe pour faire des travaux.

PK : OK. Je vais avoir plein de questions sur la truffe, mais j’ai l’impression que là on…

MAS : Il y a un site web avec plein d’articles sur ça, vous pouvez vous ennuyer longuement sur ce site.

PK : Non moi ça m’ennuie pas, mais on va juste peut être pour savoir s’il n’y avait pas des questions sur tout ce qu’on a dit en amont, sur la chimérisation etc.. Alan, Julie et autres, si vous avez des questions que vous pouvez faire remonter.

Alan : Là on est en train de parler dans la chatroom de cartes d’identités de truffes.

PK : D’accooord.

MAS : Alors la carte d’identité…

Irène : On a pas des questions très sérieuses en fait.

Nico : C’est la vraie couverture de ce magazine, non ?

MAS : Oui oui c’est ça absolument oui oui c’est ça c’est ça.

Nico : Parce que j’ai cherché à avoir la couverture du magnifique magazine…

Alan : … de trufficulteurs français.


Le trufficulteur français



Nico : Je suis tombé sur une couverture “Sexe et Génome des truffes” en plus.

MAS : C’est un magazine professionnel, qui est bien foutu pour le coup car il mélange des activités et des comptes rendus extrêmement professionnels et techniques, à des comptes rendus de chercheurs. Les équipes de ce consortium, qui comprenait des équipes de l’INRA et du CNRS, ont été très actives à publier là-dedans. Donc ruez-vous tous sur le trufficulteur français… La carte d’identité de la truffe c’est quelque chose de très important, aujourd’hui on a des moyens génétiques de repérer la truffe. Quand on a un bout de racines où on ne voit rien, on est capables de savoir non seulement s’il y a de la truffe ou non dessus, mais quel individu est dessus.

PK : D’accord

MAS : Et si c’est cet individu que vous ramassez à l’automne suivant. Est-ce que c’est le même qui est sous les racines de l’arbre ?… Vous commencez alors à voir comment les individus se distribuent dans le sol, où ils sont…

PK : Avec notamment peut être des idées sur les vertus gustatives de chaque individus, je sais pas ?

MAS : Oui mais là les conditions environnementales ont un rôle visiblement très important… supérieur, pour ce qu’on en sait pour l’instant, au génétique pour les aromatiques. Ça a été montré sur une autre truffe, pour le coup, par d’autres équipes de Dijon, sur la truffe de Bourgogne. Où effectivement, on a une diversité génétique corrélée vaguement à la diversité aromatique, mais d’autres facteurs comme la maturité compte plus. En gros, c’est comme si… C’est un peu comme pour les pêchers… Les pêches pas mûres, peu importe si ce sont des pêches d’un pêcher dont les pêches ont bon goût, si elles sont pas mûres elles sont pas bonnes. Et aujourd’hui, vraiment la marge d’affinage, c’est la récolte à maturité et les circuits de commercialisation courts.

PK : Donc il n’y a absolument aucune question, à part sur les truffes. (rires) On aurait dû faire un épisode sur les truffes, c’est bien ça ?

Nico : Bah on les a un peu éparpillées au fur et à mesure.

Julie : Il y avait Méal qui avait une question, mais elle était prévu dans le conducteur donc… je vais te laisser la poser tranquillement. C’était sur l’arbre du vivant, est-ce que c’était obsolète ?… Vous y avez répondu. Il nous signale quand même, il nous dit “dites merci aux deux parleurs de ma part”.

Nico : Moi j’avais quand même une question un peu naïve qui était au tout début et qui avait été un peu éliminée. Vous avez insisté tous les deux, enfin vous étiez assez d’accord sur le côté… la notion d’espèce en fait Darwin il en avait pas besoin en fait etc. pourtant il a quand même mis le mot espèce dans le titre de son bouquin très connu sur le sujet, donc c’est qu’il devait y apporter, y voir une importance quand même…

MAS : Oui, mais son livre, c’est De l’origine des espèces

Nico : Ouais.

MAS : et donc ce qui l’intéresse c’est comment apparait la variabilité. C’est l’espèce en tant que devenir. C’est cet espèce de point fuyant qui quand on l’arrête à un moment on voit plein d’espèces, mais quand on regarde au moment suivant, certaines ont disparu, d’autres ont fusionné, d’autres sont devenu deux espèces différentes… C’est cette fuyance, ce devenir, qui l’intéressait. Il n’a jamais vraiment parlé de l’essence de l’espèce à ma connaissance. Si ma mémoire est bonne, sur l’ensemble de De l’origine, il n’en parle pas. C’est un peu comme les petites roues sur le vélo : on a tous commencé avec des petites roues sur les côtés, mais le but, c’est juste un truc qui aide à comprendre et c’est comme toutes les catégories que crée l’homme pour percevoir le réel, dans toutes les sciences… Ce sont des façons de saisir le réel, hein, mais ce n’est pas le réel.

PK : Oui… Dans le contexte, il faut aussi s’imaginer que la notion d’espèce elle était déjà présente et complètement établie au moment où Darwin publiait son opus.

MAS : Sur la base morphologique, c’est la première définition qu’on en a donné.

PK : Et l’explication finalement que visait Darwin, c’est de montrer quel est le mécanisme en s’appuyant notamment sur le comportement des populations et des individus et essentiellement des populations à vrai dire.

MAS : Alors est-ce que le fait qu’on ait mal répondu à une des premières questions veut dire qu’il faut qu’on recommence l’émission ? On a le temps, là…. (rires)

PK : 22h40… tranquille… Il nous reste 4 heures, c’est ça ?

MAS : Moi j’ai rien avant 8h, j’ai cours à 8h.

Nico : Je sais pas si j’ai assez de place sur le disque dur, il faudra peut être changer dans 8h.

PK : J’ai cours à 8h30, je vais pas pouvoir faire ça. Alors… heu… Observation anecdotique : moi j’ai l’impression que dans les restaurants, on donne plus de truffes. Est-ce qu’il y a eu des avancés dans la trufficulture récente qui explique qu’on en voit un peu partout ?

MAS : Moui… Non, parce qu’on enraye que vaguement une chute de la production qui a commencé au début du XXème. On produisait 1000 tonnes par an et maintenant on est entre 40 et 100 tonnes par an, en France. Cette chute de la production, d’ailleurs, il y a des résultats des travaux de recherches de l’équipe que j’animais à l’époque à Montpellier, qui l’illustrent bien… qui permettent de la comprendre. La truffe en fait elle se développe dans des forêts perturbées. Au début du siècle, il y avait des tas de forêts où les gens allaient couper du bois, où il y avait des vaches en train de pacager. Avec la déprise agricole et l’exode rural, on a des endroits où la forêt revient et une forêt qui n’est plus perturbée. C’est un des facteurs.

PK : Qu’est-ce qui fait que la forêt perturbée permet le développement de la truffe ?

MAS : Et bah en fait, quand on perturbe la forêt, les autres champignons associés aux racines des arbres ont l’air de pas trop aimer. Mais la truffe elle, en opportuniste, ça ça lui va. Et c’est ce sacré opportuniste que l’on a sur nos tables. Le problème c’est que la production augmente pas trop. Elle augmente sans doute un petit peu par des plantations assez intensives en Espagne et en Italie, mais ce qui se passe surtout, c’est qu’on a fait des progrès dans l’imitation d’arômes de truffe.

PK : Aaaaah.

MAS : La plupart des huiles de truffes sont faites avec des diméthylsulfides et autres octénoles, des molécules assez faciles à faire, qui donnent un arôme pas désagréable, mais un bouquet moins riche que celui de la truffe et surtout.. Alors ça c’est un luxe que l’on a eu en travaillant avec des trufficulteurs et que tout le monde n’a pas : on a mangé plusieurs truffes par repas…

PK : D’accord.

MAS : Et bah c’est comme des fruits sauvages. Quand on cueille des myrtilles, les myrtilles du pied voisin ont pas le même goût et bah les truffes ont un goût extrêmement variable et incroyablement plus subtil que ces huiles truffées. Elles ne sont pas mauvaises, mais leur nom les fait vendre parfois un peu cher.

PK : D’accord je savais bien que je me faisais avoir quelque part.

MAS : Carrément trop cher même.

PK : Ok, donc mes pizzas à la truffe, n’importe nawak…

Nico : et puis le fait que tu aies plus de truffes au restaurant c’est peut être juste que tu t’es embourgeoisé un peu non ?

MAS : Ah oui, ça …

(rires)

PK: Alors on va passer donc… Juste en terme de parenté, les truffes c’est plus proche de quoi finalement parmi les champignons? On parlait de bolets…

MAS: des Morilles.

PK : Des Morilles. D’accord

MAS Ou de la pourriture blanche de la vigne.

PK : C’est moins sympa

(Rires)

MAS : Qui n’a rien à voir. Mais c’est assez distant des cèpes et des girolles, même si dans la vie ça fait la même chose c’est à dire des associations avec les racines des arbres. Comme les girolles…

PK : Alors on va en venir peut être à faire des éloges de votre activité parce que ce que j’ai remarqué lorsque je vous ai vu pour la première fois présenter vos observations à la AFPSVT, c’est à dire la Association Française pour la formation des professeurs de Science et vie de la terre.

MAS: Des formateurs. C’est les gens qui préparent les étudiants passant le CAPES ou l’agrégation

PK : Je ne sais pas comment je me suis retrouvé là, mais en tout cas j’étais véritablement passionné et je vois que vous avez énormément d’initiative de vulgarisation et je me demandais ce qui vous pousse à les réaliser: à venir ici pour parler pendant je ne sais pas combien de temps avec de parfaits inconnus.

MAS: Les mauvaises langues diront que c’est un défaut, celui d’être bavard c’est tout. Mais plus sérieusement, je crois vraiment qu’aujourd’hui on a besoin de vulgariser la science. Ce n’est pas à ceux qui sont autour de cette table que je vais l’expliquer. Je crois que c’est important de mettre ça à la disposition des gens. Je crois aussi que c’est important de former les enseignants. Et moi, je suis vraiment très actif, aussi bien dans des préparations à l’agrégation. Je m’occupe beaucoup des étudiants qui préparent l’agrégation à Paris XI par exemple. Ou de ceux qui préparent le Capes à Paris VII. J’interviens beaucoup dans ces formations. J’interviens dans la formation continue, parce que le muséum d’histoire naturelle a des actions de formation continue pour les enseignant du secondaire, pour essayer de faire que les nouveaux programmes – et d’ailleurs pour ces nouveaux programmes, j’ai fait partie de ceux qui ont essayé de pousser des nouvelles idées. Plus d’écologie. Plus évolution. Plus de connaissance qui permettent de saisir le quotidien. Qu’est-ce que c’est qu’une plante cultivée ? Comment pousse le maïs? On a essayé de revenir sur ces choses quotidiennes. Mais au-delà, pour faire en sorte que ces nouveaux programmes ne soient pas des vœux pieux, on a besoin de former les enseignants. Donc c’est deux directions : mettre à la disposition du public des connaissances nouvelles, et former des enseignants- c’est former les jeunes finalement, on touche au fond. C’est vraiment des choses auxquelles je crois fondamentalement. Je pense qu’une connaissance qui n’est pas diffusée ne sert à rien. Mais ce dont je prends conscience aussi quand je vois les processus décisionnaires, les prises de décisions politiques, c’est qu’en réalité, il y a un autre mur. On pourrait l’appeler le mur de L’ENA. C’est le fait que finalement la prise de décision est faite par des gens qui sont finalement très très loin du bruit et des gesticulations qu’on peut entretenir quand on fait de la vulgarisation ou même de l’enseignement dans le secondaire. Et le facteur limitant est peut-être un tout petit peu au-delà de la vulgarisation aujourd’hui pour qu’une société qui se pose des questions pour son avenir prenne vraiment en main les opportunités qu’une meilleure connaissance de la biologie pourrait lui donner, pour affronter des défis mieux que les voisins. En fait, derrière tout ce qui se cache-t-il y a des outils potentiels pour gérer demain, mieux que d’autres ne le gère actuellement. Améliorer le blé, améliorer le maïs. Oui, on peut peut-être améliorer encore de 10% les rendements. Mais quelles peuvent être les conséquences de gérer mieux la sexualité des bactéries dans la gestion de l’environnement ou dans les gestions des fosses septiques – désolé- ou dans la fabrication du pinard. Il y a la beaucoup de conneries à faire, qui sans doute, ne serviront a rien et des marges pour trouver des choses qui permettront d’améliorer de 90 % les choses. Et je crois vraiment que mettre les outils sur la table c’est important et qu’aujourd’hui on est un peu brimé au niveau de la prise de décision parce que l’on a plus d’outils pour des lendemains florissants que de volontés politique de les prendre en main. Pour justement explorer des pistes nouvelles.

PK : Est-ce que ça, ça vient d’un état des lieux un peu pessimiste de l’état des connaissances, ou de l’état de la transmission des connaissances auprès des formateurs, des professeurs.

MAS : J’ai dit tout à l’heure que sans formation des enseignants, les programmes seraient des vœux pieux. Il y a un dieu pour le coup, il y a des dieux pour le coup qui écoutent ces vœux. Les enseignants se forment beaucoup par eux même. Et en biologie où ils sont confrontés à des programmes qui évoluent parce que la biologie évolue très très près du quotidien, de la médecine, de l’alimentation. Donc les programmes évoluent beaucoup et les enseignants font des efforts énormes et les font seul, parce qu’il n’y a pas d’argent, ou très peu, pour la formation continue. Dans les actions de formation continue, on ne touche sans doute pas plus de 10 % des enseignants. Parce qu’il n y a pas assez d’argent pour les mettre tous un jour en formation. Donc il faut un travail énorme et c’est vrai que l’on aurait envie qu’il soit plus soutenu. Après on voit bien les contraintes budgétaires. Là où ça a pris un tour ces derniers temps, un peu inquiétant c’est dans les reformes actuelles de la formation des maitres ou le présent gouvernement a finalement des politiques de recrutement au niveau du M1 donc de l’ancienne maitrise, plutôt que du M2. Un an plus jeune, donc un an de formation en moins et où les programmes de formations sont complètement, je ne vais pas dire le mot- pas sérieux. En gros on demande au concours la maitrise, d’une part, seulement de l’ensemble des programmes du secondaire actuel. Pour une science qui va évoluer comme la biologie c’est ne pas être prêt pour les changements, alors qu’il y a 50 ans de carrière devant, ou plus. Et deuxièmement, où on demande énormément de théorie autour de la pédagogie et de la didactique qui occupe de l’espace mémoire dans l’étudiant. Mais c’est de l’espace mémoire occupé par de la théorie parce que ce n’est pas accompagné d’une pratique. Et c’est inquiétant car aujourd’hui on est en train de recruter des enseignants qui n’ont plus le niveau de formation des enseignants d’hier, et ça c’est vrai dans toutes les matières mais en particulier dans les matières scientifiques. Alors même que les défis technologiques auquel sera confronté le citoyen. Reprenons-le ! Dans son assiette, dans les piqures, les médicaments qu’il recevra. Dans les processus de contraceptions qu’il utilisera. Ils sont de plus en plus techniques et technologiques. Et ça c’est quelque chose qui s’est passé à l’insu du citoyen. Par exemple, et je terminerai sur ce point, on ne va pas y passer des heures, aujourd’hui dans le concours de recrutement des enseignants du primaire, il n’y a plus de science. L’épreuve a disparu parce qu’en moyenne la note n’était pas bonne. C’est un peu la politique de l’autruche, c’est de l’argent dépensé pour rien. Ok, mais en même temps ça veut dire que le premier bain scolaire des éleves sera un bain scolaire réalisé par des gens qui n’ont pas une forte sensibilité scientifique et technologique. Voilà, donc tout ça peut encore changer, mais voilà, je crois beaucoup à l’importance des informations que la science génère.je suis parfois inquiet pour sa transmission mais j’en ai fait mon quotidien.

PK: D’accord, donc la si je comprends c’est quand même un engagement très citoyen, cet intérêt pour la vulgarisation scientifique.

MAS: Ça n’améliore pas ma carrière de scientifique c’est sûr. (Rires) Ce n’est pas des heures passées à enseigner ou à parler au micro qui améliorent ma production scientifique.

PK : Je pense qu’elle est déjà assez impressionnante en l’état. Je pense que l’on va finir sur des questions des auditeurs, s’il y en a encore. S’ils sont encore vivants, je ne sais pas.

Alan : Les auditeurs sont toujours-là, il n y a pas de soucis. Mais c’était super clair. Je crois qu’il n y a pas beaucoup de question. Je m’attendais à devoir vous couper régulièrement sur les gros mots.

PK : C’est pour ça ! Tu t’ennuyais tout à l’heure quand tu m’as dit “eucaryote” ?

Alan : Oui, il fallait absolument que je trouve un sens à ma présence ici. Vraiment c’était hyper clair.

Robin : C’est clair et les gens ont plutôt réagi, été étonné. Ils ont bien retenu, je pense, le message principal qui est que l’on est plusieurs en fait.

Alan: Nous sommes tous des chimères OGM croisées avec des Néandertaliens, on a bien compris.

Irène: Moi, j’ai trouvé ça super intéressant. Ça me fait penser a quelque chose qui est vraiment très diffèrent, à une question un peu dans le même genre, mais qui reste différente. La notion d’individu est intéressante quand on se rend compte que la plupart de nos cellules, au cours de la vie, meurent et sont régénérées. Par exemple notre foie, il n’est pas le même. Le foie que l’on a quand on est n’est plus le même que quand on meurt, ou même en tant qu’adulte les cellules meurent donc la notion d’individu est différente. C’est très différent mais c’est aussi intéressant.

MAS : Au niveau moléculaire, la personne qui dit “Je” maintenant c’est plus du tout, ou plus beaucoup, la même que celle qui disait “Je” il y a- je ne connais pas votre âge – mais il y a 10 ans on va dire.

(Rires)

Irène: C’est gentil

MAS : Moi qui en ai 45, quand je dis Je, c’est plus du tout les mêmes molécules que celles qui ont dit “Je”. Et ça c’est vraiment intéressant, parce que c’est la même information par contre, c’est la même identité. Bon, j’ai un peu modifié ça. Et ça c’est un grand point de la biologie, c’est que la structure et l’information sont deux choses différentes. L’information génétique est une chose, la matière, un autre et l’information culturelle aussi. C’est bien d’identifier les deux. En tout cas, il faut que je remercie ceux qui ont vraiment suivi jusqu’au bout.

Tupe: Il y en a pas mal et il y en a même eu de plus en plus dans le chatroom, j’ai l’impression. Et on a donc Méal – je ne sais jamais comment on prononce son nom. C’est lui qui avait posé la question qui donc résume en disant : “Très clair et mené de main de maitre.” Et en citant un truc qu’a dit Pierre: “Je ne suis pas un expert en évolution”. Ce qui a bien marqué la Chat room aussi. Il est venu nous faire plusieurs épisodes sur l’évolution, donc ça fait rire. Tout le monde à bien compris je crois.

PK: Ok. Donc si il n y a pas de question, moi j’avais juste une chose parce que c’est quelque chose qui revient souvent sur podcast science. C’est des conseils de lecture ou de visionnage. Est-ce que vous avez des livres que vous conseillez? Vous avez le droit de citer les vôtres.

MAS : Alors, sur le sexe et l’évolution… moi j’avais écrit un chapitre, mais il y a plein d’autres chapitres qui valent la peine, il y a eu « origines du sexe » sous la direction de Pierre Henry Bouillon, aux éditions Fayard, je crois. Sur la symbiose, j’ai écrit un bouquin. C’est un bouquin de cours. C’est paru en 2000 chez Vuibert, mais les dernières éditions on a mis à jour des choses. J’ai un site web qu’on trouve facilement en tapant mon nom et muséum d’histoire naturel : Isyeb : I. S. Y. E. B. : Institut de systématique et évolution de la biologie. C’est le site web du labo et si on cherche un peu il y a toutes les listes des publications scientifiques. Alors là, ce n’est pas à mettre dans toutes les mains. Et puis toutes les listes de publications de vulgarisation et il y a des PDF en général au bout. Et donc il est possible d’aller bouquiner des compléments la dessus. D’ailleurs sur la chimérisation, sur tous les mécanismes qui font des chimères, il y avait quelque chose qui était paru dans “Pour la Science” en février 2011 qui s’appelait “L’évolution par fusion”. On pourrait dire par chimère à la suite de cette émission. Sinon sur l’évolution, moi j’aime bien – il y a pas trop de symbiose dedans – le bouquin de Patrice David et Sarah Samadi. Il est bien.

PK: Je ne le connais pas celui-là.

MAS : C’est un peu narratif, ça se lit bien. Des pistes biblio dans quels domaines encore?

Tupe: C’est “La théorie de l’évolution, une logique pour la biologie” par hasard? Patrice David et Sarah Samadi.

MAS: Tout à fait, bien trouvé.

PK : C’est pratique.

MAS. Il y a un bouquin plus compliqué qui est paru chez De Boeck C’est un gros bouquin C’est “L’évolution biologique ” je crois. Moi, j’ai participé à un chapitre justement sur l’évolution et symbiose. Ça c’est plus costaud mais alors si vous voulez vraiment mettre les doigts dans le cambouis de l’histoire: “L’évolution biologique” chez De Boeck. C’est un ouvrage collectif, dont on est en train e faire la deuxième Edition et la, notamment, il y a des choses sur évolution et interaction et notamment le chapitre qu’on a écrit avec quelques collègues sur l’évolution et interaction parasitaires et mutualistes. Voilà. Aujourd’hui sur internet, en tapant les mots clé de tout ce que l’on a dit, on trouve quand même beaucoup de choses.

Robin : Justement tu avais noté d’autres liens, plus “blog” Pierre?

PK : Oui, ça je pensais le mettre dans le dossier justement ou la retranscription. Ça c’est des choses dont nous avons discutés et j’avais mis ça sur l’annonce de cette émission. Notamment Alan avait déjà fait un dossier sur l’ADN mitochondrial on retrouve cette thématique dans un billet de science étonnante et muséum du havre. Mais, sinon, moi j’avais fait des dossiers sur l’arbre du vivant, qui finalement, est une représentation très très…

MAS : … Pratique mais qui a ses limites

PK: J’ai fait trois épisodes dessus quand même.

MAS : Non mais il y a quelque chose derrière.

PK : Bien sûr

MAS : Seulement ce n’est pas tout le réel, c’est une partie du réel.

PK : J’imagine, sinon je serai au chômage déjà. Et ce dossier aussi, où je parlais de la question de l’évolution : L’évolution est elle une science, où au final on parlait beaucoup plus du mécanisme de l’évolution qu’on associe essentiellement à la sélection naturelle mais qui en fait n’est pas que ça.

MAS : Alors, sur les microbes, j’y pense, puisque je suis convoqué soit comme acteur de certaines séquences ou comme directeur scientifique, j’ai eu la chance de participer à un projet d’Arte. Il Faut guetter, il va y avoir plusieurs documentaires sur les microbes, notamment les microbes du sol. Et il y en a un qui est en cours de montage sur comment les bactéries dominent le monde, qui raconte des choses liées à la symbiose naturellement. Il est en cours de montage par Vincent Gaullier, et c’est pas mal foutu je trouve.

PK : Super, donc ça, ça passera sur Arte dans un futur proche, pas très proche?

MAS : Sous un an. Et ensuite ça tournera dans les festivals du film scientifique, auquel j’exhorte tous les auditeurs à aller, parce qu’il y a vraiment des choses extraordinaires. Moi j’ai découvert des choses fabuleuses.

PK : Paris Science c’est ça?

MAS : Paris Science c’est à Paris, mais là je vais présenter un film sur les champignons qui s’appelle “Super Fungi” à Oullins, le 23. C’est un festival de film scientifique aussi, le 23 novembre.

PK : D’accord.

MAS : D’ailleurs s’il y a des gens qui veulent venir ils sont les bienvenus. Il y a vraiment des gens qui font des documentaires et qui sont capable de rendre vivante la science par l’image qui, moi, me sidère.

PK : Et pourtant, c’est un challenge de le faire sur ces thématique-là. Mais on se débrouille pas mal en France, notamment avec le documentaire assez connu “Espèce d’espèce” qui nous a permis d’appréhender de manière assez originale et unique la thématique des relations et de l’arbre du vivant

MAS : Il semblerait que quand l’État a les moyens de mettre de l’argent quelque part ça peut soutenir le développement culturel.

PK : Je pense qu’il y a aussi des passionnés.

Robin : Alan tu reprends la parole?

Alan : Oui, je me demandais juste, Marc André si on pouvait vous retrouver sur Twitter ou sur les réseaux sociaux

(Rires)

MAS : Non, mais je peux vous donner les coordonnes de ma compagne si vous voulez. Je ne suis pas branché du tout. Je réponds au mail à toute heure mais c’est tout ce que je fais. Ce n’est pas une raison, pour m’envoyer trop de mail non plus. Je suis désolé mais je n’ai rien à vous proposer.

Alan: Ok

MAS : Mais je suis content que vous m’ayez donné l’occasion d’y accéder peu ou prou.

Alan : Donc si les auditeurs ont des questions à vous poser c’est éventuellement par mail, à condition de pas vous bombarder

MAS : Volontiers

PK : On peut faire zone tampon sinon. On récupèrera.

Robin : En général c’est ce que l’on fait. Vous pouvez nous envoyer la question et on fera suivre. En bloc, comme ça, ça ne fait qu’un seul mail.

MAS : Volontiers, je ne refuse pas de répondre, au contraire, ça fait partie de mon métier

Alan : Excellent. Eh bien, un immense merci, j’ai vraiment appris plein de choses. J’ai vraiment été fasciné par ce qui a été dit ce soir. Je vais réécouter l’émission je crois.

MAS : Merci encore pour votre accueil, c’était sympa.

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